Jugements sommaires en matière de contrefaçon de brevets : la tendance se poursuit

Première interprétation de la défense de l'« utilisation antérieure » dans la contrefaçon de brevet et première décision de type Markman

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08 février 2022

La décision de la Cour fédérale dans l'affaire Kobold v. NCS, 2021 FC 1437 présente plusieurs éléments inédits. Plus important encore, la Cour a été appelée à y interpréter et à y appliquer pour la première fois la nouvelle défense de l'« utilisation antérieure », prévue à l'article 56 de la Loi sur les brevets. Suivant une approche rigoureuse, la Cour a analysé l'évolution judiciaire de cette disposition, a expliqué l'intention du législateur derrière les modifications et a interprété le nouveau libellé des différents paragraphes.



À la suite de cette analyse approfondie, la Cour a décrit la procédure à suivre lors de l'examen d'une défense invoquée aux termes du paragraphe 56(1) :

  • Premièrement, il faut déterminer si les actes accomplis avant et après la date de la revendication sont identiques (ce qui exclut les changements n'ayant aucun caractère fonctionnel, tels que la couleur). S'ils le sont, il n'y a pas eu contrefaçon au titre du paragraphe 56(1), et aucune analyse approfondie n'est requise.
  • Deuxièmement, dans les cas où les actes ne sont pas identiques, il faut déterminer si ceux-ci contrefont le brevet et, le cas échéant, établir les revendications en cause. Si les actes postérieurs à la date de la revendication ne contreviennent à aucune revendication, il n'y a pas de contrefaçon. De même, si les actes antérieurs à cette date ne portent atteinte à aucune revendication, le paragraphe 56(1) ne peut être appliqué. Pour que cette disposition s'applique, les actes antérieurs et postérieurs à la date de la revendication doivent contrevenir à la même revendication (ou aux mêmes revendications).
  • Enfin, si les actes antérieurs et postérieurs à la date de la revendication ne sont pas identiques et ne font que contrevenir aux mêmes revendications, il faut alors déterminer si les changements sont liés à l'« idée originale » du brevet.

Le dernier point, qui se rapporte à l'« idée originale », est intéressant. Plus tôt dans la décision, la Cour semblait chercher avant tout à déterminer si les éléments de la contrefaçon (« infringement elements ») ou les éléments contrefaits de l'invention (« infringing aspect of the device »)[1] étaient identiques, avant et après la date de la revendication. Cependant, dans son résumé de la procédure à suivre, la Cour renvoie plutôt à l'idée originale (« inventive concept »). Bien que l'orientation récente de la Cour d'appel fédérale donne à penser que l'idée originale correspond habituellement à la revendication telle qu'interprétée (c'est-à-dire qu'il n'y a pas de différence entre les éléments de la revendication et l'idée originale)[2], il existe d'autres cas où l'idée originale n'est pas identique aux éléments revendiqués[3]. Dans les cas où l'article 56 est invoqué, les parties peuvent mettre l'accent sur différents aspects de la décision Kobold.

Dans l'affaire Kobold, cet aspect de la décision a été analysé comme suit : 1) les actes antérieurs et postérieurs à la date de la revendication n'étaient pas identiques, étant donné que les produits ont changé au fil du temps; 2) il n'y avait pas suffisamment d'éléments pour déterminer si les produits postérieurs à la date de revendication étaient contrefaits; 3) la preuve ne permettait pas d'établir si les changements apportés aux produits étaient liés à l'« idée originale ». Vu le manque de preuves, la question de l'applicabilité du paragraphe 56(1) sera examinée au procès.

Le deuxième aspect « inédit » de cette décision est qu'elle s'apparente à une procédure de type Markman tranchée par jugement sommaire. Tel qu'il a été indiqué ci-dessus, la Cour n'a pu déterminer si le paragraphe 56(1) s'appliquait, vu le manque de preuves. Elle a néanmoins procédé à une pleine interprétation téléologique des revendications (« purposive construction of the claims ») et rendu un jugement à cet égard. Par conséquent, à moins d'une infirmation en appel, cette interprétation sera appliquée par les parties lors du procès subséquent. Cette façon de faire est similaire à l'audience de type Markman tenue aux États-Unis. Il sera intéressant de voir si elle sera de nouveau appliquée ultérieurement.

Le troisième aspect « inédit » est que cette décision est la première à aller à l'encontre de la récente tendance à juger les affaires de brevets dans le cadre d'une requête en jugement ou en procès sommaire, en se fondant sur l'absence de contrefaçon. Depuis 2019, trois actions en contrefaçon ont été tranchées par voie sommaire en faveur des trois contrefactrices[4]. Ce ratio est maintenant de trois sur quatre.

En terminant, la décision semble pencher largement en faveur de Kobold. Cependant, il convient de noter que dans le cadre de la requête en jugement sommaire, Kobold a admis qu'il n'y avait pas eu contrefaçon du produit Mongoose. Par conséquent, un des produits en litige a été retiré de l'affaire. L'importance de cette déclaration pour NCS peut expliquer pourquoi la Cour a indiqué que les deux parties avaient obtenu partiellement gain de cause dans le cadre de la requête.

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[1] Voir les paragraphes 104 et 106, respectivement.

[2] Ciba c. SNF, 2017 CAF 225, au paragraphe 77.

[3] Apotex c. Shire, 2021 CAF 52, aux paragraphes 60 à 77.

[4] Canmar, 2019 CF 1233, Gemak, 2020 CF 644 et Viiv, 2020 CF 486; toutes ces actions ont été rejetées à l'issue d'un jugement sommaire fondé sur l'absence de contrefaçon.


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