Encore une fois, votre locataire tarde à payer son loyer. Mais cette fois-ci, vous avez atteint les limites de votre patience et souhaitez résilier le bail. En Ontario, les propriétaires d’immeubles commerciaux ont de la chance, car ils n’ont pas besoin d’obtenir une ordonnance d’un tribunal pour reprendre possession de leurs locaux et résilier le bail (ou, dans le jargon juridique : rentrer). La Loi sur la location commerciale accorde en effet le droit de procéder ainsi, sans intervention de la cour, du moment que certaines mesures obligatoires sont respectées.

ÉTAPE 1 – Assurez-vous que vous n’avez pas renoncé à vos droits

Si votre locataire a constamment payé son loyer avec du retard et que vous avez accepté ce paiement tardif, il se peut que vous ayez perdu le droit d’exiger le respect strict de l’obligation du locataire de payer son loyer le premier du mois. En outre, si le locataire a l’habitude de ne pas respecter les heures d’ouverture prévues du centre commercial, malgré sa promesse du contraire, il se peut qu’on trouve que vous avez acquiescé à ce défaut de se conformer au bail et avez ainsi perdu le droit de strictement appliquer les modalités du bail.  Comme je me plais à le dire souvent, les bonnes actions sont souvent punies.

Ne vous inquiétez pas cependant, la renonciation n’est pas éternelle et elle peut être annulée en envoyant au locataire un avis formel l’avisant qu’il doit payer son loyer le premier de chaque mois et qu’il doit dorénavant se conformer d’une manière stricte à cette obligation aux termes du bail.

ÉTAPE 2 – Lisez la section traitant du défaut de se conformer aux obligations du bail  

S’il s’agit du défaut d’acquitter le loyer, vérifiez les modalités du bail pour voir si vous êtes tenu d’envoyer un avis de non-paiement de loyer au locataire ou si vous devez laisser passer une certaine période de temps après la date prévue du versement du loyer avant de pouvoir considérer le retard comme des arriérés. La plupart des baux contiennent une clause énonçant que le propriétaire peut résilier le bail si le paiement du loyer est en retard. En présumant que le loyer doit être payé le premier du mois, cela signifie qu’il est possible de reprendre possession des locaux dès le 2 du même mois. Si le bail ne contient aucune modalité à ce sujet, vous devez alors attendre 15 jours complets (c’est-à-dire jusqu’au 17 du mois) avant de pouvoir rentrer dans vos locaux. 

Si le défaut de se conformer du locataire a trait à autre chose que son obligation de payer son loyer, et ce, même si le contraire est énoncé dans le bail, vous devez envoyer un avis au locataire l’informant de son défaut de se conformer au bail et lui laisser suffisamment de temps pour remédier à la situation avant que vous n’ayez le droit de résilier ce dernier.

ÉTAPE 3 – Assurez-vous que le locataire est bel et bien en défaut

Une des conséquences liées au fait d’avoir le droit de résilier un bail sans une ordonnance de la cour est qu’il faut répondre à des normes très strictes en ce qui a trait à l’exercice de ce recours découlant d’une initiative personnelle.  Vous devez donc vous assurer que votre locataire est bel et bien en défaut.  S’il s’agit du défaut d’acquitter le loyer, il vaut mieux que vous exerciez votre droit de résilier le bail en vous fondant sur des arriérés qui vous sont incontestablement dus. S’il s’agit plutôt d’un différend lié au rajustement des coûts d’exploitation, je vous suggère fortement de ne pas inclure ces arriérés dans votre avis de résiliation, car ce faisant, vous invitez votre locataire à contester votre rentrée devant le tribunal et si, au bout du compte, le juge estime que vous avez tort, votre reprise de possession sera non seulement viciée, mais aussi elle sera considérée illégale.  Soudain, ce n’est plus le locataire qui est en mauvaise posture, mais vous. Les dommages-intérêts pour une rentrée illégale peuvent être extrêmement élevés. Du point de vue de la cour, vous avez interféré illégalement dans les activités d’affaires de votre locataire et avez probablement nui à sa réputation auprès de ses clients et de ses fournisseurs.

ÉTAPE 4 – Adoptez de bonnes stratégies

Un locataire qui verse des arriérés à la cour a le droit de rétablir le bail (une levée de déchéance en langage juridique). Il n’est donc pas raisonnable de résilier le bail pour non-paiement de loyer lorsqu’il ne s’agit que d’un retard d’un mois, surtout si on sait que le locataire a les moyens de payer.

Le bail contient-il des dispositions relatives au non-paiement du loyer du mois courant et à une procédure de loyer exigible par anticipation des trois prochains mois de loyer en cas de tout type de défaut? La plupart des baux commerciaux le font. Il y a longtemps, cette disposition de loyer exigible par anticipation se limitait au fait que le locataire était insolvable, mais dans la dernière décennie, la plupart des baux de propriétaires ont été modifiés pour élargir la portée de cette disposition à tout type de défaut.

Si votre bail contient une disposition de loyer exigible par anticipation des trois prochains mois, vous devrez d’abord vérifier si cette disposition est automatique (c’est-à-dire, que le loyer est immédiatement soumis à une procédure de loyer exigible par anticipation sans que vous n’ayez à prendre des mesures particulières) ou si elle n’est déclenchée que lorsque vous avez envoyé un avis et accordé du temps au locataire pour remédier à la situation. Si tel est le cas, vous devez aviser le locataire de la disposition de loyer exigible par anticipation dans votre avis de défaut de paiement.  Pourquoi la disposition de loyer exigible par anticipation est-elle pertinente ici?  Parce que nous souhaitons faire en sorte que la demande pour le rétablissement du bail par le locataire entraîne le plus de frais possible.

De même, nous souhaitons que la procédure soit la plus difficile possible. Le droit du locataire de faire une demande à la cour pour le rétablissement de son bail ne se limite pas à remédier à un défaut de paiement. Ce dernier a en effet plusieurs recours relatifs à d’autres violations sauf quelques exceptions, la plus pertinente étant celle concernant la violation des restrictions du bail relativement aux cessions et aux sous-locations.  Si vous résiliez le bail en raison de ce type de violation, le locataire ne dispose d’aucun recours devant la cour.

Si vous avez un locataire qui doit des arriérés et qui contrevient à d’autres modalités du bail, il est donc sensé de prendre une mesure supplémentaire et de donner au locataire un délai raisonnable pour remédier à la situation avant de procéder à la rentrée, puisqu’il sera plus difficile pour un locataire d’obtenir le rétablissement de son bail.

Cette stratégie n’est plus valable cependant lorsque vous avez des raisons de croire que le locataire est insolvable. Dans ce cas, il faut résilier le bail le plus vite possible. Si le locataire fait la cession lui-même ou fait l’objet d’une requête en faillite avant que vous n’ayez le temps de résilier le bail, tout est suspendu – vous ne pouvez plus rien faire. Il est impossible d’exercer tout recours contre le locataire. Pis encore, il faut attendre 90 jours pendant que le syndic de faillite décide s’il renonce au bail ou s’il va exercer son droit de céder le bail à quelqu’un d’autre. Faites attention, le syndic n’est aucunement tenu de respecter les clauses d’utilisation du bail et est autorisé légalement à céder le bail à quelqu’un pour utilisation des locaux autre que les utilisations permises selon la convention de bail.

Si vous croyez que le locataire est au bord de la faillite, il vaut mieux résilier le bail le plus rapidement possible. À ce titre, il sera presque toujours possible d’effectuer une rentrée fondée sur le non-paiement de loyer et ainsi éviter d’envoyer un avis de défaut au locataire et laisser à ce dernier le temps de remédier à la situation.

ÉTAPE 5 – Faites appel à un huissier

À moins d’avoir déjà résilié un bail et de faire face à une situation dont les paramètres sont très clairement définis, par exemple dans un cas où le locataire doit des arriérés et qu’il a abandonné les lieux, il est toujours conseillé d’avoir recours aux services d’un huissier qualifié. L’huissier est votre meilleur ami. Il a déjà fait ça mille fois et il sait comment exécuter la rentrée en évitant les désagréments et les maux de tête inutiles.

L’autorité de l’huissier lui est conférée par l’intermédiaire d’un mandat qu’il obtient du propriétaire. L’huissier vous fera parvenir le formulaire à signer à cet effet. La seule modification que j’apporte au formulaire de l’huissier est de limiter l’exemption prévue par celui-ci, afin qu’elle s’applique uniquement aux actes « légaux ». L’huissier se chargera également de préparer l’avis de résiliation pour vous.

Généralement, il est très facile d’exécuter la résiliation. Dans presque tous les cas, on procède en faisant changer les serrures et en affichant l’avis de résiliation sur les lieux, à l’intérieur d’une fenêtre ou d’une porte afin qu’il soit visible de l’extérieur (sans que l’on puisse le retirer). Je fais également parvenir une copie de l’avis de résiliation au locataire par courriel, de même qu’à son avocat.

L’huissier aura besoin d’être renseigné sur le nombre de portes extérieures se trouvant sur les lieux, sur le type de serrure qui s’y retrouve et sur l’utilisation d’un système d’alarme, s’il y a lieu. Afin de pouvoir effectuer la rentrée lorsque les locataires sont absents, il vous demandera quelles sont les heures d’ouverture du locataire et quand il est raisonnable de croire que les lieux seront vacants.

Ni vous, ni l’huissier, ne pouvez user de force pour effectuer la rentrée. Si le locataire bloque physiquement l’accès aux locaux, il faudra tout simplement revenir à un autre moment.

ÉTAPE 6 – Ne saisissez pas les objets du locataire

En effectuant la résiliation du bail, vous abandonnez votre droit de saisie-gagerie (c’est-à-dire le droit que possède le propriétaire de saisir les objets du locataire en cas de non-paiement du loyer). Afin d’éviter toute confusion et de me protéger contre toute accusation du locataire à ce sujet, j’inclus dans l’avis de résiliation un énoncé semblable au suivant :

Le présent avis de résiliation du bail, le changement des serrures sur les lieux donnés à bail et la résiliation du bail ne constitueront pas une saisie par le propriétaire aux termes d’un quelconque contrat de sûreté obtenu par le locataire à l’égard du propriétaire, si tel contrat existe, ou à l’égard de toute autre personne, de tout objet ou d’autres biens personnels appartenant au locataire et étant demeurés sur les lieux donnés à bail. Veuillez communiquer avec le propriétaire au (tél.) afin de prendre les mesures nécessaires pour retirer vos biens des lieux donnés à bail au plus tard le • 2013, faute de quoi nous considérerons les biens demeurés sur place comme étant abandonnés et nous en disposerons sans recours ni dédommagement pour le locataire.     

Sachez que, malgré cet avertissement informant le locataire que nous disposerons de ses biens, il est interdit de le faire, à moins qu’une telle procédure soit précisément énoncée dans le bail. Autrement, on doit entreposer les biens du propriétaire et il est interdit de les jeter par-dessus bord.

ÉTAPE 7 – Réservez votre droit de réclamer des dommages-intérêts

Vous avez le droit de réclamer des dommages-intérêts au locataire comme conséquence de la résiliation anticipée du bail. Vous devez toutefois réclamer ces dommages-intérêts dans un délai raisonnable suivant la résiliation du bail. Par mesure de sécurité, j’inclus l’énoncé suivant dans l’avis de résiliation :

Par la présente, le propriétaire vous avise également que, sans autre forme d’avis ou de demande, il tiendra le locataire responsable du paiement du loyer de base et du loyer additionnel dus en date du • 2013, du paiement du loyer perçu par anticipation aux termes de la section • du bail, ainsi que du paiement des dommages-intérêts liés à la perte de l’avantage qu’aurait constitué le loyer pour le restant du terme du bail, y compris les paiements du loyer de base et du loyer additionnel pour le restant du terme du bail, n’eût été la résiliation anticipée de celui-ci.

ÉTAPE 8 – Que faire si un locataire se réintroduit par effraction?

Aussi drôle que cela puisse paraître, ce scénario se présente assez souvent; du moins, assez souvent pour que je décide de modifier mes avis de résiliation afin d’y inclure ce qui suit :

- AVERTISSEMENT -

CES LIEUX SONT MAINTENANT LA PROPRIÉTÉ LÉGALE DE L’HUISSIER, EN TANT QUE MANDATAIRE DU PROPRIÉTAIRE. TOUTE PERSONNE QUI RENTRE OU QUI TENTE DE RENTRER SUR CES LIEUX SANS AVOIR D’ABORD OBTENU LE CONSENTEMENT DE L’HUISSIER, DU PROPRIÉTAIRE OU D’UN JUGE DE LA COUR SUPÉRIEURE DE JUSTICE, COMMET UN ACTE CRIMINEL ET S’EXPOSE À UNE POURSUITE CRIMINELLE DANS LA PLEINE MESURE DE LA LOI.

Cet avertissement n’est pas toujours efficace, mais il s’agit certainement d’un outil pratique. Lorsqu’un locataire entre par effraction, c’est souvent dans le seul but de récupérer ses biens personnels. Dans un tel cas, le plus simple est de faire changer les serrures de nouveau le lendemain. Par contre, si le locataire rouvre les portes en vue de poursuivre ses activités d’affaires, la situation est très différente. À ce moment-là, la procédure la plus sécuritaire est de déposer, auprès d’un tribunal, une demande d’expulsion du locataire (officiellement appelée un « bref de mise en possession »).

L’une des raisons pour lesquelles j’aime tant mon domaine de pratique est qu’on ne tombe jamais sur deux baux ni deux locataires identiques. J’espère que mes commentaires vous seront utiles et que vous les traiterez, comme il se doit, en tant que conseils pratiques et non pas en tant que règles strictes.