La Cour fédérale a récemment publié sa décision quant à une motion visant à déterminer les questions de droit découlant d’une action intentée par un groupe de fournisseurs de services mobiles relativement à la perception d’une somme d’environ 15 millions de dollars de redevances sur des sonneries que les demandeurs estiment avoir été perçues et distribuées à tort par la SOCAN. Monsieur le juge O’Reilly a conclu que la SOCAN n’était pas tenue de rembourser les redevances. Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Les demandeurs fournisseurs de services mobiles ont tenté de faire valoir que deux arrêts de 2012 de la Cour suprême relatives à des téléchargements musicaux1 invalidaient le tarif imposé par la SOCAN sur les sonneries. Les demandeurs ont avancé que puisque les sonneries sont également distribuées en tant que téléchargements, le tarif de la SOCAN était nul et que la SOCAN s’était injustement enrichie. Les demandeurs ont soutenu que la SOCAN devait rembourser la somme d’environ 15 millions de dollars en redevances qu’elle avait perçues aux termes du tarif depuis 2003.

La SOCAN a fait valoir que la décision de la Commission du droit d’auteur d’homologuer le tarif avait force de chose jugée et que les demandeurs avaient déjà épuisé leurs droits d’aller en appel. Les demandeurs avaient même conclu une entente avec la SOCAN pour prolonger l’application du tarif homologué. De plus, la SOCAN a soutenu qu’il n’était pas clair que les arrêts de la Cour suprême pouvaient s’appliquer à des sonneries et que, même si cela était possible, la SOCAN ne s’enrichissait pas en percevant des redevances aux termes du tarif. La SOCAN percevait des redevances pour le compte de ses membres et la majorité des redevances de sonneries avaient déjà été distribuées. Quoi qu’il en soit, tout enrichissement qui aurait pu en découler était justifié. La raison juridique de l’enrichissement était le tarif homologué, qui avait été homologué par la Commission du droit d’auteur, confirmé par la Cour d’appel fédérale et lequel, jusqu’en 2012, était considéré comme valide par toutes les parties.

Le juge O’Reilly a affirmé que la SOCAN ne s’était pas injustement enrichie et que les demandeurs n’avaient pas droit au remboursement de redevances perçues avant la publication des deux arrêts de la Cour suprême relatives aux téléchargements. Jusqu’à la publication des deux arrêts de la Cour suprême, la SOCAN n’a jamais été avisée que le fondement juridique du tarif des sonneries était menacé. Le tarif constituait donc une raison juridique pour le versement des redevances. Puisque les demandeurs ont cessé de payer les redevances suite à la publication de ces arrêts, aucun remboursement n’a été nécessaire.

En tirant cette conclusion, cependant, le juge O’Reilly a rejeté les arguments de la SOCAN fondés sur les notions de force de choses jugées et d’estoppel. Le juge O’Reilly a en effet conclu qu’en raison du pouvoir de la Commission du droit d’auteur de modifier ses propres décisions,2 les décisions de la Commission ne sont jamais vraiment complètement définitives et, à ce titre, ne peuvent être considérées incontestables. De même, le juge O’Reilly a conclu que les demandeurs n’étaient pas rendus forclos en raison de leur entente avec la SOCAN quant aux modalités du tarif des sonneries pour les années 2006 à 2013. Les tarifs sont souvent homologués selon une entente et ce jugement pourrait avoir une influence sur la manière dont les sociétés de gestion collective rédigent leurs ententes à l’avenir. 

La décision du juge O’Reilly traitait également la question des ordonnances accordant un droit de suite. Les demandeurs ont réclamé une ordonnance accordant un droit de suite pour leur permettre de recouvrer des redevances qui avaient déjà été distribuées par la SOCAN à ses membres, en se fondant sur l’entente que la SOCAN avait conclue avec les fournisseurs de sonneries. La SOCAN a soutenu que retracer les redevances distribuées aux membres de la SOCAN (des compositeurs et des éditeurs de musique canadiens, et autres organisations étrangères affiliées de droits de prestations) serait injuste et contraire aux principes d’équité. Au moment où les distributions ont été faites, la SOCAN agissait de bonne foi en croyant que le tarif était valide. Qui plus est, les membres de la SOCAN avaient probablement déjà dépensé l’argent qu’ils avaient reçu (dans le cas de compositeurs individuels) ou continué la distribution plus avant dans la chaîne (dans le cas des organisations étrangères affiliées de droits de prestations).

Malgré ces arguments, le juge O’Reilly a estimé « que si les demandeurs avaient continué à verser des redevances après la publication des décisions Entertainment Software Association et Rogers, il aurait été justifié d’émettre une ordonnance accordant un droit de suite pour leur permettre de recouvrer ces paiements. » [TRADUCTION]

À notre avis, la décision du juge O’Reilly pourrait être interprétée comme endossant la pratique qui se dessine peu à peu chez les utilisateurs de droits d’auteur de cesser le paiement de redevances selon leur position juridique relativement à l’application d’un tarif avant de tenter d’obtenir une décision quant à l’applicabilité d’un tarif auprès des tribunaux ou devant la Commission. Dans ce cas, les demandeurs ont tout simplement cessé de payer les redevances sur les sonneries une fois que la Cour suprême a rendu ses arrêts dans un dossier distinct. Aux yeux des demandeurs, ces décisions rendaient nul le tarif sur les sonneries; cependant, cette assertion n’avait pas encore été mise à l’épreuve devant les tribunaux.

Cette pratique, ainsi que la conclusion du juge O’Reilly selon laquelle les tarifs homologués par la Commission ne sont jamais vraiment définitifs, créent des difficultés pour les sociétés de gestion collectives qui sont chargées d’administrer le droit d’auteur selon des tarifs homologués par la Commission. En effet, s’il est impossible pour ces dernières de se fier aux ententes de règlement et aux décisions de la Commission (en particulier des décisions qui ont été confirmées en appel), comment feront-elles pour procéder, en toute tranquillité, à la distribution des redevances qu’elles ont perçues? Et si les sommes distribuées peuvent ensuite être retracées chez les membres de la société de gestion collective, comment ceux-là pourront-ils profiter, en toute tranquillité, de la rémunération qu’ils reçoivent pour l’utilisation de leurs œuvres?

Les demandeurs ont interjeté appel de la décision qui les prive du recouvrement de la somme de 15 millions de dollars en redevances versées à la SOCAN et distribuées par cette dernière à ses membres. La SOCAN a pour sa part déposé un appel incident quant à d’autres aspects de cette décision.


1 Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35.

En vertu de l’article 66.52 de la Loi sur le droit d’auteur