Melissa Tehrani
Associée
Chef, Groupe national Publicité et réglementation des produits
Article
8
2014 a vu l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement libéral au Québec, sans pour autant que cela n’assouplisse l’application de la Charte de la langue française (la « Charte »). En effet, il semble que dans un futur proche, cette dernière continuera d’exercer une influence sur les entreprises ayant des activités au Québec.
Le 28 janvier dernier, le juge Salvatore Mascia de la Cour du Québec a rendu un important jugement dans l’affaire Attorney General of Quebec v. Boulangerie Maxie’s. Le jugement traitait de trente différents dossiers comportant des violations de la Charte relativement à de l’affichage commercial qui n’était pas en français (art. 58), de l’affichage bilingue extérieur qui ne respectait pas la règle du « nettement prédominant » (art. 58), de l’emballage qui n’accordait pas au français un espace équivalent (art. 51) et de l’affichage d’un site Web commercial unilingue anglais sans français équivalent (art. 52). Dans son jugement, le juge a rejeté la contestation constitutionnelle quant à la validité et l’application de la Charte et a également confirmé certaines règles relatives à l’application des dispositions liées à l’étiquetage et à la publicité au Québec.
En résumé, la Cour a affirmé que :
En ce qui a trait à la contestation constitutionnelle, elle comportait deux aspects : un lié à la notion de compétence et l’autre lié à la notion de droits. La notion de compétence était mise en cause du fait que les défendeurs dans le cadre de leurs activités d’affaires affichaient un site Web unilingue anglais; ces derniers ont fait valoir qu’Internet relevait de la compétence exclusive du gouvernement fédéral en vertu de son pouvoir résiduel et que, par conséquent, les provinces n’avaient aucune compétence quant à la réglementation d’Internet. Quant au second aspect, les défendeurs ont fait valoir que la Charte violait leurs droits et libertés fondamentaux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, notamment leur droit à la liberté d’expression et leur droit à l’égalité et à la liberté.
L’argument de défaut de compétence a été rejeté par le juge Mascia; il a en effet conclu que les lois servaient à réglementer le commerce au Québec et donc, que le législateur provincial avait effectivement compétence dans ce domaine. Le véritable caractère de la loi n’était nullement affecté simplement parce que le médium utilisé pour faire de la publicité était Internet, plutôt que les catalogues traditionnels de papier.
Quant à l’argument de violation des droits, le juge a conclu que la préservation et la mise en valeur de la langue française constituaient des objectifs suffisamment importants pour justifier les limites imposées par la Charte aux droits et libertés fondamentaux.
Plusieurs arguments ont été soulevés par les défendeurs pour réfuter les accusations relativement à l’application de la Charte. Ils ont notamment soutenu qu’à l’égard de certaines accusations 1) la mise en demeure obligatoire était insuffisante, 2) les violations étaient mineures et ne justifiaient pas une poursuite, et 3) le français était prédominant et/ou que l’exception relative à la marque de commerce s’appliquait.
Le juge Mascia a rejeté l’argument de l’insuffisance des mises en demeure en déclarant que les infractions étaient évidentes, qu’elles contenaient une invitation à communiquer avec l’inspecteur pour toutes questions et que, de toute manière, l’ignorance de la loi ne constituait jamais excuse.
Le juge s’est penché sur le deuxième argument et a reconnu l’existence de la défense de minimis dans la loi du Québec en vertu de laquelle certaines infractions pouvaient s’avérer si triviales qu’elles ne justifieraient pas de poursuites. Le juge Mascia a cité à titre d'exemple un catalogue de plusieurs centaines de pages en anglais et en français à l’exception de quelques mots en anglais qui n’avaient pas été traduits ou d’un grand affichage commercial où la « prédominance nette » n’était pas atteinte en raison d’un manquement de quelques millimètres seulement. Dans les cas en l’espèce, cependant, les actions des défendeurs ont été considérées comme de réelles violations de la Charte et n’ont donc pu bénéficier de la défense de minimis. En fait, le juge a conclu qu’un site Web en anglais seulement était une violation claire de la loi et ne pouvait être considéré comme trivial. De même, un affichage est nettement prédominant ou il ne l’est pas; lorsque les deux affichages sont de la même taille, il est clair que le français n’est nettement pas prédominant.
Relativement à la nette prédominance du français, certains défendeurs ont fait valoir que placer un affichage en français avant un affichage en anglais suffisait à satisfaire au critère, et à leur avis, donnait au français une prédominance supérieure. Même s’il existe une règle qui établit clairement les exigences selon lesquelles le français doit être « nettement prédominant », les défendeurs ont soutenu que l’utilisation du mot « réputé » dans cette dernière indiquait clairement qu’il y avait d’autres façons de donner une nette prédominance à la langue. Le juge n’a pas été du même avis, déclarant que la règle énonce clairement cette notion de la nette prédominance. En fait, le texte en français doit avoir un impact visuel supérieur. En ce qui a trait à la langue d’affichage et à la nette prédominance de la langue française, la Cour a affirmé que la question de la taille était cruciale, ici.
Deux défendeurs ont également soutenu que la portion en anglais de leur affichage commercial pouvait se prévaloir de l’exemption de la Charte relative à une marque de commerce reconnue. Bien qu’aucune des marques de commerce des défendeurs n’étaient enregistrées, le juge Mascia a d’emblée reconnu que l’exemption s’appliquait à des marques de commerce enregistrées et des marques de common law. Il a également réitéré que le fardeau de prouver qu’ils ne pouvaient se prévaloir de l’exemption incombait aux défendeurs. Afin d’invoquer et de se prévaloir de l’exemption liée aux marques de commerce, la Cour a maintenu que les défendeurs devaient établir que les mots ou les phrases en question étaient utilisés pour promouvoir un produit ou un service d’une manière distinctive. Alors qu’un des défendeurs est parvenu à satisfaire à ce critère, l’autre a échoué au motif que la marque alléguée ne constituait pas une marque de commerce et n’était rien d’autre qu’un descripteur des produits offerts par son entreprise.
Puisque les défendeurs n’ont pas eu gain de cause quant à leur contestation constitutionnelle de la Charte, ils ont tous été déclarés coupables à l’exception d’un des défendeurs qui a pu se prévaloir de l’exemption liée aux marques de commerce. Alors que la majeure partie du jugement traite des questions constitutionnelles soulevées dans le dossier, on y trouve également une analyse détaillée de l’application des défenses de droit commun, notamment la défense dite de minimis, la règle de la nette prédominance et l’exemption relative à une marque de commerce reconnue.
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