Rodrigue Escayola
Associé
Article
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De nombreuses associations condominiales se retrouvent aux prises avec des propriétaires (ou des occupants) qui louent leurs unités à court terme par l’intermédiaire d’Airbnb ou d’autres organisations semblables offrant des baux de location à court terme. Ce genre de location cause une augmentation du va-et-vient dans l’immeuble et impose un fardeau aux autres résidents de la copropriété, en plus d’avoir une incidence négative sur la sécurité de tous. Même si les associations condominiales ne peuvent pas carrément interdire la location d’unités, ces dernières disposent néanmoins de nombreux outils pour réglementer ce type de location à court terme et en diminuer les conséquences.
Airbnb et les autres fournisseurs semblables sont des entreprises Web qui offrent une solution de rechange aux séjours d’hôtel, en mettant en contact les personnes qui voyagent à l’étranger et les propriétaires (ou locataires) qui souhaitent louer leur demeure (ou parfois seulement une chambre de leur maison). Ces locations sont habituellement de très courte durée (souvent pour seulement quelques nuits à la fois). Ce genre d’entente constitue réellement une bonne affaire pour les personnes qui voyagent (qu’il s’agisse de voyages touristiques ou d’affaires) puisqu’elles obtiennent l’accès à une maison entièrement meublée avec tout inclus, à des prix habituellement bien moins chers que ceux que proposent les hôtels. Les baux à court terme peuvent également s’avérer très lucratifs pour les propriétaires, car ils permettent à ces derniers d’extraire beaucoup plus de revenus de leur unité qu’ils ne le pourraient en la louant sur une base annuelle.
Airbnb connaît un véritable essor ces derniers temps. Fondée en 2008, l’entreprise a pris de l’expansion et affiche maintenant une présence dans plus de 34 000 villes, dans 190 pays. On compte actuellement plus de 1,5 million d’inscriptions d’unités, de maisons (ou de châteaux) à louer selon le site Web d’Airbnb. Le Vancouver Sun a récemment signalé que, d’après Airbnb, le nombre de locations à Paris a fait un bond de 144 en 2009 à plus de 517 000 au cours de la dernière année! Si on se rapproche un peu plus de notre coin de pays, une visite rapide du site d’Airbnb permet de constater qu’on y compte plus de 1 000 inscriptions à Toronto (je soupçonne d’ailleurs qu’il y en a bien plus), et les prix de celles-ci varient entre 13 $/nuit et 1 500 $/nuit (la moyenne se chiffrant à 116 $/nuit). Par contre, il ne faut pas trop se laisser emballer par l’idée des options les plus abordables. Mentionnons que pour 17 $/nuit, on peut louer une « grande tente spacieuse dans la cour du propriétaire ». Du côté positif, notons que le stationnement gratuit est compris et que l’emplacement se situe à seulement 28 minutes de la Tour CN. En ce qui a trait aux options plus luxueuses, notons que pour 999 $/nuit, on peut louer une suite penthouse de 3 300 pi. ca, au 43e étage de Capreol Court, dans le quartier d’affaires du centre-ville. Quant aux commodités et services offerts, cette location comprend entre autres le shampooing et le stationnement... incroyable, mais vrai.
Récemment, Airbnb a fait les manchettes lorsque des copropriétaires à Toronto (et ailleurs) ont réalisé que leurs soi-disant locataires n’avaient en fait aucune intention d’occuper l’unité, mais qu’ils avaient plutôt loué celle-ci à un tarif mensuel afin de pouvoir ensuite l’offrir sur Airbnb à un prix de location par nuit qui leur permettrait de toucher une somme avantageuse. Un couple de Calgary a pour sa part fait les manchettes le printemps dernier, lorsque sa maison a été complètement saccagée par des locataires d’Airbnb lors d’une « orgie provoquée par la drogue », selon les dires des policiers. Les visiteurs sont arrivés en foule par autobus! Les dommages encourus se chiffraient à plus de 100 000 $ et on a dû faire appel à des gens en combinaison de protection contre les matières dangereuses pour nettoyer les lieux.
Dans l’univers des copropriétés, ces transactions de location à très court terme sont souvent conclues au détriment des autres résidents, qui voient leur copropriété se transformer en hôtel. Ce genre de location cause une augmentation du va-et-vient (puisque des étrangers vont et viennent à toute heure du jour ou de la nuit) et une diminution du sentiment de sécurité et de communauté. Les locataires ne sont pas au courant des règles et règlements administratifs de la copropriété, et ils imposent un fardeau aux autres membres de la communauté. Ils ne sont pas très investis dans la sécurité et le confort des autres occupants et s’en préoccupent peu. Après tout, ils considèrent l’unité louée comme un hôtel.
Les propriétaires qui revendiquent le droit de louer leur unité comme bon leur semble ne se rendent souvent pas compte que ce n’est pas seulement leur unité qu’ils louent. En réalité, ils louent aussi les éléments communs ainsi que toutes les installations partagées de l’immeuble. Par conséquent, les autres occupants se retrouvent à partager le vestibule d’entrée, la piscine, le sauna et le gymnase avec des étrangers et doivent composer avec un trafic accru dans leur garage. Souvent, les locataires utilisent les places de stationnement réservées aux visiteurs, ce qui laisse moins de places disponibles pour les véritables visiteurs.
Actuellement, l’entreprise Airbnb est légale dans toutes les provinces. La province de Québec cherche à la réglementer (et à l’imposer). Certaines villes des États-Unis cherchent pour leur part à contrôler cette entreprise non réglementée et les villes canadiennes en feront certainement autant.
Néanmoins, entre-temps, les associations condominiales ont à leur disposition de nombreux outils pour empêcher ou réglementer ce type de location à court terme. Voici quelques outils préliminaires à garder en tête.
La déclaration
Pour commencer, jetez un coup d’œil à votre déclaration. Dans le libellé de certaines déclarations, il est stipulé que les unités peuvent être utilisées uniquement à titre de résidences « unifamiliales privées et à des fins résidentielles » [TRADUCTION]. D’autres déclarations interdisent l’utilisation d’une unité à titre de maison de chambres, de pension de famille ainsi que l’occupation transitoire d’une unité.
Dans le cadre d’un de mes mandats récents à Ottawa (l’affaire Ballingall), il a été confirmé que les associations condominiales peuvent (et qu’en fait, elles devraient) faire respecter ce genre de disposition. Dans cette affaire, la déclaration contenait une disposition selon laquelle « chaque unité (…) sera occupée et utilisée uniquement à titre de résidence unifamiliale privée et à aucune autre fin » [TRADUCTION]. Néanmoins, près de la moitié des unités avaient été louées et parmi celles-ci, 22 % avaient été louées à des étudiants n’ayant aucun lien de parenté et allant à une université avoisinante. Même le président de l’association était en violation de cette disposition de la déclaration. En effet, ce dernier habitait dans une unité, mais en louait quatre autres à des étudiants pour la durée de l’année scolaire. De nombreux copropriétaires-résidents se sont plaints que leur domicile avait été transformé en dortoir pour étudiants : déchets abandonnés à la fin du trimestre, ainsi que fêtes et perturbations continuelles.
En contrepartie, les propriétaires-locateurs ont fait valoir que cette clause de la déclaration n’avait jamais été appliquée durant les 38 années d’existence de l’association. Malheureusement pour eux, la déclaration contenait également une solide clause de non-renonciation. Au beau milieu du litige, l’association (probablement incitée par le président, du moins en partie) a tenté d’adopter une règle qui suspendrait pendant 10 ans l’application de la clause de la déclaration visant les résidences unifamiliales!
Les tribunaux ont conclu que le fait de louer des unités à des étudiants n’ayant pas de liens de parenté constituait une violation de la disposition de la déclaration visant les résidences unifamiliales. En ce qui a trait à la nouvelle règle dans le cadre de laquelle ont tentait d’autoriser ce type de location, les tribunaux ont déclaré que celle-ci était déraisonnable. La juge a également conclu que le président avait agi de mauvaise foi et de manière oppressive envers les autres propriétaires durant la campagne qu’il avait menée en vue d’empêcher l’application de la disposition visant les résidences unifamiliales.
Si le libellé de votre déclaration contient des précisions quant au genre d’utilisation qu’il est permis de faire des unités, il se peut que le simple fait de se conformer à la déclaration suffise à régler la question des locations à court terme. Si votre déclaration n’interdit pas ce genre de location, l’association pourra alors songer à modifier sa déclaration. Cependant la modification d’une déclaration présente des défis bien particuliers et nécessite un taux d’approbation très élevé de la part des propriétaires.
Les règles
Au lieu de procéder à une modification, on peut opter pour une solution de rechange beaucoup plus simple : l’adoption d’une règle qui interdit ce genre de location. Effectivement, une association peut adopter des règles en vue de promouvoir la protection, la sécurité ou le bien-être des propriétaires ou d’empêcher que soient gênés déraisonnablement l’usage et la jouissance des parties communes et des unités. Les associations sont donc libres d’adopter des règles en vue de régir la location d’unités. Un exemple assez courant serait une règle interdisant les baux à court terme, comme les baux de moins de 3 mois. La clé est d’employer un libellé précis à l’épreuve des contrôles judiciaires, advenant qu’un propriétaire conteste la règle. À noter que les règles doivent être raisonnables et conformes à la Loi sur les condominiums, à la déclaration ainsi qu’au règlement administratif.
Dans l’affaire Ballingall, la juge a conclu que la règle proposée quant à la suspension, pendant 10 ans, de la disposition visant les résidences unifamiliales était à la fois déraisonnable et non conforme à la déclaration. Une association qui adopte une nouvelle règle doit également garder en tête l’exigence potentielle de protéger les droits acquis que détiennent les propriétaires existants. L’affaire Ballingall fournit d’ailleurs une longue analyse sur les composantes d’une règle raisonnable et d’une clause raisonnable relative aux droits acquis.
Autres options
Une troisième option serait de vérifier si l’utilisation que l’on fait d’une unité est conforme aux règlements administratifs municipaux. Selon le zonage de l’immeuble de copropriété, il se pourrait que certaines utilisations commerciales soient interdites. Selon moi, on pourrait sans doute avancer que le fait d’offrir une unité à louer par nuitée, laquelle est assujettie à des heures d’arrivée et de départ ainsi qu’à des politiques d’annulation, et comprend des commodités telles que des services d’entretien ménager, de WiFi et de serviettes s’apparente aux activités d’un hôtel plutôt qu’à une occupation résidentielle.
Finalement, renseignez-vous afin de savoir si la conclusion d’un bail à court terme avec Airbnb pourrait constituer un risque pour les assurances de l’association. Le cas échéant, il pourrait s’agir d’une justification de plus pour interdire les baux à court terme.
En fin de compte, ce sont l’application des règles et la conformité avec ces dernières qui détermineront la capacité d’une association à empêcher l’offre de baux à court terme. D’ailleurs, dans la plupart des cas, celui qui agit à titre de propriétaire à court terme n’est même pas en conformité avec l’article 83 de la Loi sur les condominiums, laquelle stipule qu’un propriétaire doit aviser l’association lorsqu’il loue l’unité, qu’il reconduit le bail ou qu’il le résilie. Le propriétaire doit également fournir à l’association le nom du preneur à bail et une copie du bail ou un résumé de celui-ci rédigé selon la formule prescrite. Le propriétaire doit également fournir au preneur à bail une copie de la déclaration, des règlements administratifs et des règles de l’association.
Comme c’est toujours le cas lorsqu’il est question d’application des règles et de conformité, il est important de bien documenter vos dossiers et de rassembler autant d’éléments de preuves que possible avant de confier l’affaire à l’avocat de l’association. La bonne nouvelle est que la plupart des preuves dont vous aurez besoin peuvent facilement être trouvées sur l’Internet puisque c’est l’outil qu’emploient les propriétaires pour faire de la publicité quant à la location de leur unité. Encore mieux, il arrive souvent que les locataires à court terme fournissent une évaluation ou des commentaires sur l’endroit loué en indiquant la durée de la période de location. Les diverses photos de l’unité vous aideront à confirmer clairement quelle unité fait l’objet d’une offre de location sur Airbnb. Tous ces éléments réunis constitueront des preuves très convaincantes quant à l’existence de baux à court terme.
Cet article a d’abord paru dans la publication CondoAdviser.ca et a été reproduit ici avec la permission de l'éditeur.
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