Laura Gheorghiu
Associée
Article
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Le Conference Board du Canada publie régulièrement un rapport intitulé Les performances du Canada : Bilan comparatif, lequel porte sur divers secteurs, notamment l’économie, l’environnement, l’innovation et la santé. Malheureusement, le rendement du Canada en ce qui a trait à l’innovation a reçu la cote « D » pendant plus de deux décennies et, en moyenne, a été classé au 14e rang sur les 17 pays du groupe de comparaison depuis les années 1980. Le Conference Board du Canada définit l’innovation comme suit : (i) la création de connaissances, (ii) la transformation de nouvelles connaissances en produits et services et (iii) la diffusion de nouveaux produits et services dans les marchés. Par le passé, le Canada avait obtenu des résultats passables en matière de création de connaissances, mais n’avait pas pris les mêmes mesures que d’autres pays pour commercialiser ces nouvelles connaissances, soit créer et mettre en marché des produits et des services découlant de ce nouveau savoir. Dans le bilan comparatif du Conference Board du Canada, il est mentionné à plusieurs reprises que le Canada a investi dans la recherche et le développement universitaires, mais a omis d’aider les sociétés canadiennes hautement innovatrices à rayonner à l’échelle internationale (Les performances du Canada 2009 : Bilan comparatif).
Deux analyses exhaustives sur le rendement du Canada en ce qui a trait à l’innovation ont été publiées en 2011 : (i) Innovation Canada : Le pouvoir d’agir (également connu sous le nom de « rapport Jenkins » et commandé par le ministre d’État chargé des Sciences et de la Technologie) et (ii) Rights and Rents: Why Canada must Harness its Intellectual Property Resources (Conseil international du Canada; CIC).
Dans le cadre de leurs consultations, les participants au document Innovation Canada : Le pouvoir d’agir se sont fait dire, entre autres, que le gouvernement devrait soutenir davantage la croissance des sociétés innovatrices et, plus particulièrement, répondre aux besoins des petites ou moyennes entreprises (PME). Ils se sont également fait dire que les programmes devraient être axés davantage sur les résultats, ainsi que plus visibles et facilement accessibles. En outre, les personnes consultées ont affirmé que la coordination pangouvernementale doit être améliorée et qu’il devrait y avoir une plus grande collaboration avec les programmes provinciaux, lesquels partagent souvent les mêmes objectifs et utilisateurs. Les participants ont formulé six recommandations. La Recommandation 2 stipule ce qui suit : « Simplifier le programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (RS&DE) en basant le crédit d’impôt pour les petites et moyennes entreprises (PME) sur les coûts liés à la main-d’œuvre. Réaffecter une partie du crédit d’impôt à une série plus complète d’initiatives de soutien direct aux PME, pour les aider à devenir des entreprises concurrentielles de plus grande taille. »
Les auteurs du CIC ont noté que le Canada ne dispose pas d’une stratégie cohésive en matière d’innovation et n’accorde pas la priorité à la conservation de la propriété intellectuelle (PI) et à la production de revenus. La plupart des connaissances produites dans les institutions canadiennes sont issues des entreprises en démarrage et des PME. Souvent, il est plus facile pour ces sociétés d’être vendues à de grandes sociétés internationales que d’essayer d’accroître leur rayonnement à l’échelle nationale, puis internationale. Les auteurs du CIC ont rapporté que de 2006 à 2010, 58 % des nouvelles sociétés canadiennes qui avaient été démarrées au cours de la décennie précédente ont été absorbées par des investisseurs étrangers et que, dans le cadre de ces opérations, plus de 66 % de la PI créée par ces sociétés ont été détournés. En 2009, la perte de ces sociétés et de leur PI a représenté un déficit sur le plan technologique de 4,5 milliards de dollars. Les auteurs du CIC ont présenté un plan d’action comportant dix recommandations. La septième recommandation énonce ce qui suit :
Les gouvernements devraient également examiner comment les incitatifs financiers pourraient aider les petites entreprises et les entreprises en démarrage à gérer leur propriété intellectuelle et à renforcer leurs droits en matière de PI. [...] Afin d’améliorer l’avantage concurrentiel et de réduire la perte de PI, le gouvernement devrait modifier son régime fiscal. Par exemple, les impôts sur le revenu tiré des brevets pourraient être diminués. [Traduction]
L’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) préconise la mise en œuvre d’un programme de type « case de brevet » qui mettrait en œuvre la septième recommandation formulée dans l’ouvrage Rights and Rents: Why Canada must Harness its Intellectual Property Resources. Une « case de brevet » consiste en un incitatif fiscal visant à favoriser la commercialisation de la PI. Aux termes d’un tel incitatif, les sociétés doivent indiquer sur leur déclaration de revenus le montant des revenus dégagés de leur PI et cocher la « case de brevet ». Ces revenus sont ensuite imposés à un taux d’imposition moins élevé.
Deux provinces, soit le Québec et la Saskatchewan, ont appliqué la septième recommandation de l’ouvrage Rights and Rents: Why Canada must Harness its Intellectual Property Resources en ce qui a trait au programme de « case de brevet » préconisé par l’IPIC. Puisque plusieurs pays européens ont déjà mis en place un programme de « case de brevet », ce premier équivalent canadien pourrait diminuer les avantages liés à l’externalisation des activités vers des pays étrangers.
En 2013, le gouvernement du Québec a annoncé la mise en œuvre d’un nouveau programme unique en son genre au Canada qui offre une aide financière et technique aux PME1 dans le cadre du dépôt de leur première demande de brevet ou premier enregistrement de dessin industriel (le programme Premier brevet). L’aide financière prend la forme d’une contribution non remboursable pouvant atteindre 50 % des dépenses admissibles du projet, jusqu’à un maximum de 25 000 $2.
Le 17 mars 2016, le Québec a annoncé l’instauration de son propre programme de « case de brevet », soit la déduction pour sociétés innovantes (DSI), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017. Ce programme offrira aux entreprises admissibles du secteur de la fabrication3 ayant un établissement au Québec un taux d’imposition moins élevé sur les revenus nets tirés de la vente ou de la location de produits fabriqués à l’échelle locale et attribuables à des inventions créées au Québec qui sont protégées par des brevets (ce taux peut s’appliquer jusqu’à un maximum de 50 % de ces revenus). Le brevet peut être obtenu en vertu de n’importe quelle loi visant les brevets au monde, mais la recherche et le développement connexes doivent avoir été menés, au moins en partie, au Québec et doivent avoir occasionné des dépenses en RS&DE d’au moins 500 000 $, donnant ainsi droit au crédit d’impôt remboursable du Québec au titre de la RS&DE4. Le taux d’imposition provincial appliqué à la tranche admissible du revenu net passera de 11,8 % à 4 %.
À l’instar des crédits d’impôt au titre de la RS&DE, une documentation adéquate doit être fournie avec la demande. Une comptabilité distincte sera également requise. Cette fois-ci, le Québec se concentre sur les grandes sociétés. En effet, pour être admissible, la société doit avoir un capital versé supérieur à 15 millions de dollars. Quant aux PME des secteurs primaire et manufacturier, elles bénéficient déjà de la déduction pour petite entreprise (DPE) et d’une déduction supplémentaire qui porte leur taux d’imposition effectif du Québec à 4 % sur la première tranche de 500 000 $ du revenu. Le programme Premier brevet n’est pas offert à ces sociétés.
Le programme de « case de brevet » du Québec se veut un complément au crédit d’impôt lié à la RS&DE existant et au programme Premier brevet offert par la province. Le Québec estime que les sociétés locales réaliseront des économies de 135 millions de dollars au cours des cinq prochaines années.
Le 11 mars 2016, le Saskatchewan Party a annoncé dans le cadre de sa plateforme électorale que s’il était réélu, il mettrait en œuvre un programme de « case de brevet » appelé « Saskatchewan Commercial Innovation Incentive » (SCII). Le SCII fera passer de 12 % à 6 % le taux d’imposition des sociétés sur les revenus gagnés au titre de la commercialisation de nouveaux brevets et de la PI en Saskatchewan. En outre, le Saskatchewan Party a annoncé que, lorsque la situation financière de la province s’améliorera, il offrira également un crédit d’impôt remboursable pour la recherche et le développement d’un maximum de 10 %, jusqu’à concurrence de 100 000 $ par année (le crédit d’impôt est actuellement offert en tant que crédit non remboursable seulement). Le programme de « case de brevet » et le crédit d’impôt remboursable pour la recherche et le développement proposés par la Saskatchewan s’ajoutent également au crédit d’impôt pour la RS&DE.
Le Québec et la Saskatchewan ont pris des mesures importantes pour améliorer le caractère concurrentiel du Canada en ce qui a trait à l’innovation. Nous espérons que les autres provinces et le gouvernement fédéral mettront également en œuvre un programme de « case de brevet ».
1 Ce programme est offert seulement aux sociétés comptant moins de 250 employés.
2 Cette demande doit être déposée auprès du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation et doit inclure une copie du contrat de service conclu avec un professionnel, un cabinet ou une association exerçant des activités dans le secteur de la PI.
3 Une société dont au moins 50 % des activités sont exercées dans les secteurs de la fabrication et de la transformation au Québec (calculé en fonction des coûts de la main-d’œuvre liés à ces activités proportionnellement au montant global du coût de la main-d’œuvre).
4 Le Québec offre un crédit d’impôt remboursable correspondant à 14 % des dépenses en RS&DE (crédit d’impôt relativement aux salaires, la moitié de la contrepartie versée à un sous-traitant, 80 % de la R&D universitaire, cotisations versées à un consortium de recherche et dépenses dans le cadre de la recherche précompétitive en partenariat privé). Le crédit s’applique aux dépenses excédant 50 000 $ (225 000 $ pour les sociétés dont l’actif excède 75 millions de dollars). Le taux du crédit d’impôt remboursable est de 30 % pour la première tranche de 3 millions de dollars des dépenses admissibles engagées par une société privée sous contrôle canadien dont l’actif, combiné à celui de tous les autres membres de son groupe, est inférieur à 50 millions de dollars.
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