Aperçu

Responsables de nombreuses infrastructures, les municipalités sont fréquemment appelées à procéder à des appels d’offres pour l’octroi de contrats pour les travaux. La Loi sur les cités et villes[1] prévoit d’ailleurs qu’un conseil municipal ne peut, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation du ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, accorder un contrat à une personne autre que le plus bas soumissionnaire conforme. La jurisprudence récente a en effet confirmé toute l’importance de ce principe, mais aussi l’existence de recours pour les plus bas soumissionnaires déçus, et ce, avant et après l’octroi du contrat.

Les appels d’offres publics des municipalités

L’objectif principal d’un appel d’offres public est d’obtenir le meilleur prix possible afin de s’assurer de faire une utilisation judicieuse des deniers publics. Cependant, les municipalités qui envisagent de confier des travaux doivent traiter tous les soumissionnaires équitablement tout au long du processus afin de ne favoriser aucun soumissionnaire en particulier.

La jurisprudence édicte qu’un donneur d’ouvrage (par ex., une municipalité) doit écarter une soumission atteinte d’une irrégularité majeure, c’est-à-dire, une irrégularité qui, une fois corrigée, représenterait une atteinte au principe de traitement équitable des soumissionnaires. 

Lorsque la plus basse soumission présente une irrégularité dite mineure, c’est-à-dire, une irrégularité qui, une fois corrigée, ne porte pas atteinte au principe de traitement équitable des soumissionnaires, le donneur d’ouvrage peut passer outre cette irrégularité et octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire[2]. Ainsi, à l’inverse, le donneur d’ouvrage a une certaine discrétion pour rejeter une soumission atteinte d’une irrégularité mineure.

Or, récemment, les tribunaux semblent plus sévères envers les municipalités lorsqu’elles décident d’écarter un plus bas soumissionnaire en raison d’une irrégularité mineure.

Une discrétion qui n’est pas à l’abri d’une révision

Dans l’affaire Entreprise TGC Inc. c. Municipalité de Val-Morin[3], la municipalité de Val-Morin a écarté le plus bas soumissionnaire, car certains prix unitaires présentés dans sa soumission n’étaient pas proportionnés aux coûts des travaux à réaliser, ce qui allait à l’encontre de l’une des exigences du cahier de charges. La Cour indique que bien que les municipalités n’aient pas l’obligation d’accepter une soumission comportant une irrégularité mineure, leur décision d’écarter une des plus basses soumissions peut être révisée si elle est prise de façon arbitraire.

Dans cette affaire, la Cour conclut que l’analyse de la conformité des soumissions a été menée dans le but d’établir que le soumissionnaire n’était pas conforme, suite à une expérience précédente insatisfaisante avec ce soumissionnaire. La Cour précise que l’équité se doit de profiter au plus bas soumissionnaire et, ultimement, à tous les contribuables, puisque c’est précisément dans leur intérêt que les règles d’ordre public ont été établies. En conséquence, la Cour octroie des dommages de plus de 372 000 $ au plus bas soumissionnaire écarté pour la perte de profits subie.

Il est toutefois à noter que la municipalité de Val-Morin a annoncé son intention d’en appeler de la décision, notamment quant à l’ampleur de la perte de profits de l’entreprise lésée. 

Mieux vaut prévenir que guérir

L’arrêt TGC vient donc valider qu’il est possible pour un soumissionnaire déçu de faire valoir ses droits et d’obtenir un dédommagement pour des pertes qu’il aurait subies dans le cadre d’un appel d’offres où il était le plus bas soumissionnaire, mais aurait été écarté de manière injuste. Ce type de remède est disponible une fois l’appel d’offres terminé, mais qu’en est-il de la possibilité d’agir avant que le contrat faisant l’objet d’un appel d’offres ne soit octroyé?

Gowling WLG a récemment eu l’occasion d’intervenir dans une affaire qui soulève une telle question. Le litige opposait notamment le Groupe CRH Canada inc. (ci-après « Demix ») à la Ville de Montréal[4]. En l’espèce, suite à un appel d’offres, la Ville de Montréal n’a pas retenu les services du plus bas soumissionnaire, Demix, au motif que sa soumission n’était pas conforme, puisqu’il n’attestait pas d’une expérience de deux contrats d’une valeur minimale de
10 000 000 $ exécutés au cours des cinq dernières années. Il s’avère en réalité que Demix possédait bel et bien une telle expérience, mais qu’en raison de l’ambiguïté dans le libellé de cette exigence de l’appel d’offres, elle n’avait pas répondu au critère de la manière attendue par la Ville. Demix s’est empressée de demander à la Cour d’émettre une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire ordonnant à la Ville de surseoir à l’octroi du contrat à un autre soumissionnaire. La Cour a accueilli la demande de Demix et ordonné à la Ville de Montréal de ne pas octroyer le contrat avant le jugement au fond dans l’affaire.

Dans son jugement au fond[5], la Cour est d’avis que l’irrégularité reprochée à Demix était mineure. Puisqu’elle avait été remédiée en temps utile, la Cour déclare que la soumission de Demix était la plus basse conforme. Ainsi, le contrat a été octroyé à Demix.

Cette affaire est d’autant plus intéressante qu’elle confirme la pertinence d’intenter un recours en injonction avant l’octroi du contrat à un autre soumissionnaire. En effet, un tel recours évite aux contribuables les frais d’une réclamation en dommages-intérêts compensatoires intentée une fois le contrat attribué, si le soumissionnaire déçu obtient gain de cause.

Conclusion

Soucieux de l’utilisation raisonnable des fonds publics, les tribunaux envoient un message clair aux organismes publics procédant par appel d’offres. Ils ne peuvent se cacher derrière la discrétion dont ils disposent pour agir de façon arbitraire et reléguer l’intérêt des contribuables au second rang en imposant un carcan administratif d’une trop grande rigidité, sous peine de se voir condamner à payer d’importantes sommes aux soumissionnaires lésés. Dans ce contexte, le fait de choisir d’agir en amont, soit avant l’octroi du contrat, peut s’avérer un avantage important pour l’entrepreneur qui évitera les longs délais d’un recours en dommages, mais représente un avantage plus important encore pour les contribuables qui économiseront si le plus bas soumissionnaire se fait attribuer le contrat, au lieu de se faire accorder des dommages et intérêts.


[1] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19.

[2] Norgereq ltée c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 1199.

[3] Entreprise TGC inc. c. Municipalité Val-Morin, 2017 QCCS 2616 [« TGC »].

[4] Groupe CRH inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1183.

[5] Groupe CRH inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 2332.