Le 28 avril 2017 avait lieu le Jour de deuil national au Canada, lequel rend hommage aux victimes d’accidents de travail par l’intermédiaire de divers événements civiques et privés à l’échelle du pays.

La fréquence de décès en milieu de travail demeure étonnamment stable au Canada. En effet, environ 900 décès par année découlent de l’emploi, selon l’Association des commissions des accidents du travail du Canada (ACATC) et depuis plus de dix ans, ces chiffres sont demeurés sensiblement les mêmes.

Ce constat est surprenant, car de nombreuses administrations dans l’ensemble du pays sont de plus en plus sévères en ce qui a trait à la surveillance de l’application de normes de santé et de sécurité au travail. L’application de ces dernières s’effectue au quotidien, au moyen de règles administratives et de constats d’infraction remis sur des lieux de travail par des inspecteurs des gouvernements provinciaux, et aboutit souvent devant les tribunaux où des entreprises et des particuliers sont accusés de délits quasi-criminels.

Ces poursuites, principalement lancées aux termes des lois provinciales en matière de santé et de sécurité au travail, mais aussi parfois en vertu du Code criminel, ont de graves répercussions sur les personnes inculpées. Premièrement, elles sont coûteuses en temps et en argent. Deuxièmement, elles peuvent nuire gravement à la réputation. Troisièmement, si elles sont reconnues coupables, les grandes entreprises peuvent se voir imposer des amendes de plus d’un million de dollars (pour une affaire de décès multiples) et les petites entreprises ont parfois la mauvaise surprise de se voir imposer des amendes de plus de 50 000 $, dans le cas de dossiers où pourtant personne n’a été blessé.

Le fait que de graves accidents, voire des décès, surviennent encore, témoigne de la grande difficulté – même pour le plus consciencieux des employeurs – de convaincre ses employés de faire preuve de prudence au travail. En réalité, le taux d’accidents peut aussi être lié à de nouveaux types de risques qui n’existaient pas il y a dix, ni même cinq ans de cela.

L’un de ces risques, appelé « distraction au volant », décrit la conduite d’un véhicule automobile tout en utilisant un appareil électronique (un cellulaire, habituellement). Voici la description de la distraction au volant selon la GRC :

La distraction au volant est une forme de conduite avec facultés affaiblies étant donné que le jugement du conducteur est compromis et que ce dernier n’accorde pas toute son attention à la route. Les distractions au volant incluent : parler au cellulaire, envoyer des messages textes, lire (un livre, une carte routière, les journaux), utiliser un GPS, regarder une vidéo ou un film, manger ou boire, fumer, les soins personnels, ajuster la radio ou un CD et écouter de la musique très fort. Parler aux passagers et conduire en état de fatigue (physique ou mentale) constituent aussi des formes de distractions au volant.

La distraction au volant est maintenant tellement répandue, qu’il se pourrait qu’elle surpasse même la conduite avec facultés affaiblies à titre de cause première des accidents de circulation. La U.S. Insurance Institute for Highway Safety a publié de l’information (en anglais seulement) sur le sujet et estime que « des enquêtes d’observation révèlent que le nombre de conducteurs qui envoient des messages textes à tout moment au cours de la journée est en hausse, surtout chez les jeunes conducteurs. En 2015, 2,2 % de tous les conducteurs et 4,9 % des conducteurs âgés de 16 à 24 ans environ ont été aperçus envoyant des messages textes ou manipulant des appareils portables. »

Selon le Bureau d’assurance du Canada (le « BAC ») la distraction au volant est de plus en plus répandue, et peut même être qualifiée de « nouvelle conduite avec facultés affaiblies ». Voici ce que dit le BAC aux conducteurs :

  1. Vous avez 23 fois plus de chances d’être impliqué dans une collision si vous envoyez des messages textes en conduisant et 4 fois plus si vous parlez au cellulaire (appareils portables ou en mains libres) en conduisant.
  2. Vous êtes peut-être en train d’enfreindre la loi. En effet, toutes les provinces du Canada, ainsi que le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, ont maintenant des interdictions en place quant à l’utilisation de cellulaires ou d’appareils portables en conduisant. Dépendamment de la législation en place, les sanctions peuvent être assorties d’amendes salées et dans de nombreux cas, de points d’inaptitude.
  3. Un conducteur distrait risque de ne pas percevoir près de 50 % de l’information disponible dans son environnement de conduite. Vous regardez, mais ne « voyez » pas vraiment ce qui se passe.
  4. Une étude démontre que près de 80 % des collisions et de 65 % des quasi-collisions comportaient une forme ou une autre d’inattention des conducteurs trois secondes avant l’événement.

Selon l’Association canadienne des automobilistes (la « CAA »), « en Amérique du Nord, la distraction au volant est en cause dans près de 4 millions de collisions impliquant des véhicules automobiles chaque année. La CAA croit également que l’augmentation des comportements qui constituent la distraction au volant, surtout l’envoi de messages textes est un grave problème. Pour le contrer, il faudra exercer le même type de pression relativement aux messages textes au volant que celle exercée pour changer les mentalités relativement à la conduite avec facultés affaiblies, il y a deux générations de cela. »

En outre, la notion de conduite d’un véhicule automobile pour le travail est beaucoup plus large que le simple fait de conduire un camion, un taxi ou une ambulance dans le cadre de sa profession. Quiconque conduit de sa maison vers un lieu différent de son lieu de travail habituel est généralement perçu comme étant « en cours d’emploi » aux termes de la loi sur l’indemnisation des travailleurs. La distraction au volant tombe donc bel et bien sous la responsabilité de l’employeur en plus de représenter des risques pour ce dernier.

La distraction au volant des employés constitue un risque important de responsabilité du fait d’autrui pour les employeurs. Prenons par exemple, l’affaire Dyke Industries (un vendeur distrait par son téléphone a tué un piéton et a coûté 16 millions $ US à l’employeur). Bien que cette affaire comportait des lésions à des tiers, ce sont les lésions aux employés eux-mêmes qui sont sources de préoccupation croissante.

Les organismes de réglementation en matière de sécurité sont conscients du problème et ont activement commencé à faire de la sensibilisation auprès du public et à appliquer des réglementations y afférentes. La United States Occupational Safety and Health Administration (« OSHA ») a lancé une initiative (en anglais seulement) en vue d’éradiquer le problème. L’une des difficultés en ce qui a trait au suivi des accidents liés au travail et mettant en cause la distraction au volant est que très souvent, les accidents de voiture sont couverts par une assurance automobile qui masque les circonstances réelles du dossier. Cela permet peut-être aux employeurs d’éviter des coûts de manière ponctuelle, mais ne change rien au fait que les personnes impliquées sont en cours d’emploi.

L’une des conséquences inattendues de l’épidémie de distraction au volant est qu’elle met en danger la vie des employés et des employeurs, eux, qui jusqu’alors se croyaient en parfaite sécurité. On avait l’habitude de penser que les travailleurs couraient le plus de risques dans leur milieu de travail : usines, entrepôts, sites de construction sont en effet des lieux qui présentent tous des dangers inhérents. Dorénavant, des personnes qui ne se considèrent pas comme des « travailleurs » – des professionnels, des vendeurs, bref, quiconque à un moment ou un autre prend le volant à des fins de son emploi – s’exposent à de graves dangers : eux-mêmes et leur téléphone.

Les profanes en droit de la santé et sécurité au travail s’exclameront sans doute « Si une personne prend le risque, comment un employeur peut-il en être responsable? » Mais ceux qui connaissent la réglementation en matière de sécurité au travail savent qu’un employeur est pratiquement considéré comme entièrement responsable du moindre incident qui survient à ses employés dans le cadre de leur travail ou dans le cadre de leurs déplacements pour son compte. Le concept en assurance de « l’indemnisation sans égard à la responsabilité » des travailleurs s’applique, peu importe le degré de négligence dont a fait preuve un travailleur.

De plus, les tribunaux canadiens ont interprété de façon constante la loi sur la santé et la sécurité au travail de manière à pratiquement envisager les employeurs comme les « assureurs » de la sécurité. Ainsi, lorsqu’un événement malencontreux survient, les agissements de l’employeur seront toujours scrutés à la loupe et bien souvent il en sera jugé responsable. Même lorsqu’un règlement a été mis en œuvre et que les gens concernés ont été formés au sujet des pratiques sécuritaires, une infraction à ces dernières déclenche un examen pour vérifier si l’employeur a appliqué le règlement correctement.

Les employeurs au sein des provinces et territoires canadiens sont tenus d’appliquer le principe de diligence raisonnable en ce qui concerne les risques potentiels à la sécurité des employés. Voici les mesures que les employeurs peuvent prendre pour réduire les risques liés à la distraction au volant :

  1. Premièrement, dissuadez les employés d’utiliser le téléphone au volant – évitez de téléphoner et d’envoyer des messages textes ou des courriels à un employé lorsque vous savez qu’il est au volant d’un véhicule;
  2. Deuxièmement, adoptez une politique aux termes de laquelle les employés sont tenus de se servir uniquement d’appareils en mains libres pour les appels et de ne pas envoyer de messages textes ou de courriels en conduisant;
  3. Faites souvent des rappels de cette politique, de vive voix et par écrit (courriels);
  4. Renforcez cette politique par des formations de rappel, au moyen, par exemple, de messages d’intérêts publics très efficaces et dramatiques maintenant très répandus sur le Web;
  5. Faites en sorte que le Comité de santé et sécurité ou que le représentant de la sécurité des travailleurs ajoute la distraction au volant dans la liste des enjeux qu’il inspecte et au sujet desquels il produit un rapport;
  6. Examinez les tendances des employés quant aux appels, messages textes et courriels des employés pour vérifier s’ils semblent se livrer à ce type d’activités pendant qu’ils conduisent un véhicule;
  7. Donnez des avertissements et des sanctions aux employés qui enfreignent le règlement. Remarque : une « sanction » ne peut comprendre une suspension, à moins que le contrat d’emploi ou la convention collective ne le stipule expressément.

Les politiques et leur application permettent à un employeur d’intervenir lorsqu’un employé enfreint les règlements. Dans l’affaire BFI Canada Inc. v General Teamsters Union, Local 362, 2015 CanLII 15350 (AB GAA) (en anglais seulement), un camionneur de l’entreprise BFI a été congédié pour violation de la politique de l’entreprise sur la distraction au volant. Des images prises par une caméra installée à bord du véhicule le montraient en train de tenir et d’utiliser son cellulaire alors qu’il se dirigeait vers une halte routière. Le syndicat a déposé un grief pour contester le congédiement. L’arbitre a cependant conclu que l’incident constituait un cas flagrant de conduite dangereuse, une infraction loin d’être insignifiante pour un conducteur professionnel tenu, à juste titre, de respecter des normes élevées. Qui plus est, le camionneur avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires à quatre reprises sans retenir de leçons de ces incidents. À ce titre, BFI avait un motif valable de mettre fin à la relation d’emploi avec le plaignant.

Outre l’inconduite du plaignant, l’arbitre a tenu compte des facteurs suivants au moment de rendre sa décision de maintenir le congédiement du plaignant :

  • Dans le cadre de son programme de sécurité, BFI avait mis en œuvre une politique concernant l’utilisation raisonnable du cellulaire et la distraction au volant. Le plaignant avait été avisé de l’existence de cette politique et avait suivi une formation y afférente;
  • La formation en matière de sécurité de BFI désignait l’utilisation du téléphone cellulaire au volant comme un danger qui augmente considérablement le risque de blessures;
  • La politique établissait l’imposition de mesures disciplinaires en cas de violation pouvant aller jusqu’au congédiement et entre eux, les employés l’appliquaient de manière systématique.

Il est bon de rappeler que l’obtention de ces résultats repose sur l’adhésion fidèle de l’employeur aux principes de diligence raisonnable. L’objectif de la diligence raisonnable consiste 1) à protéger efficacement des personnes contre les risques potentiels; 2) et à prouver que vous avez tenté de les protéger. Ces principes s’appliquent à la plupart des types de risques liés au travail et s’appliquent aussi à la distraction au volant. Mais plus important encore, lorsque ces mesures ne sont pas mises en place, il est clair qu’elles ne confèrent assurément aucune protection. Dans de tels cas, un employeur n’aura aucune excuse et n’aura aucun moyen de se défendre.

Bon nombre d’employeurs sont disposés à adopter une politique – rien n’est plus facile, en fait. Par contre, la mise en œuvre de mesures de formation et d’application continues des politiques exige temps et énergie que certains ne sont pas prêts à investir. Mais cela n’est tout simplement pas une option valable, car dans le contexte actuel, les vœux pieux d’un employeur ne suffiront pas.

Les lois en matière de distraction au volant et celles en matière de santé et sécurité au travail varient d'une juridiction à l'autre au Canada. Il est important que les employeurs connaissent les particularités de leur juridiction afin de bien pouvoir formuler et appliquer leur politique interne en matière de distraction au volant.

Vous avez besoin de conseils pour élaborer des politiques et des procédures efficaces en matière de santé et sécurité au travail? Adressez-vous directement à un avocat de Gowling WLG ou à l’auteur du présent article.