Droit canadien en matière de brevets – Faits saillants de 2017

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03 janvier 2018

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L’année 2017 a été très chargée en ce qui a trait au droit canadien sur les brevets. La controversée doctrine de la promesse a été rejetée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc.; le plus important jugement pécuniaire au Canada a été accordé au titre de la contrefaçon de brevet dans l’affaire The Dow Chemical Company v Nova Chemical; le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et les Règles sur les brevets ont fait l’objet d’importantes modifications et le Projet de loi C-30 a introduit la possibilité de demander la restauration de la durée d’un brevet au moyen d’un « certificat de protection supplémentaire » dans certaines circonstances.  

Le présent article se veut un sommaire de ces décisions et d’autres faits nouveaux importants en ce qui a trait au droit Canadien sur les brevets en 2017.

 

PROCÈS ET DÉCISIONS NOTABLES

Abolition de la doctrine de la promesse – AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc.

La Cour suprême du Canada (« CSC ») a traité des questions fondamentales portant sur le droit des brevets pour la première fois depuis 2012 dans l’affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. (« AstraZeneca »[1]). La CSC a conclu que la supposée « doctrine de la promesse » n’est pas la méthode appropriée pour établir si le brevet satisfait à la condition d’utilité prévue dans la Loi sur les brevets et que, par conséquent, elle ne constitue pas un fondement adéquat pour déterminer si une invention satisfait aux conditions requises pour être considérée comme étant « utile ».

La doctrine de la promesse a été jugée excessivement exigeante pour deux raisons. Premièrement, elle exigeait que la norme d’utilité soit mesurée par rapport à une ou à plusieurs « promesses » énoncées dans le brevet d’une manière qui confond l’exigence de l’article 2 avec l’exigence en matière de divulgation du paragraphe 27(3). La CSC a confirmé la décision prononcée dans le cadre de l’affaire Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel[2] selon laquelle l’utilité et la divulgation sont des exigences distinctes et qu’il n’est pas nécessaire que tout « usage » divulgué en application du paragraphe 27(3) soit démontré ou valablement prédit afin de satisfaire à l’exigence en matière d’ « utilité » en vertu de l’article 2.

Deuxièmement, le juge Rowe, exprimant l’avis unanime de la Cour, a conclu que la doctrine de la promesse dépassait la portée de la Loi sur les brevets puisque, lorsqu’un brevet contient de multiples « promesses », elle exigeait que ces promesses soient toutes réalisées pour que le brevet soit valide. Le juge Rowe était d’avis qu’une seule utilisation suffit à rendre l’objet « utile » en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Par suite de son analyse et de son rejet de la doctrine de la promesse, la CSC a établi un nouveau critère pour déterminer l’utilité. Dans le cadre du critère en deux parties établi par la CSC, les tribunaux doivent :

  1. cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet et
  2. déterminer si l’objet est utile, en ce sens où l’invention possède la moindre parcelle d‘utilité liée à la nature de l’objet établi à la première question.

Ainsi, depuis l’affaire AstraZeneca, pour satisfaire à l’exigence de l’utilité de l’article 2, la moindre parcelle d’utilité de l’invention revendiquée d’un brevet doit avoir été démontrée et valablement prédite à la date du dépôt. La CSC a conclu que le brevet en cause dans AstraZeneca était utile et a infirmé la décision du juge de première instance (laquelle reposait sur la doctrine de la promesse).

 

Tentatives ratées de restaurer la doctrine de la promesse – Dasatinib FCA et Desvenlafaxine

Des arguments ont été présentés à la Cour fédérale (« CF ») et à la Cour d’appel fédérale (« CAF ») dans le cadre d’affaires distinctes en ce qui a trait à l’application adéquate de la décision rendue dans l’affaire AstraZeneca par suite de la publication de celle-ci. Dans chaque cas, les tribunaux inférieurs ont lu cette décision en tenant compte du contexte et ont rejeté les arguments visant à restaurer la doctrine de la promesse.

Dans l’affaire Bristol-Myers Squibb Canada v. Apotex Inc. (« Dasatinib FCA »)[3], Bristol-Myers a interjeté appel après qu’une allégation d’inutilité faite par Apotex a été retenue devant la CF dans le cadre d’un jugement rendu avant l’affaire AstraZeneca[4]. La question en cause, soit la revendication 27, se rapportait au composé connu sous le nom dasatinib, lequel est utilisé aux fins du traitement d’un certain type de leucémie. La CF a conclu que le brevet en cause énonçait des promesses selon lesquelles le dasatinib traiterait une gamme d’affections malgré la simple nature de la revendication et que ces promesses n’avaient pas du tout été démontrées ni valablement prédites à la date du dépôt.

La décision dans l’affaire AstraZeneca a été publiée avant que la CAF rende sa décision. Bristol-Myers a affirmé que la démonstration effectuée avant la date de dépôt que le dasatinib inhibait certaines enzymes dans le cadre de certains essais in vitro satisfaisait au critère visant la parcelle d’utilité énoncé dans l’affaire AstraZeneca. Apotex a riposté en affirmant que l’objet de la revendication 27 se rapportait aux fins potentiellement thérapeutiques du dasatinib et que l’inhibition in vitro des kinases ne peut faire l’objet d’une utilisation en droit puisqu’il s’agit seulement d’une curiosité de laboratoire ne possédant aucune fin pratique. La CAF n’était pas d’accord et était d’avis que l’inhibition in vitro des kinases était une invention utile qui satisfaisait au critère d’utilité minimale énoncé dans le jugement AstraZeneca. L’appel de Bristol-Myers a été accueilli.

Dans les affaires Pfizer v Apotex[5] (Pristiq Apotex) et Pfizer v Teva[6] (Pristiq Teva), une demande d’ordonnance d’interdiction a été soumise au tribunal et tranchée après que la décision dans l’affaire AstraZeneca a été publiée. La CF avait invité les parties à soumettre des déclarations sur les répercussions de l’affaire AstraZeneca après l’audience tenue dans le cadre des affaires Pristiq.

Il a été déterminé que les revendications en cause satisfaisaient à l’exigence en matière d’utilité de l’article 2 par suite de l’application de la décision rendue dans AstraZeneca dans les deux cas. En outre, Apotex, dans un argument supplémentaire, a également fait valoir que le brevet en cause était invalide parce qu’il contenait des « promesses excessives », lesquelles, selon Apotex, constituaient un méfait dans l’affaire AstraZeneca qui donnerait lieu à l’invalidation d’un brevet, conformément au paragraphe 27(3). Le juge J. Brown a rejeté l’interprétation d’AstraZeneca faite par Apotex, estimant que celle-ci semblait correspondre à l’ancienne doctrine de la promesse. Il a conclu que si la CSC avait eu l’intention de déclarer que l’ancienne doctrine de la promesse ne s’appliquait pas en vertu de l’article 2 mais qu’elle pouvait être utilisée pour invalider les brevets en vertu du paragraphe 27(3), elle aurait affirmé une telle intention, mais qu’elle ne l’a pas fait.

 

Jugement en contrefaçon de brevet octroyant une somme de de 644 623 550,00 $ dans l’affaire Dow Chemical Company v. Nova Chemicals Corporation

Deux jugements ont été rendus en 2017 relativement au différend en cours entre The Dow Chemical Company et Nova Chemicals Corporation qui se rapportait à la rémunération que Nova Chemicals Corporation devait à The Dow Chemical Company en raison de la contrefaçon d’un brevet valide que celle-ci détenait. Ces jugements sont importants parce qu’ils ont donné lieu à la plus importante indemnité pécuniaire accordée au titre de la contrefaçon d’un brevet au Canada, soit un montant d’environ 644 millions de dollars, majoré des intérêts.

Dans le premier de ces deux jugements[7], le tribunal avait établi divers paramètres afin que les parties puissent calculer l’indemnité pécuniaire. Une redevance raisonnable calculée selon un taux de 8,8 % a été attribuée à titre d’indemnité raisonnable pour les dommages subis au cours de la période précédant l’octroi du brevet. Dow a choisi une méthode de calcul des profits aux fins de la détermination de l’indemnité pour la période postérieure à l’octroi du brevet, et la Cour a conclu que la méthode de la « pleine absorption des coûts » était plus adéquate pour déterminer les profits que la méthode de calcul des « profits différentiels » ou la méthode du « coût différentiel » compte tenu des circonstances particulières de cette affaire. En outre, une indemnité au titre des profits découlant de l’« effet tremplin » (« springboard profits ») pour la période de 20 mois suivant l’expiration du brevet a été attribuée à Dow afin de compenser celle-ci pour la part du marché artificiellement gonflée du contrefacteur au moment de l’expiration du brevet.

Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur toutes les facettes du calcul après le dépôt de la première décision. La Cour a donc dû résoudre une question relative à la conversion de devises et à deux calculs se rapportant aux frais fixes de Nova. Le second jugement[8] portait sur ces questions et a établi le montant de l’indemnité devant être payée à Dow à 644 623 550 $, majoré des intérêts. Avant cette affaire, les plus importantes indemnités accordées au Canada se situaient entre 100 et 125 millions de dollars (Merck v Apotex, 2013 FC 751 et Lilly v Apotex, 2014 FC 1254).

 

La CAF se penche sur l’évidence – Bristol-Myers Squibb Canada Co. v. Teva Canada Limited et Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s v. SNF Inc.

Deux décisions rendues par la CAF en 2017 étaient importantes parce qu’elles appliquaient l’examen relatif à l’évidence, tel qu’il avait été établi dans l’affaire Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. (« Sanofi CSC »)[9]. Dans l’affaire Sanofi CSC, un examen relatif à l’évidence en quatre étapes, qui comprenait un examen visant à déterminer l’« idée originale » d’une revendication, a été établi. 

Dans le premier jugement, soit Bristol-Myers Squibb Canada Co. v. Teva Canada Limited[10], la CAF a conclu que l’« idée originale » est analogue à « la solution que préconise le brevet ». Ce faisant, et en reconnaissant qu’il y a une absence de clarté dans la loi en ce qui a trait aux éléments constitutifs de l’« idée originale », la CAF a conclu, à la lumière des faits de l’affaire en cause, qu’il n’existe aucune différence entre la solution que préconise le brevet en cause et l’art antérieur. La CAF a également conclu que, dans tous les cas, s’il y avait eu un écart entre l’art antérieur et la solution que préconise le brevet, cet écart aurait été comblé par la personne versée dans l’art grâce à ses connaissances générales courantes. En outre, l’invention revendiquée constituerait un « essai allant de soi » (puisque celle-ci avait été rapidement et aisément découverte et qu’il y avait des motifs pour la découvrir). Ainsi, l’allégation portant sur l’évidence était fondée.

Dans le deuxième jugement, soit Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s v. SNF Inc.[11], la CAF s’est encore une fois penchée sur la question de l’« idée originale ». Dans cette affaire, la CAF avait noté explicitement que l’« idée originale » demeurait non définie, ce qui a occasionné une importante confusion quant à l’examen relatif à l’évidence, et a invité la Cour suprême à mettre au point une définition de l’« idée originale ». La CAF a également commenté en détail les aspects de l’examen relatif à l’évidence en quatre étapes, y compris ce dont les tribunaux devraient tenir compte aux étapes 3 et 4 (c.-à-d., l’« état de la technique » ou l’« art antérieur » et les « connaissances générales courantes ») et, au bout du compte, a conclu que le brevet en cause était invalide en raison de l’évidence. Par ailleurs, dans des motifs concordants, le juge Woods était en désaccord avec le juge Pelletier, qui avait fait des commentaires sur l’examen relatif à l’évidence, puisqu’aucune partie n’avait invoqué ou soulevé ces points ni ne les avait présentés à la CAF.

 

Accord de financement d’un litige avec un tiers en matière de brevet – Seedling Life Science Ventures LLC c. Pfizer Canada Inc.

Dans l’affaire Seedling Life Science Ventures LLC c. Pfizer Canada Inc.[12], la Cour fédérale était appelée à approuver un accord de financement d’un litige avec un tiers. Seedlings, avec l’aide de tierces parties créancières, avait poursuivi Pfizer pour contrefaçon de brevet visant un dispositif médical. La Cour a  déclaré que : (i) les accords de financement avec un tiers sont protégés au moins par le privilège relatif au litige, (ii) l’approbation des accords de financement avec un tiers tombe à l’extérieur de la compétence de la Cour fédérale, de sorte que si une partie désire obtenir une approbation, elle doit s’adresser aux tribunaux provinciaux, (iii) les tierces parties créancières finançant les litiges sont liées par la règle de l’engagement implicite et (iv) « il n’existe aucun fondement juridique ou logique pour élargir cette exigence d’autorisation préalable [d’un accord de financement] à l’extérieur du contexte des recours collectifs » de sorte qu’elle s’applique dans un contexte de litige privé.  En ce qui a trait au point (iv), la Cour a spécifiquement noté que « [le] moyen que [le demandeur] choisit de financer une poursuite dûment fondée en droit ne concerne nullement la Cour ou le défendeur », et que « [le] défendeur n’a aucun intérêt légitime quant à la légalité, la validité ou le caractère raisonnable des accords financièrs [sic] ».

 

Poursuivre sciemment une instance non fondée – Mediatube Corp. v. Bell Canada

Dans l’affaire Mediatube Corp. v. Bell Canada[13], il a été jugé que le brevet de Mediatube était valide, mais qu’il n’avait pas fait l’objet d’une contrefaçon. Cette affaire est particulièrement importante en raison de l’analyse des dépens qui avait été effectuée dans le cadre de celle-ci. La demanderesse, soit Mediatube, entité qui, prétendument, n’exerce pas d’activités (« non-practicing entity »), a fait valoir qu’elle devrait avoir le droit aux dépens, peu importe l’issue de l’instance, parce que Bell avait invoqué 753 références à l’art antérieur, parce que Bell avait, tard dans les procédures, considérablement modifié les réponses qu’elle avait fournies lors de l’interrogatoire en ce qui a trait à l’absence de contrefaçon et parce que Bell avait, d’une manière méprisante, traité Mediatube de « troll des brevets ». Bell a affirmé qu’elle devrait avoir droit à des dépens plus élevés parce que Mediatube avait abandonné, lors du procès, toutes ses allégations en ce qui a trait à l’absence de contrefaçon, exception faite de celles qui portaient sur l’utilité latente, et parce que Mediatube a fait des allégations sans fondement pour obtenir des dommages-intérêts punitifs qu’elle avait ensuite abandonnées au milieu du procès.

Le juge Locke de la Cour fédérale a conclu que Mediatube n’avait pas droit aux dépens, plus particulièrement parce que (i) Bell avait réduit le nombre de références à l’art antérieur dans ses rapports d’experts et que Mediatube ne possédait aucune preuve selon laquelle elle devait assumer des dépens injustifiés en raison des allégations de Bell, (ii) Bell avait agi de bonne foi en modifiant ses réponses aux questions posées lors de l’interrogatoire, et que Mediatube ne pouvait pas présenter des arguments en faveur de l’absence de contrefaçon même avant d’avoir modifié ses réponses lors de l’interrogatoire et (iii) le fait de traiter Mediatube de « troll des brevets » ne correspondait pas à une allégation de fraude, et que cette allégation ne comportait aucune « contrevérité objective ».

Bell a eu droit à des dépens plus élevés et s’est vu accorder ses dépens, majorés de 50 %, parce que Mediatube aurait dû savoir que les allégations d’absence de contrefaçon qu’elle avait maintenues étaient non fondées. Bell s’est également vu accorder des dépens avocat-client relativement aux dommages-intérêts de Mediatube parce que celle-ci détenait les renseignements dont elle avait besoin pour savoir que cette allégation était non fondée et qu’elle avait quand même maintenu l’allégation jusqu’au milieu du procès.

 

Application, par la CAF, de la décision de la CSC relativement au Viagra – Teva Canada Limited v. Leo Pharma Inc.

Dans l’affaire Teva Canada Limited v. Leo Pharma Inc.[14], Teva en a appelé de l’ordonnance d’interdiction accordée à Leo Pharma Inc. et a fait valoir que le juge de la CF avait commis des erreurs dans son analyse de la prédiction valable et de l’insuffisance. Il convient de noter que Teva a affirmé que la CSC avait modifié l’exigence en matière de suffisance dans l’affaire de 2012 Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc. (« Viagra »)[15] lorsqu’elle avait déclaré que l’invention n’était pas suffisamment décrite, puisque pour déterminer quelle revendication est la bonne, un lecteur averti aurait été tenu d’effectuer une recherche minime. Teva a affirmé que ce passage du jugement Viagra excluait la possibilité de tenir compte de l’utilisation d’essais successifs dénués de caractère inventif dans l’analyse du caractère réalisable.

La CAF a rejeté l’argument de Teva. Elle a établi une distinction entre l’affaire Viagra, qui portait sur l’omission de divulguer l’invention elle-même, et l’affaire en cause, dont la question était de savoir si une personne versée dans l’art pourrait mettre en pratique une invention ayant été adéquatement divulguée. La CAF a soutenu que le besoin de recourir à des essais successifs « afin de permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser l’invention ne rend pas la divulgation dans un brevet insuffisante » [Traduction].

 

Les erreurs antérieures à la délivrance d’un brevet n’invalident pas un brevet – Apotex Inc. v. Pfizer Inc.

La CAF a confirmé, dans l’affaire Apotex Inc. v. Pfizer Inc.[16], qu’un contrefacteur ne peut pas s’en remettre aux erreurs administratives commises avant la délivrance d’un brevet pour invalider un brevet. En l’espèce, le demandeur avait payé une taxe de délivrance de brevet inexacte, et ce paiement avait été accepté par le Bureau des brevets, donnant lieu ainsi à la délivrance du brevet. Malgré cette erreur, la CAF a appliqué la Loi sur les brevets d’une manière plus contextuelle que littérale et a conclu qu’il serait absurde d’invalider le brevet parce que « le demandeur avait omis de payer quelques cents » [Traduction]. 

 

Projet de loi C-30 – Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et certificats de protection supplémentaire

Les avocats pratiquant dans le domaine de la propriété intellectuelle (PI) et les parties prenantes en matière de PI attendaient depuis longtemps l’Accord économique et commercial global (« AECG ») entre le Canada et l’Union européenne (« UE »). Le droit sur les brevets a été particulièrement touché par la modification du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « nouveau Règlement ») et par l’introduction des certificats de protection supplémentaire découlant des modifications apportées aux Règles sur les brevets. Les textes législatifs sous-jacents au nouveau Règlement et aux certificats de protection supplémentaire ont été présentés au mois de juillet 2017 et sont entrés en vigueur le 21 septembre 2017. 

 

Modifications apportées au nouveau Règlement

Dans le cadre de l’AECG, d’importantes modifications ont été apportées au nouveau Règlement. Alors que la version antérieure du paragraphe 6(1) du nouveau Règlement prévoyait des procédures afin de déterminer si des allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon faites dans un avis d’allégation d’un fabricant de génériques étaient justifiées, la nouvelle version du paragraphe 6(1) du nouveau Règlement prévoit des actions assorties de témoignages de vive voix et des droits d’interrogatoire. Les principales modifications du nouveau Règlement sont les suivantes :

  • Le recours visé ne consiste plus en une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à une seconde personne (fabricant du générique) si une ou plusieurs allégations d’invalidité et(ou) d’absence de contrefaçon dans l’avis d’allégation sont justifiées. Le nouveau Règlement prévoit plutôt des procédures aux termes desquelles une décision finale en ce qui a trait à la validité et à la contrefaçon doit être prononcée.
  • Les titulaires de brevet jouissent désormais d’un droit d’appel automatique si le fabricant du générique obtient gain de cause, peu importe si l’avis de conformité du fabricant du générique a été délivré.
  • Puisque les procédures consisteront en une action complète – et non en une demande écrite – les parties disposeront d’un droit d’interrogatoire, et des témoignages seront faits de vive voix. Ainsi, il n’y aura plus de contre-interrogatoire hors cour suivi d’audiences reposant exclusivement sur des transcriptions de témoignage.
  • Les procédures continueront de se dérouler sur une période de 24 mois, soit à compter de la signification de l’acte introductif jusqu’au dépôt de la décision rendue par la cour. L’achèvement d’actions complètes selon cet échéancier réduira la durée des litiges. Les procès devraient durer environ deux semaines.
  • N’importe laquelle des revendications d’un brevet inscrit au registre des brevets est suffisante pour justifier le recours à une procédure aux termes du nouveau Règlement. Auparavant, les revendications individuelles qui ne satisfaisaient pas aux exigences en matière d’inscription ne pouvaient pas être référées (p. ex., les revendications de produits par le procédé, les revendications visant un kit).
  • L’étendue de l’indemnité aux termes de l’article 8 peut être élargie dans certaines situations. Le nouveau Règlement ne prévoit pas explicitement une date à la laquelle la période de l’indemnité prend fin, contrairement à la législation antérieure. En outre, tous les plaignants dans le cadre d’un litige sont « responsables solidairement », et non seulement envers la première personne.
  • Les titulaires de brevet seront tenus de produire divers documents, comme des notes de laboratoire et des rapports de recherche, aussitôt que leur acte introductif est signifié (soit 45 jours après la réception d’un avis d’allégation).
  • Le fardeau de la preuve de l’invalidité incombe au fabricant du générique, conformément au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets.
  • Les titulaires de brevet qui n’intentent pas de procédure dans les 45 jours suivant la réception d’un avis d’allégation ne pourront plus intenter une procédure à l’égard d’un même brevet contre le fabricant d’un même générique à l’avenir.

En somme, le nouveau Règlement résout certains problèmes soulevés par la version précédente, mais il occasionnera de nouveaux problèmes sur le plan de la logistique, plus particulièrement en ce qui a trait aux actions complètes en invalidation ou en contrefaçon devant avoir lieu sur une période limitée à 24 mois. Une analyse plus détaillée du nouveau Règlement  est présentée ici : https://gowlingwlg.com/en/canada/insights-resources/curtain-lifted-on-proposed-amended-pm(noc)-regulations.

 

Introduction du certificat de protection supplémentaire

L’AECG a également introduit le certificat de protection supplémentaire afin de restaurer la protection de produits pharmaceutiques assurée par un brevet sur une période pouvant aller jusqu’à deux ans, laquelle protection avait été perdue en raison de retards occasionnés par les autorités de réglementation ou par l’obtention de l’approbation de la mise en marché.

La durée du certificat, qui ne peut excéder deux ans, est établie en soustrayant cinq ans à la période écoulée à partir de la date de dépôt de la demande de brevet et jusqu’à la date de délivrance de l’autorisation de mise en marché mentionnée dans le certificat. En d’autres termes, si la date d’approbation, moins cinq ans, tombe après la date de dépôt, un certificat de protection supplémentaire peut être délivré au titre de l’écart entre cette date et la date de dépôt du brevet pour une période pouvant aller jusqu’à deux ans. Le ministre de la Santé peut raccourcir cette durée à sa discrétion, notamment si le titulaire du brevet retarde le processus d’obtention de son autorisation de mise en marché.

Par contre, un certificat de protection supplémentaire ne sera pas délivré pour tous les brevets. Seuls les brevets qui visent un ingrédient médicinal ou une combinaison d’ingrédients médicinaux sont admissibles. En somme, les seuls brevets qui seraient admissibles sont ceux dont au moins une revendication vise ce qui suit : (i) un ingrédient médicinal ou la combinaison d’ingrédients médicinaux (soit les composés actifs); (ii) un ou des composés actifs lorsque ceux-ci sont fabriqués au moyen d’un processus spécifique (revendications de produits obtenus par un procédé) ou (iii) une utilisation d’un ou de plusieurs composés actifs (revendications d’utilisation). Les revendications de produits obtenus par un procédé et les revendications d’utilisation doivent se rapporter au médicament pour lequel l’autorisation de mise en marché a été octroyée.

En outre, un seul brevet par ingrédient médicinal ou combinaison d’ingrédients médicinaux pourra faire l’objet d’un certificat de protection supplémentaire. Ainsi, lorsque, par exemple, un seul produit est couvert par des brevets distincts visant un composé ou une utilisation, le titulaire des brevets devra déterminer lequel de ces brevets fera l’objet d’un certificat de protection supplémentaire. En outre, une définition stricte de l’expression « ingrédient médicinal » est appliquée, et aucun certificat de protection supplémentaire ne sera délivré au titre d’ingrédients médicinaux qui ont été modifiés (p. ex., sous forme de sel, d’énantiomère, de solvate, de polymorphe, d’ester ou de chélate différent, ou encore par suite de modification post-traductionnelle in vivo ou in vitro de l’ingrédient médicinal).

Une analyse plus détaillée des certificats de protection supplémentaire et de leur introduction au droit canadien est présentée ici (en anglais seulement) : https://gowlingwlg.com/en/global/insights-resources/certificates-of-supplementary-protection-canada-s-new-sui-generis-patent-term-restoration-regime.

 

modifications proposées aux Règles sur les brevets

D’importantes modifications aux Règles sur les brevets ont été proposées et devraient entrer en vigueur en 2018 ou en 2019. Les principales modifications sont les suivantes :

  • Une demande de brevet pourra être déposée en quelque langue que ce soit, pourvu que le demandeur dépose par la suite une traduction vers l’anglais ou le français dans les deux mois qui suivent.
  • L’entrée en phase nationale tardive au Canada de demandes PCT (soit dans les 42 mois à compter de la date de priorité, à condition que le déposant acquitte la surtaxe applicable) ne sera plus offerte de plein droit. L’entrée en phase nationale dans le délai de 42 mois sera permise seulement si le demandeur fournit une déclaration selon laquelle l’omission d’effectuer l’entrée en phase nationale dans le délai prescrit de 30 mois n’est pas intentionnelle, ainsi qu’un énoncé présentant les motifs de cette omission non-intentionnelle. Il incombe au commissaire aux brevets de décider si une entrée en phase nationale tardive est acceptable.
  • Les demandes pourront être déposées par voie électronique et seront considérées comme étant reçues à la date à laquelle elles ont été réellement reçues, même si cette date tombe au cours d’une fin de semaine ou d’un jour férié. Cette modification pourrait bénéficier aux déposants qui doivent déposer une demande avant un certain délai afin, par exemple, de respecter un délai de grâce d’un an relativement aux dépôts antérieurs.
  • Il sera possible de demander le retrait d’un avis d’acceptation afin de permettre la reprise de l’examen de la demande sur le fond, fournissant ainsi une alternative à la pratique actuelle d’abandon et de rétablissement de la demande.
  • Les demandes de rétablissement de la priorité seront acceptées dans les deux mois suivant la date de dépôt.
  • Le rétablissement de demandes abandonnées pourra, dans certains cas, nécessiter une preuve que la diligence requise a été exercée.
  • Les requêtes d’examen devront être faites dans les trois ans suivant la date de dépôt (et non dans les cinq ans suivant la date de dépôt, comme c’est le cas actuellement).
  • Le délai de réponse aux actions administratives et aux avis d’acceptation sera raccourci, soit à quatre mois. Toutefois, ce délai pourra être prolongé dans certains cas jusqu’à six mois, moyennant le paiement d’une taxe et la transmission d’une justification adéquate.

Une analyse plus détaillée du projet de modification des Règles sur les brevets est présentée ici (en anglais seulement) : https://gowlingwlg.com/en/canada/insights-resources/draft-patent-rules-released-for-public-consultation-overview-of-key-changes.

 

 

[1] Une analyse de l’affaire 2017 CSC 36 est présentée ici (en anglais seulement) : https://gowlingwlg.com/en/canada/insights-resources/supreme-court-of-canada-rejects-the-promise-of-the-patent-doctrine

[2] [1981] 1 RCS 504

[4] 2017 CF 296

[5] 2017 CF 774

[6] 2017 CF 777

[9] 2008 CSC 61

[10] 2017 CAF 76

[11] 2017 CAF 225

[12] 2017 CF 826

[13] Une analyse de l’affaire 2017 CF 6 est présentée ici (en anglais seulement) : https://gowlingwlg.com/en/global/insights-resources/-high-stakes-patent-action-turned-damp-squib-

[15] 2012 CSC 60

[16] Une analyse de l’affaire 2017 CAF 201 est présentée ici (en anglais seulement) : https://gowlingwlg.com/en/canada/insights-resources/defects-in-pre-patent-issue-process-do-not-render-a-patent-void

 


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