Première lecture du projet de loi C-86 : mise en œuvre de modifications à la Loi sur les brevets, la Loi sur le droit d'auteur et la Loi sur les marques de commerce

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27 février 2019


La première lecture du projet de loi C-86, la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018 (la « loi ») a eu lieu à la Chambre des communes le 29 octobre 2018. La loi met en œuvre, entre autres choses, la Stratégie en matière de propriété intellectuelle du Canada, qui propose des modifications à diverses lois sur la propriété intellectuelle et édicte la Loi sur le Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce.

Il reste qu’à ce stade précoce du processus législatif, il est difficile de prévoir quelle forme finale prendront les modifications proposées. L’intention du Parlement est cependant claire : ces modifications visent à effectuer une autre mise à jour substantielle des lois canadiennes en matière de propriété intellectuelle.

MODIFICATIONS À LA LOI SUR LES BREVETS

Les modifications proposées à la Loi sur les brevets ont pour objet de réglementer les brevets essentiels à une norme, les exceptions liées à la contrefaçon et les exigences relatives aux demandes écrites portant sur les brevets. Ces modifications introduisent aussi la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet dans la loi canadienne.

Brevets essentiels à une norme

Les brevets essentiels à une norme (« BEN ») et les certificats de protection supplémentaire connexes (« CPS ») sont des inventions qui par définition doivent être utilisées pour mettre en œuvre une norme industrielle (p.ex., le Wi-Fi), bien que la loi ne comporte pas de définition des CPS.

Aux termes de l’adjonction proposée du sous-alinéa 52.1 à la Loi sur les brevets, les engagements d’accorder une licence relativement à des BEN ou des CPS lieraient tout titulaire de brevets ou de CPS. Le sous-alinéa 52.2 proposé permettrait au gouverneur en conseil d’édicter des lois touchant les engagements en matière d’octroi de licences.

Ces engagements en matière d’octroi de licences sont parfois nécessaires pour être offerts à titre de licences selon le principe de l’utilisation équitable, raisonnable et non discriminatoire. Les règlements qui suivront pourront déterminer ce qui constitue ou non le principe de l’utilisation équitable, raisonnable et non discriminatoire.   

La préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet

La doctrine principalement américaine de la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet vise à empêcher un titulaire de brevets d’adopter une position différente relativement à l’interprétation des revendications de celle adoptée lors de la poursuite de demande de brevets.

Traditionnellement, cette doctrine n’est pas disponible dans la loi canadienne. La Cour suprême dans l’affaire Free World Trust a rejeté cette « boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier », la jugeant incompatible avec l’interprétation téléologique, qui met l’accent sur la teneur de la revendication, et non pas sur une preuve extrinsèque[1].

La Cour fédérale a récemment affirmé le rejet de la préclusion fondée sur l’examen de la demande dans l’affaire Pollard Banknote mais a cependant fait part de son insatisfaction y afférente en obiter dictum, jugeant « stupéfiant » que le titulaire de brevets ait adopté la position opposée pour l’interprétation de la revendication de celle adoptée lors de la poursuite de demande de brevets[2].

Le sous-alinéa 53.1 proposé de la Loi sur les brevets rend admissible la présentation de preuves intrinsèques aux fins d’interprétation de la revendication. Aux termes de la nouvelle loi, les preuves intrinsèques liées à une demande originale seront aussi admissibles, et ce, tant pour les demandes de brevets complémentaires que les brevets redélivrés.

Élargissement de la portée de deux exceptions : expérimentation et antériorité

Deux exceptions prévues par la loi concernant la contrefaçon verront leur portée élargies selon les modifications proposées.

Le sous-alinéa 55.3 proposé établirait une exception à un acte de contrefaçon commis dans un but d’expérimentation au-delà de l’article 55.2 actuel. De plus, les modifications proposées permettraient au gouverneur en conseil d’établir des règlements aux termes du sous-alinéa 55.3, y compris en ce qui a trait à ce qui est accepté comme étant expérimental.

La portée de l’exception relative à l’antériorité en vertu de l’article 56 de l’actuelle Loi sur les brevets serait aussi élargie selon les modifications proposées pour inclure tout acte commis avant la date de la revendication et continuera d’être exempté de contrefaçon à la date de la revendication ou après. Cette exception élargie s’applique aux particuliers et à leur ayant droit quant à l’article de contrefaçon potentielle.

Aux termes des dispositions transitoires contenues dans la Loi, le nouvel article 56 serait en vigueur depuis le 29 octobre 2018.  

Exigences relatives aux demandes écrites

Le sous-alinéa proposé adjoint 76.2 stipule que toute demande écrite liée à un brevet, à un CPS ou à des droits analogues accordés ailleurs doit se conformer aux exigences réglementaires. À ce stade, il est cependant difficile d’établir en quoi consisteraient les exigences touchant les demandes écrites.  

Toute personne qui reçoit une demande écrite non conforme aux exigences réglementaires ou qui a subi un préjudice en raison de la réception d’une telle demande peut intenter une procédure devant la Cour fédérale. Si elle est convaincue que la demande écrite n’est pas conforme aux exigences réglementaires, la Cour fédérale peut accorder toute réparation qu’elle estime indiquée, notamment par voie de dommages-intérêts, de dommages-intérêts punitifs, d’injonction, de jugement déclaratoire ou des dépens.

Dans des cas spéciaux, le mandataire d’une personne morale qui envoie une demande écrite non conforme aux exigences réglementaires peut être tenu responsable solidairement.

Aux termes des modifications proposées, le gouverneur en conseil peut prendre des règlements quant à ces dispositions, notamment en ce qui a trait aux exigences d’une demande écrite et de quels facteurs la Cour doit tenir compte au moment de décider d’appliquer ou non une telle demande.

L’ajout de ces dispositions aura probablement une incidence sur la nature des lettres de mise en demeure et les mesures prises par les titulaires de brevets et leurs mandataires quant à la protection de leurs droits.

MODIFICATIONS À LA LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE

La sous-section B de la section portant sur la Stratégie en matière de propriété intellectuelle de la loi prévoit plusieurs modifications à la Loi sur les marques de commerce, dont celles qui figurent ci-dessous :

Mauvaise foi

La loi modifierait la Loi sur les marques de commerce pour y ajouter la mauvaise foi comme motif d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce et comme motif d’invalidation de l’enregistrement d’une marque de commerce.

Réparation dans les trois premières années suivant l’enregistrement

Aux termes des modifications proposées, les propriétaires d’une marque de commerce déposée ne pourraient obtenir réparation pour tout acte contraire aux articles 19, 20 ou 22 de cette loi accompli pendant les trois premières années qui suivent l’enregistrement, à moins que la marque de commerce ait été employée au Canada au cours de cette période ou que le défaut d’emploi était attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient.

Marques officielles

Les modifications proposées précisent que les interdictions prévues au sous-alinéa 9(1)n)‍(iii) et à l’article 11 de cette loi ne s’appliquent pas à une marque ayant fait l’objet d’un avis public d’adoption et emploi si l’entité qui en a fait la demande n’est pas une autorité publique ou n’existe plus.

Le registraire peut, de sa propre initiative ou à la demande de la personne qui paie le droit prescrit, donner un avis public quant au fait que le sous-alinéa (1)n)‍(iii) ne s’applique pas.

Modernisation de la conduite de diverses procédures intentées devant le registraire des marques de commerce

Adjudication des frais

Les modifications proposées permettraient au registraire d’adjuger les frais par ordonnance dans les cas d’une opposition à une indication géographique, d’une procédure d’opposition, ou de radiation pour non-utilisation. Une copie certifiée de l’ordonnance sur les frais peut être déposée à la Cour fédérale. Dès le dépôt de cette copie, l’ordonnance est assimilée à une ordonnance rendue par cette cour et peut être exécutée comme telle.

Retrait de l’opposition

Si, de l’avis du registraire, un opposant fait défaut de poursuivre son opposition, le registraire peut, après lui avoir donné avis du défaut, considérer l’opposition comme retirée, à moins qu’il ne soit remédié au défaut dans le délai précisé dans l’avis.

Ordonnances de confidentialité

Les parties à une procédure d’opposition liée à une indication géographique, à une opposition, ou à une radiation pour non-utilisation peuvent demander une ordonnance de confidentialité au registraire. S’il est convaincu que les éléments de preuve devraient être gardés confidentiels, le registraire peut, selon les modalités qu’il estime indiquées, ordonner qu’ils le soient ou en aviser la partie s’il n’est pas convaincu qu’ils devraient l’être. Une copie certifiée de l’ordonnance de confidentialité peut être déposée à la Cour fédérale. Dès le dépôt de cette copie, l’ordonnance est assimilée à une ordonnance rendue par cette cour et peut être exécutée comme telle.

Gestion de l’instance

Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements autorisant le registraire à fixer les modalités applicables à toute mesure à entreprendre à l’égard d’une procédure d’opposition à une indication géographique, d’une procédure d’opposition ou de radiation pour non-utilisation.

Preuve en appel

Aux termes de la Loi sur les marques de commerce actuelle, il est prévu que les parties à un appel quant à une procédure d’opposition ou de radiation pour non-utilisation peuvent présenter de nouvelles preuves devant la Cour fédérale. En vertu des modifications, la Cour fédérale pourrait ajouter une preuve additionnelle à celle fournie au registraire.

Autres modifications proposées

La sous-section B de la section sur la Stratégie en matière de propriété intellectuelle de la loi apporte également certaines modifications d’ordre administratif à la Loi sur les marques de commerce édictées par la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2014 et la Loi visant à combattre la contrefaçon de produits.

La loi clarifie que le sous-alinéa 34(1) de la Loi sur les marques de commerce, en établissant la priorité au Canada pour une demande déposée à l’étranger, ne s’applique pas quant à certaines analyses sur le caractère distinctif, l’utilisation ou l’utilisation proposée, ainsi que les demandes divisionnaires proposées. Dans chacun de ces cas, la date du dépôt de la demande serait la date de référence.

LOI SUR LE COLLÈGE DES AGENTS DE BREVETS ET DES AGENTS DE MARQUES DE COMMERCE

La sous-section D de la section Stratégie en matière de propriété intellectuelle édicte la Loi sur le Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce. Cette loi constitue le Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce, qui aura pour mission de régir les agents de brevets et les agents de marques de commerce dans l’intérêt du public.

La loi, notamment :

  • exige des agents de brevets et des agents de marques de commerce qu’ils obtiennent un permis pour exercer la profession et qu’ils respectent un code de déontologie;
  • autorise le comité d’enquête du Collège à recevoir des plaintes et à mener des enquêtes pour établir si des titulaires de permis ont commis des manquements professionnels ou ont fait preuve d’incompétence;
  • autorise le comité de discipline du Collège à imposer des mesures disciplinaires lorsqu’il décide qu’un titulaire de permis a commis un manquement professionnel ou a fait preuve d’incompétence; et,
  • crée des infractions relatives au fait de prétendre être un agent de brevets ou un agent de marques de commerce et aux représentations non autorisées devant le Bureau des brevets ou le Bureau du registraire des marques de commerce.
     

MODIFICATIONS À LA LOI SUR LE DROIT D’AUTEUR

La loi apporte également plusieurs modifications substantielles à la Loi sur le droit d’auteur.

En général, les modifications proposées visent à reformer les pratiques et processus de la Commission du droit d’auteur, interdire l’inclusion de contenu particulier aux termes du régime avis et avis, et limiter l’accessibilité à des dommages prévus par la loi pour les sociétés de gestion en ce qui a trait à certaines mesures.

Réforme de la Commission du droit d’auteur

L’an dernier le gouvernement fédéral a annoncé la tenue de consultations visant à reformer la Commission du droit d’auteur[3]. L’une des questions clés visée par ces consultations avait pour objet les délais dans lesquels la Commission exerce ses fonctions décisionnelles et les délais excessifs d’établissement de tarifs.

Dans ce contexte, il semble que les modifications à la Loi sur le droit d’auteur proposées dans la loi visent à clarifier les procédures et les processus décisionnels de la Commission du droit d’auteur et en réduire le temps de traitement, en adoptant les mesures suivantes : a) codifier le mandat de la Commission et établir les critères décisionnels; (b) établir de nouveaux délais relativement aux affaires dont la Commission est saisie; (c) officialiser la gestion de l’instance des affaires dont la Commission est saisie; (d) réduire le nombre d’affaires que la Commission doit entendre; (e) harmoniser les différents processus relatifs aux tarifs en ne conservant que les différences essentielles; (f) modifier les dispositions d’application pertinentes; et (g) apporter plus de clarté et de cohérence à la loi, en modernisant son libellé et sa structure.

Contenu interdit dans les avis

En ce qui a trait au « régime avis et avis » aux termes des articles 41.25 - 41.27 de la Loi sur le droit d’auteur, la loi prévoit des modifications qui restreindraient le type d’information pouvant être incluse dans l’avis fourni aux violateurs allégués de droit d’auteur. Plus précisément, la loi cherche à interdire l’inclusion d’une demande ou exigence, relative à cette prétendue violation, visant le versement de paiements ou l’obtention de renseignements personnels, un renvoi à une telle offre, demande ou exigence (p. ex., au moyen d’hyperliens). La loi établit en outre que les restrictions au contenu des avis soient prévues par une réglementation.

CONCLUSION

Même si la loi doit encore franchir de nombreuses étapes avant d’être édictée, étant donné son incidence potentielle sur les lois et la pratique afférentes aux brevets, marques de commerce et droit d’auteur, il vaut mieux demeurer à l’affût alors que dans les prochains mois, elle fera l’objet de débats au Parlement.



[1] Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, aux par. 63-67.

[2] Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp, 2016 CF 883, aux par. 237-238.

[3] hhttps://www.canada.ca/fr/innovation-sciences-developpement-economique/nouvelles/2017/08/lancement_d_une_consultationsurlareformedelacommissiondudroitdau.html.


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