La protection des secrets commerciaux à la suite du départ d’employés clés

11 minutes de lecture
26 janvier 2018

Author:

La mobilité de la main-d’œuvre est en croissance constante et celle-ci vient rappeler aux employeurs que le savoir-faire de leurs employés constitue, dans bien des cas, un des actifs les plus importants de leur entreprise. Cette prise de conscience s’accompagne d’un constat important : les employeurs doivent constamment garder en tête le tort que pourrait leur causer le départ éventuel d’un employé pour un concurrent.

En effet, l’époque où la loyauté indéfectible que les salariés vouaient à leur employeur les décourageait de joindre les rangs d’un concurrent semble définitivement résolue. Désormais, la mobilité de la main-d’œuvre est davantage la règle que l’exception et les employeurs doivent gérer et protéger leurs secrets commerciaux en conséquence.

En matière de secrets commerciaux, les tribunaux ont reconnu la valeur fondamentale de cet actif pour une entreprise ainsi que l’obligation corollaire du salarié d’en respecter la nature confidentielle.

Le droit du travail abordera généralement les secrets commerciaux comme constituant une forme d’information confidentielle à laquelle l’employé peut avoir accès dans le cadre de ses fonctions. Toute information confidentielle ne constitue cependant pas un secret commercial. Sera par exemple considéré comme un secret commercial, une formule secrète ou un procédé secret de fabrication, qui est unique à l’employeur et qui a été révélé en toute confiance à l'employé pour la fin unique de lui faire fabriquer ce que le secret permet de réaliser. Pourront également être considérés comme des secrets commerciaux les formules chimiques, les recettes ou les procédés de fabrication qui nécessitent de connaître les quantités exactes de produits entrant dans la fabrication, la façon de les utiliser pour que telle réaction désirée se produise et le degré de température qu’il faut leur faire atteindre pour provoquer la réaction recherchée[1].

Au sens plus large, les informations confidentielles telles que les états financiers non publiés, les listes des clients, les stratégies de mise en marché et les notes internes traitant des transactions ou occasions d’affaires en voie de réalisation pourront également bénéficier d’une certaine protection[2]. Mais attention, toute information utile qui concerne une entreprise et qui peut s’avérer utile pour l’un de ses concurrents ne sera pas nécessairement qualifiée d’information confidentielle :

« [l]es méthodes employées pour faire compétition à un concurrent ne sont pas en soi des informations confidentielles si elles ne comprennent pas de caractéristiques tout à fait particulières et uniques à telle entreprise et si aucune mesure n’a été prise pour les traiter ainsi[3]. »

Afin de protéger cet actif que constituent les secrets commerciaux, les employeurs ont intérêt à tout mettre en œuvre afin qu’il ne fasse aucun doute, ni pour les employés y ayant accès ni pour le tribunal s’il est saisi d’un litige relatif à la divulgation de ceux-ci, qu’il s’agit sans contredit de secrets commerciaux. Pour ce faire, plusieurs éléments seront analysés par les tribunaux afin de reconnaître l’existence d’un secret commercial[4] :

  • La mesure dans laquelle les informations sont connues à l’extérieur de l'entreprise;
  • la mesure dans laquelle les informations sont connues des employés et des autres personnes impliquées au sein de l'entreprise;
  • l'étendue des mesures mises en œuvre pour protéger le secret des informations;
  • la valeur des informations pour le titulaire du secret et pour ses concurrents;
  • la valeur des sommes investies dans le développement des informations;
  • la facilité ou la difficulté avec laquelle les informations peuvent être correctement acquises ou reproduites par d'autres;
  • la mesure dans laquelle le titulaire du secret et l’employé à qui l’information a été divulguée traitent ces informations comme secrètes.

La protection de l’information confidentielle et des secrets

L’employeur soucieux de protéger ses secrets commerciaux devrait idéalement s’assurer que tout employé y ayant accès aura préalablement signé une entente de confidentialité ou de non-divulgation. Dans certains cas, la signature d’une clause de non-concurrence pourra également s’avérer appropriée lorsque le poste occupé par l’employé lui donne un accès tel aux informations confidentielles de l’entreprise que son départ pour un concurrent causerait un tort considérable, voire irréparable, à l’employeur.

Par définition, une clause de non-concurrence est celle par laquelle le salarié s’engage, advenant son départ de l’entreprise, à ne pas travailler, à son compte ou pour un autre employeur, dans le même domaine que son ex-employeur.

L’article 2089 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») énonce les conditions que doit remplir toute clause de non-concurrence afin d’être valide et source d’obligation :

  1. La clause doit s’insérer dans un contrat écrit;
  2. L’engagement de l’employé de ne pas concurrencer son employeur advenant la fin de son contrat doit être exprimé en termes exprès;
  3. La clause doit être limitée dans le temps, à un lieu et à un genre de travail;
  4. La clause doit être raisonnable en étant limitée à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur[5].

Ainsi, une clause de non-concurrence doit concilier l'intérêt de l'employeur à se protéger sur le plan commercial et l’intérêt de l'ex-employé à être mobile sur le marché du travail suivant la fin de son emploi.

Au moment de sa mise en application par les tribunaux, toute clause de non-concurrence jugée déraisonnable sera frappée de nullité et donc réputée inexistante et le juge ne sera pas autorisé à modifier ou moduler la clause, par exemple en diminuant la durée ou en restreignant le territoire. La clause est valide ou elle ne l'est pas[6].

À défaut d’une entente contractuelle, l’employeur bénéficie d’une certaine protection aux termes de  l’obligation de loyauté qui incombe à tout employé en vertu de l’article 2088 du Code civil du Québec.

Ce devoir légal de loyauté impose en effet à l’employé des restrictions quant à la nature et à l’étendue des informations qu’il peut utiliser après son départ et vise à proscrire la concurrence déloyale à laquelle pourrait se livrer un salarié à la suite de son départ.

L’obligation de loyauté vise tout salarié, quelle que soit la fonction qu’il ait pu occuper. Elle est en vigueur pendant l’emploi et perdure jusqu’à un délai raisonnable après la cessation du contrat d’emploi. Selon la jurisprudence, et bien qu’il puisse varier selon les fonctions de l’employé concerné, le délai raisonnable auquel réfère l’article 2088 C.c.Q. ne saurait excéder quelques mois, comme l’a établi la Cour d’appel du Québec :

« La durée de l'obligation de loyauté postcontractuelle dépend des circonstances de chaque espèce, mais elle dépasse rarement quelques mois. Il peut y avoir des cas exceptionnels, mais ils sont, justement, exceptionnels et doivent le rester si l'on ne veut pas indûment limiter le principe de concurrence qui régit notre société et avantager les employeurs au détriment des salariés[7]

L’employeur qui reproche à un ancien salarié d’avoir manqué à son devoir de loyauté doit donc garder en tête que selon les tribunaux,  sous réserve de l’obligation de loyauté, le principe de la libre concurrence veut qu’un ancien employé puisse concurrencer librement, voire même vigoureusement et énergiquement, son ancien employeur[8].

Ainsi, le devoir de loyauté énoncé par l’article 2088 C.c.Q. est interprété de façon restrictive puisque la survie d'une obligation contractuelle au-delà de la fin d’un contrat qui y a donné naissance est exorbitante du droit commun et dans l'organisation de notre société, la concurrence, en affaires, est la règle[9].

Finalement, un employeur doit garder à l’esprit que la ligne est mince entre, d’une part, le renseignement confidentiel qui appartient à une entreprise qui demeure protégée par le devoir de loyauté et, d’autre part, les connaissances personnelles et les habiletés acquises par un employé au fil des ans et qu’il est en droit de mettre à profit chez un concurrent[10].


[1] Positron Inc. c. Desroches, J.E. 88-757 (C.S.). Id., p. 41-42.

[2] Hélène OUIMET, Travail plus: le travail et vos droits, Montréal, 2016, 9e édition, Wilson & Lafleur, en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/wilson-et-lafleur-livres/130/1661217130; Gestion Marie-Lou (St-Marc) inc. c. Lapierre, D.T.E. 2003T-864 (C.A.), par. 39 à 42.

[3] Improthèque Inc. c. St-Gelais, [1995] R.J.Q. 2469 (C.S.)  p. 13.

[4] Montour Ltée c. Jolicoeur, EYB 1988-86760 (C.S.).

[5] Voir à titre d’illustration l’affaire 4388241 Canada inc. c. Forget, 2012 QCCS 3103 où une clause de non-concurrence de 12 mois, destinée à empêcher l’employé de travailler partout au Québec et en Ontario a été jugée non valide.

[6] Restaurant Chez Doc inc. c. 9061-7481 Québec inc., J.E. 2006-202 (C.A.), par. 29.

[7] Id., par. 42.

[8] 9129-3845 Québec inc. c. Dion 2012 QCCA 1276, par. 15.

[9] Concentrés scientifiques Bélisle Inc. c. Lyrco Nutrition Inc., 2007 QCCA 676 (CanLII); Redtech inc. c. Leblanc, 2017 QCCS 4348 (C.S.)

[10] DK-Spec c. Bouchard, EYB 2005-97935, par. 46 (C.S.); Gilles Michel inc. c. Michel, 2006 QCCS 5084


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.

Sujet(s) similaire(s)   Travail, emploi et droits de la personne