Ne réveillez pas l'ours qui dort : les risques de la publicité comparative

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28 août 2018

On dit souvent que la publicité comparative est l’une des techniques publicitaires les plus risquées d’un point de vue juridique, car elle consiste habituellement à irriter volontairement un compétiteur ou empiète parfois sur ses droits de propriété intellectuelle (PI). Qui plus est, un compétiteur furieux pourrait sauter sur l’occasion pour vous inonder de procédures judiciaires afin de protéger et faire respecter ses droits de PI et sa marque. Vous devriez donc évaluer avec soin votre exposition au risque avant de lancer votre prochaine campagne de publicité comparative.



1. Risques potentiels de responsabilité

Une campagne de publicité comparative peut non seulement mettre votre société directement dans la ligne de mire de l’équipe de juristes de votre compétiteur, mais elle peut contenir de nombreux éléments complexes pouvant engager votre responsabilité. Voici un aperçu de certains des écueils éventuels liés à une telle technique publicitaire :

A. Loi sur les marques de commerce

Dans le cadre d’une publicité comparative, vous pourriez être tenté de nommer votre compétiteur, en utilisant son nom, son logo ou des images de son produit.

Il est important de savoir que si ce compétiteur détient une marque de commerce enregistrée, votre responsabilité pourra être engagée en vertu de la Loi sur les marques de commerce si vous reproduisez cette marque, surtout si vous le faites de manière à déprécier l’achalandage qui y est associé. Même si la marque de votre compétiteur n’est pas enregistrée, ce dernier peut faire valoir des droits exécutoires en common law, au-delà de la Loi sur les marques de commerce, s’il jouit d’une réputation suffisante associée à l’usage de sa marque.

Dans la jurisprudence, il ressort de débats complexes que le risque de reproduction de la marque de commerce d’un compétiteur est plus faible si vous prenez soin de distinguer vos propres biens et services des siens, plutôt que de mettre l’accent sur leurs ressemblances. Si la marque d’un compétiteur est enregistrée à l’égard de services, les risques semblent être plus élevés en cas de reproduction dans une publicité comparative que s’il s’agit d’une marque enregistrée uniquement à l’égard de biens, car l’utilisation d’une marque à l’égard de services en publicité est réputée constituer une « utilisation » de la marque de commerce.

La Loi sur les marques de commerce interdit également les déclarations fausses ou trompeuses qui discréditent ou dénigrent l’entreprise, les biens ou les services d’un compétiteur ou les représentations  inexactes de la qualité, l’origine ou le rendement de ses biens ou services. Faire passer les biens ou services d’un compétiteur pour les vôtres ou faire régner la confusion quant à leur source constitue également des manquements à la Loi sur les marques de commerce.

B. Loi sur le droit d’auteur

Comme c’est le cas en ce qui concerne la Loi sur les marques de commerce, votre responsabilité peut être engagée en vertu de la Loi sur le droit d’auteur si votre publicité reproduit l’étiquette, le logo ou le dessin industriel d’un compétiteur. Il y a violation d’un droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur lorsqu’une œuvre ou une partie importante d’une œuvre est reproduite sans le consentement du titulaire du droit d’auteur.

C. Droit de la responsabilité délictuelle

Votre publicité comparative peut également engager votre responsabilité selon les règles de droit applicables aux préjudices, comme, par exemple, en cas de fautes de nature délictuelle pour  diffamation commerciale ou d’atteinte intentionnelle/illégale à des relations économiques.

Veuillez noter que pour qu’il y ait responsabilité délictuelle, un compétiteur doit prouver que la publicité comparative a réellement causé des dommages-intérêts à son entreprise.

D. Loi sur la concurrence

Votre responsabilité civile ou criminelle peut être engagée en vertu de la Loi sur la concurrence si votre publicité comparative formule des allégations non fondées, fausses ou mensongères ou si elle induit autrui en erreur quant à l’impartialité de son auteur.

Par exemple, vous pourriez être tenté de créer une fausse évaluation en ligne comparant les biens et les services de votre entreprise à ceux de votre compétiteur en laissant croire qu’un « tiers indépendant » en est l’auteur (alors qu’il s’agit de vous). Une telle initiative pourrait avoir de fâcheuses conséquences juridiques.

Le Bureau de la concurrence a déclaré que les dispositions, tant civiles que criminelles, de la Loi sur la concurrence en matière de déclarations fausses ou trompeuses peuvent être appliquées dans un tel cas : c’est ce qu’on appelle la « désinformation populaire planifiée » (ou « astroturfing » en anglais). La désinformation populaire planifiée est considérée comme une forme de publicité trompeuse, puisqu’elle crée la fausse impression que des consommateurs indépendants ont vécu des expériences positives à l’égard d’un produit ou un service, alors qu’en réalité le promoteur du produit ou du service se cache derrière cette publicité. Un tel comportement est considéré comme problématique et interpelle de plus en plus les autorités réglementaires, compte tenu de l’importance que les consommateurs accordent habituellement aux évaluations indépendantes de produits et aux notes qui leur sont attribuées, et de la popularité croissante de sites web et d’applications qui se consacrent à de telles analyses.

La Federal Trade Commission des États-Unis (« FTC ») a introduit des modifications à ses directives afin de lutter contre la désinformation populaire planifiée. Lorsqu’un « lien important » existe entre l’annonceur d’un produit ou d’un service et la personne qui le recommande (l’« endosseur » ou le « cautionnaire ») et que ce lien peut influencer la perception du public par rapport à cette recommandation, les directives de la FTC (en anglais seulement) en obligent maintenant la divulgation.

Dans la même optique, en juin 2018, le Bureau de la concurrence canadien a publié le recueil des pratiques commerciales trompeuses - Volume 4, qui conseille aux professionnels du marketing, aux entreprises et aux influenceurs web de divulguer tout « lien important » entre un influenceur et l’entreprise dont il recommande les produits ou services. Le Bureau de la concurrence a également intenté des recours visant des cas de désinformation populaire planifiée en vertu des dispositions de la Loi sur la concurrence. En outre, le Code canadien des normes de la publicité administré par Les normes canadiennes de la publicité (ou « NCP » dont il est question plus loin), l’organisme d’autoréglementation de l’industrie, a été modifié en 2016 afin d’exiger la divulgation de tout « lien important » comme le prévoient sensiblement les directives de la FTC. NCP a maintenant le pouvoir de dénoncer toute violation à ce Code au Bureau de la concurrence, qui peut lancer une enquête à ce sujet en vertu de la Loi sur la concurrence.

E. Code canadien des normes de la publicité et lignes directrices de NCP

Finalement, votre publicité comparative peut aussi faire l’objet d’une plainte auprès de NCP, qui peut vous demander de la retirer, à défaut de quoi l’organisme divulguera votre violation.

Le Code canadien des normes de la publicité administré par NCP est réputé prévoir les normes de base applicables au Canada en matière de publicité acceptable. Ce code est interdit de dénigrer injustement vos compétiteurs ou d’exagérer les différences concurrentielles entre vos produits et les leurs. En général, les dispositions pertinentes du Code visent à s’assurer que les déclarations contenues dans une publicité comparative sont dûment étayées.

NCP a établi une procédure en matière de plaintes à l’intention des consommateurs et des autres annonceurs. Les plaintes formulées par des consommateurs sont soumises au Conseil des normes du NCP et jugées en fonction du Code. En cas de violation, le Conseil des normes peut demander à l’annonceur de modifier sa publicité ou de la retirer. Si l’annonceur refuse de le faire, NCP se réserve le droit de communiquer aux médias les détails de la violation et du jugement.

Un annonceur concurrent peut déposer une plainte en vertu de la Procédure sur les différends publicitaires (anciennement appelée Procédure en matière de plaintes intra-industrie) s’il détient la preuve substantielle d’une violation au Code. La procédure en matière de différends publicitaires prévoit des rencontres obligatoires entre les parties afin de résoudre le différend. S’il est impossible de parvenir à un règlement mutuellement acceptable, une audience est alors fixée devant un Comité des différends publicitaires, composé de cinq membres, qui rendra un jugement. En tout temps au cours de la procédure en matière de différends publicitaires, l’annonceur intimé peut choisir de retirer volontairement la publicité visée ou de la modifier de façon appropriée.

NCP publie également des lignes directrices, qui portent spécifiquement sur la publicité comparative. Comme le Code, les lignes directrices visent globalement à s’assurer que les prétentions contenues dans une publicité comparative sont dûment étayées. Elles peuvent également s’avérer fort utiles pour vous aider à structurer votre campagne de publicité comparative.

2. Directives générales

Si vous décidez de lancer une campagne de publicité comparative, voici quelques directives générales qui vous aideront à réduire votre exposition aux risques :

  • Dites la vérité - la comparaison doit être équitable et factuelle.
  • Vos allégations doivent être dûment étayées (p. ex., au moyen de sondages et d’essais menés en bonne et due forme, d’évaluations, etc.) et vos pièces justificatives doivent pouvoir être fournies sur demande.
  • Ne dénigrez pas injustement des compétiteurs, par écrit ou autrement. Le dénigrement peut prendre diverses formes, comme, notamment, le fait de représenter visuellement le produit d’un compétiteur sous un jour négatif ou de le dénigrer verbalement.
  • Vos comparaisons doivent porter sur des produits similaires (et non sur des choses qui ne se comparent pas).
  • N’exagérez pas la nature ou l’importance des différences entre les produits de votre concurrent et les vôtres, en occultant par exemple les avantages considérables du produit de votre concurrent, et les défauts du vôtre.
  • Les avantages individuels des aspects ou composantes d’un produit ne suffisent pas à prouver la supériorité globale de ce produit. Vous devez généralement éviter les déclarations générales de supériorité.
  • Toute affirmation quant à la supériorité d’un produit nécessite des tests adéquats et pertinents ou un énoncé explicatif adéquat précisant dans quelles conditions l’affirmation s’est avérée.
  • Les tests doivent être réellement effectués – les résultats ne peuvent pas être inférés de données ou de caractéristiques techniques en circulation.
  • Lorsque des produits sont comparés par le biais d’une démonstration, les tests doivent se faire dans des conditions similaires et doivent convenir aux produits testés.
  • Évitez d’arborer les logos et les marques de commerce d’un compétiteur, surtout si ces derniers  sont enregistrés à l’égard de services (plutôt que de biens).
  • Évitez les superlatifs et les exagérations (par ex., « le plus rapide jamais construit »).
  • Choisissez bien votre moment : si vous nuisez au lancement de produit de votre compétiteur en faisant coïncider votre publicité comparative avec le lancement, les inconvénients plus importants que votre compétiteur pourrait subir de ce fait pourraient jouer contre vous si le dossier était judiciarisé.

Bref, avant de lancer votre prochaine campagne de publicité comparative, veillez à effectuer une analyse rigoureuse des risques. Votre compétiteur est toujours à l’affût de vos gestes et faits, alors faites preuve de vigilance en agissant dans le meilleur intérêt de votre entreprise. Si vous avez besoin d’aide pour évaluer la pertinence de votre prochaine campagne publicitaire, faites appel à notre équipe juridique toujours prête à vous prêter main-forte.


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