Richard G. Dearden
Partner
Fellow of the American College of Trial Lawyers
Article
11
L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avait été qualifié par le président américain Donald Trump comme étant « l'un des PIRES accords commerciaux jamais conclus ». Tard dimanche soir, le 30 septembre dernier, les négociations de l'ALENA se sont finalement achevées par le dévoilement de l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), une nouvelle entente qui viendra remplacer l'ALENA.
Peu après la finalisation de l'Accord, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé aux journalistes : « C'est une bonne journée pour le Canada ».
Dans une déclaration commune, le représentant au Commerce des États-Unis, Robert Lighthizer, et la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, ont qualifié l'AEUMC de moderne et adapté aux réalités du XXIe siècle :
« Aujourd'hui, le Canada et les États-Unis sont parvenus à un accord de principe, de concert avec le Mexique, sur un nouvel accord commercial moderne et adapté aux réalités du XXIe siècle : l'Accord États-Unis-Mexique-Canada. L'AEUMC offrira à nos travailleurs, agriculteurs, éleveurs et entreprises un accord commercial de grande qualité qui donnera lieu à des marchés plus libres, à un commerce plus équitable et à une croissance économique solide dans notre région. »
Les 34 chapitres de l'AEUMC abordent l'accès au marché; les règles d'origine spécifiques aux produits pour les biens comme les automobiles; la propriété intellectuelle; les panels binationaux chargés d'examiner les décisions finales relatives aux droits antidumping et compensateurs; les mesures de sauvegarde; les investissements; le commerce numérique; la lutte contre la corruption; et le règlement de différends entre les États. L'Accord comporte également plusieurs annexes et lettres d'accompagnement.
Voici donc les points saillants de certains des enjeux litigieux des négociations :
L'AEUMC prévoit des règles d'origine spécifiques aux produits détaillées et complexes en ce qui concerne les véhicules. Conformément à la méthode du coût net, l'exigence de contenu en valeur régionale des voitures et des camions légers sera de 66 % à partir du 1er janvier 2020, et augmentera à 75 % à partir du 1er janvier 2023.
De plus, l'exigence sur la teneur en main-d'œuvre applicable aux voitures sera de 30 % le 1er janvier 2020, et augmentera à 40 % le 1er janvier 2023. Les camions légers et les poids lourds sont également assujettis à l'exigence sur la teneur en main-d'œuvre.
Les États-Unis ont aussi convenu, dans une lettre d'accompagnement, que s'ils imposaient des tarifs de sécurité nationale en vertu de l'article 232 de la Trade Expansion Act of 1962 pour les voitures (classées dans les sous-rubriques 8703.21 à 8703.90), les camions légers (classés dans les sous-rubriques 8704.21 à 8704.31) ou les pièces automobiles, ils devaient exclure :
L'exportation canadienne de voitures, de camions légers et de pièces automobiles se situe actuellement en deçà de ces seuils.
Durant la renégociation de l'ALENA, le président Trump brandissait constamment la menace d'imposer des tarifs sur l'exportation automobile canadienne, en affirmant que ceux-ci ruineraient l'économie du pays. Toutefois, si le président respecte la lettre d'accompagnement, l'industrie automobile canadienne ne devrait pas être affectée par ces tarifs, et ce, pour de nombreuses années.
Les États-Unis se sont engagés, dans une lettre d'accompagnement, à accorder une exemption au Canada de toute mesure future imposant des tarifs ou des restrictions à l'importation sur des biens ou des services canadiens en vertu de l'article 232 de la Trade Act of 1974, pour au moins 60 jours après l'imposition de cette mesure. Durant cette période, les États-Unis et le Canada chercheront à négocier un résultat approprié, fondé sur la dynamique de l'industrie et les antécédents historiques en matière d'échange commerciaux.
Si les États-Unis adoptent des mesures en vertu de l'article 232 allant à l'encontre de l'AEUMC ou de l'Accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Canada pourra riposter en adoptant des mesures ayant un effet commercial équivalent. Le Canada conserve également le droit, en vertu de l'Accord de l'OMC, de contester les mesures de l'article 232.
Fait intéressant, l'AEUMC n'a pas éliminé les tarifs de 25 % sur l'acier et de 10 % sur l'aluminium imposés par les États-Unis au nom de la sécurité nationale, et le Canada n'en est pas dispensé. Le jour suivant l'envoi de l'AEUMC au Congrès américain, le président Trump a déclaré que les tarifs sur l'acier allaient demeurer en vigueur. Les tarifs de rétorsion du Canada demeureront donc eux aussi en vigueur, et ce, jusqu'à ce que les États-Unis dispensent l'acier et l'aluminium canadiens de ses tarifs de sécurité nationale.
La conservation des panels binationaux du chapitre 19 de l'ALENA chargés d'examiner les décisions finales relatives aux droits antidumping et compensateurs était l'une des conditions sine qua non à l'entente, et le Canada a réussi à l'inclure dans l'AEUMC.
L'AEUMC contient un chapitre sur les règlements de différends qui s'applique :
Comme dans le chapitre 20 de l'ALENA, le chapitre 31 de l'AEUMC sur le règlement de différends prévoit des mécanismes de consultation, des rencontres avec la Commission et, enfin, la mise sur pied de panels binationaux choisis à partir d'une liste composée de 30 experts indépendants. La création de cette liste d'experts est déterminante, puisqu'au cours des vingt dernières années, les États-Unis ont refusé de procéder ainsi dans le cadre de l'ALENA. Par conséquent, aucun panel n'a été créé en vertu du chapitre 20 de l'ALENA durant de nombreuses années.
Le chapitre 11 de l'ALENA permettait aux investisseurs des parties de déposer des requêtes d'arbitrage réclamant des dommages-intérêts si des obligations d'investissement étaient violées aux termes du chapitre sur l'investissement. Dans le cadre de l'AEUMC, de telles requêtes entre investisseurs et États ne pourront plus être déposées contre le Canada, et les investisseurs canadiens ne pourront plus intenter d'actions en réparation contre les États-Unis ou le Mexique.
L'AEUMC prévoit des dispositions détaillées en ce qui a trait aux droits de propriété intellectuelle (marques de commerce, brevets, dessins industriels, droits d'auteur et droits connexes, secrets commerciaux, respect des droits de la PI et mesures d'application de la loi aux frontières).
Certains changements ont été apportés à l'ALENA. Par exemple, la durée de la protection du droit d'auteur correspond maintenant à la vie de l'auteur plus 70 ans plutôt que 50 ans; les fournisseurs de services Internet sont maintenant protégés de toute responsabilité quant au contenu appartenant à une tierce partie; et la durée de protection des données quant aux médicaments biologiques a été prolongée à 10 ans.
Actuellement, la valeur minimale canadienne pour importer des biens sans taxe est de 20 $. Aux termes de l'AEUMC, les Canadiens pourront maintenant importer des biens d'une valeur de 150 $ (CAD) en franchise de douane et de 40 $ sans taxe de vente : une nouvelle qui réjouira sans doute les consommateurs en ligne, contrairement aux détaillants canadiens.
Les États-Unis ont réussi à obtenir un accès accru au marché laitier canadien pour les producteurs et transformateurs laitiers américains qui se traduit par une ouverture de 3,5 % du marché. Le Canada a également accepté d'éliminer la classe 7, une politique sur la tarification du lait, qui restreignait l'exportation de lait diafiltré en provenance d'États comme le Wisconsin et New York. L'ouverture de l'accès au marché laitier constituait une condition sine qua non du président Trump.
Le fait que l'AEUMC ait finalement été conclu atténuera les incertitudes des investisseurs et réduira les tensions au sein de la relation commerciale entre le Canada et les États-Unis, qui se sont exacerbées depuis le Sommet du G7 à Québec.
Le président Trump devrait signer l'AEUMC le 30 novembre prochain, soit à la fin du délai de 60 jours au cours duquel le Congrès doit examiner l'Accord. Toutefois, l'AEUMC doit encore être mis en œuvre par les États-Unis, le Canada et le Mexique. Tandis que le premier ministre Trudeau dispose d'une majorité à la Chambre des communes, le président Trump, quant à lui, pourrait se heurter à une Chambre des représentants sous l'emprise du Parti démocrate après les élections de mi-mandat de novembre. L'approbation de l'AEUMC par le Congrès américain, avec la Chambre des représentants actuelle ou celle qui suivra les élections, est loin d'être assurée.
Sous l'administration du président Trump, les mesures protectionnistes resteront en vigueur et les différends commerciaux perdureront, et ce, malgré l'AEUMC. Mais, pour l'instant, les répercussions économiques fort négatives qui auraient découlé de la non-signature d'un accord se sont dissipées, et la relation commerciale entre Canada et les États-Unis est plus stable.
CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.