CSC : rétrospective de l'année 2018

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27 février 2019

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Cet article résume les 10 dossiers les plus significatifs de la Cour suprême du Canada de 2018, une sélection présentée par le groupe Services de représentation devant la Cour suprême du Canada de Gowling WLG. L’an dernier, la Cour suprême a publié 59 décisions touchant un large éventail de sujets juridiques. Le choix des 10 dossiers est toujours ardu (il arrive qu’on en ajoute quelques-uns de plus parce qu’ils sont trop importants pour les laisser de côté). Les décisions ne sont pas classées par ordre d’importance, mais plutôt réunies par sujets, dans la mesure du possible.



1. R C. COMEAU2018 CSC 15

Dans l’affaire R c. Comeau(popularisée aussi sous le nom de l’affaire « libérez la bière »), la Cour suprême a unanimement maintenu la validité constitutionnelle d’une loi du Nouveau-Brunswick visant à restreindre l’importation d’alcool des autres provinces, tout en commentant le rôle approprié du principe du stare decisis dans les cours de common law.

M. Comeau, qui a été arrêté pour avoir importé une importante quantité de bière et d’alcool du Québec au Nouveau-Brunswick, a contesté la constitutionnalité de la loi du NB au motif que l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 rend l’alinéa 134 (b) de la Loi sur la réglementation des alcools inconstitutionnel et donc inopérant. L’article 121 stipule que « Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d’aucune des provinces seront, à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces ».

La Cour provinciale du Nouveau-Brunswick a jugé l’alinéa 134 (b) inopérant à l’encontre de M. Comeau et a donc rejeté l’accusation. Pour ce faire, le juge du procès s’est appuyé sur le témoignage d’un historien selon lequel l’interprétation de l’article 121 par la Cour suprême du Canada, établi il y a près d’un siècle dans le dossier Gold Seal Ltd v Attorney-General for the Province of Alberta (1921) 62 RCS 434, était incompatible avec les intentions des auteurs de la Constitution. Pour le juge du procès, le besoin de corriger cette erreur justifiait de déroger aux précédents.

La Cour a donc dû trancher deux questions : (1) Le juge du procès a‑t‑il eu tort de déroger aux précédents qui font autorité et de fournir sa propre interprétation de l’article121?; et (2), Quel est le sens de l’expression « admis en franchise » qui figure à l’article121?

En ce qui a trait à la première question, la Cour a souligné que réfuter le principe de stare decisis vertical en se fondant sur une nouvelle preuve requiert que « les nouveaux éléments de preuve changent la façon dont les juristes comprennent la question juridique en jeu ». En l’espèce, ce seuil exigeant n’a pas été atteint. Même si des preuves historiques peuvent aider à interpréter des événements constitutionnels, un nouvel examen d’événements historiques ne constitue toutefois pas « une preuve de changement social ».

La Cour a donc appliqué l’alinéa 134 (b) et a confirmé le pouvoir assez vaste des provinces à appliquer la loi limitant le commerce. L’article 121 « n’impose pas de libre-échange absolu dans l’ensemble du Canada », ce qui rendrait toute loi limitant le libre-échange et la circulation de biens à l’échelle du pays inconstitutionnelle. En fait, pour être invalidée aux termes de l’article 121, une loi doit satisfaire à deux conditions. Premièrement, la loi doit avoir, comme un tarif, une incidence sur la circulation interprovinciale de biens. Par exemple, une interdiction complète ou des permis d’importations onéreux auraient le même effet qu’un tarif. Deuxièmement, iI faut que son objet principal soit d’entraver le commerce.  

La Cour a conclu que l’alinéa 134 (b) fonctionne comme un tarif, satisfaisant ainsi au premier critère. Cependant, son objet principal consiste à limiter l’accès à toute boisson alcoolique provenant d’ailleurs que de la Société des alcools au sein du cadre d’un régime de gestion plus large des alcools établissant un monopole provincial sur la vente d’alcool au Nouveau-Brunswick. Ainsi, l’incidence de l’alinéa134 (b) sur le commerce interprovincial « n’est qu’accessoire compte tenu de l’objet du régime provincial ». Par conséquent, le deuxième critère n’a pas été satisfait et la Cour a annulé l’acquittement de M. Comeau.

Le dossier Comeau maintient le statu quo relativement à la réglementation du commerce interprovincial, tout en clarifiant la portée de l’incidence de l’article 121. Les provinces peuvent limiter les importations des autres provinces tant et aussi longtemps que cette restriction s’insère dans un objectif législatif plus large. Les commentaires de la Cour quant au principe de stare decisis confirment également l’importance des précédents et les circonstances dans lesquelles les cours peuvent déroger aux précédents qui font autorité.

2. RENVOI RELATIF À LA RÉGLEMENTATION PANCANADIENNE DES VALEURS MOBILIÈRES, 2018 CSC 48

Le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux et territoriaux ont proposé la mise en place d’un régime coopératif national de réglementation des marchés des capitaux au Canada (le « Régime coopératif ») comportant les principaux éléments ci-dessous :

  1. Une loi provinciale et territoriale type (la « loi provinciale type ») : une loi provinciale et territoriale portant principalement sur les aspects courants du commerce des valeurs mobilières;
  2. Une loi fédérale complémentaire : une proposition de loi fédérale (l’« ébauche de la loi fédérale ») visant la prévention et la gestion des risques systémiques et créant des infractions criminelles relatives aux marchés financiers;
  3. Un organisme national de réglementation des valeurs mobilières (l’« Autorité ») : un organisme national de réglementation chargé de l’application de ce régime coordonné et disposant du pouvoir de prendre des règlements. La loi provinciale type et l’ébauche de la loi fédérale prévoient toutes deux que les règlements proposés par l’Autorité doivent être approuvés par le Conseil des ministres avant d’entrer en vigueur.
  4. Le Conseil des ministres : l’Autorité et son conseil d’administration doivent être supervisés par un conseil des ministres, composé des ministres responsables de la réglementation des marchés des capitaux de chacune des provinces participantes et du ministre fédéral des Finances.

Le cadre du régime coopératif a été établi dans un accord entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux participants (le « Protocole »). Le Protocole prévoyait que le Conseil des ministres jouerait un rôle dans la réalisation de modifications aux applications législatives proposées.

Le gouvernement du Québec a soumis les deux questions ci-dessous relativement au régime coopératif à la Cour d’appel du Québec :

  1. La Constitution du Canada autorise‑t‑elle la mise en place d’une réglementation pancanadienne des valeurs mobilières sous la gouverne d’un organisme unique selon le modèle prévu par la plus récente publication du « Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux »?
  2. La plus récente version de l’ébauche de la loi fédérale intitulée « Loi sur la stabilité des marchés des capitaux » excède‑t‑elle la compétence du Parlement du Canada sur le commerce selon le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867?

Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont répondu aux deux questions par la négative. Plusieurs provinces ont interjeté appel de cette décision : le procureur général du Canada a porté en appel l’avis de la Cour d’appel du Québec quant aux deux questions; le procureur général de la Colombie‑Britannique a interjeté appel relativement à la première question, tandis que l’appel de la procureure générale du Québec porte sur la seconde question.

La Cour suprême du Canada a unanimement tranché qu’il fallait répondre par l’affirmative à la question 1, et par la négative à la question 2, ce qui maintient donc le régime coopératif proposé.

Question 1

La Cour suprême du Canada a fait valoir que la Constitution autorisait la mise en place de réglementations pancanadiennes sur les valeurs mobilières sous l’autorité d’un seul organisme de réglementation conformément aux modalités établies dans le Protocole. Le Régime coopératif n’entrave pas indûment la souveraineté des législatures. Le principe de la souveraineté parlementaire préserve le droit des législatures provinciales d’adopter, de modifier et d’abroger leurs lois relatives aux valeurs mobilières indépendamment de l’approbation du Conseil des ministres. À ce titre, les législatures demeurent libres de rejeter les lois proposées et toute modification apportée à celles‑ci. La Cour a aussi conclu que le Régime coopératif ne comporte pas de délégation inacceptable du pouvoir de légiférer. Le rôle du Conseil des ministres dans l’approbation des modifications à la « loi provinciale type » se distingue de la délégation de la compétence législative primaire. Les dispositions de la loi provinciale type n’auront force de loi qu’après avoir été dûment adoptées par la législature d’une province participante, le Conseil des ministres est ─ et demeure ─ soumis à la souveraineté de la législature.

Question 2

Après avoir effectué l’analyse en deux étapes applicable au contrôle d’une loi pour des motifs fondés sur le fédéralisme, la Cour suprême du Canada a conclu que l’« ébauche de la loi fédérale » proposée est intra vires, c’est-à-dire, relevant du volet général de la compétence sur le trafic et le commerce conférée par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Quant à la question de la qualification, la Cour a tranché que l’objet véritable et le caractère véritable de l’« ébauche de la loi fédérale » proposée était d’endiguer le risque systémique susceptible d’avoir des conséquences négatives importantes sur l’économie canadienne. En ce qui a trait à la classification, la Cour s’est appuyée sur la cadre établi dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. v. City National Leasing, [1989] 1 S.C.R. 641, et a conclu que l’« ébauche de la loi fédérale » proposée porte sur une matière d’importance et de portée véritablement nationales touchant le commerce dans son ensemble et a conclu aussi que la préservation de l’intégrité et de la stabilité de l’économie canadienne est très clairement une matière qui a une dimension nationale et qui excède la compétence provinciale. L’« ébauche de la loi fédérale » proposée relevait donc du volet général de la compétence du Parlement sur le trafic et le commerce conférée par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Enfin, la Cour a conclu qu’il n’y avait rien de problématique dans la façon dont l’« ébauche de la loi fédérale » délègue à l’Autorité le pouvoir de prendre des règlements sous la supervision du Conseil des ministres.

3.  WEST FRASER MILLS LTD. C. COLOMBIE-BRITANNIQUE (WORKERS' COMPENSATION APPEAL TRIBUNAL), 2018 CSC 22

Il s’agit d’un appel interjeté par West Fraser Mills Ltd. (« West Fraser Mills ») d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, lequel affirmait la décision du Workers' Compensation Appeal Tribunal d’imposer une sanction administrative à West Fraser Mills dans le contexte du décès accidentel d’un abatteur d’arbres qui œuvrait pour un entrepreneur indépendant au sein d’une forêt pour laquelle West Fraser Mills détenait un permis d’exploitation aux termes duquel, West Fraser Mills était « propriétaire » du lieu de travail au sens de la partie 3 de la Workers Compensation Act.

Quatre ensembles de motifs ont découlé de l’appel alors que la Cour continue de débattre la question de la norme d’examen dans le contexte de décisions réglementaires. La Workers' Compensation Board avait enquêté sur l’accident et déterminé que West Fraser Mills avait omis d’assurer des pratiques de travail sécuritaires conformément au par. 26.2(1) du Occupational Health and Safety Regulation. Ce Règlement avait été adopté par la Commission en vertu de l’art. 225 de la Loi. La Commission a tranché qu’une sanction administrative était justifiée aux termes du par. 196(1) de la Loi. La décision du tribunal a été maintenue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour d’appel.

Dans sa décision majoritaire, la juge en chef McLachlin a rejeté l’appel. L’art. 225 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de prendre des règlements afférents à la sécurité au travail. En effet, tant et aussi longtemps que le règlement en cause résulte ou non d’un exercice raisonnable du pouvoir délégué, la Commission peut l’adopter. Comme le par. 26.2(1) est clairement lié à la sécurité au travail, la Commission peut donc l’adopter. Ce Règlement s’inscrit aussi dans le contexte de la loi dans son entier, qui promeut la santé et la sécurité au travail. De plus, deux éléments contextuels externes doivent aussi être pris en compte. Premièrement, la Commission a adopté le par. 26.2(1) dans sa version actuelle par suite de l’inquiétude suscitée par l’augmentation du nombre de décès au travail dans le secteur forestier, une inquiétude clairement liée à l’objet principal de l’art. 225 de la Loi. Deuxièmement, le par. 26.2(1) est le prolongement naturel de l’obligation du propriétaire de veiller à ce que le lieu de travail soit sécuritaire pour ses travailleurs. En ce qui a trait à la disposition relative à la sanction administrative, l’interprétation du par. 196(1) par le Tribunal n’était pas manifestement déraisonnable. Le fait d’imposer une sanction administrative permet la réalisation de l’objectif de la Loi de favoriser la santé et la sécurité au travail et de prévenir de futurs accidents. Cette interprétation tient compte du fait qu’assurer la sécurité du lieu de travail est complexe et que le par. 196(1) peut s’appliquer à des situations où l’employeur n’omet pas de se conformer à des obligations particulières établies dans la Loi.

La juge Côté (dissidente) a estimé que dans ce cas, il était déraisonnable d’imposer une sanction administrative. Par l’adoption du par. 26.2(1), la Commission a outrepassé son mandat et débordé le cadre de son pouvoir délégué en confondant indûment les obligations du propriétaire et celles de l’employeur. En effet, comme le régime législatif définit « propriétaire » et « employeur » comme deux entités distinctes, l’imposition d’une sanction administrative n’était pas justifiée ici.

Le juge Brown (dissident), a conclu que la Commission avait agi conformément à son pouvoir législatif en adoptant le par. 26.2(1) du Règlement, mais il était manifestement déraisonnable d’imposer une sanction administrative à West Fraser Mills aux mêmes motifs que ceux soulevés par la juge Côté.

Le juge Rowe (dissident), a été d’accord avec la majorité sur le fait que la Commission avait agi conformément à son pouvoir législatif en adoptant le par. 26.2(1) du Règlement, mais a fait valoir qu’il fallait procéder à une analyse juridique pour comprendre la portée de la compétence. Il était manifestement déraisonnable d’imposer une sanction administrative à West Fraser Mills aux mêmes motifs que ceux soulevés par la juge Côté.

4.  LAW SOCIETY OF BRITISH COLUMBIA C. TRINITY WESTERN UNIVERSITY, 2018 CSC 32 ET

TRINITY WESTERN UNIVERSITY C. BARREAU DU HAUT-CANADA, 2018 CSC 33

LSBC c. TWU

Trinity Western University (TWU) et Brayden Volkenant ont interjeté appel de la décision de la Law Society of British Columbia (LSBC) de ne pas agréer la faculté de droit proposée de TWU. Trinity Western University (« TWU »), un établissement d’enseignement postsecondaire chrétien évangélique, souhaite ouvrir une faculté de droit exigeant que ses étudiants et les membres de son corps professoral adhèrent à un code de conduite fondé sur des croyances religieuses, le Community Covenant Agreement (Covenant), qui interdit toute « intimité sexuelle qui viole le caractère sacré du mariage entre un homme et une femme ».  La Law Society of British Columbia (« LSBC ») est l’organisme chargé de réglementer la profession juridique en Colombie‑Britannique. Les conseillers de la LSBC ont voté pour la tenue d’un référendum auprès de ses membres sur la question de la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU. Les membres ont voté pour l’application d’une résolution déclarant que la faculté de droit proposée par TWU n’était pas une faculté de droit agréée. La Cour suprême s’est penchée sur la question de savoir si un barreau pouvait refuser d’accorder une accréditation à une faculté de droit confessionnelle au motif qu’elle fait preuve de discrimination à l’endroit de membres de la communauté LGBTQ en exigeant des étudiants qu’ils signent le Community Covenant interdisant l’intimité sexuelle excepté entre couples hétérosexuels mariés.

La LSBC agit selon les objectifs que lui confie la loi, tel qu’il est stipulé dans la Legal Profession Act. Le privilège d’autoréglementation qui est accordé à la LSBC est assorti du devoir pour cette dernière de l’exercer dans l’intérêt public. Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision que prend la LSBC, en tant qu’organisme chargé de réglementer une profession autonome, sur la meilleure façon de s’acquitter de son vaste mandat de protection de l’intérêt public. La LSBC a le droit de prendre en considération l’imposition de barrières inéquitables à l’entrée des facultés de droit ainsi que dans la profession en général. Le fait d’approuver la faculté de droit proposée nuirait à l’accès équitable à la profession juridique aux membres de la diversité en plus de nuire aussi à la diversité au sein de la profession juridique, causant ainsi un préjudice aux personnes LGBTQ. Les caractéristiques personnelles et inaliénables, n’ayant aucun rapport avec le mérite, ne peuvent servir de motifs raisonnables pour restreindre l’accès à la profession juridique. En interprétant l’intérêt public de manière à assurer la diversité au sein de la profession juridique, la LSBC a agi de manière raisonnable. Le fait pour la LSBC d’examiner une politique d’admission inéquitable s’inscrit dans son mandat prévu par la loi.

Pour être raisonnable, une décision doit s’inscrire dans l’éventail des issues possibles et acceptables, tout en démontrant justification, transparence et intelligibilité au sein du processus décisionnel. Cependant, il n’était pas nécessaire pour la LSBC de fournir des motifs formels expliquant la décision découlant de son référendum.

Même si les droits conférés par la Charte à l’al. 2 (a) relatifs à la liberté de religion de la communauté TWU ont été limités par la décision de la LSBC, il reste que cette dernière représente une mise en balance proportionnée des restrictions des droits religieux aux termes de l’al. 2 (a) de la Charte et des objectifs prévus par la loi que cherchait à poursuivre la LSBC. La liberté de religion se compose indubitablement d’un élément communautaire. Les membres de la communauté TWU croient sincèrement que le fait d’étudier dans un milieu défini par des croyances religieuses contribue à leur développement spirituel. Malgré la violation des droits religieux selon l’al. 2(a) de TWU, il reste qu’elle était incomparable à la grave restriction imposée aux droits à l’égalité des personnes LGBTQ. La LSBC avait le choix d’approuver ou non. En refusant d’approuver la faculté de droit de TWU la décision de la LSBC représentait une mise en balance proportionnée. Alors que la liberté religieuse n’a été que légèrement entravée, la décision de la LSBC a permis permet de prévenir le risque que soit causé un préjudice important aux personnes LGBTQ qui souhaiteraient étudier à la faculté de droit proposée de TWU. Même si la communauté TWU a le droit de choisir ses règles de conduite, elle ne peut imposer les valeurs de son Covenant à tous les membres de la communauté. Lorsque la liberté de religion a une incidence sur d’autres personnes, un principe fondamental de la liberté de religion est enfreint : la religion doit être pratiquée selon le bon gré de chacun. La coercition de membres d’une communauté de se conformer à des pratiques religieuses obligatoires ne constitue pas un exercice valide des droits prévus à l’al. 2(a). Ainsi, en votant contre l’agrément de la faculté de droit de TWU, la LSBC a choisi l’une des deux options disponibles et sa décision était raisonnable.

TWU c. Barreau du Haut-Canada

Tout comme la LSBC, le Barreau du Haut-Canada a décidé de ne pas agréer la faculté de droit proposée de TWU. La décision du Barreau du Haut-Canada est le fruit d’une mise en balance proportionnée de la protection conférée par l’al. 2(a) à la TWU et du mandat général de la LSUC confié par la loi.

Compte tenu de son mandat, le Barreau du Haut‑Canada a le pouvoir de décider qui peut ou non être titulaire d’un permis autorisant la pratique du droit en Ontario. Il a de plus le pouvoir de fixer les conditions dont sont assortis de tels permis. Le Barreau du Haut‑Canada a reçu et examiné les observations écrites de TWU, des membres de la profession et du public sur la question, en plus de rapports de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Au bout du compte, les conseillers ont voté contre la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU par 28 voix contre 21. TWU a demandé un contrôle judiciaire de la décision du Barreau du Haut‑Canada.

La Loi sur le Barreau exige que le Barreau du Haut‑Canada tienne compte de l’objectif primordial de protéger l’intérêt public lorsqu’il détermine les conditions d’admission dans la profession. Puisque la profession du droit est une profession autonome, il faut faire preuve de déférence à l’égard d’une décision discrétionnaire particulière du Barreau du Haut-Canada qui promeut le mieux ses objectifs. Le Barreau du Haut‑Canada a interprété son devoir de défendre et de protéger l’intérêt public comme l’empêchant d’agréer la faculté de droit proposée par TWU parce que le Covenant obligatoire dresse effectivement des barrières inéquitables à l’entrée à la faculté, et par le fait même, à l’entrée dans la profession juridique. Le Barreau du Haut‑Canada a conclu que la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU aurait un effet défavorable sur l’accès équitable à la profession juridique et sur la diversité au sein de celle‑ci, et causerait un préjudice aux personnes LGBTQ, ce qui serait incompatible avec l’intérêt public. Le Barreau du Haut‑Canada pouvait conclure que refuser d’agréer la faculté de droit TWU relevait de son obligation de protéger l’intérêt public. En tant qu’acteur public, le Barreau du Haut‑Canada a un intérêt primordial à protéger les valeurs d’égalité et des droits de la personne dans l’exercice de ses fonctions.

Les décisions administratives, comme celle prise par le Barreau du Haut-Canada, qui font intervenir la Charte sont examinées selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré c. Barreau du Québec. La question préliminaire qui se pose est de savoir si la décision administrative fait intervenir la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière. Si les protections de la Charte sont mises en cause, il faut se demander si la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte. Pour prouver une restriction aux termes de l’alinéa 2(a), TWU doit établir qu’elle a une croyance sincère ou une pratique sincère ayant un lien avec la religion. TWU doit aussi démontrer que la conduite qu’elle reproche à l’État limite d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance. La décision de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU restreint la liberté de religion des membres de la communauté religieuse de TWU. Les membres croient sincèrement que le fait d’étudier au sein d’une communauté définie par des croyances religieuses où les membres suivent certaines règles de conduite à caractère religieux contribue à leur développement spirituel. Cependant, la décision du Barreau du Haut-Canada ne restreint pas de manière importante la liberté de religion, elle ne fait que limiter la capacité de TWU d’exploiter une faculté de droit régie par le Covenant obligatoire. À l’inverse, la décision du Barreau du Haut-Canada a nettement favorisé la réalisation des objectifs visés par la loi de manière significative en assurant un accès égal à la profession juridique et une diversité au sein de celle‑ci. La liberté de religion peut être restreinte lorsque les croyances ou pratiques religieuses d’une personne causent préjudice aux droits d’autrui ou entravent l’exercice de ces droits. La décision du Barreau du Haut-Canada a suffisamment pris en compte toutes les protections en cause issues de la Charte et représente une mise en balance proportionnée des droits religieux de la TWU et des droits à l’égalité des personnes LGBTQ.

5.  MIKISEW CREE FIRST NATION C. CANADA (GOUVERNEUR GÉNÉRAL EN CONSEIL), 2018 CSC 40

Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si l’obligation de consulter s’appliquait au processus législatif. Depuis Nation Haida c. Colombie-Britannique, l’obligation de consulter les peuples autochtones incombe à la Couronne et, le cas échéant, de les accommoder avant de prendre des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux et issus de traités, revendiqués ou établis en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour suprême du Canada a finalement conclu que l’obligation de consulter ne s’appliquait pas au processus législatif. Les juges majoritaires ont tranché que le principe de la séparation des pouvoirs et la souveraineté parlementaire faisait en sorte qu’il est rarement approprié pour les cours d’examiner le processus législatif.

Au mois d’avril 2012, deux projets de lois omnibus ayant une incidence importante sur le régime canadien de protection environnementale ont été déposés au Parlement, le projet de loi C-38 et le projet de loi C-45. Les Mikisew ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, plaidant que la Couronne avait l’obligation de les consulter en ce qui concerne l’élaboration des lois omnibus.

Le juge saisi de la demande a conclu que l’obligation de consulter s’appliquait. En appel, la majorité de la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge saisi de la demande avait erré en effectuant un contrôle judiciaire sur une mesure législative, ce qui va à l’encontre de la Loi sur les Cours fédérales. Sa décision ne respectait pas les principes de souveraineté parlementaire, de séparation des pouvoirs, et du privilège parlementaire. Les cours ne peuvent superviser le processus législatif.

La juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis et Gascon ont fait valoir que la Cour fédérale avait outrepassé sa compétence, car elle n’avait pas la compétence requise. Le par. 17(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, en cas de demande de réparation contre la Couronne. Cette définition ne s’étend pas aux acteurs de l’exécutif qui exercent un pouvoir législatif. En l’espèce, les Mikisew contestent des mesures qui sont uniformément de nature législative. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ne confèrent à la Cour fédérale que la compétence de contrôler les actions d’un « office fédéral ». Les ministres dans le cadre de leur fonction de législateurs n’agissent pas comme un office fédéral et leurs actions ne sont pas assujetties au contrôle des tribunaux. De plus, l’élaboration d’une loi par des ministres est une mesure législative qui ne déclenche pas l’obligation de consulter. C’est la conduite de la Couronne qui est suffisante pour déclencher cette obligation et englobe uniquement les actes accomplis par l’exécutif, ou en son nom. La voie a été laissée libre pour les tribunaux de possiblement reconnaître d’autres mesures de protection dans des causes à venir. L’obligation de consulter, même si elle inapplicable dans la sphère législative, n’est pas le seul moyen de donner effet au principe de l’honneur de la Couronne.

Les juges Abella et Martin étaient d’accord sur le fait que le contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales ne pouvait être exercé à l’encontre de mesures prises par des ministres fédéraux dans le cadre du processus parlementaire. Cependant, ils ne se sont pas entendus sur la question de savoir si l’obligation de consulter avait été déclenchée. Le principe de l’honneur de la Couronne fait naître une obligation de consulter applicable à toutes les mesures gouvernementales envisagées susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux et issus de traités, revendiqués ou établis, y compris aux mesures législatives. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones. Il ne s’agit pas de savoir si l’obligation de consulter convient dans les circonstances, mais de savoir si l’obligation de consulter s’applique à la décision. Les concepts de souveraineté et de privilège parlementaires ne peuvent pas supplanter le principe de l’honneur de la Couronne.

Le juge Brown a fait valoir que même en faisant fi de cet obstacle juridictionnel, tant la séparation des pouvoirs que le privilège parlementaire, ainsi que la portée bien interprétée du contrôle judiciaire et la jurisprudence existante de la Cour sur l’obligation de consulter mènent à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire des Mikisew ne peut pas être accueillie. L’ensemble du processus législatif — de l’élaboration initiale des politiques à la sanction royale inclusivement — constitue un exercice du pouvoir législatif qui est à l’abri de l’ingérence des tribunaux. Tout ce qu’un citoyen canadien peut exiger, sur le plan procédural, c’est qu’un projet de loi fasse l’objet de trois lectures à la Chambre des communes et au Sénat et qu’il reçoive la sanction royale. L’élaboration, le dépôt, l’examen et l’adoption des projets de loi ne constituent pas des conduites de la Couronne qui donnent naissance à l’obligation de consulter. Par conséquent, procéder au contrôle judiciaire du processus législatif, en contrôlant notamment, après le fait, le processus d’adoption des lois pour vérifier leur conformité à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et à l’honneur de la Couronne, est inconstitutionnel.

Les juges Moldaver, Côté, et Rowe étaient d’accord avec le juge Brown. De plus, quand une loi est adoptée, les parties qui soutiennent qu’elle a pour effet de porter atteinte aux droits protégés par l’art.35 disposent de recours fondés sur le cadre d’analyse relatif à l’atteinte et à la justification exposé dans l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075.

La Cour suprême du Canada a donc rejeté l’appel. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas été saisie à bon droit de la demande de contrôle judiciaire des Mikisew en l’espèce.

6.  WILLIAMS LAKE INDIAN BAND C. CANADA (AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD), 2018 CSC 4

Le territoire traditionnel de la Williams Lake Indian Band est situé près de Williams Lake. Le territoire n’a jamais été protégé par le régime de préemption mis en place à l’époque coloniale. Après la Confédération, le Canada a procédé à la création de réserves. La Couronne a reconnu que les préemptions avaient été une erreur, mais elle n’était pas disposée à empiéter sur les droits des colons. La Couronne a donc plutôt attribué à la bande une autre étendue de terre à titre de réserve.

La bande a présenté une demande d’indemnisation des pertes ayant découlé de ces événements en application de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Le Tribunal des revendications particulières a conclu que le Canada avait des obligations fiduciaires envers la bande et qu’il avait omis de les respecter en ne la protégeant pas de la préemption. Il a conclu en outre que le Canada pouvait, en application de la Loi, être tenu responsable à l’égard de la revendication de la bande visant la période préconfédérative. Par conséquent, la revendication particulière de la bande était valide aux termes de la Loi et donnait ouverture à l’indemnisation.

La Cour suprême a affirmé que la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal des revendications particulières est celle de la décision raisonnable et que le Tribunal avait été raisonnable en concluant qu’il y avait eu non-respect de l’obligation fiduciaire due à la bande. La Cour a confirmé que la relation entre la Couronne et les peuples autochtones revêt un caractère fiduciaire, ce qui était déjà le cas avant la Confédération. L’obligation fiduciaire exige de la Couronne qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire conformément à la norme de conduite à laquelle un fiduciaire est tenu en equity, soit celle « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires ». Le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que les fonctionnaires fédéraux qui connaissaient les circonstances du recours à la préemption à Williams Lake et la situation dans laquelle se trouvait la bande n’ont rien fait pour contester les préemptions. Du fait de leur inaction et de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui a mené subséquemment à l’attribution à la bande d’autres terres à titre de réserve, la Couronne ne s’est pas acquittée de ses obligations fiduciaires.

7.  R. C. MÉDIA VICE CANADA INC., 2018 CSC 53

Un organe de presse et un de ses journalistes (ensemble, « Média Vice ») ont écrit et publié trois articles en 2014 fondés sur les échanges entre le journaliste et une source, un Canadien soupçonné d’avoir rallié une organisation terroriste en Syrie. Les articles faisaient état de déclarations de la source qui, si elles s’avèrent exactes, pourraient fournir des éléments de preuve solide de sa participation à de multiples infractions terroristes.

La GRC a sollicité ex parte et obtenu une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario en application de l’art. 487.014 du Code criminel, pour qu’il soit intimé à Média Vice de produire les captures d’écrans des messages échangés avec la source. Plutôt que de produire ces documents, Média Vice a présenté une demande à la Cour supérieure pour que l’ordonnance soit annulée. Le juge chargé de la révision a rejeté la contestation de l’ordonnance de communication par Média Vice, concluant que le juge saisi de la demande pouvait statuer que l’intérêt du public dans l’obtention d’éléments de preuve fiables attestant de la perpétration d’infractions très sérieuses de terrorisme l’emportait sur l’intérêt du média. La Cour d’appel a rejeté l’appel interjeté par Média Vice.

La Cour suprême (5-4) a rejeté l’appel supplémentaire de Média Vice. L’ordonnance de communication a été rendue comme il se doit et sa validité devrait être confirmée.

La majorité des juges (les juges Moldaver, Gascon, Côté, Brown, et Rowe) ont précisé et appliqué le cadre d’analyse des demandes de mandats de perquisition et des ordonnances de publication liées aux médias tel qu’établi dans Société Radio-Canada c. Lessard, et son dossier apparenté, Société RadioCanada c. NouveauBrunswick (Procureur général). Les juges ont conclu que certains aspects de ce cadre devaient être réorganisés; l’effet d’une publication partielle antérieure des renseignements demandés doit être évalué au cas par cas; et une version modifiée de la norme de contrôle doit être adoptée lors de l’examen d’une ordonnance rendue ex parte en lien avec un média. 

Le cadre d’analyse énoncé dans Lessard, qui vise à mettre en balance l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs et le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans le processus de collecte et de diffusion des informations, dresse une liste de neuf facteurs réorganisés en une analyse en quatre étapes : 1) le juge saisi de la demande doit établir s’il y a lieu qu’il exige, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que le média soit avisé; 2) toutes les conditions légales préalables doivent être réunies; 3) le juge saisi de la demande doit mettre en balance l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs, d’une part, et le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations, d’autre part; et 4) si le juge saisi de la demande décide de décerner l’ordonnance en vertu de son pouvoir discrétionnaire, il doit envisager d’assortir celle-ci de conditions pour que le média ne soit pas indûment empêché de publier et de diffuser les informations.

Plutôt que de considérer la publication partielle antérieure des renseignements demandés comme un facteur indépendant, il faut désormais la considérer comme un aspect du critère global de mise en balance établi dans Lessard. Il faut évaluer l’effet d’une telle publication au cas par cas. Le juge saisi de la demande doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris de la nature des renseignements (tant de ceux qui ont été publiés que de ceux qui ne l’ont pas été) et de la portion de l’ensemble complet de renseignements qui a déjà été publiée.

La norme de contrôle applicable aux demandes ex parte d’ordonnances de communication en lien avec les médias doit être une version modifiée de celle adoptée dans R. c. Garofoli, laquelle commande une grande déférence et, dans certains cas, crée des injustices en raison de l’absence des médias au stade de l’autorisation. Ainsi, il faut appliquer le test suivant : si le média expose des renseignements qui n’ont pas été portés à la connaissance du juge saisi de la demande et qui, selon le juge chargé de la révision, auraient pu raisonnablement avoir une incidence sur la décision du premier juge de délivrer l’ordonnance, le média aura droit à une révision de novo. Si, par contre, le média ne respecte pas cette exigence minimale, la norme traditionnelle établie dans Garofoli s’appliquera.

En appliquant aux faits de la présente cause le cadre d’analyse établi dans Lessard et désormais peaufiné, il appert que l’ordonnance de communication doit être maintenue et que le présent pourvoi peut être facilement tranché sans repenser l’al. 2 b) de la Charte.

Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis et Martin (dissidents) ont conclu que lorsque l’État sollicite, au moyen d’une ordonnance de communication, l’accès à des renseignements qui sont entre les mains des médias, les droits garantis à la presse par l’al. 2 b) ainsi que ses droits au respect de la vie privée, protégés par l’art. 8 de la Charte, entrent en jeu. Il faut donc procéder à une analyse harmonisée rigoureusement protectrice. Le droit de la presse protégé par l’al. 2 b) comprend non seulement le droit de transmettre des nouvelles et d’autres informations, mais également le droit de collecter cette information sans l’intervention indue du gouvernement. Cela comprend la protection du produit du travail journalistique.

Ce qu’il faut désormais, c’est une analyse de la proportionnalité démontrant que le bénéfice que retirerait l’État de l’obtention de l’information l’emporte sur l’atteinte aux droits de la presse protégés constitutionnellement par l’art. 8 et l’al. 2 b). Bien que la question de l’avis soit ultimement une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge saisi de la demande, il est nettement préférable dans la plupart des cas d’aviser le média. Dans les rares cas où il existe des circonstances qui l’exigent ou un risque réel de destruction d’éléments de preuve, l’envoi d’un avis pourrait ne pas être possible. Dans les procédures auxquelles elle prend part sans avoir été avisée de la demande dont le juge est saisi, la presse n’aura pas eu l’occasion avant que l’autorisation soit accordée d’expliquer comment l’ordonnance interférerait avec son travail. Dans de tels cas, la presse a droit à ce qu’une nouvelle mise en balance soit faite dans le contexte de la révision.

8. R. C. BOUDREAULT, 2018 CSC 58

La Cour suprême du Canada a examiné quatre appels interjetés par sept personnes concernant la constitutionnalité de la suramende compensatoire obligatoire imposée aux termes de l’article 737 du Code criminel. En vertu de cet article (introduit par le gouvernement Harper), les juges sont tenus d’imposer une amende exigible pour chaque infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, sans pouvoir discrétionnaire de réduire le montant ou d’en dispenser le contrevenant, même si l’imposition de cette suramende causerait une peine indue à ce dernier. Il n’est pas possible d’interjeter appel du prononcé d’une suramende, à moins que le juge de la peine n’ait ordonné le paiement d’un montant supérieur au minimum prévu par la loi.

Chacun des demandeurs vivaient dans la pauvreté et étaient aux prises avec des problèmes de dépendance, de maladie mentale, d’incapacité et/ou de précarité en ce qui a trait au logement. Ils ont contesté la disposition aux termes des articles 7 et 12 de la Charte des droits et libertés.

La Cour suprême a accueilli le pourvoi et a conclu que la suramende obligatoire contrevenait à l’article 12 de la Charte et ne pouvait être sauvegardée par application de l’article premier de la Charte. La Cour a refusé d’examiner la violation aux termes de l’article 7. 

La Cour a estimé « que la suramende obligatoire constitue une forme de peine cruelle et inusitée inadmissible sur le plan constitutionnel », notamment en ce qui a trait à son impact sur les demandeurs, des personnes impécunieuses. La suramende compensatoire constitue une peine parce qu’elle découle directement et automatiquement de la déclaration de culpabilité. L’intention du Parlement voulant que la suramende compensatoire soit une peine pour le contrevenant est confirmée par le par. 737(1) qui précise que la suramende compensatoire doit s’appliquer au contrevenant « en plus de toute autre peine qui lui est infligée ». La suramende compensatoire obligatoire est cruelle et inusitée car elle entraîne des conséquences inacceptables contraires au principe de la proportionnalité de la peine. Pour déterminer si une peine est exagérément disproportionnée, la Cour suprême a examiné si la peine imposée était exagérément disproportionnée, premièrement, en lien avec le demandeur particulier ainsi qu’en ce qui a trait au « contrevenant placé dans une situation hypothétique raisonnable » et deuxièmement, en lien avec les principes de détermination de la peine. La Cour a conclu en s’appuyant sur les difficultés, la précarité du logement et la marginalisation économique des demandeurs et les expériences représentatives d’autres personnes en situation d’impécuniosité devant les cours que la suramende compensatoire était exagérément disproportionnée. Par conséquent, la Cour a invalidé l’article 737, avec effet immédiat.

9. ROGERS COMMUNICATIONS INC. C. VOLTAGE PICTURES, LLC, 2018 CSC 38

Dans une affaire de violation de droit d’auteur, Voltage Pictures avait demandé une ordonnance de type Norwich pour forcer Rogers à divulguer des renseignements sur une personne non identifiée qui s’était livrée à du partage illégal de films en ligne en violation de la Loi sur le droit d’auteur (la Loi). Cette affaire traite de la relation entre les mesures qu’un fournisseur de services Internet (« FSI ») comme Rogers doit prendre pour se conformer au régime « avis et avis » des paragraphes 41.25 et 41.26 de la Loi et les mesures à prendre pour se conformer à une ordonnance de type Norwich de même que des obligations implicites de cette relation concernant la capacité pour un FSI de recouvrer les coûts liés aux mesures à prendre pour se conformer à une ordonnance de type Norwich. Le juge des requêtes a accordé l’ordonnance de type Norwich et a autorisé Rogers à recouvrer les coûts de toutes les mesures qui étaient nécessaires pour se conformer à celle‑ci. La Cour d’appel fédérale a restreint le recouvrement des coûts raisonnables à la divulgation elle-même.

La Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi. Alors qu’il existe une interdiction législative relative au recouvrement des coûts découlant du régime avis et avis, l’obligation d’un FSI aux termes d’une ordonnance de type Norwich d’identifier une personne est distincte de son obligation en vertu du régime avis et avis de veiller à l’exactitude de son registre permettant d’identifier une personne. Le titulaire de droit d’auteur a droit à cette information uniquement aux termes d’une ordonnance de type Norwich, ce qui ne relève pas des obligations d’un FSI en vertu du régime avis et avis. À ce titre, un FSI a le droit de recouvrer les coûts raisonnables des mesures visant à déterminer l’identité d’une personne dans un registre exact conservé aux termes de la Loi dans la mesure où ces dernières ne chevauchent pas les obligations imposées y afférentes. C’est donc au juge des requêtes recevant une demande d’ordonnance de type Norwich qu’il incombera de déterminer quels coûts sont recouvrables par le FSI, et quels coûts sont liés aux obligations imposées aux FSI selon la Loi et à ce titre, ne sont donc pas recouvrables.

10.  BUREAU DE L’AVOCAT DES ENFANTS C. BALEV2018 CSC 16

La Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants vise à protéger les enfants en appliquant les droits de garde et à garantir le retour rapide des enfants à leur pays de « résidence habituelle ». Cette affaire traitait de l’approche appropriée à adopter pour déterminer la « résidence habituelle » d’un enfant.

Les parents s’étaient mariés en Ontario, et avaient ensuite déménagé en Allemagne où ils ont eu deux enfants. Les parents se sont ensuite séparés et ont décidé que la mère emmènerait les enfants au Canada pendant 16 mois pour des raisons scolaires. Les parents ont signé une entente à cet effet, précisant que ce déménagement serait temporaire. À la fin de ces 16 mois, la mère n’a pas renvoyé les enfants en Allemagne. Le père a demandé à la Cour de l’Ontario de renvoyer les enfants. La mère a fait valoir que la résidence habituelle des enfants était l’Ontario, parce qu’ils y avaient passé beaucoup de temps. Le père a quant à lui affirmé que leur résidence habituelle était en Allemagne. Les enfants sont éventuellement retournés en Allemagne aux termes d’une ordonnance de la Cour de l’Ontario. Plusieurs mois plus tard, les tribunaux allemands ont accordé la garde exclusive des enfants à la mère et cette dernière et ces enfants sont revenus au Canada.

Bien que le dossier soit désormais théorique en raison de l’ordonnance des tribunaux allemands, la Cour suprême du Canada a choisi d’entendre l’appel afin de clarifier la notion de résidence habituelle d’un enfant dans des dossiers futurs. La Cour a estimé que les tribunaux doivent étudier toutes les considérations pertinentes pour déterminer le lieu de résidence habituelle d’un enfant. Et même si la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de liste définitive de paramètres, les cours doivent tenir compte des liens de l’enfant avec le pays, les circonstances dans chaque pays, de même que les circonstances et intentions des parents et les avis des enfants. De plus, une cour peut refuser de renvoyer un enfant si une exception aux termes du traité s’applique.

La Cour a aussi fait un important commentaire sur la tâche d’interprétation des traités internationaux, soulignant qu’il existe un principe interprétatif prépondérant voulant que lorsque des dispositions législatives nationales mettent en œuvre un traité international visant une harmonisation multinationale, il faut opter pour une interprétation de ces dispositions législatives nationales préservant l’harmonie entre les pays adhérant au traité. La Cour a conclu qu’il était permis et approprié d’examiner comment les tribunaux étrangers avaient interprété la notion de « résidence habituellle » au moment de décider comment elle devrait être interprétée au Canada.

 

 


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