Brian G. Kingwell
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Patent Agent, Trademark Agent
Article
Nous avons récemment signé un article sur la question de l'interprétation des revendications et de l'admissibilité d'une invention telle que traitée dans le dossier Yves Choueifaty v. Attorney General of Canada [2020 FC 837 (« Choueifaty », en anglais seulement)], publié le 21 août 2020 par la Cour fédérale du Canada. Dans cette affaire, qui ne fera pas l'objet d'un appel, la Cour avait conclu que l'approche problème-solution pour l'interprétation des revendications appliquée par l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC ») posait problème[1]. L'OPIC a depuis publié un énoncé de pratique découlant de cette décision, lequel fournit des orientations administratives sur la façon d'interpréter des revendications et l'admissibilité d'un objet à la protection par brevet.
L'énoncé de pratique reconnaît que les revendications canadiennes sont évaluées au titre d'une interprétation téléologique, et que ce type d'interprétation requiert de déterminer quels sont les éléments essentiels des revendications. Tel que traité dans notre récent article, un des problèmes soulevés aux termes des directives précédentes de l'OPIC était que les examinateurs pouvaient interpréter certains éléments de l'invention revendiquée comme étant non essentiels, et donc sans importance pour une analyse en brevetabilité. En revanche, et conformément à la décision Choueifaty, l'énoncé de pratique établit clairement que « tous les éléments établis dans une revendication sont présumés être un élément essentiel, à moins qu'il n'en soit établi autrement ou que ce soit contraire au libellé employé dans la revendication », « un élément peut donc être un élément essentiel de la revendication parce que le demandeur a voulu qu'il soit essentiel, même s'il n'a pas d'incidence matérielle sur le fonctionnement de l'invention ». Il s'agit ici d'une approche dictée par les arrêts de principe de la Cour suprême relativement à l'interprétation des revendications[2].
Les inventions mises en œuvre par ordinateur (comme des méthodes commerciales) sont également commentées dans l'énoncé de pratique, et les examinateurs sont invités à « considérer si l'ordinateur coopère avec d'autres éléments de l'invention revendiquée et s'il fait donc partie d'une seule invention réelle et, s'il y a lieu, si cette invention réelle a une existence physique ou manifeste un effet ou un changement physique discernable et qui se rapporte aux réalisations manuelles ou industrielles ». L'énoncé de pratique réitère l'importance de la coopération des éléments dans l'invention revendiquée au moment d'analyser la brevetabilité d'un objet. Fidèle aux directives précédentes de l'OPIC, l'énoncé de pratique souligne également que l'un des facteurs indicateurs de la brevetabilité d'un algorithme mis en œuvre par ordinateur est la question de savoir s'il « améliore le fonctionnement de l'ordinateur. »
L'énoncé de pratique aborde aussi la question des méthodes de diagnostic médical, même si la décision Choueifaty ne traitait que d'une invention mise en œuvre par ordinateur. Voici les directives établies à ce sujet : « une revendication de méthode de diagnostic qui définit une combinaison d'éléments qui collaborent de façon à former une seule invention qui comprend des moyens physiques d'essai ou d'identification, de détection, de mesure, etc., la présence ou la quantité d'un analyte dans un échantillon serait considérée comme un objet brevetable. »
La dernière catégorie d'objets brevetables abordée dans l'énoncé de pratique est celle des utilisations médicales, particulièrement en ce qui a trait à la gamme des « utilisations » revendiquées disponible au Canada contrairement aux méthodes de traitement médicales, qui elles ne sont pas brevetables. L'énoncé de pratique établit à ce sujet le principe général suivant : « lorsqu'une invention réelle comprend un ou plusieurs éléments essentiels qui comprennent une étape active de traitement médical ou une étape chirurgicale ou qui restreignent, empêchent, entravent ou exigent l'exercice des compétences professionnelles et du jugement d'un professionnel de la santé, l'invention réelle est une méthode de traitement médical exclue et n'est pas un objet brevetable ». L'OPIC poursuit cependant son énoncé en préconisant l'adoption d'une approche flexible quant à l'évaluation visant à savoir si l'exercice d'une compétence et d'un jugement professionnels fait partie de l'utilisation revendiquée, « dans les cas où au moins un des éléments essentiels de l'invention limite l'utilisation revendiquée à une dose, à une gamme de doses potentielles qu'un patient peut recevoir et/ou à une posologie, qu'il s'agisse de doses fixes et/ou couvrant une gamme, ce fait en soi n'est pas déterminant quant à savoir si la revendication vise un objet brevetable. »
Ces nouvelles directives établies dans l'énoncé de pratique de l'OPIC constituent un changement important par rapport à la pratique antérieure et devraient avoir pour effet d'harmoniser davantage les principes appliqués lors de l'examen à la jurisprudence pertinente. Comme nous l'avons mentionné par rapport à l'incidence de la décision de l'affaire Choueifaty, il semble que ces nouvelles directives de l'OPIC faciliteront la reconnaissance de la brevetabilité des objets en ce qui a trait aux méthodes commerciales, aux inventions mises en œuvre par ordinateur, aux méthodes de diagnostic médical et aux utilisations médicales.
[1] Critique reprise d'une décision antérieure : Canada (Procureur général) c. Amazon.com, inc. CAF 328; modification du jugement 2010 CF 1011; inf. Re Amazon.com, Inc. Patent Application No. 2 246 933 (2009) C.D. 1290, 75 CPR (4e) 85 (CAB et le commissaire aux brevets).
[2] Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 et Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67.
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