Sahil Shoor
Associé
Article
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Le 11 mars 2020, l'Organisation mondiale de la santé a officiellement qualifié de pandémie mondiale l'épidémie de la COVID-19, aussi appelée maladie à coronavirus. La situation mondiale actuelle inédite est rapidement en train de se convertir en crise sanitaire dont les risques croissants pourraient perturber les opérations commerciales et affecter les échanges commerciaux et les profits si l'épidémie continue à s'intensifier.
Dans le présent article, nous examinons les différents scénarios auxquels vous vous exposez si votre contrat ou entente ne comporte pas de clause de force majeure.
Par « force majeure » on entend toute situation dans le cadre de laquelle un contrat ne peut plus être pleinement exécuté ou respecté en raison de circonstances extraordinaires ou extrêmes, souvent appelées « actes fortuits ». Lorsque des « événements de force majeure » se produisent, c'est la partie à l'origine de la violation qui assume la responsabilité, en tout ou en partie, des dommages causés. Pour pouvoir invoquer avec succès une clause de force majeure, il incombe à la partie qui s'en prévaut d'établir l'existence d'un tel événement et de prouver que ce dernier l'a effectivement empêché de remplir ses obligations contractuelles.
Malgré la survenance d'un événement extrême et préjudiciable, les tribunaux canadiens (à l'exclusion du Québec) n'ont pas prévu de disposition sur la force majeure en common law. Cela suppose que les règles normatives d'interprétation de la force majeure ne s'appliqueraient pas s'il n'y a pas de clause de force majeure expressément écrite dans le contrat. Toutefois, on retrouve quelques cas où les tribunaux se sont penchés sur la question de l'applicabilité de la force majeure dans des contrats dépourvus de telles dispositions expresses.
Dans le dossier Royal Bank v. Netupsky, le tribunal a reconnu qu'il valait la peine de se pencher sur la nouvelle question de savoir si une clause de force majeure pouvait être implicite ou fonctionner en droit. Dans cette affaire, la Banque Royale du Canada avait négocié un accord de marge de crédit sans clause de force majeure avec une société qui avait des liens importants avec l'Iraq. Au moment de la signature du contrat, la banque savait que le Canada avait fixé des interdictions commerciales avec l'Iraq, soit le cas de force majeure allégué qui a conduit à la défaillance de la société emprunteuse. Bien que le tribunal n'ait pas tranché la question de savoir si une clause de force majeure pouvait être implicite, une analyse a été menée sur la prévisibilité de l'événement de force majeure allégué. Il a été jugé qu'il n'y avait pas de fondement pour un argument de force majeure parce que les deux parties avaient convenu d'un contrat qui n'envisageait pas les effets des interdictions commerciales bien qu'elles aient eu pleinement connaissance de ces dernières.
En l'absence de disposition expresse sur la force majeure, les tribunaux ont appliqué par défaut la doctrine plus générale de l'inexécutabilité. Cette dernière, également connue historiquement sous le nom de doctrine de la décharge, est née dans les tribunaux anglais pour servir de recours équitable en cas d'événements extrêmes qui annihilaient la base même du contrat. Au Canada, ce concept de base a été préservé, mais son interprétation a évolué tout au long de sa jurisprudence étoffée.
Dans l'arrêt de la Cour suprême Naylor Group Inc. c. Ellis-Don Construction Ltd., la doctrine s'applique lorsque « survient une situation que les parties n'ont pas prévue dans le contrat et qui fait en sorte que l'exécution du contrat devient "quelque chose de radicalement différent des engagements pris au contrat" ». Cet énoncé peut être divisé en trois critères :
Il incombe à la partie qui s'appuie sur ces considérations d'établir la présence de tous les éléments d'inexécutabilité requis. Il importe également de souligner que l'inexécutabilité se veut d'une grande portée d'application. Comme formulé dans Dhillon v. PM Management Systems Inc. (2014), « la doctrine d'inexécutabilité est souple, ne se limite à aucune formule et peut être appliquée à tous les types de contrats, y compris les contrats impliquant la vente ou la location de terrains. » En effet, elle peut être appliquée à toute une gamme de différends contractuels, notamment dans le domaine de l'emploi, du commerce et de l'immobilier.
Le seuil standard pour établir l'inexécutabilité est plus élevé que celui requis pour établir la force majeure. Bien que la notion d'« exécution radicalement différente » ait été interprétée avec plus ou moins de rigueur, les tribunaux ont été relativement fermes dans la fixation du degré minimal de différence radicale. Dans l'affaire Delta Food Processors Ltd. v. East Pacific Enterprises Ltd., le tribunal a convenu, en citant une affaire anglaise antérieure, que « le fait qu'il soit devenu plus onéreux ou plus cher pour une partie qu'elle le pensait ne suffit pas à invoquer l'inexécutabilité. Il doit s'agir de plus que d'une simple question d'augmentation de la charge ou du coût. Le fait de tenir les parties liées doit être positivement injuste. » Dans cette affaire, le défendeur a été poursuivi pour manque à gagner après avoir omis de fournir 1 200 tonnes de hareng au demandeur en raison d'une mauvaise saison de pêche et de difficultés à retenir les services d'emballeurs de poisson. Le tribunal a finalement décidé de ne pas reconnaître l'inexécutabilité, car le manque de poisson et les difficultés avec les emballeurs ne constituaient pas un « changement suffisamment radical de la nature de l'obligation ». Ces difficultés auraient pu être surmontées avec davantage d'efforts de la part du défendeur.
Malgré le consensus judiciaire sur les principes fondamentaux de l'inexécutabilité moderne, certains tribunaux ont mentionné des facteurs supplémentaires pouvant être pris en compte dans le cadre de l'application de la doctrine. Par exemple, malgré l'exigence selon laquelle l'événement survenu ne doit pas être imputable à la faute des parties, il est possible que la défaillance d'une partie fasse échouer le contrat entre les autres parties d'un accord tripartite. Ce fut le cas dans l'affaire Cortina Foods Inc. v. Bari Cheese Ltd., où la résiliation unilatérale par un fabricant de fromage a entraîné la rupture d'un accord entre le fabricant, un commerçant de fromage et un producteur laitier. Cependant, un élément important de cette affaire était que le fabricant de fromage défaillant représentait une partie nécessaire et clé dans la chaîne d'approvisionnement du fromage : il était le seul fabricant de la province qui acceptait le lait provenant de ce producteur de lait. Son retrait de l'accord a donc rendu l'exécution du contrat par le producteur de lait fondamentalement différente de ce qui avait été initialement envisagé. L'inclusion de considérations politiques dans l'analyse constitue aussi un facteur supplémentaire. Dans l'affaire Kreway v. Kreway, la Cour a énuméré les considérations de politique générale relatives à l'inexécution ou à l'exécution du contrat.
Dans les cas où une action intentée pour inexécution est fructueuse, le contrat est considéré comme inexécutable et toutes les obligations s'éteignent à la date de l'événement survenu. De nombreuses provinces ont adopté des lois provinciales pour gérer les conséquences de contrats jugés inexécutables. Par exemple, la Loi sur les contrats inexécutables de l'Ontario s'applique à tout contrat régi par le droit de l'Ontario qui devient inexécutable et par conséquent libéré. La Loi prévoit que les sommes versées ou les avantages octroyés avant que les parties n'aient été libérées sont recouvrables. De plus, elle permet la dissociation des obligations inexécutables d'un contrat si le reste a été exécuté en grande partie avant la libération des parties.
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