COVID-19 : Restructuration de dette et acquisition d'entreprises ou d'actifs immobiliers en difficultés

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08 avril 2020


Un emprunteur qui, sans en avoir le droit, ne paierait pas l'échéance d'un crédit entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (lui-même censé durer deux mois à compter du 24 mars 2020 sauf report), pourrait arguer que la clause d'exigibilité anticipée du crédit et la clause d'intérêts de retard (une clause pénale) ne pourront produire leurs effets qu'à compter de l'expiration de cette période en application de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prise en application de la loi d'urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020.

Cette mesure, comme les reports consentis par les banques, les crédits exceptionnels octroyés par BPIFrance Financement (crédit de trésorerie, prêt rebond de 7 ans, prêt atout de 3 à 5 ans, garantie à hauteur 90 % de prêts bancaires…) et certaines autres aides gouvernementales, vise à protéger la trésorerie des entreprises.

Malheureusement, ce qui est aujourd'hui un problème de trésorerie risque de se transformer en problème de solvabilité dès lors que la crise sanitaire entraînerait une crise économique.

Selon la sensibilité de leur activité ou actif immobilier au cycle économique, il pourra devenir impossible pour certains emprunteurs de payer les échéances de leurs crédits ou de respecter les ratios financiers stipulés aux documents de financement (ratio de couverture des frais financiers, ratio de couverture du service de la dette, ratio de levier, ratio LTV), étant précisé qu'un emprunteur pourra vouloir attendre le dernier jour du délai applicable pour remettre à ses prêteurs ses états financiers et son certificats de ratios. D'autres cas de défaut pourront par ailleurs survenir de manière plus précoces : évènement significatif défavorable, défaut croisé sur des dettes fournisseurs, arrêt partiel ou total de l'activité...

C'est dans ce contexte que des négociations devront avoir lieu afin de restructurer l'endettement d'une société exploitant une entreprise ou un actif immobilier (1) ou organiser sa vente (2), idéalement avec l'aide d'un mandataire ad'hoc ou d'un conciliateur (3) ou éventuellement dans le cadre d'une procédure collective (4).

Restructuration de dette

Une solution dite "amend and extend" pourra consister à négocier un avenant aux termes duquel les prêteurs renonceront au(x) cas de défaut survenu(s) et les conditions financières seront réaménagées (profil d'amortissement, marge, commission, nouvelles sûretés, date-milestone pour la revente, fiducie).

Dans les situations les plus complexes, les créanciers peuvent même être amenés à consentir de nouveaux crédits ("new money"), estimant que ceux-ci permettront une augmentation de valeur supérieure au montant des nouveaux crédits.

Vente de l'entreprise ou de l'actif immobilier

Une autre solution pourra consister à vendre l'entreprise ou l'actif immobilier ("distressed M&A") et partager les produits de cette vente entre les prêteurs et l'emprunteur ou, en cas de vente de titres, entre les prêteurs et les associés de la société vendue (les "sponsors"), étant précisé que cette vente pourra être effectuée au profit :

  • soit d'un tiers (il s'agira alors réellement d'une "vente" au sens juridique du terme, celle-ci pouvant être faite de gré à gré ou dans le cadre d'un processus d'adjudication volontaire ou, suite à la réalisation des sûretés, forcé) ;
  • soit des créanciers (il s'agira alors d'une vente des titres formant le capital de l'emprunteur ou encore d'une dation en paiement, d'une attribution dans le cadre de la réalisation d'une sûreté ou d'un échange de créance et d'actif immobilier ou de titres) ;
  • soit des sponsors (étant précisé qu'on préférera alors à la vente un abandon de créance à hauteur de la différence entre la dette et la valeur de l'entreprise ou de l'actif immobilier ou encore, plus probablement, le rachat par les sponsors de la créance des prêteurs à un prix correspondant à la valeur l'entreprise ou de l'actif immobilier).

Les créanciers pourront être amenés à accepter que les sponsors reçoivent une quote-part réduite des produits de la vente de l'entreprise ou (plus rarement) de l'actif immobilier même si les créanciers n'ont pas été complètement désintéressés. En effet, il pourra être opportun d'inciter financièrement les sponsors à collaborer pour que l'entreprise ou l'actif immobilier soit vendu au meilleur prix, notamment en constituant une data-room au bénéfice d'acquéreurs potentiels et en continuant l'activité dans l'intervalle afin d'éviter toute perte de valeur de source opérationnelle.

En cas d'acquisition d'une entreprise sous LBO, les acquéreurs potentiels seront ainsi invités à formuler une offre portant a priori sur les titres de la holding ayant émis la dette mezzanine la plus junior et à préciser une valeur d'entreprise qui, cumulée à la trésorerie de la société, représentera une somme à répartir entre :

  • les sponsors, qui recevront la quote-part leur revenant en paiement du prix d'acquisition des titres et des prêts d'associé existants ;
  • les créanciers mezzanine voire senior qui accepteraient de vendre leur créance pour un prix inférieur à leur montant nominal, en paiement du prix d'acquisition de leurs créances ;
  • les créanciers senior, les fournisseurs, les administrations fiscales et sociales et les autres créanciers devant être remboursés entièrement, qui seront remboursés par la société emprunteuse grâce à une avance en compte courant de l'acquéreur.

Les droit d'enregistrement ainsi que les honoraires et frais des intervenants (conciliateur, avocats, banque d'affaires…) devront être budgétés dans les coûts d'acquisition.

L'offre pourra prévoir également l'injection d'une somme additionnelle dite "new money" sous forme d'avance en compte courant d'associé aux fins de permettre à l'entreprise de relancer son activité (investissements-clés, besoin en fonds de roulement…).

Suite à l'opération de rachat, l'organigramme pourra être simplifié et les créances acquises, converties en capital.

Mandataire ad'hoc ou (puis) conciliateur

Un débiteur pourra solliciter la nomination d'un administrateur judiciaire en qualité de mandataire ad'hoc ou (puis) de conciliateur et ce, afin de faciliter les négociations entre sponsors et créanciers, que ce soit dans l'optique de réaménager la dette ou celui de vendre l'entreprise ou l'actif immobilier au meilleur prix possible en rémunérant les sponsors pour leur implication dans le processus de vente et le maintien de l'activité de l'entreprise ou l'exploitation de l'actif immobilier.

L'atout premier du mandataire ad'hoc ou du conciliateur est de faciliter, en la rendant plus transparente et efficace, la négociation entre créanciers et sponsors. Etant rappelé qu'il est dans l'intérêt commun des créanciers et sponsors que l'entreprise ou l'actif immobilier continue d'être exploité dans des conditions qui maximise sa valorisation en vue d'une revente à cout, moyen ou long terme, le mandataire ad'hoc ou conciliateur devra :

  • avoir des compétences financières afin de comprendre le modèle économique de l'entreprise (son besoin en fonds de roulement, tout élément de saisonnalité…) ou de l'actif immobilier (budgets capex et opex…) et sa valorisation potentielle compte tenu des leviers de création de valeur envisageables versus le prix qui pourrait être obtenu en cas de vente dite liquidative si les négociations devaient échouer ;
  • avoir des compétences juridiques afin d'apprécier les sûretés dont disposent les différents créanciers et leur efficacité si les négociations échouaient et une procédure collective était ouverte (sûretés personnelles, sûretés réelles avec droit de rétention[1], nantissements de parts sociales "double luxco", "golden share", fiducie…) ;
  • connaître les enjeux, contraintes, coûts et délais de la mise en œuvre de solutions telles qu'une vente d'une entreprise ou d'un actif immobilier, afin d'être en mesure de cadrer toute négociation ayant pour objet une telle solution ;
  • être force de proposition et amener les parties vers une solution réaliste.

Par ailleurs, l'ouverture d'une procédure de conciliation a pour intérêt de permettre au débiteur mis en demeure ou poursuivi de demander au juge de lui accorder les délais de grâce prévus aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil, délais qui bénéficieront également à ses garants.

Enfin, dans l'hypothèse où les parties renégocieraient un réaménagement de dette, les prêteurs de "new money" bénéficieront d'un privilège en cas d'accord de conciliation homologué.

Procédures collectives

Si les négociations échouent, le débiteur qui, sans être en cessation des paiements, « justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter », pourra demander l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

S'il est en état de cessation des paiements, il devra dans les 45 jours demander l'ouverture d'une procédure de conciliation ou effectuer une déclaration de cessation des paiements auprès du greffe du tribunal de commerce ("déposer bilan"), ce qui entraînera :

  • soit l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire,
  • soit l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire (si le redressement est manifestement impossible car la situation est dite irrémédiablement compromise).

Il y a cessation des paiements quand le débiteur est dans « l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». Le passif exigible comprend les dettes dont le paiement est requis immédiatement (même si les créanciers n'ont rien réclamé) mais ne comprend pas la dette arrivée à terme faisant l'objet d'un moratoire. L'actif disponible comprend les actifs liquides et les actifs réalisables immédiatement de même que les réserves de crédit mais ne comprennent pas les actifs immobiliers, la valeur du stock de marchandises, le prix d'acquisition d'un fonds de commerce.

En cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, une période d'observation s'ouvrira pendant laquelle tout paiement sera interdit (sauf compensation avec une créance connexe) et il sera possible de négocier un réaménagement de la dette en vue de l'adoption d'un plan de sauvegarde ou de conciliation ou encore de convenir d'une vente (bien qu'un plan de cession totale ne pourra être intégré à un plan de sauvegarde).

Une telle procédure implique plus de lourdeurs qu'une procédure de conciliation ou de mandat ad'hoc. Par ailleurs, cette procédure n'étant pas confidentielle (contrairement à une procédure de conciliation ou de mandat ad'hoc), son impact sur les clients, les fournisseurs pourraient, de potentiels repreneurs est souvent négatif au moins dans les premiers temps.

La procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire présentera toutefois un atout avec la transposition prochaine (par voie d'ordonnance en vertu de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite "Loi Pacte") de la directive européenne 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes : celui de permettre aux créanciers senior et aux sponsor de négocier un réaménagement de dette tout en se protégeant contre les abus de créanciers junior.


Notre équipe restructuring (qui regroupe toutes les expertises nécessaires : financement, contentieux, corporate, social, immobilier…) assiste régulièrement des créanciers (prêteurs, bailleurs, fournisseurs), des acquéreurs et des sponsors (notamment dans le secteur immobilier) dans la négociation de réaménagements de dettes ou de contrats et l'acquisition d'entreprises ou d'actifs immobiliers détenus par des sociétés en difficultés.


[1] En fait, il faut distinguer les droits de rétention dits "réels" et ceux dits "fictifs" car attribués aux bénéficiaires de gages sans dépossession aux termes de l'article 2286, 4°, du code civil. Ces derniers peuvent exercer ce droit en cas de plan de cession ou de vente isolée dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire (article L. 642-25 du Code de commerce) mais ils ne peuvent pas l'exercer en cas de vente pendant la période d'observation ou le plan de sauvegarde ou de redressement en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire hors cession d'activité (article L. 622-7 du Code de commerce).


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