Outre le dispositif de crédit d'impôt proposé par le Gouvernement dans le cadre des discussions sur la loi de finances (cf. la brève en date du 16 novembre 2020 relative à la prise en charge, par l'Etat, d'une partie des loyers à travers un crédit d'impôt destiné aux bailleurs), trois récentes décisions judiciaires viennent enrichir le débat sur la question de l'exigibilité des loyers pendant les périodes de confinement.

Rappelons tout d'abord que le Tribunal Judiciaire de Paris avait, dans une décision du 10 juillet 2020 largement commentée, condamné un preneur à payer ses loyers au titre des mois de mars à mai 2020. Néanmoins, le locataire ayant fondé sa demande principalement sur les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, lequel ne prévoyant aucunement la suspension de leur règlement, mais simplement la neutralisation des voies de recours du bailleur, cette solution apparaissait logique. Le Tribunal avait néanmoins placé sa réflexion sur le terrain de la bonne foi, retenant que "les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives" (TJ Paris, 10 juillet 2020, n° 21/04516).

Dans deux ordonnances rendues le 26 octobre dernier (n° 20/53713 et 20/55901), le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris, saisi de la question de l'exigibilité des loyers dus par les exploitants d'une salle de sport et d'un commerce de parapharmacie, a repris cette argumentation et, estimant qu'il y avait contestation sérieuse, a refusé de condamner les locataires à régler leurs loyers impayés. De son côté, la Cour d'appel de Grenoble s'est prononcée sur la question dans un arrêt du 5 novembre 2020, mais sans se fonder sur la bonne foi (n° 16/04533). Dans leurs décisions, les magistrats se sont, cette fois, prononcés sur les arguments le plus souvent développés par les praticiens pour justifier les refus par les preneurs de régler leurs échéances de loyer pendant les périodes de fermeture ordonnées par le Gouvernement dans le cadre de la lutte contre la propagation de l'épidémie de Covid-19, à savoir :

  • la force majeure

La question de la force majeure est balayée par le Tribunal de Paris, qualifiant le moyen soulevé d'inopérant. Rappelons que l'obligation principale du preneur à bail est une obligation de payer le loyer et que dès lors les conditions de la force majeure doivent s'apprécier sous cet angle. La Cour d'appel de Grenoble considère que le locataire n'ayant pas justifié de difficultés de trésorerie rendant impossible l'exécution de son obligation de payer les loyers, la force majeure ne peut être retenue.

  • la combinaison de l'obligation de délivrance et de l'exception d'inexécution.

Pour mémoire, l'article 1719 du Code civil fait peser sur le bailleur une obligation de délivrance des locaux qu'il loue, qui s'entend de la délivrance d'une chose louée conforme à sa destination contractuelle, c'est-à-dire permettant d'exercer l'activité mentionnée dans le bail. Cette obligation est absolue et relève de l'essence même du contrat de bail. Suite au premier confinement, certains locataires ont considéré que les mesures de fermeture obligatoire ordonnées par le Gouvernement mettaient leur bailleur en défaut de leur obligation de délivrance (et que le caractère extérieur au bailleur de l'interdiction était inopérant). Par voie de conséquence, sur le fondement de l'exception d'inexécution, ils avaient refusé de payer les loyers relatifs à la période de fermeture obligatoire.

Le Tribunal de Paris a jugé que le contexte sanitaire ne saurait, en lui-même, générer un manquement par le bailleur à son obligation de délivrance, de telles circonstances ne lui étant pas imputables. Il a néanmoins ajouté que l'exception d'inexécution doit être étudiée à la lumière de l'obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d'exécution de leur contrat en présence des circonstances sanitaires actuelles.

Pour sa part, la Cour d'appel de Grenoble a, dans le cas d'espèce qui lui était présenté, refusé de considérer que le propriétaire de locaux situés dans une résidence de tourisme était en défaut de son obligation de délivrance alors qu'une interdiction d'accueil au public avait été ordonnée par décret. En effet, le texte prévoyant une dérogation concernant les personnes y élisant domicile, elle reproche au preneur de n'avoir pas démontré que son activité avait été interdite. En faisant de la sorte, la Cour a fortement restreint le champ d'application de cette théorie (sans néanmoins l'exclure totalement).

À n'en pas douter, la question fera l'objet de nombreuses jurisprudences dans les mois et les années à venir.