La Cour suprême du Canada rejette la renonciation au recours délictuel comme cause d'action

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13 août 2020

La Cour suprême du Canada a rejeté catégoriquement la doctrine de la renonciation au recours délictuel comme cause d'action et comme réparation fondée sur les gains réalisés dans l'affaire Société des loteries de l'Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19[1]. Cette décision aura un impact direct et significatif sur les recours collectifs, car elle met fin à la capacité des demandeurs de faire autoriser des demandes qui, sans la renonciation au recours délictuel, ne pourraient obtenir d'autorisation.



Contexte

L'affaire Sociétés des loteries de l'Atlantique est un appel d'une décision de la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador. Cette dernière avait maintenu la décision du tribunal d'autoriser le recours et avait rejeté la demande des défendeurs visant à faire radier la cause des demandeurs au motif qu'elle ne comportait pas de cause d'action raisonnable. Dans cette affaire, les demandeurs alléguaient que les appareils de loterie vidéo dont les licences sont accordées par la Société des loteries de l'Atlantique étaient dangereux et trompeurs, et ils cherchaient à obtenir réparation fondée sur les gains réalisés par cette dernière en invoquant l'enrichissement sans cause et la renonciation au recours délictuel.

La renonciation au recours délictuel comme réparation fondée sur les gains réalisés à titre de moyen de « restitution »

La Cour suprême a conclu que les demandeurs n'avaient pas satisfait aux critères d'autorisation, car ils n'avaient pas établi une cause d'action qui aurait une chance raisonnable d'être accueillie au procès. En particulier, la Cour a jugé que la renonciation au recours délictuel ne constitue pas une cause d'action valide[2].

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour suprême a examiné la jurisprudence et les études antérieures, notamment un article de 2015 rédigé par les avocats de Gowling WLG, Sandra Barton, Mark Hines et Shawn Therien[3], dans lequel les auteurs soutiennent que la renonciation au recours délictuel ne devrait pas être reconnue comme une cause d'action indépendante ou comme une réparation. Les auteurs exhortaient les tribunaux à abandonner complètement le terme « renonciation à un recours délictuel » et à se concentrer plutôt sur la définition des circonstances dans lesquelles la restitution (ou autres réparations fondées sur les gains réalisés) pourrait être accordée à un demandeur. Barton et al. ont fait valoir qu'autoriser des recours collectifs fondés sur la renonciation à un recours délictuel n'a guère de sens, surtout dans l'ère suivant l'affaire Hryniak dans le cadre de laquelle la Cour avait envoyé le message clair que les procédures civiles inefficaces et inutilement complexes n'étaient désormais plus acceptables[4].

La Cour a donné son accord et conclu que l'expression « renonciation à un recours délictuel » devrait être abandonnée en tant que cause d'action indépendante et ne devrait pas être utilisée pour décrire une mesure de réparation[5]. La Cour a aussi confirmé que bien que la restitution puisse être accordée à titre de réparation, elle ne constitue pas en elle-même une cause d'action indépendante, mais peut plutôt n'être accordée que « dans certaines circonstances lorsque le demandeur satisfait à tous les éléments constitutifs d'une ou de plusieurs causes d'action différentes (plus précisément, la violation d'une obligation en responsabilité délictuelle ou contractuelle ou en equity) »[6].

La Cour a également jugé qu'en ce qui concerne les réclamations pour rupture de contrat, la restitution n'est possible que dans des circonstances exceptionnelles où les autres réparations sont inadéquates, et les circonstances elles-mêmes justifient une telle réparation. Puisque la restitution n'exige que le défendeur ait obtenu un avantage (sans qu'il ne soit nécessaire de prouver que le demandeur a subi un appauvrissement), la Cour a fait valoir qu'un demandeur doit « établir si le demandeur avait un intérêt légitime à empêcher le défendeur d'exercer ses activités lucratives »[7].

Les répercussions du dossier Société des loteries de l'Atlantique

La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Société des loteries de l'Atlantique aura de vastes répercussions sur les recours collectifs au Canada. En effet, les demandeurs ne peuvent plus obtenir d'autorisation pour un recours collectif fondé sur la renonciation à un recours délictuel. En confirmant que la renonciation à un recours délictuel n'est pas une cause d'action reconnue, la Cour suprême du Canada a pris une mesure significative pour garantir que seules les demandes qui révèlent une cause d'action valable et qui sont bien adaptées à un recours collectif obtiendront une autorisation.

[1] Société des loteries de l'Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, paragr. 23 et 28 (l'opinion majoritaire du juge Brown) et paragr.107 (l'opinion dissidente de la juge Karakatsanis).

[2] Id., paragr. 15 et 27.

[3] Voir S. Barton, M. Hines, et S. Therien, « Neither Cause of Action nor Remedy: Doing Away with Waiver of Tort », dans TL Archibald and RS Echlin, ed., Annual Review of Civil Litigation, 2015 (2015).

[4] Société des loteries de l'Atlantique, supra, paragr. 17.

[5] Id., paragr. 23.

[6] Id. , paragr. 25.

[7] Id., paragr. 53.


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