Combien valent les troubles de voisinage?

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01 septembre 2020

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La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Barrette c. Ciment St‑Laurent[1] a tranché entre les deux courants de jurisprudence en matière de troubles de voisinage en vertu de l'article 976 du Code civil du Québec (C.c.Q.) et est devenue la décision de principe en cette matière.

L'article 976 C.c.Q. édicte :

«976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

On peut dire que l'article 976 C.c.Q codifie un « droit » d'incommoder son voisin dans la mesure où ce trouble ne dépasse pas ce qui est « normal ». Ainsi, en matière de troubles de voisinage, l'enjeu se situe dans la détermination de ce qui constitue la normalité, sans égard à la preuve d'une faute extracontractuelle.



Qu'est-ce qu'un trouble anormal?

Afin de déterminer si un trouble est anormal, ce trouble doit être grave et récurrent.

  • On entend par « grave » un trouble réel et sérieux, qui dépasse la simple privation d'un avantage. La gravité du trouble s'apprécie avec d'autres facteurs tels que la situation[2] et la nature[3] des fonds, les usages locaux et le moment[4] auquel le trouble se manifeste.
  • On entend par « récurrent » un trouble qui est répété sur une certaine période de temps[5].

Qui peut réclamer des dommages?  Et envers qui?

La réclamation pour troubles de voisinage n'est pas seulement réservée au propriétaire de l'immeuble; un locataire, résident ou autre occupant d'une propriété peut également se plaindre d'un trouble. Également, le recours n'est pas seulement ouvert aux voisins immédiats; toutes personnes dans le voisinage affectées par le trouble ont un recours.

Inversement, un recours pour troubles de voisinage peut être dirigé vers le propriétaire, le locataire ou l'occupant d'une propriété. Ainsi, il est possible de poursuivre à la fois l'auteur du trouble, tel qu'un locataire, et le propriétaire de l'immeuble, pour son défaut de s'assurer que son locataire ne nuit pas aux voisins. Dans certains cas répertoriés, des autorités gouvernementales, tels que des municipalités, ont également été poursuivies lorsque le trouble était spécifiquement proscrit par la réglementation.

Quels types de dommages peuvent être réclamés?

Outre un recours en injonction afin de faire cesser un trouble, un réclamant peut réclamer des dommages pour préjudice matériels[6], corporels, moraux et dans certains cas, on pourrait même réclamer des dommages punitifs[7] en cas de faute intentionnelle.

Bien évidemment, la détermination de la valeur de ces dommages dépend des circonstances au dossier. Les dommages matériels étant habituellement les plus faciles à quantifier, car ils sont habituellement étayés par la production de factures ou soumission, qu'en est-il des dommages moraux, c'est-à-dire, les dommages pour troubles, perte de jouissance, ennuis et inconvénients, alors même que nous savons que ces troubles sont graves et récurrents?

Combien valent les dommages moraux en matière de troubles de voisinage?

Si certains réclamants pensent pouvoir toucher le gros lot s'ils font une réclamation pour un trouble de voisinage anormal qu'ils se détrompent.

En effet, la jurisprudence québécoise en cette matière est conservatrice. La fourchette d'indemnisation se situe entre 1 000 $ et 25 000 $, mais habituellement entre 1 000$ et 5 000$. De plus, nous avons constaté que les dommages moraux octroyés sont généralement dans la partie supérieure de la fourchette lorsque la défenderesse a commis une faute extracontractuelle, notamment par une conduite malicieuse et de mauvaise foi.

Par exemple, un couple Montréalais s'est vu octroyer une somme de 2 500$ par personne pour avoir été privé de la jouissance de certaines pièces de sa résidence (en raison de la très basse température ambiante et de la présence de glace sur les murs l'hiver), ainsi que de leur cour arrière et de leur piscine tout un été (en raison du bruit et de la poussière excessive) provoqués par les travaux de rénovation et d'agrandissement de son voisin).

De plus, certains réclamants croient de manière erronée qu'ils peuvent réclamer des dommages pour les troubles causés par le recours judiciaire tel que le temps consacré à la préparation du litige. Or, ce n'est qu'en cas d'abus de procédures judiciaires qu'un réclamant peut réclamer de tels dommages.

Toutefois, il est vrai que la facture peut devenir « salée » pour une entreprise lorsqu'on additionne les réclamants (notamment dans le cadre d'un recours collectif) et qu'on ajoute les autres types de dommages, tels que les dommages matériels.

Comme toutes relations sociales, le dialogue peut éviter des recours judiciaires longs et coûteux, encore faut-il que toutes les parties concernées soient informées et réalistes dans leurs ententes.

Si vous avez des questions en matière de troubles de voisinage, n'hésitez pas à contacter l'auteure à l'adresse suzie.lanthier@gowlingwlg.com.


[1] 2008 CSC 64.

[2] Par exemple, le type de quartier, le zonage, la proximité d'une autoroute ou d'une forêt.

[3] La nature des fonds inclut la composition (par exemple, la taille des terrains et le contenu) ainsi que sa destination (par exemple, s'il s'agit d'une résidence ou d'un restaurant).

[4] Selon le moment de la journée, de la semaine ou de l'année.

[5] Par exemple, le bruit incommodant d'un camion d'une usine de transformation de bois, quelques fois par mois pour un total de 36 fois par année n'est pas anormal (Sirois c. Rosario Poirier inc., 2009 QCCQ 1303)

[6] Les dommages matériels sont généralement facilement déterminables puisqu'ils sont habituellement appuyés de pièces justificatives, telles que des factures. Certains dommages matériels, tel que la perte de valeur d'un bien affecté par le trouble sont cependant plus difficiles à déterminer. Dans ces cas, un rapport d'expertise devra établir la valeur de la perte; mais le tribunal devra déterminer si la perte de la valeur du bien est liée au trouble allégué.

[7] Le droit au respect à la vie privée est un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. La détermination des dommages punitifs dépend des circonstances, de la gravité de la faute et de la situation financière du fautif conformément à l'article 1621 C.c.Q.


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