Qui détient le droit d'auteur d'un tatouage? Attention avant d'exhiber des tatouages dans des films, photographies et jeux vidéo

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14 janvier 2020

Il va sans dire qu'une personne arborant un tatouage entretient un lien on ne peut plus personnel avec ce dessin à l'encre indélébile inscrit sur sa peau. Dans certains cas, le tatouage en vient à faire partie intégrante de son image et de sa personnalité. Pourtant, de nombreuses personnes tatouées seront surprises d'apprendre qu'il se peut que le droit d'auteur sur le tatouage fixé à jamais sur leur peau ne leur appartienne pas.



Alors que les tatouages sont maintenant très répandus, on demande aux tribunaux de déterminer si le droit d'auteur subsiste quant à ces derniers et, le cas échéant, qui peut le revendiquer. Ces décisions pourraient avoir de lourdes conséquences pour les personnes tatouées qui cherchent à exploiter et à monétiser leur propre image. De célèbres artistes-interprètes, athlètes professionnels et stars du cinéma ont eu à défendre l'utilisation à titre promotionnel de leurs propres tatouages, et dans certains cas, leur propre utilisation de tatouages créés par d'autres.

Par exemple, Cardi B est actuellement poursuivie pour l'utilisation de la photographie d'une personne tatouée sur la couverture de son album. Autre exemple, en 2011, l'artiste qui a créé le célèbre tatouage facial de Mike Tyson a poursuivi les créateurs du film The Hangover Part II pour la reproduction de ce tatouage sur le visage de l'acteur Ed Helms dans le film. L'affaire s'est réglée à l'amiable. Et en 2005, l'artiste qui a conçu et réalisé les fameux tatouages de David Beckham a menacé de poursuivre ce dernier en apprenant qu'il planifiait les exhiber dans le cadre d'une campagne publicitaire sans sa permission.

Ces questions ont également été soulevées dans le contexte des sports électroniques dont bon nombre de jeux populaires comportent la représentation d'avatars hyperréalistes qui s'inspirent parfois de personnes réelles, y compris de leurs tatouages. Les jeux vidéo qui mettent en scène des sports réels profitent souvent de la popularité d'athlètes réputés, dont plusieurs arborent des tatouages. Les développeurs de jeux vidéo songeant à reproduire des tatouages existants dans leurs animations devraient donc se poser la question de savoir qui sont les titulaires du droit d'auteur sur ces tatouages.

En 2009, la question du droit d'auteur sur un tatouage a été portée devant la Cour d'appel de Belgique. Dans sa décision, la Cour a décidé que bien que le tatoueur soit effectivement le titulaire du droit d'auteur sur le dessin du tatouage, son droit était limité par les droits de la personnalité de la personne tatouée. En effet, la Cour a tranché que le tatoueur ne pouvait empêcher la personne arborant le tatouage d'être photographiée ou d'autrement afficher son tatouage[1]. Le droit de toute personne à l'autodétermination se substitue à tout droit d'auteur que l'artiste peut détenir sur son œuvre artistique.

La question n'a jamais été soulevée au Canada, et même si les tribunaux canadiens peuvent juger utiles les décisions étrangères, la valeur persuasive de cette affaire peut se trouver quelque peu limitée en raison des différences significatives qui existent entre la loi belge et la loi canadienne. À titre d'exemple, on trouve dans la loi sur le droit d'auteur belge un droit à la vie privée limité qui comprend le droit de contrôler sa propre image, lequel droit est inexistant dans la Loi sur le droit d'auteur canadienne.

Au Canada, la Loi sur le droit d'auteur stipule que le titulaire du droit d'auteur « possède le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'œuvre, sous une forme matérielle quelconque » (entre autres droits)[2]. Cela signifie que si un tatoueur est titulaire du droit d'auteur sur un tatouage, il est interdit de le reproduire sans sa permission.

La Loi sur le droit d'auteur protège les œuvres artistiques originales, y compris les peintures, les dessins, les gravures, et les œuvres artistiques dues à des artisans et autres[3]. Il n'y a aucune restriction quant au médium sur lequel l'œuvre est imprimée. Quant aux œuvres réalisées au moyen d'un médium visuel, on pourrait aisément classer les tatouages comme des « œuvres artistiques », pouvant bénéficier d'une protection aux termes de la Loi sur le droit d'auteur[4]. Les tatoueurs de talent sont très prisés pour leurs compétences artistiques particulières, et ce, tant au Canada, qu'ailleurs dans le monde.

Un artiste détient également des droits moraux sur son œuvre, dont le droit à l'intégrité de son œuvre et d'en revendiquer la création à titre d'auteur[5]. Les droits moraux d'un artiste sont violés lorsque son honneur ou sa réputation est entaché par la distorsion ou la modification de son œuvre ou par l'utilisation de celle-ci en association avec un produit, service, cause ou institution[6].

La question des droits moraux de l'artiste pourrait être un motif de litiges futurs si les tatoueurs sont reconnus comme étant les titulaires du droit d'auteur sur leurs tatouages. Ainsi, des droits moraux pourraient être revendiqués dans le cas où une personne arborant un tatouage très visible participe à une campagne publicitaire pour le compte d'une organisation peu recommandable ou discriminatoire. L'artiste pourrait revendiquer des droits moraux pour intenter une poursuite visant à empêcher l'utilisation du tatouage sur du matériel promotionnel. Ces questions sont particulièrement pertinentes au Canada, où la cession de droits moraux est impossible, et où seule la renonciation est permise[7].

En Belgique, la Cour d'appel a établi une distinction entre le dessin du tatouage dans l'abstraction et le tatouage physique appliqué sur le corps d'une personne, jugeant qu'une fois le dessin fixé sur la peau, l'artiste ne détient plus de droits moraux sur l'œuvre. Toute personne arborant un tatouage devrait avoir le droit de l'effacer ou de le modifier sans la permission de l'artiste[8]. Il reste à voir si un tribunal canadien tirerait la même conclusion.

La Loi sur le droit d'auteur stipule que le premier titulaire du droit d'auteur est l'auteur de l'œuvre, mis à part quelques exceptions[9]. Même si le tatoueur est un candidat évident pour le titre d'« auteur de l'œuvre », il reste que de nombreux tatouages sont le produit d'un processus créatif collaboratif entre le tatoueur et la personne qui arbore le tatouage. Lorsque cette dernière (ou une autre personne) exerce son talent et son jugement dans la création d'une œuvre, le tatouage peut s'avérer une œuvre de paternité conjointe, où les deux parties sont alors originellement cotitulaires du droit d'auteur[10].

De plus, il existe des raisons de principe claires pour s'opposer à l'idée d'application du droit d'auteur en ce qui a trait à une œuvre fixée en permanence sur le corps d'un être humain. Ces considérations pourraient inciter une cour canadienne à conclure que même si un tatoueur détient le droit d'auteur sur ses tatouages, il est aussi possible de déduire qu'une licence implicite a été octroyée à la personne tatouée, lui donnant ainsi le droit d'exploiter son propre corps, y compris tout ce qui y est incrusté en permanence. Quant aux restrictions qu'une telle licence implicite hypothétique pourrait comporter, ce serait aux tribunaux de les déterminer.

Même si ces dossiers soulèvent d'intéressantes questions juridiques, en pratique, la propriété du droit d'auteur relativement à des tatouages ne sera probablement mise en cause que dans les dossiers où l'image ou la ressemblance des personnes tatouées sont des actifs de valeur et monétisables, comme c'est le cas pour des célébrités et des influenceurs. Si vous êtes l'une de ces personnes, il vaudrait la peine de consulter un conseiller juridique pour vous protéger de réclamations de droit d'auteur potentielles.


[1] JDH c. JM, (2009) 2007/AR/912 (Juridat) au para. 9 (Ghent CA).

[2] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3.

[3] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2.

[4] DRG Inc c. Datafile Ltd (1987), [1988] 2 CF 243 aux para. 15, 18 CPR (3e) 538.

[5] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 14.1.

[6] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 28.2(1). Voir aussi Thomson c. Afterlife Network Inc., 2019 CF 545 aux para. 39-48.

[7] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 14.1(2).

[8] JDH c. JM, (2009) 2007/AR/912 (Juridat) au para. 10 (Ghent CA).

[9] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 13(1).

[10] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2.


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