De récentes décisions de la CAB du Canada suggèrent d'élargir la portée des revendications d'« utilisation »

26 mai 2021

Résumé

Par le passé, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) s'est opposé à certaines formes de revendications d'« utilisation » thérapeutique au motif qu'il s'agit en fait de revendications liées aux méthodes de traitement et, par conséquent, d'un objet non admissible. Dans deux décisions récentes, la Commission d'appel des brevets (CAB) s'est prononcée en faveur des demandeurs, élargissant ainsi la portée des revendications d'« utilisation » disponibles au Canada et portant sur la posologie.



Dans la décision du commissaire nº 1555,[1] la CAB a conclu que l'énonciation de l'utilisation d'une posologie dont les doses sont fondées sur l'aire corporelle du patient ne constitue pas une revendication d'une méthode de traitement.

Dans la décision du commissaire nº 1561,[2] la CAB a déterminé que le fait de revendiquer l'utilisation d'une posologie dont la dose est indiquée en unités basées sur le poids du patient ne transforme pas, par le fait même, l'objet visé par la revendication en une méthode de traitement médical. De même, la CAB a conclu que l'énonciation de la durée indéterminée d'un traitement ne convertissait pas, par le fait même, la revendication d'« utilisation » en une revendication de méthode de traitement.

Contexte

Déjà, en 2016, l'OPIC accueillait fréquemment des revendications d'« utilisation » médicale énonçant diverses formes de schémas posologiques. À titre d'exemple, la revendication nº 1 présentée dans le brevet canadien nº 2 443 555, délivré le 19 juillet 2016, se lit comme suit :

1. Use of a recombinant N-acetylgalactosamine-4-sulfatase to prepare a medicament in a parenteral-infusion administrable form, at a dose of at least 1 mg/kg up to 2 mg/kg or at least 50 units/kg up to 100 units/kg weekly to a human subject with a disease caused all or in part by a deficiency in N-acetylgalactosamine-4-sulfatase activity, wherein the medicament is for use over a period of between about 2 to 4 hours.

Toutefois, devant une jurisprudence difficile sur la question, l'OPIC a changé de cap et a adopté une pratique consistant à s'opposer aux revendications d'« utilisation » qui énonçaient pratiquement n'importe quel degré de variabilité dans un régime posologique, sur la base du fait que l'adoption d'une posologie particulière à partir de la gamme de possibilités revendiquée exigeait l'exercice des compétences professionnelles d'un professionnel de la santé, englobant ainsi des méthodes de traitement non admissibles au brevet. Cette approche a été reflétée dans un avis sur les brevets publié par l'OPIC en 2015.[3]

En 2020, en réaction à la jurisprudence remettant en question l'approche de l'OPIC quant à l'admissibilité de l'objet revendiqué[4], l'OPIC a publié un énoncé de pratique[5] mis à jour stipulant qu'une gamme de dosages ou un régime posologique ne requiert pas forcément les compétences professionnelles d'un professionnel de la santé :

« Il est à noter que dans les cas où au moins un des éléments essentiels de l'invention limite l'utilisation revendiquée à une dose, à une gamme de doses potentielles qu'un patient peut recevoir et/ou à une posologie, qu'il s'agisse de doses fixes et/ou couvrant une gamme, ce fait en soi n'est pas déterminant quant à savoir si la revendication vise un objet brevetable. Il est également nécessaire de considérer si l'exercice des compétences professionnelles et du jugement d'un professionnel de la santé fait partie d'une invention réelle. Par exemple, une compétence et un jugement professionnels peuvent être en cause si un professionnel de la santé doit surveiller le traitement ou y apporter des ajustements, ou choisir une dose d'une gamme revendiquée (c.-à-d., dans les cas où toutes les doses de la gamme ne fonctionneront pas pour tous les sujets du groupe traité). Dans de tels cas, l'objet défini par la revendication engloberait une méthode de traitement médical et ne serait pas un objet brevetable. »

L'énoncé de pratique de 2020 a donc admis la perspective de revendiquer, dans certaines circonstances, des régimes posologiques qui énoncent une gamme posologique. L'énoncé de pratique de 2020 n'offre aucun commentaire sur les régimes posologiques qui précisent la dose en unités selon les caractéristiques du patient.

Recent PAB decisions

Dans la DC nº 1561, datée du 17 mars 2021, la demande de brevet étudiée par la CAB comprenait des revendications visant l'utilisation d'un anticorps administré selon une série de doses précises, énoncé dans la revendication 1 comme suit : « est destiné à être utilisé dans des formules posologiques comprenant une dose initiale de 8 mg/kg; et une pluralité de doses ultérieures dans une quantité qui est de 6 mg/kg, dans laquelle les doses sont séparées dans le temps les unes des autres de trois semaines ».

Dans l'avis de décision finale, résumé dans la décision de la CAB, la demande avait été refusée au motif que le dosage énoncé exigerait l'exercice des compétences et du jugement d'un médecin pour un certain nombre de points :

« Premièrement, la description indique que la détermination de la dose appropriée est laissée à la discrétion du médecin et dépend de facteurs propres au patient, tels que la gravité et l'évolution de la maladie, ainsi que les antécédents cliniques et thérapeutiques du patient. Deuxièmement, un médecin doit exercer ses compétences et son jugement pour déterminer combien de doses ultérieures doivent être utilisées. Troisièmement, le dosage n'est pas fixe, car il est basé sur le poids du patient, qui est variable, et devrait être calculé pour mettre en pratique l'invention revendiquée. » [6]

La CAB a évalué chacun de ces trois points et a conclu qu'aucun d'eux ne pouvait être confirmé. Pour le premier point, la CAB convient qu'il serait inapproprié de prendre en considération et d'appliquer les énoncés qui, dans la description, se rapportent à une invention différente de la revendication examinée (c'est-à-dire la description de la méthode de traitement). En ce qui a trait au deuxième point, la CAB a indiqué que la décision d'arrêter le traitement était en dehors de la portée des revendications et que les revendications n'exigeaient pas l'exercice des compétences et du jugement afin de déterminer le nombre de doses subséquentes à utiliser. Enfin, quant au troisième point, la CAB a convenu que le poids d'un patient n'invoque pas une exigence d'expertise professionnelle et que l'expression d'une dose en mg/kg ne suffit pas, à elle seule, pour déterminer que l'exercice des compétences et d'un jugement est requis, parce que, dans la pratique, la dose devrait être calculée pour un patient sur la base de son poids.

La CAB a justifié sa décision comme suit :

« Il n'existe aucune preuve contredisant le fait que les doses mentionnées dans ces revendications sont fixées à 8 mg/kg et 6 mg/kg, ou que le médecin devrait apporter des ajustements ou choisir une dose différente. De même, rien dans le dossier n'indique que des changements de poids du patient seraient attendus ou qu'une surveillance de quelque nature que ce soit, y compris la surveillance du poids du patient, serait nécessaire. Sur la base du dossier tel qu'il se présente, nous sommes d'avis que les doses sont fixes et que le calcul pour convertir chaque dose de mg/kg en une dose spécifique basée sur le poids du patient n'exige pas l'exercice des compétences professionnelles et du jugement d'un professionnel de la santé. » [7]

La DC nº 1561 est fidèle à la DC nº 1555 précédente, datée du 6 janvier 2021. Cette dernière a examiné les revendications qui énonçaient une utilisation thérapeutique pour laquelle un anticorps devant être administré « pendant au moins 1 semaine en une dose quotidienne de 10 μg à 80 μg par mètre carré d'aire corporelle du patient et dans lequel la dose quotidienne est pour administration sur au moins 6 h ». En reconnaissant l'admissibilité de l'objet revendiqué, la CAB a conclu ce qui suit :

« La preuve en l'espèce indique que toute dose dans l'intervalle revendiqué serait appropriée pour tous ceux à qui elle est administrée, et que la simple conversion à une dose précise déterminée par l'aire corporelle d'un patient n'exige pas l'exercice de compétences et d'un jugement. […] [et] il n'y a aucune preuve qu'un médecin doit exercer ses compétences et son jugement pour déterminer l'aire corporelle d'un patient. Par conséquent, selon notre avis préliminaire, la personne versée dans l'art considérerait qu'aucune compétence ni aucun jugement n'est nécessaire pour calculer la dose quotidienne à administrer en fonction de la posologie et de l'aire corporelle du patient. »[8]

Conclusion

Les DC nº 1555 et nº 1561 sont des avancées prometteuses, car elles annoncent un retour à la disponibilité d'au moins quelques revendications d'« utilisation » qui énoncent le régime posologique d'un patient donné.

 

[1] Amgen Research (Munich) GmbH (Re), 2021 CACB 2 (« DC nº 1555 »).

[2] Genentech, Inc. (Re), 2021 CACB 8 (« DC nº 1561 »).

[3] Pratique d'examen révisée concernant les utilisations médicales – PN 2015-01.

[4] Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837.

[5] « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets ».

[6] DC nº 1561, supra, par. 27.

[7] DC nº 1561, supra, par. 37.

[8] DC nº 1555, supra, par. 29.


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