Une décision de la cour qui a du piquant pour le secteur agro-alimentaire

6 minutes de lecture
18 mars 2021

Cet article, publié dans la revue Food in Canada, est reproduit ici avec l'autorisation de l'éditeur.

En 2008, une éclosion de listeria touchant les viandes froides produites dans une usine des Aliments Maple Leaf à Toronto, en Ontario, a donné lieu à 57 cas d'empoisonnement alimentaire confirmés et coûté la vie à 22 personnes. Cette éclosion d'une maladie d'origine alimentaire est la plus meurtrière de l'histoire du Canada. On affirme que le rappel aurait coûté 20 M$ à la société. Un recours collectif intenté par les consommateurs concernés et leurs familles a été réglé rapidement par Maple Leaf et sa société d'assurance. Mais l'affaire ne s'est pas arrêtée là. Maple Leaf ayant fermé son usine pendant plusieurs semaines afin de procéder à une décontamination complète, les revendeurs et les distributeurs n'ont pu compter sur leur approvisionnement habituel. Les exploitants de 424 franchises Mr. Sub ont alors poursuivi Maple Leaf pour perte financière et atteinte à la réputation. En novembre 2020, la Cour suprême du Canada, dans une décision partagée à cinq contre quatre, a rejeté l'affaire contre Maple Leaf, ce qui a entraîné d'importantes répercussions pour les sociétés alimentaires canadiennes.



Une grande partie du raisonnement de l'affaire étant assez technique, en voici un résumé. La question devant la Cour se résumait à savoir si Maple Leaf avait une obligation de diligence envers les franchisés, une étape nécessaire pour établir si les franchisés ont le droit de réclamer une indemnisation en vertu du délit de négligence. La Cour a jugé que Maple Leaf n'avait pas cette obligation, surtout pour la protection d'un intérêt purement économique.

Un devoir de diligence doit établir avant tout ce que la loi appelle un lien de proximité. La Cour a jugé que les exploitants des franchises Mr. Sub n'avaient pas réussi à établir le caractère étroit et direct requis entre les parties. (On peut ici constater toute l'ampleur du pouvoir discrétionnaire exercé par l'appelante.) La Cour a plutôt déterminé que le lien de proximité, établi par la responsabilité et l'engagement de fournir de la viande propre à la consommation humaine, et le droit de recevoir un approvisionnement en produits sûrs étaient entre Maple Leaf et les consommateurs, et non les franchisés. La Cour a renforcé la nécessité du lien de proximité pour établir l'obligation de diligence.

Un facteur clé dans la décision de la Cour était le fait que les franchisés auraient pu se protéger par droit contractuel. Il existait des ententes multipartites, mais celles-ci ne traitaient pas spécifiquement de la responsabilité pour perte économique en cas de défaut d'approvisionnement des produits. La Cour était réticente à imposer une obligation de diligence dans des circonstances où les parties auraient pu se protéger de manière contractuelle.

La décision rendue dans l'affaire 1688782 Ontario Inc. c. Aliments Maple Leaf Inc., 2020 CSC 35, comporte des leçons importantes pour les sociétés alimentaires canadiennes.

  1. Examiner les contrats de garantie d'approvisionnement : Le plus âgé des auteurs se souvient avoir été très surpris, il y a 20 ans, d'apprendre que de nombreuses grandes sociétés alimentaires canadiennes n'avaient même pas conclu ce type de contrat. Elles avaient des accords tacites ou de simples ententes d'achat, mais n'avaient pas conclu de contrats officiels clarifiant les droits et les responsabilités, par exemple dans le cas d'un rappel. Une société ne s'était même pas rendu compte que n'importe lequel des 22 ingrédients composant son produit principal pouvait entraîner un rappel massif et des conséquences économiques importantes. Quant aux fournisseurs, ils doivent aussi faire preuve de prudence : un fabricant pourrait insister sur le fait qu'un fournisseur s'engage à compenser toute perte résultant d'un rappel volontaire, et cette indemnisation pourrait dépasser, et de loin, la valeur de la vente.
  2. Revoir la couverture d'assurance : Au fil des ans, plusieurs de nos clients ont été surpris par le libellé de leurs polices. Dans un cas, une demande d'indemnisation pour des pertes liées à un important rappel a été refusée parce que le client n'avait pas tout à fait respecté les bonnes pratiques de fabrication (BPF) comme l'exigeait la police, même si la négligence d'une autre partie était la cause principale de la contamination du produit.
  3. Examiner les pratiques en matière d'approvisionnement : De nombreux contrats de garantie d'approvisionnement s'appuient sur des audits pour assurer le respect du contrat. Cependant, les audits sont notoirement peu fiables, en particulier si le produit ou l'ingrédient provient de l'extérieur du Canada. Un fournisseur peut respecter toutes les BPF le mardi où l'auditeur est présent, mais pas le mercredi après son départ. Certaines sociétés ont appris cette leçon à la dure et s'approvisionnent désormais auprès de fournisseurs nationaux, même s'il est moins cher d'obtenir l'ingrédient à l'étranger.
  4. Les sociétés alimentaires doivent s'attendre à ne pas être en mesure de récupérer certaines des pertes économiques découlant de rappels par les fabricants, à moins qu'elles ne soient protégées par un contrat. Une action en négligence contre un fabricant en raison de pertes économiques non liées à une blessure physique ou mentale, ou à des dommages physiques à la propriété (c'est-à-dire purement économiques), est rarement récompensée par les tribunaux, car ces derniers n'acceptent pas que les fabricants aient un large devoir de diligence envers les distributeurs.

Bien entendu, nous ne donnons pas de conseils juridiques dans ce texte. Toutefois, nous recommandons aux sociétés alimentaires canadiennes d'examiner l'affaire présentée ci-dessus avec leur conseiller juridique.


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.

Sujet(s) similaire(s)   Aliments et boissons, Franchises