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Fin de la période de transition : Focus sur les principales conséquences fiscales du Brexit en France
Le Royaume Uni est officiellement sorti de l'UE et de l'EEE le 1er février 2020 mais il aura fallu 11 mois de négociations pour parvenir à un accord sur les conditions d'une nouvelle zone de "libre échange". L'accord signé le 24 décembre 2020, qui devait être ratifié le 31 décembre 2020[1], évite le scénario catastrophe d'un "no deal" et préserve de nombreux secteurs (industrie, agroalimentaire, automobile, bâtiment, etc) de l'application des droits de douane.
Il ne contient cependant aucune disposition spécifique en matière fiscale (à l'exception de dispositions à destination de l'Irlande du Nord en matière de TVA, mais qui résultent d'un accord distinct conclu entre l'Irlande du Nord et l'UE).
Les conséquences du Brexit en matière de fiscalité sont pourtant nombreuses.
1. Conséquences pour les personnes morales
Conformément à l'accord du 12 novembre 2019 (Accord 2019/C 384 1/01) conclue entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni, la France a prévu une période de transition se terminant au 31 décembre 2020 ou à la clôture de l'exercice en cours à cette date (la "Période de Transition"), pendant laquelle les effets du Brexit sont suspendus.
En d'autres termes, jusqu'à la fin de la Période de Transition, les sociétés britanniques sont réputées ne pas avoir quitté l'UE. Les effets du Brexit sont donc attendus sur l'année 2021.
Intégration fiscale
A compter du 1er janvier 2021 (ou de l'ouverture de l'exercice suivant celui en cours au 31 décembre 2020), à défaut de reclassement de leurs titres sous une société éligible (i.e. une société française ou résidente de l'UE/EEE) avant la fin de la période de transition, (i) les filiales françaises détenues via une société intermédiaire résidente du UK (intégration dite "papillon") sortent du périmètre d'intégration fiscale, et (ii) les groupes horizontaux dont l'entité mère non-résidente est établie au UK ne sont plus éligibles au régime d'intégration fiscale.
Retenue à la source sur les dividendes de source française
Jusqu'au terme de la période de transition, les dividendes versés par une société française à sa société mère britannique sont dispensés de retenue à la source, sous réserve, notamment, que la participation de la seconde dans la première soit au moins égale à 5% (directive européenne "mère-fille" transposée à l'article 119 ter du CGI).
A compter du 1er janvier 2021 (ou de l'ouverture de l'exercice suivant celui en cours au 31 décembre 2020), la directive "mère-fille" cessera d'être applicable. A ce jour, cependant, la convention fiscale entre la France et le Royaume-Uni prévoit une exonération de retenue à la source sur les dividendes versés à des sociétés détenant au moins 10% du capital de la société distributrice, qui neutralise les effets du Brexit dans la plupart des scenarios. Seuls les dividendes afférents à des participations comprises entre 5% et 10% seront soumis à la retenue à la source de 15% prévue par la convention fiscale (alors qu'ils étaient auparavant exonérés en application de la directive mère-fille).
Imposition en France des dividendes de source britannique
Les dividendes reçus d'une société établie dans l'UE ou dans l'EEE sont exonérés d'impôt sur les sociétés à hauteur de 99% de leur montant dès lors que la filiale remplit toutes les conditions pour être intégrée fiscalement si elle avait été française (en particulier, elle doit être soumise à l'IS et détenue à 95% au moins par la société mère). Par un rescrit du 6 mars 2019, l'administration fiscale française avait confirmé que cette mesure pourrait continuer à s'appliquer aux dividendes reçus de sociétés britanniques jusqu'à la fin de la Période de Transition, y compris en cas de "hard Brexit".
A compter du 1er janvier 2021 (ou de l'ouverture de l'exercice suivant celui en cours au 31 décembre 2020) en revanche, l'exonération sera réduite à 95%[2].
Retenue à la source sur les intérêts et redevances de source française
Conformément à la directive européenne "intérêts et redevances" de 2003, les intérêts et redevances versés à une société européenne sont dispensés de retenue à la source en France, dès lors que les sociétés payantes et bénéficiaires sont "liées" au sens de la Directive (i.e. l'une détient au moins 25% du capital de l'autre ou une société tierce détient au moins 25% du capital des deux sociétés).
A compter du 1er janvier 2021 (ou de l'ouverture de l'exercice suivant celui en cours au 31 décembre 2020), les intérêts et redevances versés à une société britannique ne peuvent plus bénéficier de ce texte. En pratique, les conséquences financières sont cependant limitées pour les raisons suivantes : (i) sauf exception[3], la France n'applique pas de retenue à la source sur les intérêts en droit interne et (ii) à ce jour, la convention fiscale permet aux sociétés britanniques bénéficiaires de conserver l'exonération de retenue à la source sur les royalties.
Restructurations
Du point de vue français, le Brexit n'aura pas d'impact immédiat sur les opérations de fusions ou opérations assimilées impliquant une société britannique dans la mesure ou les régimes fiscaux de faveur prévus aux articles 210 A et 210 B du CGI s'appliquent non seulement aux opérations faisant intervenir des sociétés membres de l'UE, mais également des sociétés ayant leur siège dans un Etat lié à la France par une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale.
Crédit d'Impôt Recherche (CIR)
Pour être éligibles au CIR français, les dépenses de R&D doivent être engagées par des sociétés françaises ou sous-traitées auprès de sociétés françaises ou résidentes au sein de l'UE et de l'EEE.
A compter du 1er janvier 2021, les dépenses sous-traitées au UK sont donc exclues de la base du CIR. En pratique, seules les factures émises par des organismes de recherches publics et privés localisés au Royaume-Uni jusqu'au 31 décembre 2020 seront donc prises en compte pour le calcul du CIR.
TVA – Grande Bretagne :
A compter du 1er janvier 2021, la France et la Grande Bretagne deviennent des territoires d'exportation.
Importations. Les biens acquis auprès d'un vendeur établi au UK entrent donc dans le champ de la TVA à l'importation. Dans ce nouveau cadre, la TVA doit en principe être acquittée lors de l'importation auprès des autorités douanières (et déduite sur les déclarations souscrites le mois suivant) ; l'auto-liquidation de la TVA sur les déclarations CA3 du preneur français (qui évite d'avoir à décaisser la TVA déductible) est possible, mais sur option formelle auprès de la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects et à la condition que la société respecte un certain nombre de conditions tenant notamment à sa durée d'existence, sa solvabilité, et sa bonne moralité fiscale.. L'assiette de la TVA ne sera plus constituée du prix de vente mais de la valeur en douane augmentée, notamment, des droits et taxes liés à l'importation et des frais accessoires (emballage, transport, assurance).
Un régime simplifié facultatif devrait être mis en place prochainement pour les ventes à distance en provenance de pays tiers (tels le Royaume Uni désormais) d'une valeur inférieure ou égale à 150€. Corrélativement, l'exonération de TVA sur les importations de biens inférieurs à 22€ sera supprimée.
Exportations. Les échanges de biens entre la France et le Royaume-Uni n'ont plus à faire l'objet de Déclarations d'Echanges de Biens mais doivent respecter le formalisme lié au régime douanier d'exportation (présentation des marchandises, déclaration préalable à la sortie, certificat de sortie).
Services. Le lieu d'imposition des services fournis à ou par une entreprise britannique est globalement non modifié, à l'exception des services immatériels fournis à un client non assujetti établi au UK : la TVA française ne sera applicable que si le service y est effectivement utilisé ou exploité.
Représentation. Les entreprises britanniques qui réalisent des opérations soumises à la TVA en France sans y être établie n'ont pas l'obligation d'y désigner un représentant fiscal accrédité pour acquitter la TVA. En revanche, elles devront obligatoirement désigner un représentant pour demander le remboursement d'un crédit de TVA auprès des autorités fiscales françaises (il ne sera plus possible d'utiliser le portail électronique dans leur état de résidence). Pour mémoire, ce représentant fiscal peut être (i) une société française membre du même groupe, ou (ii) une société spécialisée dans la représentation fiscale (et dont l'activité est rémunérée).
Leur dossier sera traité auprès du Service des Impôts des Entreprises Etrangères (SIEE) de la Direction des Impôts des Non-Résidents.
TVA – Irlande du Nord :
L'Irlande du Nord a signé un accord distinct avec l'UE, aux termes duquel les règles de l'Union en matière de TVA sur les biens s'appliquent comme si l'Irlande du Nord était un Etat Membre. Les opérations portant sur les services ne sont pas couvertes par cet accord.
2. Conséquences pour les personnes physiques
Contrairement aux entreprises, aucune mesure générale de transition n'a été prévue, mais des mesures particulières permettent néanmoins aux contribuables de s'organiser avant de tirer les conséquences du Brexit.
PEA :
Des mesures transitoires ont été adoptées par l'ordonnance n° 2020-1595 du 16 décembre 2020, complétée par un arrêté du 22 décembre 2020, afin de permettre aux épargnants et aux acteurs de la gestion d'actifs (i.e. organismes et fonds de placement type OPCVM, FCPR, FIP, etc.) d'anticiper les conséquences du Brexit.
Pour mémoire, les PEA sont des outils permettant aux particuliers d'investir en bourse en bénéficiant d'avantages fiscaux significatifs (exonération d'impôt sur les plus-values de cession de titres – mais pas de prélèvements sociaux – si aucun prélèvement n'est effectué sur le PEA pendant au moins 5 ans). Seuls sont éligibles, sous certaines conditions, (i) les titres émis par des sociétés ayant leur siège au sein de l'Union Européenne ou de l'Espace Economique Européen et (ii) les parts d'organismes de placements collectifs dont l'actif est constitué à au moins 75% des titres visés au (i).
Les titres britanniques souscrits ou acquis avant le 31 décembre 2020 (ou inscrits à l'actif d'un organisme de placement collectif à la date de publication de l'ordonnance n°2020-1595) demeurent ainsi éligibles (i) au PEA et (ii) au quota de 75% susvisé, jusqu'au 30 septembre 2021.
Au-delà de cette date, la détention ou le maintien de titres devenus non éligibles constituera un manquement entrainant la clôture du plan. Les épargnants ont par conséquent jusqu'au 30 septembre 2021 pour céder les titres de sociétés britanniques inscrits au compte titres de leur PEA.
Fonds de capital investissement :
Des mesures transitoires ont également été mises en place par l'ordonnance n° 2020-1595 du 16 décembre 2020 concernant les quotas exigés dans la composition de l'actif des fonds de capital investissement.
S'agissant des FCPR (FPCI) : sur le plan réglementaire, l'actif des FCPR et FPCI doit être composé à au moins 50% (i) de titres non cotés émis par des PME (sans condition de siège s'agissant du quota juridique, mais ayant leur siège dans l'Union Européenne, en Norvège ou en Islande si le FCPR/FPCI entend respecter le quota fiscal lui permettant d'offrir un régime fiscal de faveur à ses porteurs) ou, (ii) dans la limite de 20% de l'actif du fonds, jusqu'à 20% de titres de sociétés cotées sur un marché réglementé d'un Etat de l'EEE dont la capitalisation est inférieure à 150M€ (la condition de siège est dans ce cas imposée par le quota juridique).
Un délai transitoire de 12 mois a été prévu, soit jusqu'au 31 décembre 2021, pendant lequel les titres de sociétés britanniques cotées dont la capitalisation est inférieure à 150M€ acquis avant le 31 décembre 2020 restent éligibles au quota de 20%. L'ordonnance ne précise pas, en revanche, ce qu'il adviendra des titres de sociétés britanniques non cotées comprises dans le quota juridique de 50% : l'administration fiscale devra préciser si leur maintien à l'actif risque d'entrainer le non-respect du quota fiscal.
S'agissant des FCPI et des FIP, dont l'actif doit être composé à au moins 70% de titres de PME éligibles (i.e. PME au sens communautaire, non cotées, exerçant leur activité depuis moins de 10 ans, ayant leur siège dans un Etat de l'Union Européenne ou de l'EEE), une clause de grand-père a été instaurée pour les titres émis par des sociétés britanniques détenus au 31 décembre 2020 ou acquis postérieurement en vertu d'un accord conclu avant cette date. Ces titres resteront donc éligibles sans limite de temps.
Dons aux œuvres et aux organismes d'intérêt général
Les dons effectués au profit d'œuvres ou d'organismes d'intérêt général ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66% de leur montant, dans la limite de 20% du revenu imposable.
En matière d'impôt sur la fortune immobilière (ci-après "IFI"), ces dons ouvrent droit à une réduction d'impôt égale à 75% de leur montant, plafonnée à 50.000€ par redevable et par an.
Les organismes étrangers éligibles à cette réduction sont ceux dont le siège est situé dans un Etat membre de l'UE ou de l'EEE. Les dons réalisés auprès d'œuvres ou d'organismes ayant leur siège au Royaume-Uni ne sont donc plus éligibles aux réductions d'impôt pour dons en matière d'impôt sur les revenu et d'IFI.
Prélèvements sociaux
Le Brexit a des conséquences non négligeables en matière de prélèvements sociaux.
Depuis le 1er janvier 2019 (loi de financement de la sécurité sociale pour 2019), les particuliers non résidents relevant d'un régime de sécurité sociale dans un Etat de l'UE, de l'EEE ou en Suisse sont exonérés de CSG et de CRDS sur leurs revenus et gains immobiliers de source française et ne sont redevables que du prélèvement de solidarité au taux de 7,5%.
Depuis le 1er janvier 2021, les particuliers relevant du système de sécurité sociale britannique ne bénéficient plus de cette exonération et sont soumis à l'ensemble des prélèvements sociaux au taux de 17,2%. Le prélèvement de solidarité de 7,5% ne leur est en revanche plus applicable.
3. Fiscalité internationale
Les conventions fiscales américaines et la convention multilatérale contiennent des dispositions de « Limitation des avantages » ("LOB") permettant aux Etats parties de tester le rationnel économique des schémas de détention et de refuser les avantages conventionnels aux structures qui paraissent n'avoir été mises en place qu'aux fins de bénéficier de ces avantages.
Ainsi une société d'un Etat A détenue par des actionnaires non-résidents de l'Etat A ou de l'Etat B ne peut pas, en principe, bénéficier de la convention conclue entre l'Etat A et l'Etat B. Toutes les structures n'étant pas abusives, la convention prévoit plusieurs clauses de sauvegarde. A ce titre, notamment, la société établie dans l'Etat A pourra conserver les avantages du traité (tels qu'une exonération de retenue à la source dans l'Etat B) si (i) son ou ses actionnaires sont membres de l'UE, de EEE (ou du North America Free Trade Agreement, s'agissant de la convention franco-américaine) et (ii) moins de 50% de ses résultats bruts sont payés, sous forme de charges déductibles, à des personnes qui ne sont pas des "bénéficiaires équivalents" (c’est-à-dire à des personnes qui, si elles avaient investi directement, n'auraient pas pu bénéficier des mêmes avantages conventionnels).
Post Brexit, la fiscalité applicable aux structures indirectes d'investissement impliquant des sociétés britanniques pourrait donc être fortement impactée. Tel sera le cas, par exemple, pour les investissements britanniques aux US, effectués à travers une société luxembourgeoise ou néerlandaise.
4. Propective
Le Royaume Uni étant libéré de certaines contraintes liées à son appartenance à l'UE, le scenario d'une refonte significative du système fiscal britannique et de la création de nouveaux régimes très avantageux ne peut être absolument exclu.
Les entreprises françaises qui espèreraient abuser de ces nouvelles opportunités fiscales devront néanmoins garder à l'esprit que les CFC rules françaises, codifiées à l'article 209 B du CGI, permettent aux autorités fiscales françaises de taxer les résultats des sociétés étrangères, à proportion de la participation détenue par une société française, si la filiale bénéficie localement d'un régime fiscal privilégié (i.e. supportant un impôt inférieur de plus de 40% à l'impôt français). Ces règles ont des modalités d'application différentes selon que la société étrangère est située hors ou dans l'UE. Les filiales européennes échappent par principe à ce dispositif, qui ne trouve à s'appliquer que si l'administration fiscale parvient à démontrer que l'implantation à l'étranger présente le caractère d'un montage artificiel. La charge de la preuve est inversée pour les filiales non européennes, qui doivent démontrer, pour sortir du dispositif, que l'implantation de sa filiale a principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices hors de France (i.e. que la filiale a une activité industrielle ou commerciale effective sur le territoire où est situé son siège social).
La modification substantielle des équilibres économiques entre la France et le Royaume Uni pourrait par ailleurs conduire l'un ou l'autre des Etats parties à solliciter la renégociation de la convention fiscale franco-britannique.
[1] Les députés européens avaient annoncé dès le 21 décembre qu'il serait impossible de ratifier cet accord avant le 31 décembre 2020. L'accord est provisoirement entré en vigueur au 1er janvier 2021 en attente de sa ratification par le Parlement Européen.
[2] Sous réserve du respect des autres conditions: détention à 5% ou plus pendant 2 ans (i.e. titres de participation) et imposition à l'IS dans l'Etat de résidence de la société distributrice.
[3] Les intérêts dits "excédentaires", i.e. supérieurs aux intérêts qui auraient été versés dans des conditions normales de marché, sont considérés comme des distributions et soumis aux dispositions de la convention fiscale franco-britannique en matière de dividendes.
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