Jennifer L. Morton
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À compter du 1er juin 2025, les titulaires de marques et de marques de commerce seront assujettis à des restrictions additionnelles visant l'emploi de l'anglais ainsi qu'à des obligations relatives à l'emploi du français dans de nombreux aspects de la conduite des affaires au Québec, notamment en ce qui a trait à l'utilisation de marques de commerce. Nous avons donc créé une FAQ pour mieux comprendre comment le projet de loi 96 peut avoir un impact sur vos marques de commerce et ses implications potentielles sur ces dernières, telles que nous les comprenons (en date de novembre 2022).
Téléchargez le pdf de la loi 96 et des marques de commerce
Le projet de loi 96, soit la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, est une nouvelle loi adoptée par le gouvernement de la province canadienne du Québec. Entrée en vigueur en date du 1er juin 2022, celle-ci apporte des modifications considérables à la Charte de la langue française du Québec (la « Charte »). Pour les propriétaires de marques et de marques de commerce, il est particulièrement important de prendre note des restrictions additionnelles visant l'emploi de l'anglais et de l'imposition d'obligations visant l'emploi du français dans de nombreux aspects de la conduite d'affaires au Québec, notamment en lien avec l'utilisation de marques de commerce.
Les questions et réponses présentées ci-dessous concernent uniquement le projet de loi 96 et ses conséquences quant aux marques de commerce telles que nous les comprenons (en date de novembre 2022). Par souci de simplicité, nous nous référons à des mots anglais dans le présent article, mais nos commentaires s'appliqueraient aussi bien à toute langue autre que le français. Si vous souhaitez prendre connaissance des conséquences potentielles du projet de loi 96 sur d'autres aspects liés aux activités commerciales dans la province, veuillez lire notre article précédent.
Mentionnons qu'il est prévu que le gouvernement du Québec publie au début de l'année 2023 un projet de règlement pour fin de consultation et que celui-ci aura une incidence sur l'interprétation et l'application de la loi. Cependant, au moment de la rédaction du présent article, aucun règlement ni projet de règlement du genre n'a encore été publié. En outre, un document d'orientation devrait être publié prochainement et celui-ci répondra à de nombreuses questions et incertitudes quant à l'interprétation et la portée de la nouvelle loi. Par conséquent, nos commentaires sont sujets à changement en fonction du projet de règlement à venir, de contestations judiciaires potentielles et du document d'orientation qui sera publié par l'organisme de réglementation concerné.
La Charte impose le français comme « seule langue officielle » et affirme qu'il s'agit de la langue commune du commerce et des affaires dans la province du Québec au Canada. L'Office québécois de la langue française (l'« OQLF ») est l'organisme de réglementation chargé de faire respecter la Charte et de veiller à ce que les entreprises se conforment à ses exigences.
Selon l'article 51 de la Charte toute « inscription » sur un produit, sur son contenant ou sur son emballage, sur un document ou objet accompagnant ce produit doit être rédigée en français. En outre, le texte français peut être assorti d'une ou de plusieurs traductions, mais aucune inscription rédigée dans une autre langue ne doit l'emporter sur celle qui est rédigée en français.
Aux termes de l'article 58 de la Charte, il est prévu que l'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. Il est également permis d'utiliser une autre langue tout et aussi longtemps que la version française y figure de façon nettement prédominante.
Selon le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement »), il est prévu que peut être rédigée uniquement en anglais « une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13), sauf si une version française en a été déposée ». Il y a longtemps eu une certaine incertitude quant à la façon de déterminer ce qui constitue une marque « reconnue » en vertu du Règlement. Les tribunaux ont interprété l'exception de la marque de commerce « reconnue » comme s'appliquant aux marques déposées et de common law protégées par la Loi sur les marques de commerce fédérale. En revanche, selon l'OQLF, pour qu'une marque puisse bénéficier de l'exception de marque de commerce « reconnue », celle-ci doit être déposée. Dans le cas de l'affichage extérieur sur les bâtiments, une marque de commerce reconnue inscrite en anglais seulement doit être assortie d'une « présence suffisante du français » (comme un slogan, un générique ou un descriptif des produits ou services en français).
En outre, certaines dispositions stipulent que les catalogues, brochures, sites Web et comptes de médias sociaux, entre autres, doivent être disponibles en français.
Le projet de loi 96 clarifie la situation décrite ci-dessus en limitant explicitement et sans équivoque l'application de l'exception relative aux marques de commerce « reconnues » aux marques déposées seulement, et ce, à compter du 1er juin 2025. Les marques de commerce en anglais (ou dans une langue autre que le français) qui ne sont pas déposées en vertu de la Loi sur les marques de commerce du Canada devront être traduites en français sur l'emballage et les étiquettes de produits, ainsi que sur l'affichage public et dans la publicité commerciale.
Le projet de loi 96 introduit également les obligations suivantes :
Bien qu'il est prévu que le gouvernement publie un règlement additionnel pour aborder cette question, l nous n'avons pour l'instant aucune visibilité sur le contenu du règlement à venir. Nous estimons qu'il est probable que le nouveau règlement exigera une traduction française des mots ou des phrases correspondant au nom des produits (c'est-à-dire le nom usuel ou générique d'un produit) ou qui décrivent le caractère, la qualité ou le mode d'emploi des produits. Autrement dit, les mots ou phrases qui seraient considérés comme transmettant aux consommateurs des informations importantes sur les produits. Le traitement des mots décrivant le domaine, la catégorie ou la ligne de produits correspondant à un produit (mais pas le produit lui-même), demeure en revanche incertain. Nous nous attendons également à ce que le règlement aborde la question de la prépondérance, de la taille et de l'emplacement de la traduction française, mais ces informations ne sont pas encore disponibles.
Telle qu'elle est rédigée, la loi pourrait être interprétée comme s'appliquant aux marques de commerce apposées directement « sur un produit » (qu'elles soient visibles ou non à travers l'emballage). Toutefois, d'un point de vue pratique, elle ne s'appliquerait probablement qu'aux marques visibles au moment de l'achat. Des indications supplémentaires à ce sujet seront possiblement incluses dans le règlement à venir et/ou dans le document d'orientation que l'OQLF publiera prochainement.
Bien que cette question sera traitée dans le cadre d'un règlement additionnel qui sera publié au début de 2023, la Charte comprend actuellement un règlement qui énonce les exigences juridiques spécifiques à suivre pour se conformer à la règle visant la présentation du français « de façon nettement prédominante » en fonction du nombre et de la taille de l'affichage, soit le Règlement précisant la portée de l'expression « de façon nettement prédominante » pour l'application de la Charte de la langue française. Par exemple, pour les inscriptions figurant sur un même affichage, la règle de la nette prédominance sera respectée lorsque : (i) l'espace consacré au texte rédigé en français est au moins deux fois plus grand que celui consacré au texte rédigé en anglais; (ii) la taille de la police utilisée pour le texte rédigé en français est au moins deux fois plus grande que celle utilisée pour le texte rédigé en anglais; et (iii) les autres caractéristiques de l'affichage n'ont pas pour effet de réduire l'impact visuel du texte rédigé en français. Par conséquent, nous nous attendons à ce que le nouveau règlement établisse des exigences similaires quant à la prépondérance du texte rédigé en français (par exemple, qu'il soit deux fois plus grand) par rapport à la marque de commerce déposée en anglais.
Si une marque de commerce appartient à l'une des catégories suivantes, il n'est pas nécessaire de la faire déposer pour pouvoir l'utiliser sans traduction au Québec :
Il existe également d'autres cas spécifiques pour lesquels il est permis qu'une inscription sur un produit soit rédigée en anglais seulement (ou dans une langue autre que le français), sans être assortie d'une traduction, en fonction du type de produit ou de la manière dont celui-ci est vendu. C'est le cas si :
Soulignons que les exceptions ci-dessus figurent dans la réglementation actuelle. On ignore donc si le prochain règlement viendra les modifier, les supprimer ou encore les restreindre.
Le projet de loi 96 est déjà en vigueur et ne sera pas modifié. Toutefois, des règlements complémentaires qui détermineront la façon dont la loi doit être interprétée et appliquée seront rédigés. Selon notre compréhension, à l'heure actuelle, la rédaction de ces règlements est en cours. La publication d'un projet de règlement est prévue au début de l'année 2023 et il sera possible de soumettre des commentaires. D'ailleurs, l'International Trademark Association (INTA), ainsi que plusieurs autres associations commerciales, a déjà présenté des soumissions dans le but d'influencer l'approche visant les termes « génériques » dans les marques de commerce enregistrées et la suppression de l'exigence d'enregistrement pour les marques de commerce « reconnues » en vertu de l'exception pour les marques de commerce. Ces initiatives ont été entreprises, mais les résultats restent encore à voir.
Un document d'orientation générale de l'OQLF doit également être publié prochainement. De nombreuses questions et incertitudes quant à l'interprétation et la portée de la nouvelle loi y seront traitées.
Le 1er juin 2025.
Amendes pour les « personnes morales » : | |
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Première infraction: | 3 000 $ à 30 000 $ |
Deuxième infraction: | 6 000 $ à 60 000 $ |
Récidives additionnelles: | 9 000 $ à 90 000 $ |
Les administrateurs pourraient être tenus personnellement responsables : | |
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Première infraction: | 1 400 $ à 14 000 $ |
Deuxième infraction: | 2 800 $ à 28 000 $ |
Récidives additionnelles: | 4 200 $ à 42 000 $ |
Fait à noter : lorsqu'une infraction visée par la Charte se poursuit durant plus d'un jour, chaque jour constitue une infraction distincte. D'ailleurs, les contraventions répétées à la Charte peuvent entraîner la suspension ou la révocation d'un permis ou autre autorisation émis par le gouvernement du Québec. Un juge peut aussi (à la demande d'un poursuivant et jointe au constat d'infraction) imposer au contrevenant une amende additionnelle d'un montant maximal équivalant au montant de l'avantage pécuniaire que ce dernier a tiré de l'infraction, et ce, même si la pénalité maximale lui a été imposée.
Les entreprises devraient procéder à une vérification afin de repérer toutes les marques de commerce en anglais ou dans une autre langue que le français qui figurent sur l'emballage et l'étiquetage de leurs produits, ainsi que sur la signalisation publique, les affiches et la publicité commerciale.
Sachez que si une marque de commerce possède un équivalent en français et que celui-ci est enregistré, ce dernier doit toujours être utilisé, que la marque de commerce en anglais soit enregistrée ou non. Ainsi, il importe de faire preuve de vigilance au moment de décider d'enregistrer ou non la version française d'une marque de commerce.
Nous vous recommandons de consulter votre professionnel des marques de commerce dès aujourd'hui pour entamer ces réflexions; vous serez ainsi prêt lorsque les dispositions relatives aux marques de commerce du projet de loi 96 entreront en vigueur.
En bref, nous ne croyons pas que l'OPIC accélérera le traitement des demandes de marques de commerce déposées dans le but d'obtenir un enregistrement en vue de se conformer au projet de loi 96. Cependant, l'OPIC est conscient des conséquences négatives que peut causer le retard de l'examen pour les demandeurs de marques de commerce en général, et accélérera le processus dans les circonstances suivantes :
Compte tenu des importantes répercussions de la loi sur les entreprises qui exercent leurs activités au Québec, nous vous recommandons de consulter votre conseiller en marques de commerce ainsi qu'en publicité et réglementation des produits chez Gowling WLG pour discuter des mesures concrètes que vous pouvez prendre afin de réduire les risques et d'assurer votre conformité à la loi.
Gowling WLG suit l'évolution du projet de loi 96 (y compris toute contestation constitutionnelle ou juridique potentielle). Nous vous fournirons des mises à jour à ce sujet dès qu'elles seront disponibles.
CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.