Introduction

L'amplification de la demande, l'explication du phénomène

La hausse des prix de l'énergie, des denrées alimentaires et des services a fait grimper l'inflation américaine et canadienne, déjà élevée, à un taux annuel de 7,9 % aux États-Unis et de 5,7 % au Canada en février 2022 et les perturbations qui ont touché les marchés du pétrole et des produits de base dues au conflit en Ukraine devraient accentuer les pressions sur les coûts. La reprise économique qui a suivi la pandémie de COVID-19 a créé de nombreux problèmes de chaine de production, et ce, dans plusieurs secteurs d'activités. Bien que les causes des enjeux liés aux chaînes de production soient multiples, l'amplification de la demande a eu pour effet d'exacerber cette réalité. Les habitudes de consommation des consommateurs ayant varié selon l'impact des vagues de la pandémie, le phénomène d'amplification de la demande est un enjeu dont les gestionnaires de chaîne de production doivent tenir compte. Afin de mieux gérer les impacts de l'amplification de la demande, il est possible contractuellement de faciliter la collaboration dans la chaîne de production afin de mieux déterminer la demande réelle et de minimiser les effets négatifs de l'amplification de la demande[1].

L'amplification de la demande est la conséquence d'une inefficacité de la chaîne de production liée à des prévisions de la demande. Le phénomène d'amplification de la demande augmente les variations de l'inventaire des fournisseurs par un effet multiplicateur dans la chaîne de production en raison de la modification de demande des consommateurs. L'amplification de la demande est décrite comme étant la propension, dans le cas de commandes importantes à amplifier la demande réelle et l'impact conséquent de cette amplification sur la chaîne de production[2].

 À titre d'exemple, un concessionnaire automobile aura tendance à vouloir augmenter son inventaire s'il s'aperçoit que les ventes de véhicules électriques augmentent rapidement. Si le concessionnaire passe des commandes mensuelles moyennes substantiellement plus élevées afin d'ajouter de l'inventaire additionnel et que plusieurs concessionnaires font de même en même temps, le fabricant de voitures électriques aura de la difficulté à livrer les commandes. Éventuellement, les fournisseurs du fabricant auront eux aussi à composer avec une série de commandes qui paraissent plus importantes que la demande réelle.

Comment minimiser contractuellement l'effet de l'amplification de la demande

Dans le cadre de contrats de distribution et de contrats d'achat-vente de produits, l'acheteur et le vendeur vont déterminer les termes gouvernant l'achat des produits faisant l'objet du contrat. Le contrat va normalement déterminer la nature des produits vendus, le prix de vente, les délais de livraison et les modalités des commandes. Afin de favoriser la collaboration dans la chaîne de production, il existe plusieurs modèles de collaboration dans la chaîne de production qui peuvent être intégrés contractuellement, soit (i) un modèle de partage d'information selon lequel l'acheteur et le vendeur échangent de l'information sur les ventes et les prévisions de vente (ii) un modèle de gestion de l'inventaire par le vendeur selon lequel la tâche de renflouer l'inventaire de l'acheteur est assumée par le vendeur et (iii) un modèle de gestion d'approvisionnement synchronisé selon lequel le vendeur prend en charge la gestion opérationnelle de l'inventaire de l'acheteur et intègre sa chaîne de production de l'acheteur à la sienne[3].

L'information qui, selon Holgado de Frutos et al.[4] ,doit être partagée entre les parties varie selon le type de modèle de collaboration dans la chaîne de production est la suivante :  

Modèle

Nom

Information partagée/utilisée

1

Modèle de partage d'information sur les ventes et les prévisions de vente

(i) les ventes aux clients,

(ii) l'état des commandes en cours et

(iii) les prévisions de ventes.

2

Modèle de gestion de l'inventaire

(i) les commandes ou les ventes en cours et l'information y afférente et

(ii) l'inventaires de l'acheteur.

3

Modèle de gestion d'approvisionnement synchronisé

(i) les commandes,

(ii) les niveaux de l'inventaire,

(iii) les niveaux des travaux en cours,

(iv) les délais d'exécution,

(v) les facteurs influençant les inventaires de sécurité en amont, 

(vi) l'information sur la demande du marché,

(vii) les prévisions de la demande,

(viii) le programme directeur de production,

(ix) les commandes de réapprovisionnement,

(x) l'information sur les promotions,

(xi) l'information sur la capacité,

(xii) les plans de vente,

(xiii) le délai d'exécution des commandes,

(xiv) les modèles de demande,

(xv) les politiques de réapprovisionnement,

(xvi) la configuration des paramètres de la demande,

(xvii) l'information sur la livraison,

(xviii) les pénuries de produits d'un fournisseur,

(xix) l'information sur les concurrents concernant la promotion ou la stratégie marketing et

(xx) l'information sur les retards.

Ainsi, le partage de ces informations selon le modèle choisi entre les parties devra être convenu contractuellement afin de consolider la collaboration dans la chaîne de production.

Par exemple, la collaboration selon le premier modèle consiste à obliger contractuellement l’acheteur à fournir les projections d’achats mensuelles et annuelles au vendeur afin que ce dernier sache quelles sont les projections de commandes de l’acheteur sur un horizon à court et moyen terme. Le vendeur et l’acheteur pourront alors convenir contractuellement que seule la projection mensuelle du mois à suivre constituera une commande ferme de l’acheteur et que les commandes fermes de l’acheteur à moyen terme pourront fluctuer selon un certain pourcentage prédéterminé. Le vendeur de son côté s’engagera à maintenir un certain niveau d’inventaire en tout temps. En ayant les projections de l’acheteur, le vendeur pourra alors gérer ses fournisseurs et éviter des chocs sur la chaîne de projection, car il aura ainsi une vision à court et moyen terme sur les besoins de ses acheteurs.

Dans le cadre de ce processus de collaboration, plusieurs facteurs contribuent à la réussite d'une collaboration dans la chaîne de production dont, entre autres, la désignation d'une personne-ressource de l'acheteur et du vendeur ayant accès à la bonne information, au partage régulier d'information et d'indicateurs de performance entre les parties et à l'enlignement des objectifs entre les parties[5].

En plus des clauses de coopération et selon le type et l’étendue de l’information partagée, des clauses de confidentialité, de cybersécurité et de protection des données doivent être ajoutées au contrat. Relativement aux clauses de confidentialité, une attention particulière devra être portée à la définition d’information confidentielle afin que celle-ci comprenne l’information partagée propre à chaque relation. De plus, concernant la cybersécurité, l’acheteur pourra exiger des normes élevées de sécurité informatique, confirmées notamment par des rapports d’audit externes, afin d’obtenir des garanties de protection des données partagées. Finalement, l’acheteur et le vendeur devront s’entendre sur des clauses relatives à la notification et à la gestion de tout incident de cybersécurité afin de prévoir une façon de procéder et de répartir les risques entre les parties.

En fin de compte, les difficultés liées aux chaînes de production vont mener certaines entreprises à accumuler de l’inventaire au fur et à mesure de l’avancement du cycle économique. Si les mesures de coopération liées à l’inventaire ne permettent pas de prévoir un ralentissement, il sera alors possible d’ajouter certaines clauses dans le but de minimiser les risques de défaut de paiement envers les vendeurs. Le vendeur aura, entre autres options, la possibilité de négocier des clauses relatives à des paiements plus courts, le maintien par l’acheteur d’une assurance sur son risque de crédit ou le maintien de certaines garanties sur les produits livrés.

Il est à noter que les parties partageant contractuellement de l'information verticalement entre un acheteur et un vendeur doivent s'assurer de respecter les obligations légales anticoncurrentielles et les règles d'import-export qui leur sont imposées selon les pays visés par leurs activités.

Conclusion

Le niveau de collaboration optimal entre un acheteur et un vendeur n’est pas déterminé à l’avance, et les parties doivent évaluer le type d’information devant être partagée contractuellement avec un vendeur au sein de leur chaîne de production. Dans le contexte de perturbation de la chaîne de production, tant les vendeurs que les acheteurs ont intérêt à s’assurer que leur chaîne de production fonctionne efficacement. La collaboration dans la chaîne de production permet ainsi de réduire les effets de l’amplification de la demande, de réduire les incertitudes liées à la chaîne de production et d’optimiser le flux des opérations.

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[1] Solaimani, S. Gulyaz, E., van der Veen, J. A. et Venugopal, V. (2015). Enablers and inhibitors of collaborative supply chains : An integrative framework. Conference proceedings of the Production and Operations Management Society 2015. 

[2] Lee, H.; Padmanabhan, V.; Whang, S. (1997). "Information distortion in a supply chain: The bullwhip effect". Management Science. 43 (4): 546–558

[3] Holgado de Frutos E, Trapero JR, Ramos F. A literature review on operational decisions applied to collaborative supply chains. PLoS One. 2020;15(3):e0230152. Published 2020 Mar 13. doi:10.1371/journal.pone.0230152.

[4] Id.

[5] Solaimani, S. Gulyaz, E., van der Veen, J. A. et Venugopal, V. (2015). Enablers and inhibitors of collaborative supply chains : An integrative framework. Conference proceedings of the Production and Operations Management Society 2015.