Cet article a été publié dans la revue IAM Media.

Dans le cadre de nombreuses opérations de propriété intellectuelle (PI) dans le domaine des sciences de la vie, le transfert de données et de technologie joue un rôle essentiel. Toutefois, on consacre généralement très peu de temps aux détails des dispositions opérationnelles à cet égard, et on néglige également de se pencher sur les dispositions juridiques et réglementaires territoriales concernant le partage des données entre les autorités réglementaires. Afin de pouvoir préserver les droits de PI d'une partie et les faire respecter, surtout en matière de secrets commerciaux, les professionnels en sciences de la vie doivent absolument savoir de quelle façon les données et la technologie sont traitées.

Chine

Transfert de données hors de la Chine

Au cours des dernières années, la Chine a adopté plusieurs lois visant le transfert de données, en particulier l'exportation de données à l'étranger, où les opérations visant la PI dans le domaine des sciences de la vie peuvent engendrer la surveillance de diverses autorités.

Dans toute opération liée à la PI, en sciences de la vie en particulier, les dossiers ou autres documents techniques sont souvent partagés entre des entités de Chine et de l'étranger afin d'effectuer des recherches plus poussées par l'entremise du mode de concession (ou d'acquisition) de licence.

Citons comme exemple le cas des fabricants de médicaments et drogues : les dossiers techniques contiennent habituellement des renseignements personnels sur les patients qui ont participé à des essais cliniques. Certains de ces renseignements (pathologie, rapports de tests, antécédents en matière de chirurgie et d'anesthésie, etc.) sont considérés comme étant personnels et de nature délicate. Ces données doivent donc être dépersonnalisées, conformément aux lois sur la protection des renseignements personnels, mais elles doivent quand même être considérées comme étant des renseignements personnels, car il est possible, en remontant à leur source, d'en identifier la provenance et d'obtenir d'autres détails. En tant que telles, les lois sur la protection des renseignements personnels s'appliquent à moins que les données ne soient anonymisées ou, autrement dit, qu'elles ne puissent être identifiées de nouveau.

Lors du transfert de renseignements personnels à une entité hors de la Chine, la personne responsable du traitement des données doit s'entendre avec le destinataire quant à la manière de traiter et de gérer les données, et ce, au moyen d'un contrat standard (toujours en cours de rédaction par les autorités, mais dont le libellé est similaire à celui des dispositions contractuelles standard prévues par le Règlement général sur la protection des données [RGPD]). Dans le cadre du contrat, il faut :

  • exiger des parties qu'elles procèdent, avant le traitement des données, à une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, et qu'elles tiennent à jour un registre à cet égard,
  • obtenir le consentement distinct de la personne dont les données sont utilisées et
  • informer la personne dont les données sont utilisées de la nécessité de traiter ces renseignements personnels de nature délicate, et de l'incidence éventuelle de cette utilisation sur ses droits et intérêts.

En Chine, la loi sur la protection des renseignements personnels, similaire au RGPD de l'Union européenne, s'applique également hors du territoire chinois.

Propriété et partage obligatoires de la PI

La Chine dispose de lois spécifiques sur la collecte, la conservation, l'utilisation et l'exportation des ressources génétiques humaines.

Bien que la Chine encourage la coopération internationale dans la recherche scientifique impliquant des ressources génétiques humaines, il existe des restrictions quant au partage de la PI lorsque la recherche est fondée sur des ressources génétiques humaines chinoises.

Qu'ils soient générés en Chine ou dans un autre pays, les brevets issus de la recherche ne peuvent pas appartenir en exclusivité à une seule partie et doivent être détenus conjointement par toutes les parties. Toutefois, la loi n'exige pas qu'une demande de brevet soit d'abord déposée en Chine. Elle ne précise pas non plus s'il existe des restrictions relatives :

  • à la cession des brevets à un tiers,
  • à l'entité qui deviendra le cessionnaire ou
  • aux conditions commerciales autres que la propriété des brevets.

Toutefois, la concession d'un brevet à un tiers doit être soumise au consentement des deux parties, car le brevet ne sera pas détenu proportionnellement par les parties sur la base d'un pourcentage.

Si les parties choisissent de ne pas protéger les résultats de leurs recherches au moyen de brevets, la loi stipule qu'elles peuvent convenir librement de la manière de partager ces brevets, mais l'arrangement pertinent doit être raisonnable et proportionnel à la contribution de chaque partie à la recherche.

Au sens des lois pertinentes, le terme « entité étrangère » peut être interprété au sens large. Une entité constituée en Chine dont les actionnaires sont à l'étranger est considérée comme une entité étrangère, quelle que soit la proportion de son actionnariat. En outre, l'entité chinoise contrôlée par des organisations ou des particuliers outre-frontière peut également être considérée comme une entité étrangère.

Les contrats de R et D portant sur les ressources génétiques humaines doivent être déposés auprès de l'administration des ressources génétiques humaines de Chine ou approuvés par celle-ci. 

Exclusivité des données

Depuis son adhésion à l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC), la Chine a prévu un système sophistiqué en ce qui a trait à l'exclusivité des données obtenues dans le cadre d'essais de médicaments et drogues, mais les règlements d'application correspondants n'ont jamais été introduits officiellement. Par conséquent, le système n'a pas vraiment été mis en œuvre.

En 2018, un projet de règlement visant l'application de mesures pour protéger les données d'essais des médicaments et drogues (pour une mise en œuvre provisoire) a été publié pour recueillir les commentaires du public, mais aucune loi ni aucun règlement valides n'ont été soulevés depuis. Ce projet de règlement stipule que les drogues innovantes approuvées pour une mise en marché à l'échelle nationale auront droit à l'exclusivité des données pendant six ans, période qui sera doublée à 12 ans pour les produits biologiques innovants à usage curatif.

Canada

Transfert de données hors du Canada

Au Canada, le contrôle des exportations de données comporte trois aspects principaux :

  • la sécurité nationale et les sanctions économiques, ainsi que le type de renseignements et de R et D qui peuvent être transférés au-delà des frontières et l'endroit visé par ce transfert,
  • la protection de la vie privée (transfert de renseignements personnels, notamment en matière de santé) et
  • le partage des données entre les autorités réglementaires.

L'un des principaux objectifs du régime d'exportation du Canada est de veiller à ce que l'exportation et l'importation de marchandises, de technologie et de logiciels soient conformes aux politiques militaires et à celles visant la sécurité nationale du pays, ainsi qu'à ses obligations internationales. Le régime s'applique également aux marchandises à double usage (information/technologie). Jusqu'à présent, ces dispositions ne se sont appliquées que rarement aux opérations dans le domaine des sciences de la vie. Cela pourrait toutefois changer, à mesure de l'évolution des lois, de la technologie et de la politique mondiale. Avant d'entamer toute relation ayant des répercussions transfrontalières, il est important d'examiner si les données (données techniques et assistance à la formation technique) sont soumises au régime d'exportation. Dans ce cas, avant de transférer ces données où que ce soit au Canada ou encore à l'étranger, toutes les démarches requises doivent être réalisées, y compris les enregistrements et l'obtention des autorisations (gouvernementales ou autres) nécessaires en matière de licences d'exportation ou d'importation.

En vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, le Canada tient à jour une liste de contrôle des exportations administrée par le Programme des marchandises contrôlées. De plus, des sanctions économiques peuvent être appliquées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. En règle générale, les sanctions interdisent toute opération avec des entités et des personnes physiques figurant sur une liste particulière ou avec ceux qui agissent en leur nom. L'aspect le plus onéreux de ces sanctions concerne l'application du droit américain, qui s'applique de manière extraterritoriale au Canada. À l'heure actuelle, les États-Unis imposent à la Chine de nombreuses restrictions qui ont une incidence sur la recherche (par exemple : sur la base du financement par les États-Unis d'un projet de recherche auquel participent des Américains ou visant des données, de la technologie et de l'équipement d'origine américaine, ou bien sur la base de dispositions prévues par des sociétés d'assurance ou par des sociétés qui fournissent des services financiers). Naturellement, il est essentiel d'identifier les parties et les différents pays concernés, et il faut tenir compte du fait qu'une diligence raisonnable devrait permettre de résoudre ces problèmes.

Si les données liées aux sciences de la vie comprennent des renseignements personnels identifiables (ou s'il est possible de remonter à leur source en les combinant à d'autres renseignements), y compris en matière de santé personnelle, il faut alors prendre en compte les cadres juridiques et réglementaires complexes qui régissent la protection de la vie privée au Canada. Ces cadres, pour la plupart, n'interdisent pas le transfert des données à l'extérieur du pays du moment que la personne est informée du transfert, et du fait que des lois différentes peuvent s'appliquer en ce qui a trait à la protection de la vie privée (y compris l'accès à cette information et son utilisation par un gouvernement) et mentionnent que les consentements appropriés ont été obtenus. Toutefois, il est important de savoir que les contrats gouvernementaux prévoient souvent des restrictions plus importantes. Au Canada, la principale législation est la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ainsi qu'un certain nombre d'autres lois provinciales et fédérales jugées essentiellement similaires. Hormis les exigences relatives aux notifications et au consentement, le Canada n'exige aucune approbation réglementaire pour les opérations transfrontalières portant sur des données personnelles relatives aux sciences de la vie.

Le paysage de la protection de la vie privée au Canada évolue rapidement. Le Québec, par exemple, s'affaire actuellement à moderniser ses lois sur la protection de la vie privée pour imposer, en matière de transfert transfrontalier, de nouvelles exigences qui entreront en vigueur en 2023. Ces lois exigeront une évaluation préalable des facteurs relatifs à la vie privée, ainsi que la détermination de la protection adéquate des renseignements transférés à l'extérieur de la province. Les parties devront également conclure des ententes visant à atténuer les risques identifiés.

Enfin, les parties doivent savoir que l'information soumise aux autorités réglementaires au Canada peut faire l'objet de demandes en vertu des lois sur l'accès à l'information, ou que les dossiers relatifs à cette information peuvent être partagés en vertu d'accords internationaux. Le Canada est membre d'un certain nombre d'accords de reconnaissance mutuelle qui peuvent, entre autres, prévoir l'échange de renseignements, notamment en ce qui concerne les bonnes pratiques de fabrication. Les sociétés qui commercialisent un médicament ou une drogue au Canada sont tenues de soumettre des renseignements à Santé Canada, ainsi que les mesures connues prises dans d'autres pays (article C.01.050 du Règlement sur les aliments et drogues). En outre, Santé Canada acceptera les évaluations et les rapports d'étape réalisés à l'étranger pour étayer les demandes d'approbation réglementaire d'un fabricant; d'ailleurs, les différents accords prévoient souvent cette stipulation.

Possession et partage de PI

Une opération transfrontalière soulève souvent d'importantes préoccupations en matière de PI. Contrairement à la Chine, le Canada n'a pas encore prévu de dispositions obligatoires en matière de propriété et de partage de la PI, notamment en ce qui concerne les ressources génétiques humaines. En effet, au Canada, la propriété est déterminée par le statut d'inventeur et la relation qu'entretiennent les inventeurs avec les tiers. Les inventeurs conjoints d'un brevet, en l'absence d'une entente expresse à l'effet du contraire, auront une participation égale et indivise dans le brevet et l'un d'eux ne pourra diluer la participation d'un autre inventeur sans son consentement préalable ou sans en rendre compte aux autres inventeurs/propriétaires.

De plus, en général, le Canada n'exige pas que les inventeurs canadiens déposent d'abord leurs inventions au Canada (ou que les inventions réalisées au Canada soient d'abord déposées dans le pays), ni que des notifications préalables, des autorisations ou des licences réglementaires soient produites. Certaines exemptions s'appliquent, par exemple en ce qui concerne les inventions relatives aux instruments ou aux munitions de guerre ou d'énergie nucléaire, ou lorsque l'inventeur est un membre de la fonction publique. La Loi sur les inventions des fonctionnaires impose certaines obligations aux employés du gouvernement : informer le ministre compétent de l'invention, obtenir le consentement de ce ministre avant de déposer une demande de brevet à l'étranger et identifier l'inventeur comme un employé du gouvernement dans toute demande déposée au Canada. Lors du partage de données entre pays dans le cadre d'une collaboration, il est important de savoir à quel endroit les développements sont réalisés et où l'information est conservée, ainsi que de connaître les lois applicables en matière d'invention et de propriété; tous ces points doivent être abordés dans le cadre de la diligence raisonnable, ainsi que dans les déclarations et garanties en matière de PI et les dispositions opérationnelles des accords et ententes.

Exclusivité des données

En vertu des dispositions relatives à la protection des données prévues à l'article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues (entré en vigueur le 5 octobre 2006 et s'appliquant aux médicaments ayant reçu une autorisation de mise en marché le 17 juin 2006 ou après), le Canada accorde pendant huit ans l'exclusivité commerciale à une « drogue innovante », c'est-à-dire qu'elle contient un ingrédient médicinal n'ayant pas déjà été approuvé dans une drogue par Santé Canada et qui ne constitue pas une variante d'un ingrédient médicinal déjà approuvé (p. ex., un changement de sel, d'ester, d'énantiomère, de solvate ou de polymorphe). La durée est prolongée de six mois, c'est-à-dire jusqu'à huit ans et demi, dans les cas où le fabricant de la drogue innovante produit des données relatives à l'utilisation de la drogue dans une population pédiatrique, avant le cinquième anniversaire de l'approbation initiale de la drogue. En vertu des dispositions relatives à la protection des données, un tiers qui prévoit déposer une demande d'autorisation de mise en marché d'une drogue sur la base d'une comparaison directe ou indirecte avec une drogue innovante devra attendre six ans après la date de la première autorisation de mise en marché. Les dispositions prévues par le Canada sont conformes à ses obligations internationales en vertu de l'Accord Canada–États-Unis–Mexique, de l'article 39 de l'Accord sur les ADPIC et de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne.