Cession-bail : L'importance d'harmoniser le bail avec l'offre d'achat

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24 août 2022

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Cet article a été initialement publié dans le magazine Espace Montréal.

Sur le marché immobilier, la cession-bail, ou « sale and leaseback » en anglais, est un mode de financement des entreprises. Elle consiste, de façon générale, en la vente d'un immeuble détenu par l'entreprise qui y exerce ses activités, à un tiers acheteur, réalisée de façon concomitante à la location du même immeuble par le vendeur-locataire aux termes d'un bail commercial à intervenir avec l'acheteur-bailleur. En d'autres termes, en vertu d'une cession-bail d'un immeuble, l'acheteur devient le bailleur, et le vendeur (entreprise opérante et propriétaire initial de l'immeuble) devient le locataire.



La cession-bail se prête particulièrement bien aux ventes d'immeubles de type « commerce de détail » ou « industriel » à occupant unique où l'occupant est le propriétaire.

Dans un marché immobilier où les immeubles industriels sont fort prisés et les coûts de financement en augmentation, les transactions de cession-bail pourraient continuer à gagner en popularité.

Ce type de transaction offre plusieurs avantages pour chacune des parties. Du côté du vendeur, les avantages incluent l'opportunité de profiter de la hausse des valeurs immobilières dans le marché actuel et d'utiliser le profit de la vente pour payer ses dettes ou investir dans son entreprise, tout en gardant un contrôle sur l'immeuble dans lequel il peut continuer à exercer ses activités. Une telle transaction peut également présenter des avantages de nature comptable et fiscale pour le vendeur-locataire, comme la possibilité de déduire le loyer payé de son revenu. Du côté de l'acheteur, les avantages incluent l'opportunité d'acquérir un actif immobilier tout en étant assuré d'en tirer un revenu locatif à moyen ou long terme.

Le bail devient donc un actif primordial dans le cadre de ces transactions protégeant le droit du vendeur-locataire de demeurer dans l'immeuble et d'y poursuivre ses opérations tout en assurant à l'acheteur-bailleur un certain retour sur investissement à travers le loyer perçu. Ainsi, le bail à intervenir entre les parties doit être soigneusement adapté à la transaction d'achat/vente et les termes et conditions du bail doivent être cohérents avec les dispositions de l'offre d'achat dont notamment celles portant sur les déclarations et garanties du vendeur et les garanties légales de qualité et du droit de propriété.

Les déclarations et garanties conventionnelles

Les parties à une offre d'achat peuvent, en vertu du principe de la liberté contractuelle, ajouter, diminuer ou exclure entièrement les effets des garanties légales prévues au Code civil du Québec, pourvu de respecter certaines balises. D'ailleurs, une offre d'achat contient presque toujours des déclarations et garanties du vendeur et de l'acheteur qualifiées de « conventionnelles » puisqu'elles ne sont pas prévues dans la loi, mais plutôt négociées entre les parties.

Bien que plusieurs des déclarations et garanties conventionnelles courantes ne requièrent aucune adaptation au bail, d'autres méritent une attention particulière, dont notamment celles qui concernent l'état et la condition de l'immeuble au moment de la vente. Par exemple, le vendeur peut déclarer et garantir aux termes de l'offre d'achat que l'immeuble est, en date de la vente, conforme à toute législation applicable, ou encore, qu'il n'est pas et n'a jamais été contaminé. Ces dernières déclarations et garanties ont souvent pour effet de remplacer au moins en partie la garantie légale de qualité, ou d'en préciser la portée.

La garantie légale de qualité

Même si une offre d'achat ne contient pas de déclarations et garanties conventionnelles du vendeur relativement à l'état et la condition de l'immeuble vendu, une vente peut se faire avec la garantie légale de qualité. L'article 1726 du Code civil du Québec, qui est à la base de cette garantie légale, traite expressément de vices cachés dans les termes suivants :

« 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui en diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné un si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

De cet article ressortent les quatre critères nécessaires à l'existence d'un vice caché, soit (1) le vice est grave le rendant impropre à l'usage projeté sur l'immeuble; (2) le vice existait au moment de la vente; (3) le vice était caché, (4) le vice était inconnu de l'acheteur[1].

Si la notion de vice caché s'étend aux cas traditionnels de dommages ou défauts au bâtiment, comme des fissures à la fondation majeures et non-apparentes, elle couvre également des cas de contamination du terrain sur lequel est construit ce bâtiment[2], pourvu que les quatre critères mentionnés ci-dessus soient satisfaits.

La garantie légale de propriété

La vente de l'immeuble peut également se faire avec la garantie légale du droit de propriété, laquelle peut être combinée avec la garantie légale de qualité. En vertu de la garantie légale du droit de propriété, un vendeur garantit à l'acheteur que le bien est libre de tous droits de nature privée ou publique, à l'exception de ceux qu'il a déclarés à l'acheteur lors de la vente. Si cette garantie s'applique à des cas où un immeuble est vendu sans titre clair, ou encore à des cas où l'immeuble est grevé d'une hypothèque que l'acheteur n'a pas assumée et que le vendeur n'a pas radiée, elle s'applique également aux cas où l'immeuble vendu n'est pas conforme à la législation environnementale applicable au moment de la vente[3].   

Quelques dispositions du bail à adapter

Si l'immeuble est vendu avec la garantie légale de qualité ou la garantie légale du droit de propriété, ou si les parties conviennent de déclarations et garanties du vendeur relatives à l'état et à la condition de l'immeuble au moment de la vente, alors certaines dispositions du bail doivent être adaptées en conséquence dont notamment, mais sans être exhaustives, les dispositions mentionnées ci-dessous :  

1. Condition de l'immeuble

Considérant que, dans le cadre d'une cession-bail, le locataire est une entreprise exerçant ses activités dans l'immeuble depuis plusieurs mois ou années avant la vente et que, par conséquent, il est familier avec l'état et la condition de l'immeuble, le bail contient généralement des dispositions à l'effet que le locataire accepte l'immeuble « tel quel ». Si ces dispositions sont courantes dans la majorité des baux commerciaux, elles doivent souvent faire l'objet d'adaptations dans le contexte d'une cession-bail afin d'étendre leur portée.

De plus, si la vente est faite avec les garanties légales ou si l'offre d'achat contient des déclarations et garanties du vendeur concernant l'état et la condition de l'immeuble ou de certains de ses équipements, alors le bail ne devrait pas prévoir de réserves pour vices cachés, vices de construction ou non-conformité de l'immeuble avec la législation applicable. Dépendamment de la nature et l'étendue de la garantie donnée dans l'offre d'achat, un vendeur-locataire peut accepter l'immeuble « tel quel » en vertu de son bail, mais sous réserve des vices apparents et des vices cachés dénoncés à l'acheteur-bailleur.

2. Obligations environnementales

Les obligations de chaque partie en matière d'environnement dépendent des garanties légales et des déclarations et garanties du vendeur contenues dans l'offre d'achat. Généralement, un locataire est responsable de toute contamination causée par lui, ou ses représentants, employés et autre personne pour qui il est en droit responsable ou à qui il permet l'accès à l'immeuble, pendant la durée du bail. Toutefois, si le vendeur déclare et garantit à l'acheteur qu'en date de la vente, l'immeuble n'est pas contaminé et qu'il est conforme à toute législation environnementale applicable, alors le bail devrait prévoir que le locataire est également responsable de toute contamination de l'immeuble qui existe même avant la date de commencement du bail, et ce, peu importe la cause de la contamination. Il en est de même si les parties n'ont pas exclu dans l'offre d'achat l'application des garanties légales.

3. Obligations d'entretien, de réparation et de remplacement

Les obligations d'entretien, de réparation et de remplacement de chacune des parties sont trop souvent négligées au stade des négociations d'un bail commercial. Pourtant, il s'agit d'obligations souvent onéreuses qui peuvent avoir un impact sur la valeur de l'immeuble. Dans un bail commercial de type « net », « double net », « triple net » ou « entièrement net », il est important d'ajuster la définition des frais d'exploitation chargés au locataire en fonction des obligations d'entretien, de réparation et de remplacement de chacune des parties. Il est également important de préciser quelle partie est responsable de faire ces travaux d'entretien, de réparation et de remplacement et quelle partie est responsable de payer les coûts de ces travaux; la partie qui réalise les travaux n'étant pas nécessairement celle qui paie la facture.

Dans le cadre d'une transaction de cession-bail, la répartition de la responsabilité des travaux peut s'avérer d'autant plus importante pour chacune des parties. Le locataire, de son côté, pourrait vouloir que le bailleur soit responsable de réaliser dans l'immeuble la majorité des travaux d'entretien, de réparation et de remplacement, et que les coûts de ceux-ci soient donc inclus dans les frais d'exploitation (et amortis s'il s'agit de coûts de nature capitale). En effet, une des raisons pour lesquelles certains vendeurs-locataires vendent leur immeuble est qu'ils ne souhaitent plus s'en occuper, préférant investir leur temps et argent dans l'opération de leur entreprise. Un bailleur, de son côté, pourrait préférer que le locataire soit responsable à ses frais de la majorité de ces travaux, comme c'est souvent le cas en matière de baux industriels.

En plus de négocier les dispositions du bail concernant l'entretien, les réparations et les remplacements de l'immeuble avec minutie, les parties devraient s'assurer que leurs obligations respectives reflètent les garanties légales ou les déclarations et garanties du vendeur contenues dans l'offre d'achat. Par exemple, si l'offre d'achat contient une déclaration et garantie à l'effet que l'immeuble est, en date de la vente, exempt de vices cachés, le bail devrait prévoir que le locataire est responsable à ses frais de réaliser les travaux nécessaires pour corriger tout vice caché existant à la date de commencement du bail. Un bailleur peut également prévoir une option de réaliser ces travaux aux frais du locataire, plus des frais d'administration. Si un vice caché affecte une partie de l'immeuble qui relève de la responsabilité du bailleur, comme par exemple la structure de l'édifice, il faut s'assurer que le bail est limpide sur l'obligation du locataire de rembourser les coûts encourus par le bailleur pour corriger le vice et que de tels coûts ne font pas partie des frais d'exploitation. En effet, les frais d'exploitation n'incluent normalement que la portion amortie de ces coûts pendant la durée, le bailleur ne récoltant pas nécessairement la totalité de sa dépense puisque celle-ci est payable seulement par versements dans le temps avec les risques que cela comporte. Amortir les coûts de réparation d'un vice caché dans une situation où le vendeur a déclaré et garanti à l'acheteur l'absence d'un tel vice irait à l'encontre de l'intention des parties dans l'offre d'achat.  

4. Assurances du locataire

La clause d'assurance du locataire dans le bail devrait être adaptée aux obligations du locataire aux termes du bail. Par exemple, si le locataire est responsable de toute contamination sur, dans ou sous l'immeuble même avant la date de commencement, le bailleur pourrait exiger une assurance responsabilité environnementale.

5. Autres équipements

Si l'immeuble est vendu à l'acheteur-bailleur avec certains équipements spécialisés utilisés par le vendeur-locataire dans le cadre de ses activités, alors le bail doit prévoir la location de ces équipements par le locataire et préciser qui, du bailleur ou du locataire, est responsable de leur entretien, réparation et remplacement. Si l'offre d'achat contient des garanties légales ou des déclarations et garanties du vendeur-locataire concernant l'état et la condition de ces équipements, celles-ci auront une incidence sur ces obligations. Au contraire, si ces équipements demeurent la propriété de l'entreprise opérante, et si certains de ces équipements sont fixés à demeure, il est prudent de prévoir dans le bail une liste des équipements appartenant au locataire, et s'ils doivent être retirés par le locataire à la fin du bail.

Conclusion

Considérant la complexité des transactions de cession-bail, l'incidence des garanties données dans l'offre d'achat sur la relation entre les parties à long terme et l'importance du bail pour chacune des parties dans le cadre de ces transactions, il est fortement recommandé aux parties d'être accompagné tout au long de la transaction par des professionnels ayant une expertise en la matière qui pourront conseiller les parties et s'assurer d'harmoniser le bail avec l'offre d'achat.   

 

[1] Ces quatre critères sont parfois rassemblés sous trois critères ou varient légèrement d'un auteur de doctrine à un autre et d'un juge à un autre.

[2] Voir, par exemple, Faucher c. Développements Lemarco inc., 2010 QCCA 1807 et Pothier c. Viard, 2022 QCCS 354.

[3] Coche, Aline et Duchaine, Christine, La notion de vices cachés et les garanties du Code civil lors de la vente de terrains contaminés : modalités d'exercice et principaux écueils, Barreau du Québec - Service de la formation continue (Développements récents en droit de l'environnement (2012)), vol. 352, Éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 397; Voir, à titre d'exemple, Labelle c. Bouchard, 2021 QCCS 5089.


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