Deux importantes modifications au Règlement sur les médicaments brevetés déclarées ultra vires et inconstitutionnelles

15 minutes de lecture
22 février 2022

Le 18 février 2022, la Cour d'Appel du Québec a publié sa décision (2022 QCCA 240) concernant la contestation constitutionnelle des modifications portées au Règlement sur les médicaments brevetés (le « Règlement ») et a invalidé à la fois le nouveau calcul des prix et les nouveaux facteurs réglementaires, mais a toutefois confirmé la modification visant l'annexe des pays utilisée à titre de référence par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB).

Dans sa décision, la Cour a accueilli en partie l'appel des fabricants de médicaments et a rejeté l'appel incident du procureur général du Canada. Substituant son jugement à l'arrêt de première instance de la Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel a conclu ce qui suit :

DÉCLARE valides : (i) la totalité du Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94-688; et (ii) les modifications audit règlement publiées dans la Gazette du Canada, Partie II, le 21 août 2019 (Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la  fourniture de renseignements), DORS/2019-298), sauf  le paragraphe 3(4) introduisant  les nouveaux  alinéas  4(4)a) et 4(4)b)  et l'article 4 introduisant les nouveaux articles 4.1 à 4.4 dans le Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94-688 ;

DÉCLARE ultra vires, invalides, nuls et sans effet le paragraphe 3(4) et l'article 4 du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la  fourniture de renseignements), DORS/2019 introduisant les nouveaux alinéas 4(4)a) et 4(4)b) et les nouveaux articles 4.1 à 4.4 dans le Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94-688.

Modifications et contestations judiciaires en bref

Initialement publiées dans la Gazette du Canada, Partie II, en août 2019[1], les modifications au Règlement (les « modifications ») ont introduit trois changements importants au cadre réglementaire du CEPMB :

  1. Nouveaux facteurs réglementaires : Introduction de nouveaux facteurs réglementaires économiques devant être pris en compte au moment de déterminer si le prix d'un médicament est excessif (la valeur pharmacoéconomique, la taille du marché, le produit intérieur brut (PIB) et le PIB par habitant)[2];
  2. Nouvelle annexe des pays : Modification de l'annexe des pays utilisée à titre de référence par le CEPMB (retrait de la Suisse et des États-Unis, et ajout de l'Australie, la Belgique, l'Espagne, du Japon, la Norvège et des Pays-Bas); et
  3. Nouveau calcul des prix : Introduction d'un nouveau calcul des prix à effectuer par les titulaires de brevets pour le calcul du prix de vente d'un médicament breveté[3].

Les modifications ont été contestées auprès de la Cour fédérale et de la Cour supérieure du Québec. Les deux tribunaux ont invalidé le nouveau calcul des prix, et les deux décisions ont été portées en appel. La Cour d'appel fédérale entendra l'appel de la décision de la Cour fédérale à la fin de février 2022. La Cour d'appel du Québec a déjà entendu l'appel de la décision de la Cour supérieure du Québec et a rendu sa décision le 18 février 2022.

Comme indiqué dans un article précédent, l'entrée en vigueur des modifications au Règlement a été reportée au 1er juillet 2022.

Décision de la Cour d'appel du Québec

À la lumière des questions faisant l'objet de l'appel, la Cour d'appel du Québec a cherché à identifier le caractère véritable du Règlement tel qu'il existait avant les modifications, ainsi que du Règlement tel qu'il serait formulé en tenant compte des modifications.

En ce qui concerne le Règlement tel qu'il existait avant les modifications, la Cour d'appel a conclu que l'intention était d'éviter que des prix excessifs soient exigés pour des médicaments brevetés. Elle a noté que le Règlement n'énonçait aucun facteur additionnel à ceux prévus à l'article 85(1) de la Loi sur les brevets, les articles 83 à 85 ayant pour objet déclaré d'éviter que le monopole conféré par un brevet puisse être utilisé pour exiger des prix « excessifs » pour des médicaments brevetés[4].

Sur ce fondement, la Cour d'appel a affirmé que le tribunal de première instance n'avait pas commis d'erreur en concluant que le régime réglementaire pré-2019 relevait de la compétence fédérale relative aux brevets d'invention et de découverte[5]. La Cour d'appel a adopté la conclusion du tribunal de première instance voulant que le contrôle des prix excessifs pour des médicaments résultant du monopole conféré par un brevet possède un lien logique, réel et direct avec la compétence fédérale sur les brevets d'invention et de découverte et n'empiète pas de façon inconstitutionnelle sur la compétence provinciale[6].

En ce qui concerne les modifications, la Cour d'appel a estimé qu'elles avaient deux objets : « (a) d'une part, dans un objectif de diminution de prix, de bonifier le régime réglementaire existant en modifiant la liste des pays étrangers servant à la comparaison de prix et en tenant compte des ristournes confidentielles consenties aux grands assureurs publics; et (b) d'autre part, d'imposer des réductions significatives et arbitraires de prix afin que les médicaments brevetés soient plus abordables.» [7] Ayant examiné le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagnait les modifications, la Cour a noté que « Comme on peut aisément le constater, nous sommes bien loin du contrôle des effets sur les prix du monopole conféré par un brevet[8] ».

Dans le cadre de l'évaluation du caractère véritable des modifications, la Cour d'appel a conclu que le tribunal de première instance avait commis une erreur dans son analyse en ne tenant pas compte des objets des modifications ni des nouvelles lignes directrices du CEPMB[9] quant à l'application du Règlement modifié. En prenant compte de ces objets et des lignes directrices du CEPMB, la Cour d'appel en arrive à une conclusion différente quant au caractère véritable des modifications[10].

Se fondant en partie sur l'article 83(1) de la Loi sur les brevets, la Cour d'appel a conclu que la compétence fédérale ne peut s'étendre au-delà du prix de départ usine des médicaments brevetés[11]. Elle souligne que les nouveaux alinéas 4(4)(a) et 4(4)(b) du Règlement, qui introduisent le nouveau calcul des prix, excèdent la compétence fédérale « en ce qu'ils s'immiscent dans des domaines de compétence provinciale, soit les contrats commerciaux, la mise en marché et la vente de produits de consommation. » Les nouveaux alinéas ont donc été déclarés ultra vires[12].

En ce qui a trait à la liste des pays de comparaison à utiliser dans l'analyse, la Cour d'appel a conclu que le gouvernement fédéral a le droit d'établir cette liste. D'un point de vue constitutionnel, rien n'empêche le gouvernement fédéral d'exclure un pays de comparaison. Le fait que la modification de la liste des pays de comparaison pourrait avoir pour effet de réduire les prix n'est pas pertinent à l'analyse[13]. Par conséquent, la Cour d'appel a rejeté l'argument selon lequel la modification de la liste des pays de comparaison serait inconstitutionnelle.[14]

Quant aux nouveaux facteurs devant être pris en considération par le CEPMB (les nouveaux articles 4.1 à 4.4), tels que présentés aux termes des modifications, la Cour a affirmé que le gouvernement fédéral cherchait à outrepasser sa compétence portant sur les brevets d'invention et de découverte, et à s'immiscer dans la compétence provinciale en réglementant les prix en général[15]. La Cour a noté, à plusieurs reprises, que les facteurs réglementaires additionnels « entraîneront d'importantes réductions qui s'appliqueront à des prix qui auront déjà été déterminé comme n'étant pas excessif[16]

Conséquemment, la Cour a déclaré ultra vires, invalides, nuls et sans effet l'alinéa 3(4) et l'article 4 du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements), DORS/2019-298 introduisant les nouveaux paragraphes 4(4)(a) et 4(4)(b) et les nouveaux articles 4.1 à 4.4 au Règlement sur les médicaments brevetés.

Si vous avez des questions portant sur des points précis de cet article ou si vous souhaitez en discuter davantage, n'hésitez pas à communiquer avec les auteurs de l' article ou avec un membre de notre groupe Sciences de la vie.


[2] Article 4, introduisant les nouveaux articles 4.1-4.4 dans le Règlement sur les médicaments brevetés

[3] Alinéa 3(4), introduisant les nouveaux alinéas 4(4)(a) et 4(4)(b) dans le Règlement sur les médicaments brevetés

[4] [143-145]

[5] [179]

[6] [189]

[7] [190], voir aussi [152-154]

[8] [155-156]

[10] [165]

[11] [197-198]

[12] [203-204]

[13] [222]

[14] [225]

[15] [244]

[16] [227]


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.

Sujet(s) similaire(s)   Sciences de la vie