Appel d'offres : votre soumission comporte-t-elle des irrégularités mineures ou majeures?

Analyse de la décision de la Cour supérieure du Québec – Location Martin-Lalonde Inc. c. Municipalité de
Mansfield-et-Pontefract
(10 janvier 2023)

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13 mars 2023

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Vous déposez une soumission dans le cadre d'un appel d’offres public, mais elle n’est pas conforme. L'irrégularité qu'elle présente est-elle mineure ou majeure?



Dans sa décision Location Martin-Lalonde Inc. c. Municipalité de Mansfield-et-Pontefract[1] le 10 janvier 2023, la Cour supérieure du Québec est venue appliquer les critères établis par la Cour d'appel du Québec dans Tapitec c. Ville de Blainville[2] (ci-après « Arrêt Tapitec ») permettant d'évaluer si la non-conformité d'une soumission constitue une irrégularité mineure ou majeure.

En l'espèce, la Cour devait se demander si l'omission de fournir une lettre d'engagement garantissant l'émission d'un cautionnement d'exécution et d'un cautionnement de paiement de main-d'œuvre et des matériaux[3] constituait une condition essentielle de l'appel d'offres.

Les faits à l'origine

En octobre 2015, la Municipalité de Mansfield-et-Pontefract (ci-après « Municipalité ») publie un appel d'offres public afin de contracter un partenaire pour prendre en charge la collecte des ordures ménagères, des matières recyclables et des encombrants sur son territoire.

Deux soumissions ont été déposées : l'une par Entreprise Charette Inc. (ci-après « Entreprise Charette ») et l'autre par Location Martin-Lalonde Inc. (ci-après « LML »).

En décembre 2015, la Municipalité octroie le contrat d'une valeur annuelle de 144 660 $ avant taxes à Entreprise Charette, pour une durée de cinq ans.

Suite à cette adjudication, LML obtient l'accès aux documents de soumission déposés par Entreprise Charette et constate que cette soumission n'était pas conforme aux exigences de l'appel d'offres.

LML a alors intenté un recours judiciaire à l'encontre de la Municipalité afin d'obtenir l'indemnisation de sa perte de profits en raison de l'adjudication du contrat à Entreprise Charette. Comme moyen de défense, la Municipalité allègue que la soumission de LML était elle-même non-conforme, car LML a omis de joindre à sa soumission une lettre d'engagement garantissant l'émission d'un cautionnement d'exécution et d'un cautionnement de paiement de main-d'œuvre et des matériaux.

Principes et raisonnement

Dans la décision, la Cour supérieure du Québec a tranché (i) que la soumission d'Entreprise Charette était non-conforme à au moins cinq égards; (ii) que la soumission de LML était tachée d'une irrégularité mineure en raison de l'omission d'une lettre d'engagement ; et (iii) que la Municipalité devait indemniser LML au titre de la perte de profits résultant de l'octroi du contrat à Entreprise Charette.

À cet égard, la décision rappelle un principe mis de l'avant dans l'Arrêt Tapitec qui veut que les organismes publics évaluent les soumissions reçues de manière équitable et uniforme afin d'éviter qu'un soumissionnaire soit avantagé au détriment d'un autre.

Ce traitement uniforme se manifeste par une grande attention accordée aux irrégularités mineures et majeures. Cette distinction vient encadrer la latitude octroyée aux organismes publics dans le choix des soumissionnaires. En effet, une soumission entachée d'une irrégularité mineure ne sera pas forcément exclue et pourra remporter une adjudication, c'est ce que nous pouvons qualifier de « discrétion administrative »[4]. Le résultat en est tout autre lorsque la soumission est entachée d'une irrégularité majeure puisqu'elle se doit d'être exclue sans aucune réserve. L'irrégularité est dite majeure lorsqu'elle découle d'un manquement à une exigence essentielle ou substantielle de l'appel d'offres. La finalité d'un tel raisonnement est alors de ne pas fausser l'égale concurrence entre les soumissionnaires en lice.

Il n'est pas facile de faire la différence entre une irrégularité mineure et majeure. La décision, objet de notre article, est un exemple d'application de la règle développée dans l'Arrêt Tapitec consistant à se poser trois questions afin d'évaluer s'il y a un manquement à une obligation essentielle. Ce test en trois étapes a alors été appliqué afin de qualifier le caractère mineur ou majeur de l'irrégularité tachant la soumission de LML.

  • L'exigence est-elle d'ordre public ?

Il s'agit d'une question qui soulève peu de débats puisqu'après un simple rappel de la notion d'ordre public, le tribunal a indiqué que même si un cautionnement est un outil pratique, un tel engagement ne constitue pas une règle de droit impérative.

À titre d'exemple, dans l'Arrêt Tapitec, le tribunal convient que la clause exigeant la détention d'une licence de la Régie du bâtiment du Québec par un entrepreneur est d'ordre public.

  • Les documents de l'appel d'offres indiquent-ils expressément que l'exigence constitue un élément essentiel?

Les documents d'appel d'offres mentionnent que la soumission « doit » être accompagnée d'une lettre d'engagement. Une telle mention ne laisse planer aucun doute sur la nature essentielle de cette exigence au sein des documents d'appel d'offres.

  • À la lumière des usages, des obligations implicites et de l'intention des parties, l'exigence traduit-elle un élément essentiel ou accessoire de l'appel d'offres?

Lors de cette troisième et dernière étape du test, le tribunal a, d'une part, considéré que la valeur du cautionnement, représentant 3,5 % de la valeur annuelle du contrat, était une somme relativement minime.

D'autre part, les documents de soumission d'Entreprise Charette, le soumissionnaire retenu, ne contiennent aucune lettre d'engagement. La preuve démontre que la Municipalité n'a jamais considéré comme réellement importante l'obtention du cautionnement, puisque cette dernière n'en a jamais fait la demande auprès d'Entreprise Charette.

Cet élément pousse à se demander si, malgré les mentions dans les documents d'appel d'offres, cette exigence est réellement essentielle. Le tribunal a estimé qu'il n'avait pas à se substituer à l'adjudicateur dans l'évaluation des risques et que si celui-ci n'avait pas exigé ce cautionnement, il ne fallait pas y accorder une importance démesurée.

De ce fait, le tribunal est arrivé à la conclusion que le défaut de fournir une lettre d'engagement garantissant l'émission d'un cautionnement d'exécution et d'un cautionnement de paiement de main-d'œuvre et des matériaux ne rendait pas la soumission de LML non-conforme aux exigences essentielles de l'appel d'offres.

Toutefois, le tribunal précise que l'omission de fournir une telle lettre d'engagement a déjà été jugée comme étant une irrégularité majeure par la Cour supérieure dans des situations où le cautionnement était plus substantiel qu'un montant équivalent à 3,5 % de la valeur annuelle du contrat.

Par conséquent, l'adjudication n'aurait pas dû être octroyée à Entreprise Charette mais à LML, justifiant ainsi le versement par la Municipalité d'une indemnité à LML.

Conclusion

Six ans plus tard, les critères développés dans l'Arrêt Tapitec sont toujours d'actualité afin d'évaluer les irrégularités au sein des soumissions.

Il est important de noter que la marge de manœuvre octroyée aux organismes publics dans la sélection des soumissions est restreinte. En effet, derrière cette latitude, tant la transparence des processus contractuels que l'égalité entre les concurrents[5] irriguent toujours la sphère des marchés publics.

Pour plus d'information concernant cette décision, la rédaction des documents d'appel d'offres public et plus généralement pour toute assistance concernant vos projets de partenariat public/privé actuels et à venir, nous vous invitons à entrer en contact avec les membres de l'équipe Infrastructures de Gowling WLG.

Note : L'auteur tient à souligner la contribution de Nicolas Desmats dans la rédaction de cet article.


[1] Arrêt Location Martin-Lalonde inc. c. Municipalité de Mansfield-et-Pontefract, 2023 QCCS 27.

[2] Arrêt Tapitec inc. c. Ville de Blainville, 2017 QCCA 317.

[3] Les documents d'appels d'offres émis par la Municipalité utilisent le terme « cautionnement des obligations de l'entrepreneur pour gages et cotisations » que nous avons remplacé par « cautionnement de paiement de main-d'œuvre et des matériaux » étant donné que ce terme est plus couramment utilisé dans l'industrie et par les compagnies de cautionnement.

[4] Arrêt Maria (Office municipal d'habitation de) c. Construction LFG inc. 2014 QCCA 2034.

[5] RLRQ c C-65.1 | Loi sur les contrats des organismes publics, Article 2.


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