Giovanna Spataro
Associée
Agent de marques de commerce
Article
5
La pratique qui consiste à recycler un objet de manière à ce que le produit obtenu ait une valeur supérieure à l'article d'origine, aussi appelée « upcycling » en anglais, est de plus en plus populaire, particulièrement à l'ère où l'éco-responsabilité devient un enjeu fort important.
Or, lorsque de tels produits sont composés ou mettent en valeur des articles arborant des marques de commerce et mis sur le marché, les propriétaires de ces marques ont-ils leur mot à dire sur la réinjection de leur marque dans le marché par des tiers?
Le présent article aborde la façon dont le suprarecylage est perçu au Canada et au Royaume-Uni.
Le phénomène du suprarecyclage soulève toutefois une question d'intérêt : les modifications apportées au produit de marques sont-elles importantes au point de créer une exception au phénomène de l'épuisement? Une récente décision de la Cour fédérale[4] semble suggérer que cela serait possible dans certaines circonstances.
En effet, dans l’affaire H-D U.S.A., LLC c. Varzari, le litige porte sur la modification et l'incorporation par le défendeur, M. Eli Varzari, de pièces de motocyclette portant des marques détenues par Harley-Davidson (H-D U.S.A. LLC) dans des vélos électriques personnalisés qu'il confectionne et vend lui-même sous le nom « Harley Davidson Willie G Edition ». La Cour a distingué cette situation d'une simple revente et déterminé que le principe de l'épuisement ne trouve pas application en l'espèce.
La Cour conclut qu'il y a là usurpation des marques de Harley-Davidson, commercialisation trompeuse et dépréciation probable de l'achalandage. La Cour prononce une injonction permanente qui interdit à M. Varzari de vendre ou de faire la publicité de ses vélos électriques, exige la remise ou destruction de toute reproduction des vélos ou de matériel de marketing et accorde des dommages-intérêts.
Bien que la Cour ait reconnu des droits à un propriétaire de marque dans un contexte de suprarecyclage, il convient d'insérer cette décision dans son contexte :
Le Royaume-Uni adopte une position semblable à celle du Canada quant au principe de l’épuisement. En général, les droits de marques de commerce sur un bien sont considérés comme épuisés dès que ce bien est vendu. Ce principe s’applique lorsque les biens sont authentiques (la marque a donc été appliquée légalement) et que le propriétaire de cette marque a consenti à ce que les biens soient mis sur le marché.
En ce qui concerne les biens mis sur le marché dans l’Union européenne (UE) et l’Espace économique européen (EEE) par un titulaire de marque britannique ou avec son consentement, les droits sur la marque seront considérés comme épuisés même au Royaume-Uni, et ce, malgré le Brexit. Contrairement au Canada, qui applique généralement le principe d’épuisement international des droits, le Royaume-Uni ne considère pas que la commercialisation de biens en dehors de l’UE, de l’EEE et du Royaume-Uni entraîne l’épuisement des droits des titulaires de marques britanniques.
En revanche, la législation britannique, à l’instar de celle du Canada, reconnaît que les modifications apportées à un produit peuvent entraîner une exception à l’épuisement des droits [5] , particulièrement lorsqu’une modification consiste en l’ajout d’un nouvel élément auquel le titulaire de la marque n’a pas consenti. En vertu de cette exception, le titulaire d’une marque demeure en droit de s’opposer à la commercialisation ultérieure de ses biens, notamment en alléguant que sa marque a été contrefaite.
Étant donné que le suprarecyclage implique la modification d’un bien et que la présence d’une marque de commerce visible sur un vêtement ainsi recyclé peut grandement en rehausser le prestige et la valeur, il sera intéressant de voir dans quelle mesure les titulaires de marques de commerce intenteront des actions en contrefaçon dans le cadre de cette exception.
Les tribunaux britanniques, comme leurs équivalents canadiens, porteront une attention particulière à l’ampleur d’une modification avant de déterminer si l’exception est applicable, et formuleront leurs avis au cas par cas. Plusieurs affaires portant sur la modification d’un produit sous-jacent et la mesure dans laquelle le principe d’épuisement s’applique ont déjà été entendues. Ainsi, il suffira peut-être d’adapter l’interprétation de la loi existante à chaque nouvelle situation. Pour en savoir plus sur la législation relative à l’épuisement des droits, consultez notre article à ce sujet (en anglais).
Au Royaume-Uni, la demande pour les vêtements suprarecyclés en particulier est à la hausse. En appliquant le raisonnement des tribunaux canadiens à cette réalité britannique, on détermine que les vêtements faisant l’objet de suprarecyclage tombent dans une catégorie de produits identique à celle des produits vendus par le titulaire de marque, ce qui pose un risque de confusion accru.
Par ailleurs, de nombreux titulaires de marques proposent leurs propres services de suprarecyclage (en anglais), augmentant ainsi la vraisemblance d’une affiliation avec la marque en question. Donc, il est probable que l’exception relative aux modifications continuera à positionner les suprarecycleurs en terrain délicat sur le plan juridique. Il leur faudra procéder avec vigilance.
Afin d'obtenir des conseils personnalisés sur la meilleure façon de protéger votre marque, nous vous invitons à consulter un membre de l'équipe de Marques de Commerce chez Gowling WLG.[1] Loi sur les marques de commerces, L.R.C. (1985), ch. T-13, art.19.
[2] Jeremy de Beer et Robert Tomkowicz, « Exhaustion of intellectual property rights in Canada », (avril 2009) 25-3 Canadian Intellectual Property Review, p.7.
[3] Consumers Distributing Co. c. Seiko, (1984) 1 RCS 583, p.593.
[4] H-D U.S.A., LLC c. Varzari, 2021 CF 620.
[5] Royaume-Uni : Règlement de 2019 sur la propriété intellectuelle (épuisement des droits) (sortie de l’UE) (S.I. 2019/265), art. 12(2)
CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.