Le Québec à l'avant-garde de la législation sur la transparence des entreprises au Canada

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16 février 2023

À compter du 31 mars 2023, la plupart des sociétés par actions et autres types d'entreprises exerçant des activités au Québec et immatriculées au Québec devront déclarer leurs bénéficiaires ultimes au registre des entreprises du Québec, un registre public.



Vue d'ensemble

Depuis 2019, les sociétés par actions privées constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») doivent se conformer à des exigences en matière de transparence corporative et, plus récemment, la plupart des sociétés par actions privées provinciales[1] se sont aussi vu imposer des exigences similaires.  Ces sociétés sont tenues d'inscrire, dans un registre tenu par la société, les renseignements sur les particuliers ayant un contrôle important sur celles-ci. Le registre tenu par la société n'est pas public, mais, sur demande, une copie du registre doit être communiquée à certaines parties, notamment aux autorités fiscales et aux autorités chargées de l'application de la loi.

À compter du 31 mars 2023, la nouvelle législation québécoise sur la transparence[2] des entreprises s'applique à la plupart des sociétés par actions et autres types d'entreprises exerçant des activités au Québec et immatriculées au Québec en vertu de la Loi sur la publicité légale des entreprises (la « Loi »). Elle amène deux changements importants relativement au modèle canadien. Premièrement, elle exige la déclaration de l'information non seulement par les sociétés par actions, mais par tous les types d'entreprises, dans chaque cas sans égard à leur territoire d'origine. Deuxièmement, les renseignements déclarés sont inscrits au registre des entreprises du Québec, un registre accessible au public sans frais. De cette façon, le Québec suit l'exemple du Royaume-Uni et de certains États membres de l'Union européenne.

De plus, en mars 2024, il sera possible de faire une recherche au registre des entreprises du Québec sous le nom ainsi que l'adresse d'une personne physique. Cela augmentera la transparence des entreprises en permettant au public d'identifier toutes les entreprises ayant des liens avec une personne physique.

Quelles sont les entreprises concernées ?

Les entreprises immatriculées en vertu de la Loi qui sont assujetties aux nouvelles exigences
(les « assujettis ») comprennent, entre autres, les sociétés par actions, les sociétés en nom collectif ou en commandite, les entreprises individuelles, les coopératives et les fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial, sans égard au pays ou au territoire où elles ont été constituées.

Il existe toutefois quelques exceptions notables. Les entreprises dispensées de déclarer leurs bénéficiaires ultimes sont les émetteurs assujettis au sens de la Loi sur les valeurs mobilières (Québec), les banques, les sociétés de fiducie et autres institutions financières prescrites, les organismes sans but lucratif établis pour un intérêt privé, les personnes morales établies dans l'intérêt public, les syndicats de copropriétaires[3] et les associations au sens du Code civil du Québec.

Qui sont les bénéficiaires ultimes ?

À l'instar de la définition d'un « particulier ayant un contrôle important » en vertu de la LCSA, un bénéficiaire ultime désigne une personne physique qui répond à l'un des critères suivants :

  • une personne physique qui est détentrice, directement ou indirectement, ou est bénéficiaire :
    • d'actions, de parts ou d'unités conférant au moins 25 % des droits de vote de l'assujetti; ou
    • d'actions, de parts ou d'unités dont la valeur représente au moins 25 % de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités émises par l'assujetti;
  • une personne physique qui a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l'assujetti au sens de la Loi sur les impôts du Québec;
  • le commandité d'une société en commandite ou, si le commandité n'est pas une personne physique, un bénéficiaire ultime de ce commandité;
  • les détenteurs (y compris les détenteurs indirects) ou les bénéficiaires qui ont accepté d'exercer conjointement 25 % ou plus des droits de vote rattachés aux actions, aux parts ou aux unités de l'assujetti;
  • le fiduciaire d'une fiducie exploitant une entreprise à caractère commercial et certains bénéficiaires; et
  • une personne physique qui exploite une entreprise individuelle.

Mesures à prendre

Déterminer l'identité du bénéficiaire ultime sera pour certains un exercice onéreux.  Notamment, la référence au contrôle de fait en vertu de la Loi sur les impôts du Québec ajoute une couche de complexité[4].

Les assujettis en vertu de la Loi sont tenus de prendre « les moyens nécessaires » pour retracer leurs bénéficiaires ultimes et s'assurer de leur identité. Le gouvernement du Québec indique sur son site Web que les moyens nécessaires sont supérieurs à des moyens raisonnables et peuvent comporter « une analyse juridique, documentaire et factuelle ».

La première étape consiste pour un assujetti à interroger toutes les parties (pas seulement les personnes physiques) qui ont un intérêt dans cet assujetti. Dans le cas d'une société par actions, cela signifie qu'il faut communiquer avec tous les actionnaires et poser les bonnes questions afin d'effectuer une recherche au-delà des actionnaires inscrits. Il incombe aux assujettis de repérer et d'examiner les contrats qui peuvent aider à établir l'identité des bénéficiaires ultimes, comme les conventions d'actionnaires, de vote fiduciaire ou de prête-nom. S'il est nécessaire de déterminer la juste valeur marchande de toutes les actions, cela peut nécessiter de recourir à des comptables ou autres conseillers financiers.

Contrairement à la LCSA et aux autres lois provinciales sur les sociétés par actions, les actionnaires d'une société n'ont pas l'obligation, en vertu de la Loi, de fournir les renseignements qui leur sont demandés par un assujetti et, par conséquent, ils ne sont pas exposés à des amendes au regard de la Loi.

Renseignements à divulguer

La Loi impose aux assujettis de fournir au registraire des entreprises les renseignements suivants à l'égard de chaque bénéficiaire ultime :

  • son nom complet et tout autre nom utilisé au Québec;
  • sa date de naissance;
  • la date à laquelle un bénéficiaire est devenu un bénéficiaire ultime et celle à laquelle il a cessé de l'être;
  • une adresse résidentielle ou professionnelle (une personne physique ne peut avoir qu'une seule adresse professionnelle dans le registre des entreprises); et
  • le type de contrôle exercé ou le pourcentage d'actions, de parts ou d'unités détenues ou dont il est bénéficiaire.

De plus, les nouvelles règles requièrent aussi la divulgation de renseignements additionnels relatifs aux administrateurs ou autres individus qui figurent au registre des entreprises (tel que les dirigeants, ou les individus qui sont actionnaires) :

  • pour chaque administrateur, les assujettis doivent soumettre au registraire des entreprises une copie d'une pièce d'identité émise par une autorité gouvernementale et qui n'a pas expiré, avec les nom et prénom de l'administrateur et sa date de naissance; et
  • toutes les personnes physiques identifiées dans le registre des entreprises (tel que les dirigeants, ou les individus qui sont actionnaires) doivent déclarer leur date de naissance.

Il est important de noter que la date de naissance d'une personne physique et les renseignements concernant une personne mineure ne seront pas accessibles au public; l'adresse résidentielle d'une personne physique ne le sera pas non plus si la personne a déclaré une adresse professionnelle. Une personne peut demander au registraire que ses renseignements personnels soient dispensés de publication si elle a des motifs raisonnables de croire que la publication de ces renseignements constituerait une menace sérieuse pour sa sécurité.

Dates importantes

À compter du 31 mars 2023, les nouvelles entreprises constituées au Québec et les autres entreprises qui ne sont pas déjà immatriculées en vertu de la Loi auront 60 jours à compter de la date de leur constitution (entreprises québécoises) ou 60 jours à compter de la date à laquelle elles exercent une activité au Québec déclenchant une obligation d'immatriculation pour déposer une déclaration comprenant la divulgation de leurs bénéficiaires ultimes.

Pour les assujettis existants en vertu de la Loi, à compter du 31 mars 2023, la divulgation de leurs bénéficiaires ultimes doit être incluse dans leur prochaine déclaration de mise à jour annuelle ou dans toute déclaration requise pour mettre à jour les renseignements consignés au registre des entreprises.

Conséquences du non-respect de la Loi

Les sanctions pécuniaires prévues par la Loi peuvent s'échelonner de 500 $ à 25 000 $ pour une première infraction et peuvent être doublées en cas de récidive. Un dirigeant, un agent ou un administrateur de biens de tiers peut se voir imposer une sanction pécuniaire s'il commet une infraction à la Loi.

Au-delà des infractions mentionnées ci-dessus, les entreprises devraient aussi tenir compte d'autres conséquences du non-respect de la Loi. Par exemple, une demande présentée par une personne non immatriculée devant un tribunal peut être suspendue. Le registraire des entreprises peut effectuer une inspection pour vérifier la conformité à la Loi et peut radier une immatriculation.

À noter dans le contexte de financements et de ventes et acquisitions d'entreprises, un assujetti ne pourra pas obtenir de certificat d'attestation s'il n'a pas déposé à temps les déclarations de mise à jour annuelles. Ainsi, lorsqu'un certificat est exigé pour la clôture d'une opération, il faudra prévoir suffisamment de temps pour se conformer à la Loi et à ses nouvelles exigences en matière de déclaration des bénéficiaires ultimes.

Prochaines étapes

Compte tenu des défis que représentent l'interprétation des aspects de la Loi et l'identification des bénéficiaires ultimes, les entreprises auraient intérêt à passer à l'action le plus tôt possible.

Veuillez aussi noter que des amendements additionnels à la Loi, qui ne sont pas encore en vigueur, ont été récemment présentés à l'Assemblée Nationale du Québec.[5] Nous continuerons de suivre ces développements ainsi que tout impact important qu'ils pourraient avoir s'ils sont adoptés.

N'hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez besoin d'aide pour vous conformer aux nouvelles exigences de transparence des entreprises ou pour établir des procédures afin de demeurer conformes à ces dernières.


[1] Sociétés par actions constituées en vertu des lois des provinces de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan (à compter du 12 mars 2023), du Manitoba, de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard ou de Terre-Neuve-et-Labrador. La Nouvelle-Écosse a adopté une loi sur la transparence des sociétés par actions qui n'est pas encore en vigueur.

[2] Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (auparavant, le projet de loi n0 78); la loi modifie la Loi sur la publicité légale des entreprises en vertu de laquelle les entreprises qui exercent des activités au Québec doivent s'immatriculer.

[3] Selon le Projet de Règlement modifiant le Règlement d'application de la Loi sur la publicité légale des entreprises publié dans la Gazette officielle du Québec le 18 janvier 2023.

[4] Le gouvernement du Québec indique sur son site Web que le contrôle de fait pourrait s'étendre, par exemple, à un membre de la famille, un employé de longue date, un client ou un créancier, selon son influence sur la gestion de l'entreprise.


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