Vos salariés ont-ils droit à deux (2) jours d'absence rémunérés de plus que ce que prévoit leur convention collective? Le débat se poursuit.

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03 février 2023

Il arrive régulièrement qu'un employeur soit confronté à des griefs réclamant l'ajout de jours d'absence rémunérés en sus de ce que prévoit la convention collective à laquelle il est partie. Il existe d'ailleurs présentement un vrai débat entre arbitres de griefs à ce sujet, ces derniers ayant rendu des décisions pouvant parfois paraître contradictoires.

Or, le 24 janvier 2023, la Cour d'appel du Québec a rendu l'arrêt Maax Bath inc. c. Syndicat des salariés d'acrylique de Beauce (CSD)[1]l'arrêt Maax Bath ») dans lequel elle se prononce pour la première fois dans une affaire concernant l'application des journées d'absence rémunérées découlant des articles 79.1, 79.7 et 79.16 de la Loi sur les normes du travail[2] (la « LNT ») dans un milieu régi par une convention collective prévoyant déjà certaines absences rémunérées.  

Contexte juridique avant l'arrêt Maax Bath

À titre de rappel, le 1er janvier 2019, l'entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d'autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail[3] a entraîné l'ajout de nouvelles journées d'absence rémunérées à la LNT.

Plus précisément, depuis cette date, un salarié a le droit d'être rémunéré[4] pour les deux (2) premières journées prises annuellement afin de s'absenter pour des raisons familiales ou parentales couvertes par l'article 79.7 de la LNT[5] ou pour cause de maladie ou autres causes prévues par l'article 79.1 de la LNT[6]. Ce droit à des journées rémunérées naît dès que le salarié justifie de trois mois de service continu, même s'il s'est absenté auparavant.

Toutefois, un employeur n'est pas tenu de rémunérer plus de deux journées d'absence au cours d'une même année, lorsque le salarié s'absente du travail pour l'un ou l'autre des motifs prévus à l'article 79.1 ou 79.7 de la LNT[7]. À titre d'exemple, si un salarié ayant droit à ces journées d'absence rémunérées s'est déjà absenté au cours d'une année pendant deux jours pour cause de maladie, son employeur n'est pas tenu en vertu de la LNT de le rémunérer s'il s'absente à nouveau pour une journée au cours de cette même année, mais cette fois pour raisons familiales ou parentales.

Rappelons que les normes du travail prévues à la LNT sont, règle générale, d'ordre public. Ainsi, une disposition contenue notamment dans une convention collective ou un contrat de travail qui déroge à une norme du travail est nulle de nullité absolue, à moins que cette disposition ne soit plus avantageuse que la norme prévue à la LNT qui lui correspond, ou encore que la LNT ne permette expressément une dérogation[8].

L'application des nouvelles journées rémunérées de la LNT est relativement simple dans les milieux de travail où l'employeur n'offre pas de tels congés à ses salariés en sus de ce qui est prévu par cette loi. Toutefois, dans les milieux de travail syndiqués, les parties prévoient fréquemment dans leurs conventions collectives diverses absences rémunérées, comme des congés mobiles, des congés personnels, des banques de congés de maladie, etc. Or, le législateur n'a pas précisé dans quelle mesure les journées d'absence rémunérées prévues à une convention collective pouvaient satisfaire aux exigences minimales de la LNT. Ainsi, les arbitres ont eu à se prononcer à plusieurs reprises dans les dernières années à savoir si les nouvelles journées d'absences rémunérées de la LNT étaient « moindres et incluses » ou encore s'ajoutaient aux absences rémunérées déjà prévues à une convention collective. Cette question fait d'ailleurs l'objet d'une certaine controverse dans la jurisprudence arbitrale. Il s'agissait d'ailleurs de la question principale en litige dans l'affaire qui a mené à l'arrêt Maax Bath.

Les faits

Cette affaire a commencé par le dépôt d'un grief collectif par le syndicat intimé contestant le refus de l'employeur de rémunérer en fonction des nouvelles dispositions de la LNT trois (3) salariés s'étant absentés pour cause de maladie ou pour des obligations familiales. L'employeur aurait plutôt demandé à ces salariés d'utiliser les congés mobiles rémunérés auxquels ils avaient droit en vertu de leur convention collective. Le grief réclamait entre autres que l'employeur soit condamné à verser à ces salariés leur rémunération pour les jours où ils s'étaient absentés.

L'arbitre Me Martin Racine a été saisi par les parties de ce grief. Celui-ci a constaté que les congés mobiles pouvaient être utilisés pour des raisons variées, comme pour aller à un rendez-vous au garage, à la pêche ou au golf. Ces journées pouvaient également être prises pour des raisons couvertes par les articles 79.1 et 79.7 de la LNT. En outre, l'arbitre a constaté que le droit à des congés mobiles en vertu de la convention collective naissait à partir du moment où le salarié avait un (1) an d'ancienneté.

Ainsi, compte tenu de ce qui précède, l'arbitre a accueilli en partie le grief. Celui-ci a déclaré que l'employeur devait rémunérer au moins deux absences par année pour obligations familiales ou maladie même dans le cas où les congés mobiles prévus à la convention collective avaient déjà été utilisés pour d'autres motifs. Il a aussi déclaré que cette obligation valait pour tout salarié ayant trois mois d'ancienneté. Toutefois, il a rejeté la réclamation des salariés estimant que, dans leurs cas, ils auraient pu utiliser leurs congés mobiles lors des jours où ils se sont absentés.

L'employeur Maax Bath inc. a saisi la Cour supérieure d'un pourvoi en contrôle judiciaire à l'encontre de la sentence arbitrale de l'arbitre Racine. Ce pourvoi a été rejeté par l'honorable juge Claudia P. Prémont, qui a estimé que la décision de l'arbitre était raisonnable. C'est donc contre ce jugement que l'employeur se pourvoyait devant la Cour d'appel.

L'arrêt Maax Bath

La Cour d'appel a rejeté l'appel, estimant que la décision de l'arbitre est raisonnable au sens que le requièrent les tribunaux et que la Cour supérieure ne s'est pas trompée dans l'administration de ce test visant à déterminer si la décision arbitrale était raisonnable ou non.

La Cour d'appel nous rappelle la méthode qui doit être utilisée pour déterminer si des dispositions d'une convention collective prévoient des conditions aussi avantageuses que celles de la LNT sur la question des congés payés pour maladie ou obligations familiales. À cet égard, la Cour d'appel nous réfère à l'arrêt Montreal Standard c. Middleton[9], un arrêt abondamment cité par les arbitres dans des affaires similaires, et nous indique qu'il faut effectuer l'analyse suivante :

  • Il faut d'abord que l'arbitre s'interroge à savoir si la condition de travail de la convention collective est de même nature et vise le même objet que la norme statutaire; et
  • Il faut ensuite que l'arbitre détermine si la disposition conventionnelle est au moins aussi avantageuse que la norme.

Selon la Cour d'appel, on comprend du raisonnement de l'arbitre qu'il considère que les congés mobiles de la convention collective ne sont pas de même nature et ne visent pas le même objet que les dispositions de la LNT portant sur le paiement des journées pour obligations familiales ou pour maladie. Celui-ci affirme que la clause prévoyant les congés mobiles ratisse « beaucoup plus large » que les motifs de maladie ou d'obligations familiales et que ces congés mobiles sont en réalité de journées de vacances supplémentaires. On comprend également que l'arbitre considère que la clause de congés mobiles n'offre pas de conditions équivalentes aux dispositions de la LNT, notamment eu égard à l'ancienneté requise pour en bénéficier et au fait qu'un salarié qui aurait utilisé tous ses congés mobiles pour des raisons autres que celles visées par les articles 79.1 et 79.7 de la LNT perdrait le bénéfice de journées payées s'il devait s'absenter pour ces raisons. Ces conclusions ont mené l'arbitre au résultat résumé ci-dessus que la Cour d'appel estime raisonnable.

Concernant la controverse jurisprudentielle existante, la Cour indique qu'il ne lui revenait pas « de trancher le litige ni de se prononcer sur la jurisprudence des arbitres de griefs ou la réorganiser ». D'ailleurs, la Cour aborde cette controverse de la façon suivante :

« [15] Les parties proposent à la Cour des décisions arbitrales qui peuvent apparaître divergentes à première vue quant au problème soulevé dans le présent dossier. Il est cependant bien connu en droit administratif que la présence d'une controverse jurisprudentielle au sein d'un tribunal administratif ne suffit pas à justifier l'intervention des cours de justice. Autrement dit, l'existence d'une opposition entre « deux ou trois écoles de pensée sur un même sujet […] n'est pas, en soi, motif de contrôle judiciaire ». Ainsi, même si un arbitre s'écarte d'une jurisprudence administrative majoritaire, sa décision n'est pas nécessairement déraisonnable.

[16] D'ailleurs, la jurisprudence arbitrale soumise par les parties ne constitue pas deux blocs monolithiques, alors que les résultats dépendent de la preuve et des textes applicables à chaque litige. Cette appréciation contextualisée de la preuve est de prime abord du ressort des arbitres mêmes. L'arbitre peut également imposer des réparations qu'il estime adéquates dans les circonstances de l'affaire qui se présente à lui. » [Références omises]

Conclusion

Bref, la Cour d'appel s'abstient de mettre un terme au débat qui bat son plein entre arbitres de griefs et fait des émules chez les avocats pratiquant en droit du travail.

Il demeurera donc possible pour un employeur dans plusieurs cas de prétendre devant un arbitre de griefs que les journées d'absence rémunérées prévues à la LNT sont « moindres et incluses » dans celles déjà prévues aux conventions collectives régissant les conditions de travail de leurs salariés. L'issue de tels litiges dépendra de l'appréciation contextualisée que fera l'arbitre de la preuve administrée ainsi que du libellé des dispositions applicables des conventions collectives. 

Le débat demeure ouvert.

Pour plus d'information quant aux répercussions de cette décision, nous vous invitons à communiquer avec un membre de l'équipe Travail, emploi et droits de la personne de Gowling WLG.


[1] 2023 QCCA 102

[2] RLRQ, c. N-1.1.

[3] L.Q. 2018, c. 21.

[4] La rémunération est déterminée selon la formule de calcul prévue à l'article 62 de la LNT, soit la formule de calcul applicable pour la rémunération des jours fériés, avec les ajustements requis en cas de fractionnement.

[5] Cet article prévoit qu'un salarié peut s'absenter du travail pendant 10 journées par année pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l'éducation de son enfant ou de l'enfant de son conjoint, ou en raison de l'état de santé d'un parent ou d'une personne pour laquelle le salarié agit comme proche aidant, tel qu'attesté par un professionnel œuvrant dans le milieu de la santé et des services sociaux régi par le Code des professions, RLRQ, c. C-26.

[6]  Cet article prévoit qu'un salarié peut s'absenter du travail pendant une période d'au plus 26 semaines sur une période de 12 mois pour cause de maladie, de don d'organes ou de tissus à des fins de greffe, d'accident, de violence conjugale ou de violence à caractère sexuel dont il a été victime. En outre, un salarié peut s'absenter du travail pendant une période d'au plus 104 semaines s'il subit un préjudice corporel grave à l'occasion ou résultant directement d'un acte criminel le rendant incapable d'occuper son poste habituel. En ce cas, la période d'absence débute au plus tôt à la date à laquelle l'acte criminel a été commis ou, le cas échéant, à l'expiration de la période prévue au premier alinéa, et se termine au plus tard 104 semaines après la commission de l'acte criminel.

[7] 79.16 de la LNT.

[8] Articles 93 et 94 de la LNT.

[9] 1989 CanLII 418 (QC CA).


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