Toute la vérité, rien que la vérité : ne pas porter à la connaissance du Juge autorisant une saisie-contrefaçon toutes les informations utiles peut être lourd de conséquences

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13 mars 2024

En France, et à présent devant la Juridiction unifiée du brevet, la saisie est l'instrument par excellence de preuve de la contrefaçon.  D'une efficacité redoutable, elle est strictement encadrée du fait de sa nature invasive et du caractère en principe non contradictoire de sa procédure d'obtention. En France, au-delà d'un cadre légal ad hoc, la jurisprudence et notamment la Cour de cassation a édicté au fil des années des obligations que le requérant est tenu de respecter sauf à risquer de voir son autorisation rétractée ou sa saisie annulée après plusieurs années de procédure, et se voir ainsi privé de toute preuve de la contrefaçon. Parmi ces obligations figure l'obligation de loyauté.

Dans un arrêt rendu le 6 décembre 2023, la Cour de cassation a rappelé que, si le titulaire de droits n'a pas à justifier de circonstances particulières pour obtenir l'autorisation de réaliser une saisie-contrefaçon (le requérant devant seulement démontrer sa qualité à agir et apporter un commencement de preuve de la contrefaçon), cette mesure doit rester équitable, loyale et proportionnée. En effet, le requérant est tenu de faire état de l'ensemble des faits objectifs de nature à permettre au Juge d'exercer son pouvoir d'appréciation des circonstances de la cause, afin de lui permettre de rendre une décision proportionnée.



En l'espèce, Puma avait obtenu une ordonnance autorisant une saisie-contrefaçon dans des locaux de Carrefour. Lors de l'action en contrefaçon introduite à la suite de la conduite de ces opérations, Carrefour a soulevé la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, relevant que Puma n'avait pas informé le Juge d'éléments qui lui auraient pourtant été utiles pour prendre sa décision. Carrefour faisait ainsi valoir que le signe argué de contrefaçon avait fait l'objet de dépôts de marques par Carrefour, que Puma avait formé opposition à l'encontre de l'enregistrement de ces marques, et qu'à la date du dépôt de la requête en saisie-contrefaçon, des décisions avaient déjà été rendues par l'INPI – et pour certaines confirmées en appel – et concluaient au rejet des oppositions faute de risque de confusion entre les signes en cause. Le Tribunal, constatant que ces éléments n'avaient pas été portés à la connaissance du Juge ayant autorisé la saisie-contrefaçon, et après avoir rappelé que le Juge n'était pas lié par les décisions rendues dans le cadre des procédures d'opposition en cause, avait conclu à l'attitude déloyale de Puma et, sans préjuger de la décision que le Juge aurait rendue s’il avait été en mis en possession des informations qui lui ont été dissimulées, avait en conséquence annulé les procès-verbaux de saisie-contrefaçon.

Cette décision ayant été confirmée en appel, c'est dans ce contexte que la Cour de cassation saisie par Puma, se fondant sur l'article 3 de la Directive 2004/48/CE et sur l'article 10 du code civil, juge qu'en omettant de faire état de ces éléments pourtant pertinents, le requérant a manqué à son obligation de loyauté. La Cour de cassation juge donc que c'est à bon droit que la Cour d'appel a annulé les procès-verbaux de saisie, privant ce faisant le demandeur des éléments de preuve recueillis plus de 6 ans auparavant.

Si la nature invasive et non contradictoire de la saisie-contrefaçon justifie qu'une obligation particulière de loyauté pèse sur la partie sollicitant une telle mesure, le périmètre de cette obligation peut s'avérer difficile à appréhender. En effet, la déloyauté d'une partie s'apprécie à la lumière de l'importance de l'information omise, prise dans son contexte global, et qui varie donc d'une affaire à l'autre. C'est donc avec une certaine prudence que le requérant se doit d'apprécier, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, si l'omission d'une information pourrait être jugée déloyale.

Devant la Juridiction unifiée du brevet, la Règle 192(3) des Règles de procédure impose également au requérant à une mesure de conservation des preuves "de divulguer tout fait important dont il a connaissance et qui pourrait influencer la Juridiction dans sa décision d'autoriser la mesure sans entendre le défendeur", reprenant en substance l'obligation de loyauté. Cette obligation d'ailleurs a été très récemment explicitée par la Division locale de Paris qui, dans une ordonnance du 1er mars 2024 rendue dans l'affaire C-Kore Systems Limited c. Novawell, a jugé que le requérant à une saisie a l'obligation de faire une présentation loyale et non dénaturée des faits justifiant une telle mesure, et ce tout particulièrement – mais pas exclusivement – lorsqu'elle est sollicitée ex parte.


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