Wendy J. Wagner
Associée
Cochef, groupe national Cybersécurité et protection des données; chef, Commerce international et douanes
Article
Le 2 avril 2025, le président des États-Unis Donald Trump a annoncé l’entrée en vigueur prochaine d’une série de tarifs douaniers de vaste portée lors de ce qu’il a appelé le « jour de la libération ». Son but? Remodeler le système de commerce international établi par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale en vertu du cadre de libéralisation commerciale du GATT/de l’OMC. L’administration Trump affirme que ces mesures protégeront les industries et les travailleurs du pays. Les critiques craignent en revanche qu’elles n’entraînent une hausse des prix et une instabilité économique, non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier.
C’est depuis la roseraie de la Maison-Blanche que le président Trump a annoncé l’arrivée des nouveaux tarifs réciproques. À cet égard, il a invoqué la même loi que celle régissant les tarifs récemment imposés au Canada et au Mexique, soit la International Economic Emergency Powers Act (« IEEPA »). S’échelonnant entre 10 et 50 %, les nouveaux tarifs s’appliquent à des produits importés à l’échelle mondiale, mais le Canada et le Mexique y ont échappé.
Pour le Canada et le Mexique, les décrets visant le fentanyl et la migration découlant de l’IEEPA demeurent en vigueur et ne sont aucunement modifiés par ces mesures. Ainsi, les produits répondant aux critères de l’ACEUM bénéficient d’un traitement en franchise, les produits qui n’y répondent pas sont assujettis à un droit de douane de 25 %, et les produits énergétiques et de potasse non conformes à l’ACEUM sont pour leur part frappés d’un tarif de 10 %. Si les décrets visant le fentanyl et la migration découlant de l’IEEPA sont annulés, les produits conformes à l’ACEUM continueront de recevoir un traitement préférentiel (0 % de droits de douane), tandis que les produits non conformes à l’ACEUM seront assujettis à un tarif réciproque de 12 %. En ce qui concerne le tarif de 25 % sur l’acier, l’aluminium et certains dérivés de ces métaux, c’est le statu quo. Le tarif de 25 % sur certaines automobiles et pièces automobiles est entré en vigueur hier.
Conformément au décret présidentiel (en anglais), les droits de douane demeureront en place jusqu’à ce que le président Trump détermine que l’urgence nationale qu’il a déclarée est résolue. Il conserve également le pouvoir d’augmenter les tarifs en réponse aux mesures de rétorsion de ses partenaires commerciaux, ou de les réduire si les déséquilibres perçus diminuent.
Par ailleurs, des tarifs réciproques, calculés individuellement et s’appliquant aux 60 pays avec lesquels les États-Unis affichent des déficits commerciaux, entreront en vigueur le mercredi 9 avril à 0 h 01 (HAE).
Le gouvernement Trump dit avoir calculé une valeur globale des droits de douane imposés aux produits américains par chacun des pays concernés. Cette valeur inclurait la somme des taux tarifaires réels, plus la valeur des manipulations des devises et celle des barrières non tarifaires imposées à l’encontre des importations américaines dans ces pays. À partir du 9 avril, un tarif correspondant à environ la moitié de cette valeur sera imposé sur les importations en provenance des pays concernés. L’administration Trump a par exemple calculé que l’Union européenne impose un taux tarifaire global de 39 % sur les importations américaines. En contrepartie, les États-Unis imposeront donc un tarif de 20 % sur les produits provenant de l’UE.
L’entrée en vigueur des tarifs réciproques généraux de 10 % s’appliquant aux autres pays, sauf le Canada et le Mexique, est prévue pour le samedi 5 avril 2025 à 0 h 01 (HAE).
Conformément au décret visant le fentanyl et la migration adopté à l’encontre du Canada et initialement établi en vertu de l’IEEPA par le décret 14193 du 1er février 2025, et modifié par le décret 14197 du 3 février 2025 et le décret 14231 du 6 mars 2025, les produits importés aux États-Unis en provenance du Canada ou du Mexique qui ne sont pas conformes à l’ACEUM sont assujettis à un tarif de 25 %. L’énergie, les ressources énergétiques et la potasse importées du Canada, et qui ne sont pas considérées comme des produits originaires aux termes de l’ACEUM, sont soumises à des tarifs moins élevés, de l’ordre de 10 %. Les produits conformes à l’ACEUM sont pour leur part exemptés de tarifs additionnels.
Selon le décret publié le 2 avril dernier, si les décrets visant le fentanyl et la migration sont suspendus, le Canada sera assujetti à un droit de douane de 12 %, qui ne s’appliquera toutefois pas aux produits répondant aux critères de l’ACEUM, ni à l’énergie ou à la potasse. Ce traitement relativement favorable du Canada dans le cadre du décret présidentiel sur les tarifs douaniers réciproques pourrait signifier que le gouvernement américain tient compte de son partenariat avec le Canada et prévoit de négocier avec son voisin du nord après les élections canadiennes pour annuler les décrets visant le fentanyl et pour renégocier l’ACEUM.
Le président Donald Trump a annoncé l’arrivée de tarifs de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance du Canada et de tous les autres pays, agissant alors par voie d’une proclamation présidentielle fondée sur son pouvoir en vertu de l’article 232 de la Trade Expansion Act de 1962. Signée le 10 février 2025, cette proclamation vise à protéger la sécurité nationale des États-Unis en s’attaquant à la menace posée par l’importation excessive de ces deux matériaux. Ces tarifs sont entrés en vigueur le 12 mars 2025 et les produits en acier et en aluminium conformes à l’ACEUM n’en sont pas exemptés.
Compte tenu des annonces du 2 avril dernier, le statu quo demeure pour les tarifs sur l’acier et l’aluminium.
Le président Trump a confirmé qu’un tarif de 25 % s’appliquera aux importations d’automobiles dès le 3 avril 2025 à 0 h 01 (HE). Celui-ci a d’abord été annoncé par une proclamation présidentielle le 26 mars 2025, conformément à l’article 232 de la Trade Expansion Act de 1962, qui autorise la prise de telles mesures lorsque la sécurité nationale est menacée.
Les automobiles importées sont toutes assujetties au tarif de 25 % à compter du 3 avril. Notons qu’il ne s’applique pas au contenu américain des automobiles si l’ensemble de ce contenu est supérieur à 20 %.
Toutefois les pièces automobiles de base (telles que décrites dans la proclamation présidentielle) conformes à l’ACEUM ne sont pas assujetties au tarif qui entre en vigueur le 3 avril. Dans sa proclamation du 26 mars, le président Trump a chargé le Service des douanes et de la protection des frontières (SDPF) et le secrétaire au Commerce de déterminer une méthode de quantification du contenu américain de ces pièces de base, lequel serait exempté du tarif applicable aux automobiles. Le SDPF et le secrétaire au Commerce ont jusqu’au 3 mai 2025 pour rendre une décision à ce sujet.
Conformément à une procédure établie par l’administration Trump, on pourra élargir ultérieurement le champ d’application du tarif de 25 % de façon à y inclure encore davantage de pièces automobiles.
Le décret présidentiel affirme que les barrières non tarifaires (BNT) « privent les fabricants américains d’un accès réciproque aux marchés du monde entier » [traduction]. Le rapport National Trade Estimate Report on Foreign Trade Barriers (« NTE ») de 2025 (en anglais) décrit en détail de nombreuses BNT entravant les exportations américaines et du monde entier, sur la base d’un partenaire commercial à l’autre. Cette longue liste couvre une vaste gamme de mesures non tarifaires, allant « des obstacles et lacunes douanières qui freinent les échanges à la réglementation technique, aux mesures sanitaires et phytosanitaires qui limitent indûment le commerce sans objectif de sécurité légitime, y compris la protection de la propriété intellectuelle, les exigences discriminatoires et les normes réglementaires en matière d’octroi de licences qui affectent les flux de données transfrontaliers ainsi que les pratiques discriminatoires touchant le commerce des produits numériques » [traduction]. Voici quelques exemples de BNT relevées qui concernent le Canada :
Dans ses déclarations publiques, le président Trump a également fait une référence précise aux distorsions du marché liées aux taxes sur la valeur ajoutée et à la manipulation des devises.
Malgré la déclaration publique du premier ministre Mark Carney selon laquelle la gestion de l’offre agricole et le projet de loi 96 ne sont pas négociables, l’intérêt manifesté par le président Trump pour les BNT laisse entrevoir les dossiers que les États-Unis pourraient vouloir mettre de l’avant dans une éventuelle renégociation de l’ACEUM, y compris les exemptions culturelles (traditionnellement exclues des négociations commerciales canado-américaines).
Au sein du Congrès
Hier, les tarifs douaniers imposés par le président Trump contre le Canada ont fait face à des oppositions au sein du Congrès américain. Le sénateur de Virginie Tim Kaine, appuyé par ses collègues Amy Klobuchar (démocrate) et Rand Paul (républicain), a tenté activement de faire adopter une résolution visant à bloquer ces mesures au Canada. Cette résolution conteste le recours à l’IEEPA par le président Trump pour déclarer une urgence à la frontière canadienne, ce qui a servi de justification à l’imposition des tarifs. Le sénateur Kaine a dénoncé ces mesures comme étant injustifiées et nuisibles aux consommateurs américains, soulignant les effets inflationnistes potentiels sur les prix des denrées alimentaires, des matériaux de construction, des produits agricoles, et plus encore.
Grâce à un appui bipartisan, Tim Kaine a réussi à faire adopter sa résolution au Sénat par 51 voix contre 48, envoyant ainsi un message clair à l’administration. La résolution doit désormais être approuvée par la Chambre des représentants, à majorité républicaine, ce qui s’annonce difficile. Même en cas d’adoption par les deux chambres du Congrès, le président Trump a le pouvoir d’y apposer son veto — un veto que le Congrès aurait peu de chances de renverser.
Au Canada
Mercredi, le premier ministre Carney a interrompu sa campagne électorale pour revenir à Ottawa et s’entretenir avec les membres du Conseil du premier ministre sur les relations canado-américaines ainsi qu’avec le Comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines afin de discuter de la réponse du Canada.
Dans une brève déclaration aux médias le 2 avril, il a affirmé que les tarifs douaniers annoncés par le président Trump « vont fondamentalement changer le système de commerce international ». Il a précisé que, bien que les nouvelles mesures ne visent pas directement le Canada, les tarifs déjà en vigueur sur les produits canadiens demeurent en place, et que de nouveaux tarifs sur le secteur automobile sont à prévoir. Il a également averti que d’autres secteurs stratégiques, comme les produits pharmaceutiques, le bois, l’agriculture et les semi-conducteurs, pourraient être ciblés.
Le lendemain, après avoir rencontré les premiers ministres des provinces et territoires, le premier ministre Carney a indiqué qu’ils étaient unis et déterminés face à la situation. Il a annoncé que le Canada allait riposter au moyen de « contre-droits de douane soigneusement calibrés et ciblés » calqués sur le modèle américain. Parmi ces mesures : des droits de douane de 25 % sur les véhicules importés des États-Unis non conformes à l’ACEUM, ainsi que sur le contenu américain des véhicules en provenance des États-Unis, même lorsque ceux-ci respectent l’accord. En revanche, les pièces automobiles et les composantes provenant du Mexique ne seraient pas concernées. Sur ce point, le gouvernement élabore actuellement un cadre qui permettrait aux fabricants automobiles d’être exemptés de ces mesures de rétorsion s’ils maintiennent leurs investissements et leur production au Canada.
Le premier ministre s’est engagé à réinvestir les quelque 8 milliards de dollars que généreront ces droits, avant remises, aux entreprises et aux travailleurs affectés. Ce soutien s’ajouterait au fonds de 2 milliards de dollars déjà promis par les libéraux pour développer un secteur automobile « fait au Canada » dans l’éventualité où ils formeraient le gouvernement à l’issue des élections en cours.
Mark Carney est par ailleurs revenu sur les mesures précédemment annoncées en soutien aux entreprises et aux travailleurs touchés par les tarifs douaniers imposés par le Canada, notamment la facilitation de l’accès à l’assurance-emploi pour les travailleurs potentiellement licenciés. Il a aussi réitéré son engagement à reporter les paiements d’impôts et les versements de TPS/TVH pour les entreprises touchées, à mettre en place de nouvelles mesures de liquidités et de soutien financier, et à renforcer le financement des agences de développement régional.
Selon Donald Trump, cette nouvelle politique commerciale permettra aux États-Unis « d’ouvrir les marchés étrangers et de faire tomber les barrières commerciales étrangères » [traduction]. Toutefois, l’annonce de ces droits de douane a plutôt suscité de vives inquiétudes quant à un éventuel ralentissement économique, voire à une récession, tant aux États-Unis qu’à l’échelle mondiale.
Peu après l’ouverture des marchés jeudi matin, les principales bourses nord-américaines ont enregistré de fortes baisses. L’indice Dow Jones Industrial Average a perdu plus de 1 200 points (environ 3,6 %), le S&P 500 a reculé de plus de 4 %, et le Nasdaq de près de 5 %. L’indice composé S&P/TSX a quant à lui chuté de 712,67 points. En Asie, les effets s’étaient déjà fait sentir : le Nikkei 225 japonais a plongé de plus de 4,1 %, le Kospi sud-coréen a reculé de plus de 2,5 % et l’indice australien ASX 200 a cédé environ 2 % dans la foulée de l’annonce tant attendue du plan tarifaire américain.
Au Canada, Stellantis a annoncé la suspension des activités de son usine de Windsor pour deux semaines, du 7 au 21 avril, entraînant la mise à pied de plus de 3 500 travailleurs. Une interruption d’un mois est également prévue à son usine mexicaine, tandis que plus de 900 licenciements sont envisagés dans celle du Michigan.
Les répercussions économiques de l’imposition de tarifs douaniers par les États-Unis à leurs partenaires commerciaux mondiaux sont d’une grande portée. Ces mesures entraîneront presque immanquablement une hausse des prix à la consommation, en raison du renchérissement des produits importés. Si un cycle prolongé de tarifs et de contre-tarifs s’installe, les effets sur les marchés mondiaux pourraient être majeurs, affectant la confiance des entreprises et les décisions d’investissement.
Bien que les tarifs réciproques imposés par le président Trump visent vraisemblablement à protéger les industries nationales, leur impact économique global risque d’être significatif et perturbateur, notamment en raison de l’interruption des chaînes d’approvisionnement intégrées et des risques qu’ils posent à la croissance économique mondiale.
Nos groupes Commerce international et douanes et Affaires gouvernementales suivent de près l’évolution de cette situation et se tiennent à votre disposition pour vous conseiller quant aux retombées spécifiques des tarifs pour votre entreprise. Pour en savoir plus ou pour toute assistance, n’hésitez pas à nous contacter directement.
CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.