Delphine Robert
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Même si le télétravail ne demeure plus une obligation dans le contexte de la pandémie, de nombreux employés continuent d’en bénéficier. Cette nouvelle réalité amène un bon nombre d’ajustements et de questionnements pour les employeurs, notamment en ce qui concerne l’admissibilité des lésions professionnelles dans un contexte de télétravail. Est-ce qu’un accident survenu au domicile de l’employé pendant les heures de bureau est considéré comme un accident de travail? Afin de répondre à cette question et de faire le point sur les considérations juridiques liées au télétravail, nous discutons aujourd’hui avec Cédric Marsan-Lafond, avocat au sein du groupe de droit du travail et de l’emploi chez Gowling WLG, à Montréal. Bonjour, Cédric.
Cédric Marsan-Lafond
Bonjour, Delphine
Delphine Robert
Alors, quelles sont les obligations de l’employeur et de l’employé en télétravail?
Cédric Marsan-Lafond
C’est sûr que quand on pense loi en matière de santé et sécurité, ou sinon, il y a la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, ce qu’on appelle la LATMP. C’est des lois qui, à l’origine, avaient été réfléchies dans un contexte plus traditionnel de travail. On pense à quelqu’un qui se rend dans une tour à bureaux ou à quelqu’un qui se rend à l’usine ou encore dans un établissement de l’employeur. Ceci étant dit, il s’adapte quand même en contexte de télétravail et, justement, la LSST a été récemment modifiée pour inclure une disposition qui dit que la loi s’applique à quelqu’un qui fait du télétravail dans la mesure où la disposition n’est pas inconciliable. Donc, les grands principes de la LSST vont continuer à s’appliquer. On peut penser à l’article 51 pour l’employeur, qui dit qu’il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique du travailleur.
Ce qu’on oublie souvent, c’est que ce n’est pas juste une obligation de l’employeur, la santé et sécurité; c’est partagé. Donc, le travailleur a aussi une obligation, qui va être encore plus grande en télétravail parce que le contrôle de l’employeur n’est pas aussi présent. Donc, le travailleur, lui, a l’obligation de protéger sa propre santé et sa sécurité et également de participer à l’identification et à l’élimination des risques des accidents de travail et des maladies professionnelles dans son lieu de travail.
Delphine Robert
OK. Alors, le domicile d’un employé peut être considéré comme un lieu de travail au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la LATMP, comme tu viens d’en parler.
Cédric Marsan-Lafond
Bien, exact. Donc, cette loi-là qui est notre régime d’indemnisation au Québec pour tout ce qui est lésions professionnelles, on pense aux accidents de travail, maladies professionnelles, eh bien, oui, le domicile du télétravailleur peut être considéré comme un lieu de travail au sens de cette loi-là.
Puis il y a même des jugements qui datent d’avant la pandémie aussi loin que 2009, qui ont conclu à ce principe-là. Et je pense notamment à la décision Club des petits-déjeuners du Québec et Frappier. Essentiellement, c’était l’histoire d’une travailleuse qui était coordonnatrice, donc un emploi de bureau, et qui travaillait de chez elle. Alors qu’elle faisait du classement de papier, qui est une de ses tâches, prend une boîte, vient pour la soulever, la déposer sur une table et, là, une douleur au dos. Finalement, c’est un diagnostic d’entorse lombaire. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans la loi il y a une présomption qui dit qu’on peut présumer quand on a une lésion professionnelle, si on a une blessure qui arrive sur les lieux de travail, alors que le travailleur est à son travail. Et s’il n’y a pas de doute au niveau de la blessure et au niveau du moment du travail – parce que la personne est en train d’accomplir des tâches – mais le débat ou la question sur laquelle le tribunal avait à se prononcer à ce moment-là, c’est : « est-ce que le domicile de quelqu’un peut être son lieu de travail? ». Évidemment, bien, le tribunal en est arrivé à la conclusion que quand on effectue une prestation de télétravail, eh bien, son domicile devient le lieu de travail. Pour cette raison-là, l’employé a pu bénéficier de la présomption et la réclamation a été acceptée.
Delphine Robert
OK. Alors, un employé qui travaille, qui effectue sa prestation de travail depuis son domicile, peut faire une réclamation pour un accident du travail survenu chez lui ou chez elle?
Cédric Marsan-Lafond
Oui, absolument. Alors, tout dépend des circonstances. Il faut vraiment l’analyser au cas par cas, puis ça va dépendre de la définition de l’accident du travail qui est prévue dans la LATMP. Donc, c’est défini comme un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.
Donc, évidemment, on se replace en mars 2020. Le télétravail est beaucoup moins populaire. La pandémie arrive, le télétravail explose. Il y a beaucoup de gens qui se sont blessés potentiellement chez eux et on voit les décisions qui commencent à arriver au compte-goutte et qui nous donnent plus d’indications sur comment les tribunaux vont réagir ou considérer le télétravail dans le contexte de la LATMP.
Aujourd’hui, je voulais partager avec vous deux décisions qui sont particulièrement intéressantes, la première étant Air Canada et Gentile, qui a été rendue en 2021. Essentiellement, c’est une travailleuse qui occupait le poste d’agente à la clientèle pour une compagnie aérienne. Son bureau était situé au premier étage de sa maison et sa cuisine est vraiment au rez-de-chaussée. Cette travailleuse-là, un certain jour, s’est déconnectée de son poste de travail pour aller dîner pendant sa pause-dîner, descend son escalier et, alors qu’elle descend son escalier, chute et se blesse. Donc, à ce moment-là, on se pose la question : « est-ce que c’est un accident du travail qui peut être couvert par la LATMP? »
Ce que le tribunal est venu faire, c’est de prendre des critères qui existaient déjà pour des accidents au contexte plus traditionnel. On peut penser à quelqu’un qui chute, par exemple, pour se rendre vers la pause-dîner, alors qu’il se rend dans la cafétéria de son employeur. Mais le tribunal est venu dire : « bien, ces critères-là s’appliquent également dans le contexte de télétravail ». Donc, il faut regarder toutes les considérations alentour de l’intention, où on était rendu, pour savoir, est-ce que c’est un événement qui est connexe et, donc, est-ce que la blessure ou disons la lésion professionnelle est survenue à l’occasion du travail? Donc, on regarde le lieu où c’est survenu, le moment de l’événement, est-ce qu’on est proche de la prestation de travail ou ça fait plusieurs heures, la rémunération. Donc, est-ce que le travailleur était rémunéré au moment de l’accident? Y avait-il un degré d’autorité de l’employeur? Donc, est-ce qu’on suivait les consignes de l’employeur? Est-ce qu’on était sous sa coordination? Quelle est la finalité de l’activité et est-ce que cette activité-là est connexe au travail? Est-ce qu’elle bénéficie à l’employeur?
Ici, le tribunal a dit que le critère qui était le plus important, c’était la finalité du déplacement et, étant donné que la travailleuse, ça ne faisait pas longtemps qu’elle s’était déconnectée, c’était concomitant, le but était de se rendre vers sa pause-dîner, elle n’était pas encore à sa pause-dîner qui pourrait être une activité personnelle, mais bref, tout ça pour dire qu’elle était en route vers cette activité-là, eh bien, ç’a été reconnu comme étant une blessure qui était arrivée à l’occasion du travail.
Delphine Robert
OK. Puis ça, c’est récent. C’est 2021.
Cédric Marsan-Lafond
2021. Puis il y a une deuxième décision qui a été rendue également, contexte similaire. Donc, c’est une technicienne en informatique, la décision Laverdière. Cette dernière travaille de chez elle à cause de la pandémie, vient pour prendre une pause-santé, donc un petit 15 minutes de pause, sort de chez elle et, donc, chute dans l’escalier à l’extérieur, devant chez elle. On vient réappliquer les critères dont on vient de discuter et le tribunal reprend les critères qui sont déjà appliqués dans un milieu de travail plus traditionnel qui dit que quand un accident survient quand un travailleur arrive ou repart de son lieu de travail, en empruntant la voie d’accès qui est mise à sa disposition par son employeur et qu’il en fait un usage raisonnable, eh bien, ça, ça peut être une lésion professionnelle qui survient à l’occasion du travail. On a jugé que c’était applicable dans le contexte du télétravail et, donc, la réclamation a été acceptée.
Delphine Robert
OK. Alors, ça entraîne vraiment, je pense, un lot de complications. Quelles sont les principales difficultés ou les difficultés particulières qui peuvent survenir dans le contexte de ces décisions puis de l’analyse de tous ces critères?
Cédric Marsan-Lafond
Définitivement, que ça entraîne de nouveaux enjeux. Le premier, je dirais, et le plus évident, c’est le rapprochement de la sphère personnelle d'un employé et de sa sphère professionnelle. Donc, on a beaucoup plus de va-et-vient. On peut travailler, mais c’est entrecoupé de moments où on fait des activités personnelles. Je vous donne un exemple. Quelqu’un qui travaille prend sa pause-café; au lieu de rester sur le lieu de l’employeur comme il l’aurait fait de façon traditionnelle, va partir une brassée de lavage, va aller faire des tâches domestiques. Donc, toutes ces questions-là et une multitude de scénarios qu’on va devoir évaluer au cas par cas pour voir est-ce que la personne était dans sa sphère personnelle ou professionnelle?
Un autre enjeu pour les employeurs, c’est que, évidemment, en télétravail, on a beaucoup moins le contrôle. On est moins présent sur le lieu de travail. Donc, il faut que les employeurs balancent leurs obligations en santé et sécurité ainsi que le droit à la vie privée du salarié qui se retrouve augmenté, parce qu’on est en contexte de vie personnelle, de domicile, donc il y a cette ligne sur laquelle les employeurs doivent travailler. Donc, il y a plusieurs options qui se posent à l’employeur. Évidemment, une politique, une entente de télétravail qui prévoit certaines modalités, balises, pour assurer la sécurité du lieu de télétravail, va être nécessaire et par cette politique on peut prévoir plusieurs mécanismes. Par exemple, est-ce qu’avec le consentement de l’employé on peut demander l’envoi des photos du poste de travail pour s’assurer que c’est ergonomique, que c’est sécuritaire? Faire une visite virtuelle par Teams, par Zoom? Encore une fois, tout va dépendre, et chacun va être un cas d’espèce.
Delphine Robert
Alors, vu que maintenant c’est assez répandu que le télétravail est là pour durer, que les modes hybrides sont de plus en plus répandus, est-ce qu’il y a des pistes de solution qu’on peut donner aux employeurs pour encadrer ces risques? Et quelles sont les recommandations, finalement, qu’on peut apporter aujourd’hui?
Cédric Marsan-Lafond
Bien, je dirais, en fait – puis je viens de le mentionner – une politique de télétravail, une entente de télétravail, si vous avez des employés qui travaillent de chez eux ou qui font du travail hybride, c’est-à-dire qui travaillent de la maison et de l’établissement de l’employeur, je pense que c’est un must et c’est absolument un document que vous devez avoir comme employeur. Ce document-là permet de clarifier les règles du jeu pour tout le monde, notamment en santé et sécurité. On peut penser au fait que le document va réitérer les droits et les obligations des parties, va prévoir les exigences par rapport à l’ergonomie du poste ou certaines mesures qui devraient être mises en place, assurées par le travailleur.
Je donne un exemple qui peut être bénin, mais qui est important : par exemple, de ne pas avoir de fils de rallonge qui dépassent, de s’assurer que l’espace est sécuritaire, de s’assurer d’avoir des sorties de secours, qui sont toutes des petites modalités qu’on va venir prévoir dans ce document-là. Et également, le processus applicable pour déclarer une lésion professionnelle. Si jamais il y a un accident, qui on contacte, quand, comment, quelles sont les prochaines étapes? Donc, on va tout prévoir ces modalités-là dans l’entente de télétravail.
Mais je dirais, en plus de la santé et de la sécurité au travail, il y a une multitude de facteurs qui sont prévus dans ce genre d’entente qui sont importants. Dans quel contexte le télétravail est autorisé, permis par l’employeur? Quelles sont les conditions de travail qui s’appliquent? Qui paie pour le matériel? Comment on va rembourser les dépenses qui sont effectuées en télétravail, que ça soit l’Internet, les dépenses pour ce qui est des imprimantes, etc.? Comment on va protéger les renseignements personnels, les renseignements confidentiels aussi? On ne veut pas nécessairement que les renseignements de nos clients se retrouvent sur un ordinateur de la famille où l’ensemble de la famille a accès aux données confidentielles. Donc, ce sont toutes des modalités qui vont se retrouver dans ce document-là.
Delphine Robert
Parfait. Puis si on prend le cas d’un employeur qui n’a pas d’établissement physique dans le sens traditionnel, d’un bureau ou d’un site au Québec, mais dont certains employés effectuent une prestation de travail à partir de leur domicile au Québec, est-ce qu’ils doivent s’inscrire auprès de la CNESST?
Cédric Marsan-Lafond
C’est une bonne question, en fait. Pour s’inscrire à la CNESST pour être un employeur assujetti, il y a trois conditions. On doit embaucher un travailleur au Québec. On doit avoir un établissement au Québec et on doit faire exécuter le travail aux fins de l’établissement qui est situé au Québec. C’est vraiment la notion d’établissement qui est centrale, ici. Donc, on part dans la question d’un employeur qui n’a pas de présence au Québec, qui n’a pas de bureau physique et que son lien devient le lieu de travail.
La position de la CNESST a évolué au fur et à mesure de la pandémie. Au début de la pandémie, on disait que le lieu de télétravail pouvait constituer un établissement de l’employeur au Québec, et donc qui devait être obligé de s’enregistrer sous certaines modalités. Puis il y avait certains agents qui disaient que, en fait, ça prenait un espace de travail exclusif, donc un bureau, un espace dans le sous-sol qui était uniquement utilisé par le travailleur, versus travailler de sa table de cuisine, par exemple, un espace qui est utilisé par toute la famille. Donc, quand on avait un espace exclusif, on devait s’enregistrer et on avait un établissement.
La position a évolué. Donc, la dernière position administrative de la CNESST, c’est qu’un lieu de télétravail, ce n’est pas un établissement au sens de la LATMP. Donc, si l’employeur n’a pas d’autre présence, s’il n’est pas propriétaire, s’il ne loue pas, s’il n’utilise pas d’autres installations à son bénéfice au Québec, bien, le seul lieu de télétravail ne ferait pas en sorte qu’il devrait s’enregistrer auprès de la CNESST et, donc, au régime de la LATMP pour ce qui est des accidents de travail et les maladies professionnelles. Évidemment, ça, c’est une position administrative. Ça peut fluctuer dans le temps. Donc, on invite les employeurs à vérifier ponctuellement et régulièrement les règles qui sont applicables pour eux. Ce sont des dossiers qu’on traite régulièrement avec nos clients. Donc, si vous avez des questions sur : est-ce qu’on doit s’enregistrer auprès de la CNESST, est-ce qu’on a un établissement au Québec, contactez-nous et ça va nous faire plaisir de vous aider.
Delphine Robert
Merci, Cédric. Une question périphérique, mais qui me vient à l’esprit. Qu’est-ce qui se passe si un employeur a des employés qui effectuent du télétravail hors du Québec? Donc, l’établissement est au Québec, mais l’employé travaille à distance bien plus loin. Comment on définit, dans ce cas, les règles de santé et sécurité au travail?
Cédric Marsan-Lafond
Bien, encore une fois – puis ça, ça soulève plusieurs enjeux – quand on a des employés qui vont travailler à l’extérieur, on doit évaluer, est-ce que les lois du Québec vont s’appliquer? Et est-ce que les lois de la juridiction dans laquelle l’employé effectue du télétravail va s’appliquer? Donc, c’est une double évaluation et les critères vont changer pour chaque loi. Souvent, ce qu’on va voir comme employeur, par exemple, si on est un employeur québécois, c’est qu’au moins le télétravail soit effectué au Québec. Donc, c’est le genre de modalités qu’on va venir prévoir dans une politique de télétravail, dans une entente de télétravail, pour dire : « bien, on s’attend à ce que la prestation de travail soit effectuée au Québec, que vous soyez prêt à vous déplacer au lieu de travail au besoin. » Et donc, d’où l’importance de ce document, c’est une des nombreuses illustrations.
Delphine Robert
Effectivement. Il y en aura d’autres, j’imagine, à l’avenir, au fur et à mesure qu’on évolue, que la société évolue dans ce sens-là. Alors, merci beaucoup, Cédric. C’est très clair. Cette nouvelle réalité exige effectivement que les employeurs mettent en place un encadrement à la pratique du télétravail. Si vous avez des questions liées aux lésions professionnelles et au télétravail, n’hésitez pas à contacter Cédric ou un membre de notre équipe de droit du travail et de l’emploi, à Montréal.
Merci à vois d’avoir écouté cet épisode de Format Légal. Pensez à nous suivre pour ne pas manquer le prochain épisode et, pour aller plus loin, rendez-vous sur notre site Internet, gowlingwlg.com pour consulter toutes les ressources disponibles sur le sujet.