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Formal Légal | À quoi bon la probation
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Dans cet épisode, nous explorerons le sujet de la période de probation suivant l'embauche d’un nouvel employé. Au fil de cette discussion, nous aborderons en détail les divers aspects juridiques de cette étape, souvent appelée « période d’essai », ainsi que son utilité et les restrictions qui y sont associées. La période de probation est-elle vraiment utile pour les employeurs? Est-elle encadrée par des lois et réglementations juridiques? Y a-t-il des limites à ne pas franchir?
Voici les questions auxquelles nous répondrons dans cet épisode de Format Légal avec Me Marc Ouellet, avocat-conseil spécialisé en droit du travail et de l’emploi chez Gowling WLG Montréal et co-auteur de la deuxième édition du livre Les Normes du travail, ouvrage incontournable sur le droit du travail au Québec.
Delphine Robert : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de Format Légal, le balado de l'actualité juridique proposé par Gowling WLG, cabinet juridique international. Pensez à nous suivre pour ne manquer aucun épisode et visitez notre site Internet, gowlingwlg.com pour consulter toutes nos ressources et connaître les dernières nouvelles juridiques.
Dans l'épisode d'aujourd'hui, nous plongerons dans le sujet de la période de probation lors de l'embauche d'un nouvel employé. Tout au long de cette discussion, nous explorerons en détail les divers aspects juridiques de cette phase, souvent désignée comme une "période d'essai", ainsi que son utilité et ses limites. En effet, on peut se demander si cette période de probation est vraiment utile pour les employeurs. Est-ce qu'elle est encadrée par des lois et réglementations juridiques? Quelles en sont les limites associées?
Afin de répondre à ces questions et de faire le point sur les considérations juridiques liées à la période de probation d'une nouvelle embauche, nous discutons aujourd'hui avec Me Marc Tremblay, avocat-conseil expert en droit du travail et de l'emploi au sein de Gowling WLG à Montréal. Me Ouellet pratique dans ce domaine depuis 20 ans, et est notamment co-auteur de la deuxième édition du livre Les normes du travail, un « classique » en droit du travail au Québec.
Alors bonjour Marc, on est ravis de t'avoir avec nous aujourd'hui…
Marc Ouellet : Merci! Je tiens à préciser que notre conversation va surtout porter sur la période de probation dans un contexte non-syndiqué. Parce qu'en contexte syndiqué, les règles peuvent être un peu différentes.
L'embauche d'employés qualifiés et compétents n'est pas une chose facile pour les employeurs.
L'entrevue de sélection est souvent insuffisante pour bien cerner les compétences et les aptitudes d'un candidat non seulement quant à l'accomplissement des tâches qui font l'objet du poste, mais aussi quant à ses relations interpersonnelles avec ses collègues de travail ou avec ses patrons, ou encore à son potentiel d'intégration dans l'entreprise.
La probation est donc souvent vue comme étant la période au début de l'emploi pendant laquelle les employeurs peuvent évaluer leurs nouveaux employés et, s'ils ne font pas l'affaire, les congédier de façon purement discrétionnaire, sans être obligé de leur donner un préavis.
Durant cette période-là, il serait acquis que l'employé détiendrait un statut précaire et que l'employeur jouirait d'une prérogative qui lui donnerait une discrétion presque absolue sur l'appréciation de cet employé-là et, par voie de conséquence, sur la vie ou la mort de son lien emploi.
Delphine Robert : Est-ce vraiment comme ça?
Marc Ouellet : Pas vraiment…
Delphine Robert : Pour quelle(s) raison(s)?
Marc Ouellet : Premièrement, il faut savoir que nulle part dans les lois applicables en matière de droit du travail et de l'emploi au Québec on encadre ce que c'est qu'une « période de probation ».
Bien en fait, on en reconnait l'existence, mais indirectement lorsqu'on dit dans la loi que tu dois avoir accumulé une certaine ancienneté chez ton employeur avant de pouvoir bénéficier de certains droits, notamment pour protéger ton emploi.
Par exemple, l'article 82.1 de la Loi sur les normes du travail dit qu'un employeur n'a pas à donner le préavis de cessation d'emploi minimal prévu dans cette loi lorsqu'un employeur congédie un employé durant les trois (3) premiers mois de son emploi, et ce, peu importe l'existence ou non d'une cause juste et suffisante de congédiement.
Donc, ces trois (3) premiers mois sont en quelque sorte une « période de probation », durant laquelle on peut terminer l'emploi d'un employé sans motif, et sans avoir à lui payer le préavis minimal de la Loi sur les normes du travail.
Mais je souligne, le préavis minimal de la Loi sur les normes du travail, et non le « préavis raisonnable » prévu au Code civil du Québec. Je vais revenir plus loin sur lui…
Mais le plus important, c'est la période de deux (2) ans nécessaire pour acquérir le droit de déposer une plainte de congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail.
En effet, au Québec, hormis certaines exceptions très limitées, par exemple si l'employé est un cadre supérieur dans l'entreprise ou si la terminaison d'emploi découle d'une abolition de poste pour des motifs économiques ou dans le cadre d'une restructuration d'entreprise, les employeurs ne peuvent pas légalement terminer l'emploi d'un employé qui a plus de deux (2) ans d'ancienneté s'ils n'ont pas une « cause juste et suffisante » pour le faire.
À défaut d'une telle « cause juste et suffisante », ou d'une entente à l'amiable avec l'employé, ce dernier peut exiger d'être réintégré dans son emploi, et ce, même si l'employeur préférerait par ailleurs lui payer un préavis de terminaison d'emploi.
On peut dire que ça confère un véritable droit au maintien dans l'emploi aux employés du Québec.
Selon moi, il s'agit-là de la principale période de probation « légale » à proprement parler.
L'employeur dispose de deux (2) ans pour évaluer son employé. Après, il reste pris avec lui, sauf si l'employé lui donne une « cause juste et suffisante » pour le congédier.
Et-là, on s'entend, les tribunaux qui sont en charge de trancher les litiges relatifs à ce recours-là ont placé la barre très haute pour les employeurs pour faire la preuve d'une telle « cause juste et suffisante ». Il faut vraiment que l'employé ait fait quelque chose de grave, il faut vraiment qu'il soit « poche », pour que l'employeur puisse dire qu'il a une cause juste et suffisante pour le congédier.
Delphine Robert : Existe-t-il un équivalent en droit fédéral, pour les employeurs qui œuvrent au Québec et qui sont soumis à la juridiction fédérale?
Marc Ouellet : Oui, à ce niveau-là, le Code canadien du travail est pas mal le reflet de la Loi sur les normes du travail du Québec.
L'article 230 (1.1) du Code canadien dit qu'il faut avoir au moins trois (3) mois de service pour avoir droit au préavis minimal de licenciement du Code canadien.
L'article 235 ajoute aussi une « indemnité de départ » à ce préavis minimal de licenciement, mais il faut que l'employé ait au moins 12 mois de service pour y avoir droit.
Finalement, l'article 240 du Code canadien prévoit un recours similaire à celui en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail du Québec, qui prévoit lui aussi la réintégration de l'employé injustement congédié, mais le délai pour y avoir droit est encore plus court. Il est d'un (1) an.
Donc, pour résumer, on peut dire que les périodes de probation légales informelles pour les employés au Québec sont :
- trois (3) mois (autant au provincial qu'au fédéral) si un employeur veut congédier un employé sans cause et sans préavis;
- 24 mois au provincial ou douze (12) mois au Fédéral si un employeur veut congédier un employé sans cause mais avec préavis.
Au-delà de cela, l'employé bénéficie d'un droit au maintien dans son emploi et il faut avoir une cause juste et suffisante pour le congédier. Même si on offre de lui verser un préavis (aussi généreux puisse-t-il être).
Delphine Robert : Donc, ce sont les limites que les employeurs doivent respecter dans l'établissement des périodes de probation de leurs employés?
Marc Ouellet : Exactement. Et il est important de mentionner que ces limites-là – qu'on peut qualifier de « temporelles » – sont d'ordre public, en ce sens qu'il est impossible d'y renoncer à l'avance ou d'y déroger dans un contrat.
Par exemple, un contrat de travail ne pourrait pas prévoir une période de probation d'une durée de six (6) mois durant laquelle l'employeur peut congédier son employé sans avoir à lui payer un préavis.
L'employeur devrait malgré tout donner le préavis légal minimal à l'employé s'il voulait terminer son emploi sans cause après trois (3) mois de service, et ce, peu importe ce qui est prévu au contrat concernant la période de probation.
Pareillement, la période de probation d'un contrat de travail ne pourrait pas être reconduite au-delà d'une (1) année au fédéral, ou de deux (2) années au provincial, puisque passé ces périodes, il faut une cause juste et suffisante pour terminer l'emploi de l'employé, même si le contrat de travail dit que la période de probation peut être reconduite.
Mais il y a d'autres limites.
Delphine Robert : Ah oui, lesquelles?
Marc Ouellet : Le congédiement sans cause d'un employé durant sa période de probation pourrait s'avérer problématique s'il était concomitant à une lésion professionnelle, à un accident de travail ou à l'exercice d'un droit prévu à la Loi sur les normes du travail ou au Code du travail, comme par exemple la prise d'un congé de maladie, l'annonce d'une grossesse ou la participation à une campagne de syndicalisation.
Ces situations-là seraient principalement couvertes par trois (3) recours, indépendamment du fait que l'employé est ou non encore en période de probation.
On parle ici d'une plainte pour pratique interdite en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, d'une plainte pour pratique interdite en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail ou d'une plainte pour pratique interdite en vertu de l'article 15 du Code du travail.
Pour les employeurs de juridiction fédérale, c'est l'article 246.1 du Code canadien du travail qui prévoit le recours pour pratique interdite.
Tous ces recours-là sont essentiellement similaires, et ils peuvent être exercés par les employés peu importe la durée de leur service, c'est-à-dire dès leur premier jour d'embauche.
Ils établissent une présomption à l'effet que le congédiement est illégal lorsqu'il est imposé de façon concomitante – ou dans un délai d'environ six (6) mois – de l'exercice du droit. Par exemple, si un employeur congédiait une employée durant sa période de probation, dans les jours qui suivent la conversation où elle lui a annoncé qu'elle était enceinte, il y aurait une présomption que le congédiement lui a été imposée en raison de sa grossesse.
Pour renverser la présomption, l'employeur devrait démontrer que le congédiement a été imposé à l'employée pour une « autre cause juste et suffisante », qui n'a aucun lien avec sa grossesse.
Encore une fois, les tribunaux qui sont en charge de trancher ces recours-là sont très exigeants envers les employeurs pour voir s'ils ont réussi à démontrer une autre cause juste et suffisante.
L'employeur ne pourrait pas simplement dire qu'il n'a pas besoin de donner de cause puisque l'employée était encore durant sa période de probation. C'est certain qu'il se ferait imposer la réintégration, avec arrérages de salaire.
Parce qu'en effet, ces recours pour pratique interdites-là prévoient eux aussi la réintégration de l'employé advenant que l'employeur ne réussisse pas à renverser la présomption.
Il est donc toujours très important de bien documenter par écrit, comme par exemple par la transmission de courriels, l'évaluation de l'employé durant sa période de probation.
Par exemple, dès que la décision de terminer l'emploi d'un employé est prise, il peut être une bonne idée de s'envoyer un courriel pour constater cette décision. Comme ça, si l'employé prend un congé de maladie, annonce sa grossesse, ou exerce n'importe quel autre droit par la suite, l'employeur va avoir une preuve pour démontrer que la décision de congédier l'employé était déjà prise quand il a appris l'existence de l'exercice du droit et que donc, elle n'avait rien à voir avec l'exercice de ce droit.
Les employeurs qui ne font pas ça trouvent ça généralement très difficile de se défendre contre des recours de pratiques interdites.
Delphine Robert : Existe-t-il d'autres limites à la discrétion de l'employeur pour terminer l'emploi d'un employé durant sa période de probation?
Marc Ouellet : Oui, mais il ne s'agit pas de limites au droit de congédier l'employé en tant que tel. Il s'agit plutôt de limites au droit de congédier l'employé sans avoir à lui donner un préavis ou à lui verser des dommages.
Je pense ici au délai-congé d'une durée « raisonnable » qui doit être donné en vertu de l'article 2091 du Code civil du Québec à tous les employés qui sont terminées sans motif sérieux au Québec, peu importe la durée du service et peu importe la juridiction provinciale ou fédérale. Ce préavis-là s'ajoute au préavis légal minimal de la Loi sur les normes du travail (ou du Code canadien du travail) dont on a parlé tantôt.
L'article 2091 précise que le délai-congé doit être évalué en tenant compte de toutes les circonstances, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.
Le fait que la terminaison d'emploi a lieu durant la période de probation de l'employé ne pourrait servir à justifier le non-paiement de ce délai-congé.
En effet, le délai-congé serait dû à l'employé peu importe ce que les parties peuvent avoir prévu par contrat puisqu'il s'agit d'un droit d'ordre public auquel l'employé ne peut renoncer à l'avance. L'article 2092 du Code civil du Québec est très clair à ce sujet-là.
Par exemple, le fait qu'un contrat de travail contienne une clause prévoyant une période de probation durant laquelle l'employeur peut mettre fin à l'emploi de l'employé à sa discrétion sans verser de préavis serait complètement inapplicable advenant que l'employé ait été débauché auprès de son employeur précédent.
Dans un cas comme ça, le délai-congé pourrait s'avérer considérable, notamment parce qu'il faudrait prendre en compte la durée du service de l'employé auprès de son employeur précédent.
La période de probation serait d'aucune utilité à l'employeur puisque le droit au délai-congé raisonnable est d'ordre public.
Une autre limite serait qu'un employeur ne peut congédier un employé pour des raisons discriminatoires reconnues par la Charte des droits et libertés de la personne, et ce, même si l'employé est durant sa période de probation.
Par exemple, un employeur ne pourrait congédier un employé durant sa période de probation pour une raison qui est liée à la religion ou à la situation familiale de cet employé-là.
Finalement, il y a toutes les limites qui découlent des principes généraux de la responsabilité civile contractuelle, comme par exemple le fait que le droit de congédier un employé (comme tous les autres droits) doit être exercé de bonne foi, sans abus, et de façon raisonnable.
Une contravention à ces droits-là par un employeur pourrait potentiellement occasionner sa condamnation à des dommages-intérêts par le tribunal.
Voilà, je pense que ça fait le tour des limites applicables à la discrétion des employeurs québécois de mettre fin à l'emploi de leurs employés durant une période d'essai ou de probation.
Delphine Robert : Merci. Donc, en terminant, avec toutes ces limites qui s'appliquent à la période de probation, je pense qu'on peut se demander si c'est vraiment utile d'en prévoir une dans les contrats de travail ou les conventions collectives au Québec?
Marc Ouellet : En effet, la question est légitime.
C'est vrai que le fait d'avoir à justifier d'une cause juste et suffisante (ou d'un motif sérieux – les deux expressions sont synonymes) pour terminer l'emploi d'un employé sans avoir à lui payer de préavis, ou même pour avoir le droit « en tant que tel » de congédier un employé après un (1) ou deux (2) années de service (dépendamment que l'on soit sous la juridiction provinciale ou fédérale) affecte grandement l'utilité des clauses de période de probation dans les contrats de travail.
Cela dit, je crois qu'il est quand même opportun d'en avoir, principalement pour deux raisons :
Premièrement, une clause de probation dans le contrat de travail ou la convention collective a pour effet de jeter toute ambiguïté quant au statut d'un employé durant le début de son emploi. En cas de litige, ce genre de clause peut définitivement « teinter » le dossier en faveur de l'employeur puisque l'employé ne peut pas dire qu'il ne savait pas qu'il faisait l'objet d'une évaluation et que son statut d'emploi était précaire.
Deuxièmement, ce genre de clause indique comment la période de probation doit être calculée. Par exemple, est-ce qu'on la calcule en jours de calendrier, en jours travaillés, etc.
Et qu'est-ce qui arrive si l'employé tombe malade, ou subi une lésion professionnelle durant la période de probation? Dans un cas comme ça, l'employeur serait incapable de l'évaluer, alors que les délais qu'on a vus ci-avant continueraient de courir?
Je pense toutefois que les réponses à ces questions vont devoir faire l'objet d'un prochain podcast…
Delphine Robert : C'est certain! Merci beaucoup Marc pour ces précieux conseils et outils pratiques pour comprendre la période de probation et son utilité dans les processus d'embauche. Si vous avez des questions liées à la période de probation, n'hésitez pas à contacter Me Marc Ouellet ou à un membre de notre groupe du droit du travail à Montréal.
Merci à vous d'avoir écouté cet épisode de Format Légal. Pensez à nous suivre pour ne pas manquer le prochain épisode et pour aller plus loin, rendez-vous sur notre site internet gowlingwlg.com pour consulter toutes les ressources disponibles sur le sujet.
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