Alexandre Forest
Associé
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Dans quelles situations un entrepreneur ayant un contrat avec un locataire peut-il inscrire une hypothèque légale de la construction sur l'immeuble du propriétaire?
FPC/FJC :
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ALEXANDRE SAMI
Bonjour à tous. Je me présente, Alexandre Sami. Je suis associé, chef du groupe de Litige. Je vais accompagner mon collègue, Alexandre Forest. On pratique tous les deux, ici, en litige commercial, avec une concentration en droit de la construction et en litige immobilier.
Merci d’être présents ce matin pour notre présentation sur les hypothèques légales de la construction dans le contexte locatif. Je suis certain que c’est un sujet qui vous intéresse, qui vous intrigue et que vous cherchez à mieux comprendre. Pour nous, les avocats, c’est un sujet qui nous garde très occupé. On aime donc bien le sujet des hypothèques légales. On est souvent consultés par des clients, que ce soit du côté des propriétaires ou des entrepreneurs, sur des questions qui portent sur les hypothèques légales de la construction. L’objectif aujourd’hui n’est pas de vous rendre des experts en la matière, mais ce sera essentiellement de souligner certains risques que posent les hypothèques légales de la construction et de vous permettre de tirer certaines leçons d’après les exemples concrets qu’Alexandre vous donnera sur la base de décisions qui ont été rendues.
Les hypothèques de la construction. On dit que c’est une arme redoutable, parce que ça permet à l’entrepreneur en construction d’avoir préséance – une préférence – par rapport à d’autres créanciers de son débiteur en ayant vraiment une hypothèque qui va arriver avant en préférence à d’autres hypothèques sur un immeuble.
Du côté des locateurs, des propriétaires, les hypothèques de la construction peuvent présenter un irritant, parce qu’elles se voient inscrire un lien, une hypothèque sur le meuble, qui aura préséance sur l’hypothèque conventionnelle d’une banque, par exemple. Donc, ça peut présenter quand même un irritant pour les propriétaires.
On a prévu 45 minutes et on va couvrir les sujets suivants : je vais vous faire un bref rappel théorique des hypothèques légales. Ensuite, Alexandre prendra le flambeau. C’est vraiment son sujet fétiche, les hypothèques légales de la construction; vous allez voir. Il va couvrir les autres points : le point de vue du locateur, de l’entrepreneur, l’enrichissement justifié et les dommages pour les hypothèques qui sont inscrites sans droit. C’est vraiment 45 minutes, avec une période de questions d’environ 15 minutes à la fin.
On va commencer avec un rappel théorique pour les grands principes. D’abord, l’article 2724. Si vous avez déjà travaillé avec les hypothèques légales de la construction, vous savez que contrairement à des hypothèques conventionnelles qui naissent de leurs contrats, celles-ci naissent de la loi, donc l’article 2724 qui prévoit les quatre cas d’hypothèques légales : les créances de l’État, les créances du syndicat des copropriétaires, les créances qui résultent du jugement et, le sujet dont on va parler aujourd’hui, les créances des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation de l’immeuble.
Qui peut bénéficier de l’hypothèque légale de la construction? Les architectes, les ingénieurs, les fournisseurs de matériaux, les ouvriers, entrepreneurs, sous-entrepreneurs. C’est vraiment limité à ces gens-là.
Il est à noter que la cour d’appel a conclu que le gestionnaire – le contrat de gérance ou de gestion de projet – ne donne pas ouverture à une hypothèque légale de la construction. Et même, parmi ces bénéficiaires, on a encore restreint la portée, c’est-à-dire que la jurisprudence établit certains critères pour baliser encore plus l’application d’hypothèque légale. Pour les architectes et les ingénieurs, ils doivent être membres en ordre de leur corporation professionnelle et avoir un permis de l’exercice.
Ce qui est intéressant pour le fournisseur de matériaux : le fournisseur de matériaux a droit à une hypothèque légale à la construction, mais si on prend l’exemple du fabricant qui, par exemple, fabrique des luminaires, il les fournit à un fournisseur qui, lui, les livre à l’entrepreneur général qui les installe. Selon la jurisprudence, le fabricant initial qui a fabriqué et fourni les matériaux à un autre fournisseur, quant à lui, ne pourra pas inscrire d’hypothèque légale de la construction. C’est un point à noter.
Dans le cas de l’entrepreneur et du sous-entrepreneur, une autre chose qui est intéressante à noter, c’est qu’il doit détenir en tout temps une licence en règle, en bonne et due forme. L’article 50 de la Loi sur le bâtiment prévoit que l’entrepreneur ou le sous-entrepreneur qui n’a pas sa licence RBQ pourrait voir son hypothèque radiée. Si jamais vous avez des hypothèques légales et n’êtes pas certains si l’entrepreneur a sa licence RBQ – ça arrive qu’il la perde ou « whatever » – vous pourriez toujours demander, en vertu de l’article 50 de la Loi sur le bâtiment qu’elle soit radiée.
L’ouvrier, quant à lui, n’a pas de formalité de dénonciation pour avoir droit à l’hypothèque légale.
L’article 2727 du Code civil prévoit deux formalités d’acquisition : comment on fait pour l’acquérir et comment on fait pour la conserver. L’hypothèque va naître automatiquement pour celui qui a participé directement à la construction, donc qui a contracté directement avec le propriétaire. Dans ce cas-là, elle naît automatiquement, mais il n’y a aucune formalité d’acquisition. Par contre, le participant qui n’a pas transigé avec le propriétaire, donc le sous-entrepreneur ou le sous-traitant, doit dans son cas dénoncer le contrat au propriétaire afin qu’une hypothèque légale naisse. Cette dénonciation est primordiale. En fait, tous les travaux que ce sous-traitant aurait pu faire avant d’avoir dénoncé ne seront pas couverts, ne seront pas protégés par cette hypothèque légale de la construction.
Ça semble simple et évident, mais vous seriez surpris du nombre de cas où des clients nous appellent, où on est consultés dans les cas où le sous-traitant n’a pas dénoncé. Il semble parfois y avoir une certaine réticence pour le sous-traitant d’envoyer une lettre, un avis formel légal au propriétaire pour dénoncer le contrat et le montant du contrat. Ils veulent préserver une certaine relation et on parle d’envoyer ce genre d’avis. Mais sachez que les propriétaires sont très, très habitués de recevoir des dénonciations. Ils ne pourraient jamais avoir quelque retenue pour ça.
Une autre chose qui est importante à souligner. Ce n’est pas parce que le propriétaire a connaissance des travaux de sous-traitance, ce n’est pas parce qu’il est sur le chantier, qu’il transige, qu’il discute avec le sous-traitant qu’il n’est plus nécessaire de dénoncer. Il faut absolument respecter la formalité de la dénonciation puis d’envoyer un avis écrit dénonçant le contrat et le montant du contrat. Pour ce qui est des travaux supplémentaires qui s’inscrivent dans le cadre d’un projet, s’il y a une continuité des travaux, ce n’est pas nécessaire d’avoir une dénonciation pour ces travaux supplémentaires.
Maintenant, les formalités de conservation. Une fois que l’hypothèque légale de la construction naît, il y a des formalités à suivre pour la conserver. Il y a trois formalités : l’inscription d’un avis d’hypothèque, la signification d’avis et la publication d’une action ou l’inscription d’un préavis.
Premièrement, l’hypothèque légale de la construction va subsister pendant 30 jours après la fin des travaux. C’est pour la préserver après 30 jours qu’il faut signifier un avis au propriétaire qui va désigner l’immeuble grevé et qui va indiquer le montant de la créance.
Deuxièmement, l’avis doit être signifié au propriétaire de l’immeuble. Le défaut de se conformer à la signification est fatal à la validité de l’hypothèque.
Troisièmement, pour conserver l’hypothèque, il faut que le créancier hypothécaire publie une action contre le propriétaire ou inscrive un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire. Une fois le préavis inscrit ou l’action prise, l’hypothèque va le préserver pendant une période de 30 jours. Alors, les deux délais, les deux échéances à se souvenir sont 30 jours de la fin des travaux – on va parler tantôt de la fin des travaux – et six mois de la fin des travaux pour la préserver. Si vous ne respectez pas ces délais, si vous n’inscrivez pas un préavis d’exercice dans les six mois, à ce moment-là le propriétaire ou tout intéressé pourra demander la radiation de l’hypothèque et, en fait, elle sera éteinte après ce délai.
Autre chose qui est importante à se souvenir, parce que si vous êtes du côté de l’entrepreneur et que vous faites les travaux sur l’immeuble, l’État, sachez que les biens insaisissables comme les biens de l’État ne peuvent être grevés d’une hypothèque légale de la construction. C’est la même chose pour les biens d’une personne morale de droit public. Si vous faites des travaux sur un immeuble qui est destiné à l’utilité publique, pour une personne morale de droit public (p. ex. une bibliothèque municipale, un entrepôt municipal ou un autre ouvrage destiné à l’utilité publique), vous n’aurez pas droit de mettre une hypothèque légale sur lui.
Un mot sur la plus-value. La plus-value est une des conditions d’existence de l’hypothèque légale de la construction. En d’autres termes, pour que les travaux donnent lieu à l’hypothèque légale de la construction, ils doivent apporter une plus-value à l’immeuble. C’est généralement défini comme la différence entre la valeur de l’immeuble initiale versus la valeur de l’immeuble après les travaux qui ont été complétés. Donc, il y aura toujours une seule plus-value globale pour l’ensemble des créanciers, peu importe leur apport à la construction, et c’est cette plus-value que l’hypothèque légale de la construction garantit. C’est l’article 2952 qui prévoit que l’hypothèque légale de la construction va prendre rang avant toutes les autres. Comme je vous disais au début, c’est comme une super hypothèque. Elle va aller avant les hypothèques conventionnelles, avant les hypothèques de la banque et les autres pour cette plus-value qui est apportée à l’immeuble.
Généralement, la simple démonstration des travaux qui ont été faits va créer une présomption qu’il y a eu une plus-value qui est apportée à l’immeuble. Mais il faut garder à l’esprit aussi que ce n’est pas l’exécution de tous les travaux qui vont nécessairement apporter une plus-value. On peut penser à un exemple d’un restaurant qui est rénové, on remplace les portes et fenêtres assez récentes pour donner un « look » différent. Dans ce cas-là, il n’y aurait pas de plus-value qui serait apportée à l’immeuble. Ou encore dans le cas d’un restaurant qui est converti en boutique ou autre chose semblable. Il n’y a pas toujours une plus-value en raison des travaux.
Une autre chose qu’on devrait garder à l’esprit, c’est que des travaux exécutés par des entrepreneurs différents dans des contextes ou circonstances différents, en hiver versus en été, pourraient avoir des coûts très différents mais tout de même ne pas générer une plus-value différente à la fin des travaux. Ce qui nous amène au dernier point pour le rappel théorique, qui est la fin des travaux.
Comme le prévoit le Code civil, la fin des travaux est la date de départ pour calculer les délais dont j’ai parlé, soit les délais de 30 jours et six mois, et dont il faut toujours se souvenir. Elle est constatée lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine. La date d’ouverture de l’immeuble, quand l’immeuble est ouvert, n’est pas nécessairement l’arrivée de la fin des travaux, mais ça peut être un indice de la fin des travaux. La jurisprudence a établi certains critères, certains paramètres pour être en mesure de définir la fin des travaux. Premièrement, il y a juste une fin des travaux. Peu importe le nombre d’intervenants sur le chantier, il va toujours y avoir une seule fin des travaux. S’il y a un projet en plusieurs phases, par exemple, si c’est vraiment plusieurs phases distinctes, ça pourrait être une exception où on pourrait avoir plusieurs fins des travaux. C’est différent de la loi en Ontario ou en vertu du Construction Lean Act. Vous aurez une fin des travaux différente pour chacun des entrepreneurs. Chaque entrepreneur qui a fini aura sa fin des travaux. Ce qui est très différent, ici, au Québec.
On parle de la fin des travaux quand l’immeuble est prêt à l’usage auquel on le destine, comme on l’a dit, mais l’exécution de travaux même mineurs qui sont prévus au contrat pourrait retarder la fin des travaux.
Un autre des critères, c’est l’occupation de l’immeuble. Ça peut aider à identifier la fin des travaux, mais ça n’inclut pas nécessairement la fin des travaux. La règle veut que la fin des travaux arrive au moment où se termine l’exécution de tous les travaux contractuels. Pour ce qui est des travaux qui corrigent les malfaçons, dans ce cas-là les travaux corrigeant les malfaçons ne retardent pas la fin des travaux. L’abandon définitif des travaux, lui, amènera la fin des travaux. C’est toujours une question de déterminer s’il y a un abandon définitif, un abandon temporaire. Pour un abandon définitif, c’est que le propriétaire manifeste clairement son intention de les abandonner. Il a été établi dans la jurisprudence que l’absence de fonds, la faillite, la vente de l’immeuble ou le décès du propriétaire n’amènent pas la fin des travaux. La preuve de l’abandon des travaux repose sur la partie qui l’invoque.
Donc, sur ce bref rappel théorique, je cède la parole à Alex, qui va couvrir le sujet précis du jour, c’est-à-dire le contexte locatif, et vous donner des exemples concrets. Pour chacun des exemples, Alex va essayer de tirer les leçons d’un côté pour les locateurs et d’un autre côté, pour les entrepreneurs. Merci.
ALEXANDRE FOREST
Merci, Alex. Vous avez deux Alex aujourd’hui pour le prix d’un! Comme le mentionnait Alex, au départ de sa présentation, j’ai un peu l’objectif juridique, évidemment, concernant les hypothèques légales et ça remonte à très loin. En fait, ça remonte à mon début de pratique. D’ailleurs, en fin de présentation, je vais vous présenter le cas qui a fait en sorte que je me suis intéressé beaucoup aux hypothèques légales de la construction et que j’ai continué à m’y intéresser. Le déclic s’est enclenché en voyage. Comme Alexandre le mentionnait, la force des hypothèques légales de la construction, non seulement dans un contexte locatif – j’avais été mis en lien avec les hypothèques légales de la construction – mais aussi dans tout contexte en termes de moyen de négociation. Maintenant, comme vous le savez probablement tous, les hypothèques légales de la construction sont utilisées très fréquemment pour non pas vraiment aller jusqu’au bout du processus, mais plutôt pour mettre de la pression, que ce soit sur un propriétaire ou alors en général que le propriétaire lui-même met de la pression sur l’entrepreneur général pour obtenir le paiement. C’est un jeu qui se joue et auquel on peut se brûler parfois, mais un jeu qui est quand même accepté par les tribunaux jusqu’à une certaine limite.
En l’espèce, ce dont je vais surtout parler du côté de ma présentation, c’est vraiment le cas de figure particulier qu’on voit quand même assez souvent, où on a un locateur qui va demander à son locataire de faire certains travaux ou qui va peut-être donner de l’argent ou un certain montant à son locataire pour faire des travaux. Ce dernier va ensuite faire affaire avec un entrepreneur qui a fait lesdits travaux et ensuite, peu importe la raison, que ce soit faillite ou insolvabilité du locataire, l’entrepreneur va se retrouver avec aucune personne à qui collecter. Il va à ce moment-là un peu, je dirais entre guillemets et sans dire en désespoir de cause, mais souvent se rendre compte un peu trop tard de l’absence de lien qui va avec le propriétaire et va tenter d’inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble du propriétaire.
Donc, le but de la présentation est de délimiter dans quelle situation est-ce qu’effectivement l’entrepreneur peut inscrire une hypothèque légale de construction et, ensuite, de déterminer au contraire quelles sont les manières, que ce soit du locateur ou de l’entrepreneur, pour se prémunir contre les risques de ça. Du côté du locateur, ça va être de quelle manière on peut tenter de se prémunir de l’inscription d’une hypothèque. Du côté de l’entrepreneur, c’est de quelle manière on peut tenter de se prémunir du fait de ne plus avoir personne à qui collecter, donc l’absence d’hypothèque légale. Ensuite de ça, de parler d’un recours qui est un peu, je dirais, l’ultime recours du côté des entrepreneurs qui sont impayés, soit le recours en enrichissement injustifié. On va voir vraiment que c’est un recours sur lequel on ne peut malheureusement pas se fier du côté de l’entrepreneur compte tenu du fait qu’il y a assez peu de succès du point de vue juridique potentiel. Finalement, comme on l’a mentionné au début, je vais parler un peu des risques d’utiliser les hypothèques légales de la construction comme outils de négociation.
De plus en plus, en fait, les décisions récentes de la cour, tant de la Cour d’appel que la Cour supérieure, maintenant, tendent à pencher vers une limite de l’utilisation de l’hypothèque légale comme outil de négociation. Je vais vous en parler un peu plus.
PRÉVENTION DU POINT DE VUE DU LOCATEUR
Tout d’abord, commençons à la prévention du point de vue du locateur. La structure sera toujours la même. Je vais présenter toujours trois décisions. La première décision que je présente est toujours la décision qui est favorable à l’individu ou à l’entité dont je parle au départ, soit le locateur ou l’entrepreneur. Ensuite, c’est à mon sens là où on apprend vraiment plus, deux décisions négatives par rapport à l’entité dont je parle qui vont vraiment dire un peu quoi ne pas faire pour soit le locateur soit l’entrepreneur.
Comme je le mentionnais côté locateur, la décision de principe date de 1988. Compte tenu qu’on parle ici de la Cour suprême du Canada, c’est toujours la décision qui est mentionnée systématiquement dans tous les cas où on discute d’hypothèques légales de la construction en contexte locatif. C’est la décision Kolomeir. Dans le contexte de Kolomeir, on avait un locateur qui avait un bail directement, évidemment, avec son locataire qui lui prévoyait que certains travaux allaient être effectués par le locataire. Donc, il listait des travaux, listait le montant qui allait être offert du locateur vers le locataire et mentionnait qu’à la toute fin, comme il est assez constant dans les baux commerciaux, le locateur allait rester propriétaire des améliorations locatives qui allaient être faites.
Comme je vous dis, lorsque je ne mentionne pas le contexte actuel, assumez que c’est toujours le même contexte actuel, c’est-à-dire que finalement le locataire soit devient failli, devient insolvable et l’entrepreneur ne réussit pas à se faire payer, met l’hypothèque légale de la construction sur son immeuble.
Dans ce cas-ci, autant du côté de la Cour supérieure que de la Cour d’appel, on va analyser le contrat de bail et on va y trouver non seulement un contrat de bail mais un contrat de service. Subsidiairement, un contrat de construction. Ce qu’on va voir, ce qu’on va lire dans le contrat, c’est qu’on va lire que le locateur a donné un contrat de construction à son locataire qui lui, ensuite, aura sous-traité avec l’entrepreneur général. La cour, dans ce cas-ci, et c’est un peu, je dirais, le paradoxe qui est du côté des hypothèques légales de la construction, au départ, lors des premières décisions qui ont été faites, surtout des tribunaux d’instance inférieure, la cour avait un peu cette espèce de souci d’équité de venir dire : Bien, voyons, le locateur va bénéficier de travaux que personne n’a payés et au bout du compte le seul grand perdant c’était l’entrepreneur. La cour avait tenté de trouver une solution qui pouvait, justement, tenter de compenser l’entrepreneur qui restait impayé. Autant la Cour supérieure que la Cour d’appel dans ce cas-ci le trouve en identifiant le contrat de construction à l’intérieur du contrat du bail commercial.
La Cour suprême a toutefois vraiment balisé cette conclusion-là. J’ai aimé mettre cette citation en tant que telle parce que ce qui est intéressant, c’est que la Cour suprême va vraiment avoir l’aspect commercial en tête et surtout l’aspect commun des clauses voulant que le locateur fournisse un montant d’argent au locataire pour que ce dernier fasse des améliorations locatives. La Cour va dire : ces clauses sont usuelles, autant la clause qui mentionne que le locataire va obtenir de l’argent de la part de son locateur pour faire certains travaux que la clause qui prévoit l’approbation des plans et devis, donc la connaissance par le locateur des travaux qui sont au bout du compte faits sur sa propriété.
Donc, la Cour va baliser cela et va vraiment dire : on ne peut continuer, effectivement, à voir ce type de pratique, donc à offrir des montants d’argent du côté du locataire. Mais elle va aussi donner quatre critères pour le moment où on va trouver un contrat de construction à l’intérieur d’un contrat de bail commercial. Ces critères sont toujours les critères qui sont appliqués en ce moment. Évidemment, ce sont des critères, je dirais, à l’avantage de l’entrepreneur. Donc, au désavantage du locateur dans ce cas-ci. Des critères qui permettraient de trouver un contrat de construction, qui permettraient donc l’inscription de l’hypothèque légale par l’entrepreneur qui a fait les travaux.
Premier critère. Les travaux sont définis de manière précise au bail. Il faut faire attention ici particulièrement pour les locateurs, on parle de définition qui soit au bail ou qui soit en annexe. Souvent, on voit que certains travaux précis sont définis en annexe. C’est un risque d’avoir évidemment le plus de précisions des travaux, le plus de risques il y a qu’on peut trouver un contrat de construction à l’intérieur du bail commercial. Toutefois, évidemment, ce sont des critères cumulatifs. Si on a simplement les critères, on n’a pas quand même de contrat de construction automatiquement, on va aller plus loin.
Le deuxième point. Le coût facilement déterminable. Même, je dirais, le coût souvent <inaudible> qui est déterminé dans ce cas-ci, on va en parler un peu plus loin. Si votre coût, le coût qui est prévu du côté du bail pour les travaux, est en lien très, très ténu avec le contrat de construction de l’entrepreneur, c’est souvent un indicateur qu’on est très près ici d’un contrat de construction, qui est inclus du côté du bail. Je vais y revenir un peu plus tard.
Ensuite, le troisième point. La latitude du locataire dans le choix des méthodes d’exécution et aussi dans le choix de la main-d’oeuvre. Dans ce cas-ci, il faut faire attention. Évidemment, l’aspect de latitude dans ce cas-ci est important, parce que dans le cadre du contrat de l’entrepreneur ou du contrat de construction, le constructeur, l’entrepreneur a justement ces choix-là, cette latitude-là pour le choix de ses méthodes. La plupart du temps, évidemment dans ce cas-ci, très rarement, même de manière pratique dans les baux commerciaux, le locateur va-t-il désigner directement son entrepreneur. Parce qu’évidemment, ça va donner un indice du fait qu’on est, par rapport à un contrat de construction, <inaudible> par rapport à un contrat de mandat avec son locataire.
Dans ce cas-ci, ce dont on parle surtout, c’est l’aspect que lorsque le locataire est libre des choix, oui, de ce côté-ci on peut tenter de se sortir de la définition d’un contrat d’entrepreneur en n’ayant pas mentionné directement l’entrepreneur, mais il faut savoir que malgré cela, ça fait en sorte que le locataire garde toujours sa possibilité de donner le contrat à l’entrepreneur de son choix. C’est malheureusement un des critères qui permet l’inscription de l’hypothèque légale. C’est un peu contradictoire, je dirais, l’aspect de la latitude donnée au locataire, mais malheureusement dans cette situation-là, le locateur est un peu dans une situation où il est perdant des deux côtés. Qu’il désigne ou non l’entrepreneur, ça ne sera pas nécessairement un changement qui sera très important du côté de l’analyse de l’inscription de l’hypothèque légale à l’entrepreneur.
Finalement, et c’est là où le bât blesse, la plupart du temps du côté de l’entrepreneur, c’est le fait qu’il doit y avoir une créance claire qui est en lien avec les travaux de construction entre le locateur et le locataire. Ici c’est vraiment particulier, parce que par exemple dans la décision Kolomeir, c’est là que la Cour a prouvé qu’il n’y avait pas de lien de cette nature-là entre le locateur et le locataire, parce que, comme dans beaucoup de baux commerciaux, le montant était simplement décaissé directement au locataire et ensuite ce dernier s’engageait à faire les travaux, mais on ne décaissait pas directement en lien avec les travaux. C’est cette petite différence qui s’est appliquée Kolomeir qui a fait la grande différence.
Les leçons à tirer de cette décision – décision de principe de Kolomeir – est le plus possible d'utiliser une rétribution qui serait fixe du côté du locateur. Le locateur devrait avoir, par exemple, un montant x pour les améliorations locatives sans faire dépendre ce montant des travaux qui seront exécutés directement ou sans faire dépendre de travaux très précis à être exécutés. Une autre précision, comme je le précisais un peu plus tôt, le plus possible de faire en sorte que le paiement soit en fait indépendant de la facture finale de l’entrepreneur. Le but est de s’éloigner le plus possible du contrat que le locataire a avec son entrepreneur pour tenter de définir. Comme moi, tout ce que j’ai fait, c’est que j’ai aidé mon locataire. J’ai voulu lui donner un certain montant d’argent pour faire certains travaux, mais au bout du compte il reste responsable de sa facturation. Il reste responsable des ingénieurs ou de peu importe les professionnels qu’il aura besoin et mon apport ne dépendra pas du choix des professionnels. C’est vraiment une ligne qui est souvent reprise par la jurisprudence, cet aspect d’être dépendant du locataire pour justement enlever tout spectre de mandat qui dirigerait la relation locataire-locateur dans un cas comme ça.
Autre chose quand même importante et de jurisprudence assez constante. L’obligation d’obtenir le consentement du locateur pour des travaux n’est pas un indicateur qu’il y a ici un contrat de mandat ou un contrat de construction entre le locateur et le locataire. La Cour a vraiment conclu que dans ce cas-ci, le locateur reste quand même le propriétaire et doit rester en contrôle de son immeuble, ce qui fait en sorte que lorsqu’il demande l’approbation, qu’il demande à faire vérifier les plans et devis, il est dans son droit. Il est même dans son droit de pouvoir refuser ou de sélectionner certains plans qui lui sont offerts.
Deuxième chose. Le référencement. Il est arrivé à quelques reprises d’avoir des locateurs qui viennent me mentionner : est-ce que j’ai le droit d’offrir à mon locataire un entrepreneur avec qui je travaille souvent, qui connaît mon immeuble et qui va potentiellement faire le travail pour un prix meilleur compte tenu de sa connaissance? Ç’a été tenté à quelques reprises par les entrepreneurs de me mentionner : bien, j’ai été référé. Donc, au bout du compte, le véritable donneur d’ouvrage était le locateur. La plupart du temps, ça échoue. Évidemment, il y a certaines circonstances très particulières où si le locataire a continué de donner des instructions ou a été la personne qui a été l’interlocuteur, je dirais, de prédilection de l’entrepreneur, dans ce cas-ci effectivement peut avoir un risque. Mais la Cour sinon est constante dans ses décisions. Le fait que le locateur souligne ou tente de mentionner un certain ou une liste même d’entrepreneurs n’est pas un fait qui va faire en sorte de définir la relation comme étant une relation de contrat d’entreprise ou alors d’une relation de mandant-mandataire.
Avant de changer, petite suggestion toutefois en général. Si vous voulez dans ce sens-là, effectivement, souligner ou suggérer certains entrepreneurs, le conseil que je donne de manière assez constante c’est d’en souligner pas seulement un. La plupart du temps, mettez-en quelques-uns, parlez des relations que vous avez avec certains. C’est souvent la meilleure méthode pour être sûr et certain de dire : regardez, je n’ai pas de lien direct avec cette entrepreneur, la suggestion est vraiment faite parce que c’est des entrepreneurs avec lesquels on travaille en généra.
Comme je le mentionnais, on est maintenant rendus aux exemples où on apprend le plus. Ce sont des exemples négatifs. Les exemples où on a, en fait, conclu que l’entrepreneur avait le droit d’inscrire une hypothèque légale en construction à l’encontre de l’immeuble du propriétaire.
Dans le cas de Construction Tigre, chaque fois, lorsque l’hypothèque légale a effectivement été inscrite par l’entrepreneur, en bon français le « fact pattern » n’était pas toujours le même. C’est-à-dire que la cour va se pencher sur le bail et va regarder quelles sont les obligations des parties au bail. Dans ce cas-ci, on a un montant très important. Un montant de 600 000 $ qui est fourni au locataire pour faire des changements majeurs du côté de l’immeuble pour qu’ensuite ces mêmes changements soient retournés au locateur après la période. Dans ce cas-ci, on était dans un cas de restauration et c’était vraiment un restaurant… en fait, un immeuble qu’on refaisait complètement afin qu’il puisse accueillir un restaurant.
Dans ce cas-ci, l’aspect qui est particulièrement important, c’est que les montants, les modalités de paiement du 600 000 $ coïncidaient très exactement avec les modalités du paiement à l’entrepreneur par le locataire. Donc, la cour a vu là, mais évidemment dans ce cas-ci ce n’était pas un hasard, les deux, autant le locataire que le locateur, s’étaient consultés et l’entente était au bout du compte qu’effectivement le locateur payait pour des travaux qui étaient déjà convenus. On se rappellera les quatre critères. Le premier critère avec les travaux convenus. On parle d’un paiement qui est lié avec les travaux de construction. Mais dans ce cas-ci, on avait au-delà d’un montant. On avait même en plus les modalités qui étaient semblables au contrat de construction qu’il y avait entre le locataire et l’entrepreneur. Je dirais que ce qui vient ajouter la ceinture aux bretelles dans ce cas-ci, c’est qu’en plus, le locataire – donc le dernier critère le plus difficile qu’on mentionnait, c’est-à-dire la relation de créancier et débiteur qui doit exister entre le locateur et le locataire – avait été cristallisé dans ce cas-là par une hypothèque mobilière. Le locataire avait dit : oui, j’assume, je vais effectivement faire ces travaux-là, sinon le building pourrait être repris via une action hypothécaire. Donc, on avait vraiment cristallisé la relation de créancier-débiteur dans ce cas-ci avec une hypothèque. Il n’y a pas de manière plus précise de définir la relation. Ce cas-là est un bon exemple de tout ce que le locateur ne doit pas faire s’il veut éviter d’avoir une hypothèque légale enregistrée sur son immeuble.
Les leçons à tirer le plus possible dans ce cas-ci : 1) mode de versement. L’aspect mode de versement n’est pas en soi à proscrire. Toutefois, il faut absolument être certain que ce mode de versement soit indépendant du mode de versement déjà prévu entre le locataire et l’entrepreneur. Comme je le mentionnais, les points 1) et 2) sont un peu semblables. Évidemment, de manière idéale, si… Votre locataire, la plupart du temps le locataire, va demander à ce que les paiements soient faits directement en lien avec les paiements qu’il a besoin de faire. C’est un peu la logique de la chose. Le plus possible, évitez de faire ça. Changez les montants. Mettez-en soit un peu plus, un peu moins vers la fin ou peu importe. Ayez votre propre type de paiement, vos propres modalités de paiement par rapport à ceux que le locataire pourrait exiger, parce que plus on se rapproche des modalités qui sont prévues entre le locataire et d’entrepreneur, plus on se rapproche de la possibilité d’avoir une hypothèque légale sur l’immeuble.
Finalement, le dernier point que je mentionne, c’est l’aspect mandat. Toujours faire attention lorsqu’il y a une garantie qui est donnée par le locataire et l’aspect des travaux qui sont faits pour et au nom du locateur. C’est ce qui m’amène un peu à la troisième décision Espace Construction inc. Dans cette décision, c’est l’exemple parfait d’un locateur qui voulait bien faire et qui s’est fait prendre la main dans le tordeur. Dans ce cas-ci, on a une demande qui avait été faite par le locataire qui voulait confirmer sa situation de donneur d’ouvrage, donc sa situation de donneur d’ordres auprès de ses sous-traitants et rassurer les sous-traitants en disant : oui, effectivement, le locateur est d’accord avec les travaux que j’entreprends actuellement. Il a demandé une lettre au locateur, lettre qui devait justement définir les parties. Ce que cette lettre a de particulier, c’est qu’elle est autrement de cette partie-là très bien faite, donc définie. Elle dit : bonjour, nous sommes les propriétaires de cet immeuble-là, x est notre locataire, x est le maître d’ouvrage, x va vous donner les instructions. Fin de la lettre. À la lecture même de la lettre, honnêtement, on aurait pu penser que ça clarifiait la déposition des parties. Au contraire, ce que la cour va faire, c’est qu’en lisant le locateur qui mentionne que son locataire est le maître d’ouvrage, la cour va y lire que le locataire est maître d’ouvrage pour le locateur. Donc, elle va y lire un mandat clair entre le locateur et le locataire. Ce qui est particulier, c’est que le mot maître d’ouvrage n’avait pas été utilisé de manière, je dirais, à tout hasard. C’était les mots qui étaient utilisés au bail. Le bail mentionnait qu’en tout temps, le locataire restait maître de ses ouvrages. Encore une fois, les parties dans ce sens-là avaient, selon en fait l’esprit du locateur, mis cette clause, ces mots-là pour mentionner que… un peu répondre au point numéro 3 de l’arrêt Kolomeir, c’est-à-dire c’est toujours mon locataire qui a complètement la liberté de faire ce qu’il veut dans ce cas-ci. Donc, tentait de se dégager de sa responsabilité. L’exemple, comme je mentionnais, quand on veut bien faire, parfois on fait pire.
Le reste du bail contient certaines mentions assez classiques du point de vue de la location pour les améliorations locatives. On définit quand même assez en détail les améliorations locatives, mais dans ce cas-ci, évidemment, là où la grosse différence va être faite, c’est la fameuse lettre qui a être interprétée. Donc, le conseil le plus important, c’est de toujours avoir en tête que la désignation du locataire est excessivement importante par le locateur. Le plus possible, mettre les mots directement, parler de responsabilité des travaux, parler de responsabilité des paiements, parler de responsabilité financière, peu importe, lorsque vous mentionnez ou décrivez les travaux qui sont faits sur les lieux. Oui. Et surtout, dernier commentaire, ne parlez donc pas aux entrepreneurs ou aux sous-traitants. Pour le vrai, souvent, l’aspect, c’est un peu paradoxal parce qu’évidemment du côté du locateur on veut être en contrôle de ses travaux. Au bout du compte, on est en train de faire des travaux sur son propre immeuble. Il faut le plus possible limiter les interactions avec l’entrepreneur, sinon celles concernant les précisions structurelles nécessaires ou les précisions qui sont nécessaires directement sur l’immeuble. Le moins possible être en figure d’autorité par rapport à l’entrepreneur. On va le voir plus tard. C’est un peu la transition que je fais d’habitude vers l’aspect entrepreneur. Plus le propriétaire est impliqué dans les travaux, plus il est perçu comme un donneur d’ordres, plus dans ce cas-ci la cour va être encline à voir en lui le véritable donneur d’ordres, donc le véritable contractant au bout du compte avec l’entrepreneur, et va être plus encline dans l’affaire à mettre l’hypothèque légale de la construction.
La plupart du temps je vois des yeux suspicieux qui me disent : c’est quand même mon immeuble, je veux rester en contrôle de ce que l’entrepreneur fait, je veux rester en contrôle. Tenez-vous-en, en fait, à ce qui est directement mentionné au bail. Vérifiez la qualité de l’entrepreneur, acceptez les travaux en tant que tels qui sont faits. Mais sinon, les autres problématiques, le plus possible les laisser du côté du locataire. Évidemment, c’est difficile. L’équilibre doit être là quand même parce qu’au bout du compte, c’est quand même votre immeuble, mais il faut vraiment limiter au strict minimum les conversations qu’on peut avoir avec entrepreneurs et sous-traitants.
PRÉVENTION DU POINT DE VUE DE L’ENTREPRENEUR
Ce qui m’amène au point de vue de l’entrepreneur. Évidemment, si j’ai parlé beaucoup du point de vue du locateur, comme je le mentionnais, le pire aspect du côté des hypothèques légales de la construction en contexte locatif, c’est que la personne qui se retrouve souvent avec rien, c’est l’entrepreneur. C’est lui qui a effectué les travaux, qui au bout du compte va permettre au locateur de reprendre ses biens et de profiter des travaux qui ont été faits sans obtenir aucun paiement. Évidemment, au-delà du conseil général de toujours vérifier la qualité de la personne avec laquelle on transige, il y a certains conseils qu’on peut tirer pour tenter justement d’aller définir une relation plus largement que ce qu’elle est avec le locateur.
Dans cette optique, la décision Briggs est une décision où l’entrepreneur va justement réussir à prouver qu’il y a eu un contrat au-delà du contrat écrit avec un locataire, mais il y a un contrat verbal avec un locateur. J’utilise cette décision un peu parce que oui on est dans un cas d’exception, parce que dans ce cas-ci la cour va beaucoup se baser sur la crédibilité de chacun des témoins et, en fait, va donner assez peu de crédibilité au propriétaire qui va venir témoigner lorsqu’il va mentionner qu’il ne fournissait rien comme indication à l’entrepreneur. La cour ne va pas croire cela, surtout en opposition à plusieurs témoins qui vont être amenés par l’entrepreneur, qui vont dire : presque toutes mes instructions provenaient du propriétaire.
Dans ce cas-ci, il y avait quand même les autres éléments comme on mentionnait, une liste détaillée des travaux. On mentionne effectivement qu’il y a une relation qui était très proche entre le locateur et l’entrepreneur. Au bout du compte, ce qui va avoir fait la grosse différence, c’est l’aspect discussion et l’aspect témoignage. Là où justement je mentionne la leçon à tirer de ce côté-là, c’est que c’est très difficile. On parle d’un procès de plusieurs jours dans ce cas-ci et où, au bout du compte, c’est un coup de dés. Comme avocats, jamais on ne veut faire dépendre notre dossier sur la crédibilité d’un témoin, parce que la crédibilité d’un témoin peut être très crédible à l’extérieur et quand il arrive dans la boîte peut témoigner tout croche. Ça arrive aux meilleurs. Évidemment, dans ce cas-ci, les conseils… les leçons à tirer de cette décision-là sont surtout – autant je le mentionnais du côté du locateur, je le mentionne cette fois-ci du côté de l’entrepreneur – de toujours mettre par écrit le plus possible les mêmes mots de : voici les instructions que nous avons besoin. Donnez-nous nos instructions pour vos travaux. Le plus possible, d’avoir un lien direct avec le propriétaire de l’immeuble. Évidemment, encore plus, lorsque l’on voit directement qu’une potentielle situation qui serait périlleuse pour le locataire.
Même chose, comme je le mentionnais, se baser sur la crédibilité des témoins, se baser sur les personnes sur le chantier, c’est une manière effectivement de tenter de prouver qu’il y a eu un contrat différent. Toutefois, c’est très dangereux d’avoir justement toute notre théorie de la cause basée sur des témoignages qui seraient faits.
Finalement, autre conseil cette fois-ci, très intéressant du côté de l’entrepreneur, c’est de discuter surtout avec vos sous-traitants et de leurs dénonciations. Dans cette cause, la partie la plus intéressante, c’est que la cour va vérifier les dénonciations faites par les sous-traitants et va voir que dans ces dénonciations, les sous-traitants nomment le locateur comme étant le donneur d’ouvrage. Ce qui est vraiment intéressant dans ce cas-ci, c’est qu’on a au bout du compte une preuve qui est un peu indirecte. On l’appelle dans le langage des Litiges le « self-made evidence ». Quand même, ce principe que plusieurs sous-traitants différents vont nommer le même donneur d’ouvrage, vont nommer le locateur comme étant le donneur d’ouvrage, va être intéressant.
Dans un cas où vous avez un doute ou dans un cas où il y a une situation qui serait potentiellement précaire, une consultation ou alors une discussion avec les sous-traitants pour leur mentionner de se concerter pour nommer une même personne du côté donneur d’ouvrage peut être quelque chose qui va rajouter un peu de la chair autour de l’os d’un dossier qui serait normalement seulement constitué de témoignages qui seraient un contre l’autre ou opposés les uns contre les autres.
Dans la décision Fury dans ce cas-ci, en fait, je l’utilise surtout pour montrer la difficulté lorsqu’on se base un peu trop sur l’aspect de témoignages où on peut se retrouver le bec à l’eau une fois qu’on tente de faire notre action. Dans ce cas-ci, locateur et locataire sont contrôlés par la même personne. L’entrepreneur va reconnaître que oui son contrat est signé avec le locataire, mais il va mentionner que compte tenu du fait que la même personne contrôlait les deux entreprises, devrait pouvoir utiliser la théorie de l’alter ego pour suivre l’une comme l’autre, donc pouvoir inscrire une hypothèque légale à l’encontre du propriétaire locateur. Parce que si la cour va rappeler quand même la difficulté d’utiliser la théorie de l’alter ego et va mentionner que pour soulever dans le fond le voile corporatif, il faut avoir trois critères particuliers. Il faut que les actions aient été faites par les entreprises pour masquer la fraude, pour abuser de son droit ou alors pour contrevenir à une règle d’ordre public.
On voit que le fardeau de preuve est excessivement lourd. Dans ce cas-ci, la cour va regarder les entreprises, on dit : dans ce cas-ci, la structure désavantagée, oui, mais on n’arrive pas à voir la fraude et on a quand même deux entités qui fonctionnent différemment, qui ont des employés différents. Il n’y a pas de possibilité ici de soulever le voile corporatif. On ne le fera pas. Pas d’hypothèque légale de la construction.
Évidemment, dans ce cas-ci, c’est le moment où je donne le conseil primordial, en général, pour tout entrepreneur. Vérifiez au registre foncier qui est le propriétaire. La jurisprudence contient des tonnes de décisions où l’entrepreneur a assumé qu’il était en train de négocier avec le propriétaire de l’immeuble, mais qu’il négociait plutôt avec un locataire ou avec un potentiel futur propriétaire qui ne l’est jamais devenu finalement ou avec tout autre intermédiaire. On a même vu une différence entre mari et femme. C’était la femme qui était propriétaire de l’immeuble, le mari qui dirigeait les travaux. On a finalement conclu que comme la dénonciation n’avait pas été faite à la femme de monsieur, il n’y avait pas d’hypothèque légale. Donc, on va quand même assez loin dans ces déductions sur l’importance de qui est propriétaire de l’immeuble. Je fais une parenthèse à ce moment-là du côté des villes, lorsqu’on travaille avec l’aspect des villes. Comme l’a mentionné Alex, il y a certains immeubles qui, oui, eux sont destinés au public et ne peuvent pas avoir d’hypothèque légale à leur endroit, mais il y a certains autres immeubles qui peuvent en avoir. Dans le cas de Montréal c. 100979 Canada Inc., en fait c’était la construction d’une attraction que je ne connais pas qui s’appelle le Dinosaurium, qui serait sur l’île Sainte-Hélène. Je ne suis pas sûr si ça existe encore. La construction était faite par l’entrepreneur, qui lui estimait que c’était la Ville qui garantissait ses travaux et la Ville qui payait ses travaux. Ce qu’il y avait de différent, ce qui se passe en fait très souvent dans des projets de ce genre, c’est que la Ville avait plutôt créé une entité tampon entre elle et l’entrepreneur qui s’appelait La Société du Dinosaurium ou quelque chose de ce genre. Il va souvent y avoir une entité qui va être créée entre la Ville et l’entrepreneur. La plupart du temps, dans les chartes des villes ou des grandes villes en général, on va leur mentionner que ces entités ne peuvent créer des entités qui aliènent des biens.
Donc, on a vraiment un aspect où l’entrepreneur au bout du compte étant en lien avec une entité qui était presque, je dirais, tel quel la Ville mais portait un autre nom, même si les gens qui la formaient étaient en fait aussi des membres de la Ville de Montréal ou, dans ce cas-ci, qui s’impliquaient du côté des travaux, mais tout de même, la création de cette entreprise tempo était faite à escient. C’était justement pour éviter une hypothèque légale. Dans ce cas-ci, on a tenté d’obtenir quand même l’inscription, ce qui a été refusé par la cour. Il y a certaines autres théories qui ont été tentées, par exemple de dire qu’il y avait une stipulation pour autrui qui avait été faite. La plupart du temps, les tribunaux vont refuser l’hypothèque légale lorsque ce n’est pas la ville directement qui donnait le mandat.
Finalement, pour terminer ma présentation, je voudrais parler un peu du dernier recours des entrepreneurs, soit l’enrichissement injustifié. Comme on l’a vu, justement, on avait déjà la mention de la frustration que peut avoir un entrepreneur face au fait de ne pas être payé et de ne pas avoir de recours, de ne pas pouvoir mettre d’hypothèque légale sur un immeuble. Donc, on mentionnait, dans ce cas-là il y a un clair enrichissement injustifié ici. En droit, cinq conditions pour enrichissement injustifié : enrichissement, appauvrissement, le lien entre les deux, il n’y a aucune justification entre les deux (l’enrichissement et l’appauvrissement) et la chance de recours de l’appauvri.
La plupart du temps, les trois premiers critères et le cinquième sont en vie. Il y a un enrichissement, il y a un appauvrissement. Il y a un clair lien entre les deux. Souvent, le locataire est rendu en faillite ou insolvable. Il n’a pas de recours à son encontre.
Là où le bât blesse, c’est l’absence de justification. Dans la décision Demers, c’est exactement la conclusion à laquelle la cour veut en venir, en ce sens qu’elle va mentionner qu’il y a effectivement un enrichissement dans ce cas-ci pour le locateur, mais il est justifié, cet enrichissement-là. Il est justifié par le risque qu’a pris l’entrepreneur de faire affaire directement avec un locataire plutôt que de faire affaire avec un locateur. La conclusion est sévère, mais c’est la conclusion qui est applicable dans la vaste majorité des dossiers ici, où on blâme un peu l’aspect de l’entrepreneur de dire : écoutez, il fallait faire les vérifications requises et si vous n’acceptez pas le risque d’être en affaire avec un locataire plutôt qu’avec le propriétaire, il fallait le souligner et soit de négocier autrement ou ne pas accepter la job en tant que telle.
Sauf que des fois ça fonctionne, l’enrichissement justifié. Une décision particulièrement citée, la décision LML Électrique, où ce qui est particulier c’est que le conseil qui en ressort le plus est : prenez-vous un avocat. L’aspect dans ce cas-ci, on avait un locateur qui a fait une requête pour faire radier l’hypothèque, gagne, l’hypothèque est radiée et ensuite l’entrepreneur en désespoir de cause va faire un recours en enrichissement injustifié. Mais le locateur ne va pas trouver bon de se présenter en cour. Le juge va être devant un seul côté de la médaille et lorsque va venir le temps d’analyser la justification va venir dire : je n’en vois aucune justification; on ne m’en a souligné aucune du côté du propriétaire compte tenu de son absence; il y a enrichissement injustifié ici. En jugement, on parle de près de 200 000 $ que le locateur a été condamné à payer à l’entrepreneur. Cette décision va revenir et revient tout le temps, chaque fois qu’il y a une requête en radiation ou on tente de gagner du temps.
C’est ce qui m’amène un peu à la décision – comme je mentionnais, qui a fait en sorte que je m’intéresse aux hypothèques légales de la construction -- de Construction Osmat. Dans ce cas-ci, c’est un des premiers dossiers que j’ai fait comme jeune avocat où je représentais un locateur, qui est la compagnie numéro 2436 où le recours était encore une fois le même entre guillemets « fact pattern », une hypothèque inscrite complètement sans droit. Dans ce cas-ci, normalement pour faire radier une hypothèque de ce sens-là, on parle d’à peu près de six mois à un an, parce que dans ce type de recours on peut justement procéder très rapidement. Mais la situation où je me suis rendu compte était beaucoup plus commune que je pensais, c’est qu’une stratégie souvent de l’entrepreneur va être de faire une demande reconventionnelle en enrichissement injustifié. Dans ce cas-là, la cour requiert de procéder au fond, de procéder en fait beaucoup plus longuement sur le dossier compte tenu des témoignages qui sont nécessaires pour l’enrichissement injustifié. On parle d’une cause qui aurait potentiellement dû durer seulement de six mois à un an mais qui a duré trois ans en tant que tel.
Ce qu’il faut comprendre dans ce sens-là, c’est que c’est trois ans pendant lesquelles le locateur a une hypothèque d’environ 300 000 $ sur son immeuble. Il ne peut pas le financer, il ne peut pas le revendre et dans un cas où il aurait été pressé d’une quelconque manière de vendre son immeuble, il aurait potentiellement dû par rapport aux frais juridiques négocier un certain montant qui allait être donné du côté de l’entrepreneur.
Donc, on voit la force et c’est là à mon sens qu’on voit très bien la force de l’hypothèque légale de la construction. Mais là où il y a une limite, et c’est dans ce cas-ci, on ne peut pas continuer sans avoir de justification à son recours dans un cadre où on a une hypothèque légale et où on prive le locateur de l’utilisation de son bien. Donc, c’est la première fois qu’on a eu une conclusion en matière d’hypothèque légale de la construction qui est liée à la Charte des droits et libertés. L’article 6 de la Charte dit que chacun peut utiliser son bien et devrait en disposer comme bon lui semble.
Donc, on a eu 10 000 $ là-dessus et ensuite d’autres dommages pour la petite histoire au bout du compte : l’entrepreneur et le particulier qui avait l’entreprise ont fait faillite. C’est plate, ce n’est pas une belle histoire. Au bout du compte, il n’y a pas d’argent qui a été récupéré. Mais pour la décision de principe dans ce cas-ci, c’est excessivement important et ça vient un peu en droite ligne avec la décision Delacretaz de la Cour d’appel qui un peu a mis récemment la ligne. Oui, on peut utiliser l’hypothèque légale pour négocier. Oui, on peut mettre de la pression, tenter de jouer le jeu chacun de notre côté. Mais lorsqu’un recours en radiation est mis de l’avant par le locateur et même parfois ça se peut que ce soit l’entrepreneur lui-même qui va le faire quand c’est un sous-traitant qui est inscrit. Dans ce cas-là, si on n’a aucun moyen de défense valable et qu’on le fait simplement pour négocier, il faut accepter de radier l’hypothèque sinon on aura des dommages. C’est le message que la Cour d’appel a mentionné dans le dossier Delacretaz assez récemment, en 2013. Dans ce dossier, la Cour a mentionné qu’on a tenté d’utiliser, comme tout le monde fait en général, l’hypothèque légale pour négocier, mais on s’est brûlés. On a un montant qui n’est pas énorme, qui est de 10 000 $ dans ce cas-là, mais pour le principe, cette décision est très importante et est de plus en plus plaidée d’ailleurs sur le fait qu’il y a une limite lorsque, après la requête en radiation, l’entrepreneur continue de se battre sans raison, dans ce cas-là il y a des dommages qui vont être…
ALEXANDRE SAMI
Merci. En conclusion, comme vous avez pu le constater, ce qui est d’abord primordial pour éviter les mauvaises surprises, c’est de bien définir le rôle de chacun sur le chantier, puis pour le locateur, d’un côté, c’est de se garder une certaine distance, n’est-ce pas, par rapport à l’exécution des travaux, ne pas être trop près de tout ce qui est exécution des travaux, et que les termes du bail vont être super importants. Pour l’entrepreneur, lui va vouloir vraiment lier le locateur à titre de donneur d’ouvrage pour pouvoir ensuite mettre son hypothèque légale et dénoncer définitivement par écrit à la bonne personne. Comme Alex a dit, vérifier qui est le véritable propriétaire pour pouvoir ensuite avoir le droit d’inscrire une hypothèque légale de la construction.
Donc, ça complète. On a 15 minutes ou 10 minutes de questions. Alex et moi, on se fera un plaisir de vous répondre.
<Fin de l’enregistrement >
Dans quelles situations un entrepreneur ayant un contrat avec un locataire peut-il inscrire une hypothèque légale de la construction sur l’immeuble du propriétaire?
Quels sont les risques d’une inscription sans droit? Quelles leçons tirer de la jurisprudence en la matière?
Vos deux conférenciers vous proposent un bref survol des règles applicables aux hypothèques légales de la construction dans un contexte locatif, ainsi qu’une revue des risques y afférents.
Seront également soulignées les leçons à tirer de la jurisprudence, autant pour l’entrepreneur que pour le propriétaire.
La visualisation de ce séminaire peut compter pour 1 heure en vue de satisfaire l’exigence de formation continue du Barreau du Québec.
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