PIERRE PILOTE
<00:12> Donc, à nouveau bonjour et à tous un grand merci d’avoir accepté notre invitation en si grand nombre, ce matin. Je vous souhaite la bienvenue au colloque du groupe de Travail, emploi et droits de la personne de Gowling WLG. Mon nom est Pierre Pilote. Je suis associé au bureau de Golowing WLG à Montréal. Je serai votre maître des cérémonies pour la matinée.
<00:34> Avant de débuter, voici quelques informations utiles. Suite au colloque de ce matin, vous recevrez une attestation de formation reconnue par le Barreau pour une durée de trois heures de formation. Cette formation est également reconnue par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés pour une même durée. Assurez-vous d’avoir signé le registre des présences à la table d’accueil et vous recevrez votre attestation de participation par envoi électronique au cours des prochains jours. Finalement, et comme nous allons commencer sous peu, je vous demanderais s’il vous plaît d’éteindre les sonneries de vos appareils électroniques.
<01:14> Le programme aujourd’hui intitulé « Les ressources humaines à l’ère des réseaux sociaux » a été préparé pour vous afin de vous aider à faire face à d’éventuelles situations auxquelles, en tant que conseillers juridiques d’entreprises et professionnels en ressources humaines, vous pouvez être confrontés.
<01:33> Aujourd’hui, nous parlerons d’abord du… En fait, on va vous présenter le Top 10 des décisions marquantes de 2016 en droit de l’emploi. Par la suite, on vous présentera le sujet Médias sociaux et invalidité – Conjugaison parfaite ou incompatibilité. Par la suite, ce sera L’utilisation des médias sociaux par l’employeur – Du recrutement jusqu’à la fin de l’emploi. Et, enfin, Un panel sur la surveillance des employés par les médias sociaux – Agence de sécurité versus contexte juridique.
<02:12> Nous vous proposons donc ce matin cette conférence en quatre parties, qui se succéderont. Il y aura une période de questions après chacun des sujets présentés. Nous sommes maintenant prêts à débuter et j’ai l’honneur d’ouvrir le bal avec ma collègue Josée Gervais, que j’invite à se joindre à moi. Josée conseille plusieurs employeurs internationaux et nationaux relativement à toute question de relations de travail, de droits de l’emploi, y compris la préparation de révision de contrats de travail individuels de même que l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de procédures en matière d’emploi. Josée et moi-même allons vous présenter notre conférence intitulée Top 10 – Décisions marquantes de 2016. Maintenant, je cède la parole à Josée, qui va débuter.
<brève discussion>
JOSÉE GERVAIS
<03:06> Donc, bon matin, tout le monde. Comme c’est rendu un petit peu notre tradition à notre Colloque annuel en droit du travail, on a fait pour vous une révision de la jurisprudence qui a été rendue au cours de la dernière année et on a sélectionné 10 décisions qui, à notre avis, méritaient qu’on s’y attarde. Pardon.
<03:31> Donc, je débute immédiatement avec deux décisions qui ont été rendues de façon conjointe par le Tribunal administratif du travail (TAT) en décembre 2016. Ce sont deux décisions, en fait, qui faisaient suite au dépôt de requête en accréditation par des associations de cadres de premier niveau chez Hydro-Québec et à la Société des casinos de Montréal.
<03:55> Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à la Société des casinos et chez Hydro-Québec, on a regroupé les cadres en association pour négocier les conditions de travail auprès de leurs employeurs. En 2009, c’est l’Association des cadres de la Société des casinos qui dépose une requête en accréditation en champ libre pour représenter l’ensemble des cadres. Je m’excuse pour ce petit contretemps. En réponse aux requêtes en accréditation, les employeurs déclaraient ou prétendaient que ces requêtes étaient irrecevables parce que, comme vous le savez, la définition de cadre au Code du travail exclut spécifiquement les gens qui occupent des postes de supervision.
<04:34> La décision, en fait, ou l’analyse que devait faire le Tribunal administratif du travail c’est : est-ce que cette exclusion, qui est comprise à notre Code québécois du travail, porte atteinte à la liberté d’association qui est protégée, comme vous le savez, tant par l’article 2d) de la Charte canadienne que par l’article 3 de la Charte québécoise.
<04:51> Ce qui est intéressant, c’est que les associations de cadres ont présenté une preuve, en fait, le traitement des cadres au niveau international et national, que ce soit dans les autres juridictions canadiennes ou encore à l’international, aux États-Unis, en Europe et, évidemment, au moyen des organismes des conventions ratifiées par le Canada puisque le Canada fait partie de l’Organisation internationale du travail. Ce que les cadres prétendaient ici, c’est que leur exclusion au Code du travail faisait en sorte qu’ils n’étaient pas en moyens puisqu’ils n’avaient aucun mécanisme leur permettant d’établir un réel rapport de force avec l’employeur parce qu’évidemment, même s’ils avaient été reconnus comme association de salariés par l’employeur, c’était sur une base volontaire et ils n’avaient aucun instrument juridique pour les aider à établir un rapport de force avec l’employeur.
<05:38> De son côté, l’employeur et le procureur général du Québec, qui défendait la constitutionnalité de son exclusion prévue au Code, prétendaient que le droit ou la liberté d’association qui est protégée par la Charte n’est pas un droit à l’accréditation. Donc, ça ne permet pas – et c’a été établi par la Cour suprême par le passé – de revendiquer un modèle de relations de travail particulier comme celui qui est prévu au Code du travail. Le procureur général prétendait également que l’objectif de l’exclusion est d’éviter que les cadres se placent en situation de conflit d’intérêts parce qu’en bout de ligne, lorsque la convention collective doit être appliquée dans un milieu de travail, ce sont souvent les cadres qui sont appelés à l’appliquer.
<06:20> Le Tribunal administratif du travail va faire une révision importante de toutes les décisions qui ont été rendues en matière de liberté d’association et c’est certainement un des droits fondamentaux ou une des libertés fondamentales qui a fait l’objet de développement des plus intéressants au cours des 30 dernières années. Le TAT commence par la révision de la trilogie de 87 de la Cour suprême, où la Cour suprême avait retenu une interprétation extrêmement restrictive de la liberté d’association, concluant qu’elle excluait spécifiquement de son spectre les questions, en fait, le droit de grève et le droit de négocier collectivement. Ensuite, le TAT passe en revue les décisions rendues depuis 2001, Dunmore, 2007, Health Services, 2011, l’arrêt Fraser et, finalement, la trilogie de 2015 pour conclure qu’il ne fait aucun doute à ce stade-ci que la liberté d’association qui est protégée par la Charte protège le droit à la négociation collective, qui est une partie intégrante.
<07:20> Le TAT retient les enseignements de la Cour suprême également, que les deux associations de cadres n’ont pas à démontrer ici qu’il y a une impossibilité pour eux de négocier collectivement, mais seulement une atteinte substantielle. Finalement, c’est important de comprendre que selon les enseignements de la Cour suprême qui sont repris par le TAT, la liberté d’association ne protège pas le droit à un résultat, mais plus l’accès à un processus de négociations comme tel. Le tribunal dans sa décision distingue trois niveaux de cadres. C’est important, parce que les conclusions auxquelles va en arriver le tribunal ne sont pas nécessairement transposables aux autres niveaux de cadres. Ici, c’était vraiment des associations de cadres de premier niveau. Donc, on les distingue, selon le TAT, des cadres intermédiaires ou des cadres supérieurs dont les décisions peuvent vraiment avoir un impact sur les orientations et les décisions d’une entreprise
<08:12> Finalement, le TAT conclut que l’exclusion des cadres qui est contenue à l’article 1l) du Code du travail porte atteinte à la liberté d’association qui est protégée constitutionnellement, et ce, pour trois raisons. Premièrement, parce que même si les associations avaient fait l’objet d’une reconnaissance, cette reconnaissance était exclusivement tributaire de la bonne volonté de l’employeur. Il n’y avait aucun mécanisme pour sanctionner des pratiques qui auraient pu constituer de l’entrave ou e l’ingérence de la part de l’employeur. Ensuite, les cadres ne bénéficiaient d’aucun mécanisme non plus pour s’assurer que l’employeur allait négocier de bonne foi les conditions de travail comparativement à ce qu’on retrouve dans le Code du travail. Finalement, évidemment, les cadres n’ont pas accès au droit de grève, mais n’ont pas non plus de mécanisme alternatif qui permettrait d’établir un véritable rapport de force avec l’employeur.
<09:00> Finalement, le tribunal conclut qu’il y a violation de la liberté d’association et que dans le contexte elle n’est pas justifiée par l’article un de la Charte. Donc, elle ne peut pas se justifier dans une société libre et démocratique. Le tribunal déclare, par conséquent, que l’exclusion n’est pas applicable et n’est pas opposable aux deux associations de cadres de premier niveau qui étaient concernées. Comme c’est un tribunal administratif, il n’avait pas le pouvoir de déclarer l’article comme tel inconstitutionnel. C’est la Cour supérieure qui va avoir ce pouvoir lorsqu’elle va être saisie du dossier, puisque les employeurs et le procureur général du Québec ont porté le tout devant la Cour supérieure. Ça va être intéressant de voir le traitement que la Cour supérieure va faire de ce dossier.
<09:48> La deuxième décision qui a retenu notre attention, c’est une décision qui a été rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Procureur général c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux en 2016.
- C’est là qu’il faut que je pèse. Ça ne marche pas. OK, bon.
<10:12> Cette décision faisait suite à l’adoption en 2009 de la Loi modifiant la loi sur l’équité salariale. Avant 2009, évidemment, les employeurs qui étaient assujettis avaient déjà l’obligation de s’assurer que dans leur entreprise, au moyen d’un exercice d’équité salariale, les catégories d’emplois à prédominance féminine obtenaient une rémunération équivalente aux catégories d’emplois à prédominance masculine de même valeur. En 2009, les changements qui sont apportés à la Loi obligent l’employeur d’effectuer à tous les cinq ans une révision de son programme d’équité salariale pour s’assurer que malgré la période de temps qui s’est écoulée depuis l’exercice, l’employeur rencontre toujours ses obligations en matière d’équité salariale. Le problème qui était au cœur du litige dans ce dossier est que si, par exemple, au terme de l’exercice de maintien d’équité salariale, l’employeur conclut qu’il doit verser des ajustements salariaux à des catégories d’emplois à prédominance féminine, ces ajustements ne sont pas rétroactifs. C’est donc dire que si, par exemple une catégorie d’emplois comme des adjointes, qui est une catégorie d’emplois généralement ou toujours à prédominance féminine, on conclut qu’elle a droit au terme d’un exercice de maintien en ajustement salarial parce qu’un changement est survenu dans l’entreprise – ça peut être quatre ans ou cinq ans auparavant – cet ajustement n’est pas rétroactif à la date où le changement est survenu, il va seulement être dû à la date de l’exercice du maintien.
<11:37> Les syndicats prétendaient que ces dispositions, qui se retrouvent aux articles 76.3 et 76.5, étaient discriminatoires et c’est ce que la Cour supérieure avait conclu en les déclarant invalides inopérants. Par ailleurs, la Cour supérieure avait suspendu l’effet de sa déclaration pour une durée d’un an ou jusqu’à ce que le législateur ajuste le tir.
<11:58> En cour d’appel, le procureur général du Québec défendait la légalité de sa loi et la Cour d’appel conclut que même si l’objectif des dispositions apportées à la Loi sur l’équité salariale par les changements de 2009 est en un réparateur, en fait, dans ses effets, ces modifications ont fait en sorte qu’elles ont perpétué une inégalité pour les personnes qui occupent des emplois à prédominance féminine. Pour la Cour d’appel, il ne fait aucun doute que le régime actuel permet à un employeur de ne pas compenser l’écart salarial que vont subir des catégories d’emplois à prédominance féminine au cours des cinq ans qui précèdent le maintien. Pendant cette période de cinq ans, qui peut aller jusqu’à cinq ans, pour la Cour d’appel l’équité salariale n’est simplement pas respectée au sein de l’employeur. Également, la Cour d’appel reproche au processus d’affichage de ne pas inclure les informations qui permettraient aux salariés de faire valoir leurs droits et qui leur permettrait vraiment de pouvoir participer activement au processus d’évaluation du maintien, notamment parce qu’on n’oblige pas l’employeur à écrire la date à laquelle un changement est survenu, changement qui a eu un impact sur la structure salariale.
<13:11> Les juges de la Cour d’appel ici jugent qu’il y a une atteinte au droit à l’égalité et que cette atteinte ne se justifie pas dans une société libre et démocratique puisque les dispositions qui sont attaquées par les syndicats ne sont pas nécessaires. Elles sont plutôt inéquitables, arbitraires et elles portent atteinte au droit à l’égalité, alors qu’elles devraient en assurer le respect. Finalement, il y a une demande de pouvoir à la Cour suprême qui a été faite par le procureur général du Québec, mais on ne sait pas encore si la Cour suprême va accepter de se prononcer sur la question.
<13:45> La prochaine décision, c’est une décision qui traite du devoir de loyauté de l’employé qui quitte son employeur. Les faits étaient assez intéressants. M. Kennel occupait un poste de cadre aux ventes pour l’employeur Traffic Tech depuis 10 ans. C’est un employeur qui œuvre dans le courtage en solutions logistiques dans le domaine du transport. On comprend des faits et on comprend un petit peu la description qui est faite du litige que l’industrie du transport en est une qui est extrêmement compétitive. M. Kennel dirigeait une équipe de trois employés. Il recevait une rémunération annuelle d’environ 250 000 $. En 2012, il démissionne et quitte pour un poste similaire chez un concurrent direct et il amène avec lui ses trois employés. L’employeur lui réclame des dommages qui vont jusqu’à 1,3 million de dollars parce qu’il reproche, premièrement, à M. Kennel de ne pas lui avoir remis de préavis de démission. M. Kennel a avisé et quitté le même jour son emploi. On lui reproche également d’avoir enfreint des clauses de confidentialité et de non-sollicitation qui étaient à son contrat d’emploi et ce sont des clauses auxquelles étaient assorties des clauses pénales. Finalement, on lui reproche d’avoir manqué à son devoir général de loyauté envers son employeur. M. Kennel se porte demandeur reconventionnel. Il prétend, entre autres, qu’il a été intimidé par le propriétaire de Traffic Techn suite à la fin de son emploi. Il réclame des dommages moraux et punitifs.
<15:14> Ce qui est intéressant dans ce dossier, c’est que les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée de trois ans. Le contrat en question avait pris fin en 2007 et on se souvient que la démission date de 2012. Lorsque la relation prend fin, le contrat était arrivé à son terme depuis longtemps. Aux termes de l’article 2090 du Code civil, lorsque, suite à l’arrivée du terme d’un contrat à durée déterminée, le salarié continue sa prestation de travail sans opposition de l’employeur, l’effet juridique du Code civil va faire en sorte que le contrat d’emploi est reconduit tacitement pour une durée indéterminée. C’est ce qui est arrivé dans ce cas-là. Le contrat avait été reconduit. On n’en avait pas signé de nouveau. La jurisprudence a aussi conclu que ce ne sont que les clauses essentielles du contrat qui sont reconduites. On parle généralement des clauses qui traitent du salaire ou, par exemple, de l’horaire de travail. Pour la cour, il ne fait aucun doute que les clauses de non-sollicitation, les clauses de confidentialité auxquelles étaient assorties des clauses pénales n’avaient pas été reconduites tacitement par les faits de l’article 2090.
<16:19> Sur la question du préavis raisonnable, étant donné que les parties étaient maintenant liées par un contrat à durée indéterminée, chacune des parties pouvait y mettre fin au moyen d’un préavis raisonnable. M. Kennel prétendait qu’étant donné le milieu dans lequel il oeuvrait, même s’il avait remis à son employeur un préavis de démission, jamais son employeur l’aurait laissé travailler pendant la durée du préavis. Cet argument n’a pas été retenu et le juge a accepté de faire droit à la réclamation de six semaines de l’employeur. La façon dont l’employeur a calculé les dommages, c’est qu’il a réclamé l’équivalent de la rémunération de M. Kennel pour six semaines, ce que le juge a trouvé justifié dans les circonstances et a même laissé entendre que le préavis aurait été plus long étant donné que monsieur était là depuis 10 ans et qu’il occupait un poste assez élevé.
<17:04> Au niveau des dommages qui découlaient de l’application de la clause pénale, évidemment, étant donné que ces clauses n’avaient pas été reconduites vu que les parties n’avaient pas signé de nouveau contrat, cette réclamation a été rejetée, sauf que M. Kennel demeurait assujetti à une obligation générale de loyauté et de confidentialité. Le juge conclut qu’en recrutant ses employés pour un concurrent alors qu’il était toujours à l’emploi de Traffic Tech, M. Kennel a manqué à son obligation générale de loyauté. La preuve démontrait qu’il avait invité ses collègues au restaurant et leur avait transmis dans des enveloppes cachetées les offres d’emploi du concurrent. En se faisant la courroie de transmission des offres d’emploi, la Cour supérieure conclut qu’il s’agissait d’un comportement déloyal, mais étant donné qu’il y avait une absence de preuve sur les dommages que ça avait engendrés, il n’y a pas de montant qui a été octroyé à ce niveau-là.
<17:58> Finalement, s’agissant de la réclamation de M. Kennel en demande reconventionnelle, la Cour supérieure conclut en effet que son ex-employeur avait utilisé des armoires à glace pour l’intimider lors d’un restaurant et, donc, octroie 5 000 $ à titre de dommages moraux.
<18:18> La prochaine décision, c’est une décision qui est intéressante pour le motif qu’elle traite de la situation des employés qui sont en disponibilité. C’est une forme d’emploi typique qui n’est pas abordée du tout par une loi sur les normes du travail. C’est intéressant de voir comment les tribunaux traitent la situation de ces employés-là. Dans ce dossier, les salariés qui étaient au cœur du litige étaient des analystes en informatique et des coordonnateurs de Loto-Québec à qui on exigeait d’être disponibles à l’extérieur des heures de travail pour régler des incidents qui peuvent survenir sur le réseau informatique de l’employeur. Lorsqu’ils sont en disponibilité, les salariés doivent en tout temps rester dans un rayon d’environ une heure de leur lieu d’emploi. Même si la convention collective prévoyait que lorsqu’ils retournent au travail pour effectuer une prestation de travail, par exemple régler un incident, ils ont droit à une rémunération de quatre heures minimum. La majorité des interventions selon la preuve qui a été présentée se faisait à partir du domicile des salariés. Au niveau de la convention collective, la convention prévoyait que lorsqu’ils sont en disponibilité, les salariés reçoivent une heure pour l’équivalent d’une période de disponibilité de huit heures. Le problème dans ce dossier-là, c’est que l’employeur, lorsque les employés faisaient des interventions à domicile, ne rémunérait pas de façon additionnelle les salariés. C’est comme si la prime de disponibilité visait également à les compenser pour une prestation de travail qu’ils pouvaient être appelés à fournir pendant cette période-là.
<19:44> C’est l’arbitre Suzanne Moreau qui rend la décision. Le principe qu’elle dégage, c’est que l’indemnité de disponibilité – qu’on la qualifie d’allocation ou de prime, peu importe le vocabulaire qu’on va utiliser – ne constitue pas une rémunération pour le travail qui est accompli par le salarié alors qu’il est en disponibilité. Alors, l’allocation va simplement viser à compenser le salarié pour la période au cours de laquelle il est en disponibilité, de sorte que s’il effectue une prestation de travail, même si c’est à partir de son domicile, l’employeur a l’obligation de le rémunérer de façon additionnelle. Ça peut être en heures supplémentaires si ce temps-là est effectué en sus de la semaine normale de travail du salarié.
<20:28> La prochaine décision, c’est une décision qui a été rendue dans l’affaire Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du nord de l’île de Montréal. Ce qui est intéressant dans ce grief, c’est que c’est un grief qui regroupe 52 plaignants et 12 griefs en tout. C’a été logé par l’équipe de soins à domicile de l’employeur, soit des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, des travailleurs sociaux. Ils ont logé 12 griefs pour contester des conditions de travail qu’ils considéraient comme étant injustes et déraisonnables. Les faits à l’origine du litige découlaient d’une directive du ministère de la Santé qui avait demandé à l’employeur d’augmenter de 10 % le temps d’intervention pour la clientèle des soins à domicile. Pour répondre à cette directive, l’employeur avait adopté un programme qu’il avait appelé le Programme de gestion de la performance. L’objectif du programme était de gérer ou de mesurer le rendement de l’équipe en comptabilisant la durée des actes qui étaient posés et des interventions. Donc, concrètement, les salariés devaient remplir des formulaires dans lesquels ils inscrivaient les interventions qu’ils avaient effectuées et chaque intervention ou acte correspondait à une durée dite standard dans le programme. S’ils n’avaient pas atteint cette durée-là, si la durée avait été supérieure ou si l’objectif n’avait pas été rencontré, ils se devaient de justifier l’écart avec le Programme de performance.
<21:48> La preuve a démontré qu’en bout de ligne le programme a causé un stress important en milieu de travail. C’a créé un climat de travail très tendu. Les gens étaient incapables d’atteindre les objectifs, donc ils se sentaient dans une situation d’échec constamment. Le nombre de demandes d’aide au Programme d’assistance aux employeurs a augmenté, le nombre de congés de maladie a augmenté. Il y a même des employés qui se sont prévalus de leurs droits de partir à la retraite. Finalement, les plaignants sont venus témoigner sur toute l’anxiété et l’humiliation qu’ils avaient ressenties en lien avec l’application de ce programme-là. L’employeur, de son côté, admettait qu’en bout de ligne le programme n’était peut-être pas optimal pour le milieu dans lequel il avait été implanté puisque l’employeur y a mis fin après une durée de sept mois seulement. En défense, il disait simplement qu’il l’avait fait de bonne foi et, donc, qu’il ne pouvait être pénalisé à ce niveau-là.
<22:41> C’est l’arbitre Carole Jobin qui a rendu la décision. Évidemment, on comprend que c’a été plusieurs journées d’audience étant donné le nombre important de plaignants. Elle va conclure que même si l’implantation du programme découlait du pouvoir de la direction ou du droit de gérance de l’employeur, dans les faits c’avait résulté en une atteinte au droit des plaignants des conditions de travail justes et raisonnables. C’est un droit qui est protégé par le Code civil par la Charte québécoise, comme vous le savez. Pour l’arbitre, il ne fait aucun doute que les salariés qui ont été soumis au Programme de performance ont subi une pression qui, dans les circonstances, était déraisonnable et elle reproche à l’employeur de ne pas avoir agi lorsqu’il a été informé de tous les inconvénients qui avaient été occasionnés par le programme.
<23:22> Ce qui est intéressant, c’est qu’évidemment l’arbitre n’a pas entendu les 52 plaignants qui étaient à l’origine des griefs. Elle n’en a entendu que quelques-uns. Par l’utilisation d’une présomption de fait, elle conclut qu’elle peut, à l’aide des témoignages reçus, conclure que l’ensemble des plaignants ont subi le même préjudice que celui présenté devant elle par les quelques témoins. Elle a octroyé une somme qu’elle qualifie un peu de symbolique pour des dommages moraux de 500 $ par salarié concerné. Finalement, l’employeur a porté cette décision-là en révision judiciaire et, le 21 avril dernier, la Cour supérieure a confirmé la décision qui avait été rendue par l’arbitre Jobin.
PIERRE PILOTE
<24:04> Merci, Josée. Voilà, je vais prendre la suite. Autre décision qui a attiré notre attention en 2016, c’est celle rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Wilson et Énergie atomique du Canada. Dans cette affaire, la Cour suprême était saisie d’un litige qui mettait en cause la portée de l’article 240 du Code canadien du travail qui prévoit des protections pour les salariés en cas de congédiement injuste. Les faits sont les suivants.
<24:41> M. Wilson travaille environ quatre ans et demi pour Énergie atomique du Canada. Il est congédié en 2009 alors qu’il a un dossier disciplinaire vierge. L’employeur lui offre une indemnité de six mois de salaire, ce que M. Wilson refuse. M. Wilson, comme il se doit, dépose une plainte en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail. De son côté, l’employeur poursuit le versement du salaire de M. Wilson pendant six mois, durée considérée par l’employeur comme étant raisonnable. En réponse à la plainte de M. Wilson, l’employeur prétend que le salarié a été congédié sans motif sérieux et qu’il a obtenu une généreuse indemnité de départ. Conséquemment, l’employeur est d’avis que le Code canadien du travail ne l’empêche pas de mettre fin à l’emploi du salarié sans motif sérieux en autant qu’il verse une indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi raisonnable. La question en litige était de savoir si l’article 240 empêche l’employeur de congédier un employé non syndiqué qui bénéficie de plus d’un an de service sans cause. L’arbitre en première instance saisie du grief conclut que le versement d’une indemnité de départ par un employeur ne permet pas d’exclure la question du caractère juste du congédiement. Pour l’arbitre, un employeur ne peut congédier sans cause en offrant une indemnité de départ. Ce qui semble aller de soi ne l’était pas pour la Cour fédérale qui, saisie du dossier en révision judiciaire, renverse la décision de l’arbitre. La Cour fédérale conclut plutôt que la décision est déraisonnable et qu’un employeur peut congédier sans cause un salarié qui a plus de 12 mois de service dans la mesure où il lui offre une indemnité de départ correspondant à un préavis raisonnable, ce que permet la common law et ce que permet le Code civil du Québec. J’évoque l’article 2091.
<26:42> La cour fédérale d’appel, elle-même saisie du dossier, confirme la décision de la cour fédérale en première instance. C’est dans ce contexte que la Cour suprême du Canada est appelée à se prononcer sur la portée de l’article 240 du Code canadien du travail. La Cour suprême du Canada en arrive aux conclusions suivantes. D’abord, que la protection contre un congédiement injuste signifie que l’employeur ne peut congédier que pour une juste cause et que si l’employeur était autorisé par le Code canadien à congédier sans motif à la seule condition de verser une indemnité adéquate, les réparations finalement mises en place par le Code canadien ne serviraient à rien. Ainsi, la Cour suprême conclut que le régime prévu au Code canadien exclut en totalité le régime de la common-law et, en droit fédéral, un employeur ne peut congédier sans cause un salarié en lui versant une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable.
<27:40> Il faut donc retenir que le régime fédéral est semblable à celui de 124, à la différence près que l’employé bénéficie d’une protection après 12 mois de service plutôt que deux ans comme c’est prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes.
<27:58> Autre décision qui a attiré notre attention, celle rendue par la Cour supérieure dans l’affaire Singh et Montreal Gateway Terminals Partnership en 2016. Il s’agit d’une décision de la Cour supérieure. Je vais tenter de bien la rapporter puisque les employeurs sont ici présents, aujourd’hui. Donc, les faits.
<28:17> Les trois demandeurs sont de religion sikhe et ils exercent le métier de chauffeur de camion. Ils travaillent pour des entreprises privées qui effectuent du transport de containers. Lorsqu’ils circulent hors de leurs véhicules sur l’un ou l’autre des terminaux exploités par les défenderesses pour la manutention de containers, dans le cadre de l’exploitation des terminaux au port de Montréal, il y a une politique de sécurité qui les oblige à porter un casque. Vous voyez déjà le problème. Par une demande de jugement déclaratoire, ils demandent à la Cour supérieure de déclarer que la politique de sécurité contrevient à leur liberté de religion puisque leur turban les empêche de porter un casque. Il faut retenir que pendant une certaine période en 2005 et 2008, période qui précédait la requête en jugement déclaratoire, les défenderesses avaient mis en place une politique d’accommodement qui permettait aux chauffeurs sikhs de demeurer dans leur véhicule jusqu’à ce qu’un vérificateur se charge des tâches à effectuer à l’extérieur des camions. Les défenderesses ont mis fin à cette pratique-là, parce que ça engorgeait les terminaux et ça engendrait des délais importants. Ce que la preuve a démontré, c’est que lorsqu’un chauffeur faisait l’inspection et les vérifications de son camion, ça pouvait prendre 10 minutes et lorsqu’on devait faire appel à un tiers, un vérificateur, ça pouvait prendre entre 30 minutes et une heure. La preuve démontrait qu’il y a à peu près 1 200 camions qui circulent chaque jour et que ça pouvait engorger la circulation sur le terminal.
<29:49> C’est dans ce contexte que la Cour supérieure est saisie du dossier. Une première question dont rapidement dispose la Cour supérieure est de savoir est-ce que la Charte québécoise peut trouver application en instance? Le premier réflexe serait sans doute de dire non, mais la Cour supérieure en arrive à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une atteinte grave qui justifie que la Charte québécoise ne puisse s’appliquer dans un domaine fédéral puisque ça ne cause pas d’atteinte grave à l’exercice de la juridiction fédérale. Donc, voilà. Mais pour ce qui est au cœur de la décision dont le tribunal avait à trancher, le tribunal conclut qu’en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Charte québécoise, les demandeurs ont établi que la politique est discriminatoire. Pourquoi? Parce que 1) il est impossible de respecter l’obligation de porter un casque sans contrevenir à leurs croyances religieuses, 2) il y a un lien entre la non-reconnaissance en pleine égalité de leur liberté de religion et la distinction apportée par la politique et 3) l’obligation de porter un casque compromet l’exercice en pleine égalité de leur liberté de religion. C’est la première étape, c’est les trois critères pour conclure à l’existence d’une discrimination.
<31:14> Par contre, dans un second temps, le tribunal devait déterminer si les défenderesses avaient prouvé que la politique était fondée et qu’elle constitue une exigence professionnelle justifiée ou une justification réelle et raisonnable. Le tribunal conclut que oui. Pourquoi? D’abord, la politique a été adoptée pour un but rationnellement lié à la fonction à exécuter par les chauffeurs. Deux, la politique avait été adoptée de bonne foi pour assurer la sécurité des chauffeurs. Les défenderesses ont administré une preuve à l’effet qu’il y avait quand même un risque important d’accidents et qu’en certains cas il y avait eu matérialisation des risques. Trois, finalement, le tribunal conclut que la politique est raisonnable, nécessaire au travail des camionneurs. Le tribunal conclut que les défenderesses ont démontré qu’il était impossible de composer avec les demandeurs sans subir une contrainte excessive.
<32:08> Ce qui est intéressant, le tribunal va assez loin. Il va jusqu’à dire que toute dérogation à la politique visant le port obligatoire du casque de sécurité constituerait une contrainte excessive. En parallèle, il est important de porter à votre attention sur le fait dans cette affaire que le juge note bien que les demandeurs n’ont fait aucun compromis alors que le devoir d’accommodement incombe à tous. L’employeur avait, pendant une certaine période, mis une mesure d’accommodement qui finalement ne devenait pas possible et les demandeurs ont été assez intransigeants quant aux solutions à y apporter. Donc, je pense que c’a certainement eu un impact sur la décision.
<32:52> Autre décision, maintenant. Dans l’affaire Ville de Montréal et Fraternité des policiers et policières… Soit dit en passant, j’ai oublié de vous dire, c’est en appel. Donc, décision de la Cour d’appel. La Cour d’appel sera saisie de ce dossier-là.
<33:09> J’arrive à la décision Ville de Montréal SPVM et Fraternité des policiers et policières de Montréal. C’est un grief patronal de 2016. Une décision de l’arbitre Nathalie Faucher. Les faits qui sont relatifs à ce grief-là, je pense que vous en avez tous été témoins, il s’agit du tapissage des véhicules du Service de police de Montréal, des gilets pare-balles et de tout le matériel y afférent, suite à l’adoption de la loi qui visait à revoir le financement des régimes de retraite et le partage des déficits. La Ville prétend que les actes des policiers la privent de la jouissance et de la libre possession de ses biens et que ça cause des dommages à la Ville. Par le grief, la Ville demande également d’ordonner aux policiers de cesser d’apposer des collants sur ses biens. Le syndicat sans surprise prétend que la pratique est liée à l’exercice par les policiers de leurs droits d’association et que, dans le contexte du conflit de travail relatif à la réforme du régime de retraite, ils ont le droit d’exercer cette liberté d’expression.
<34:25> Deux questions en litige. L’arbitre a-t-il compétence pour émettre une ordonnance de cesser l'apposition d’autocollants? Deuxièmement, cette apposition d’autocollants, est-ce une activité protégée par la liberté d’expression ou la liberté d’association?
<34:44> Quant à la première question sur la compétence, l’arbitre en dispose assez rapidement et conclut que les dispositions du Code du travail, l’article 112g), donnent les pouvoirs nécessaires à rendre une telle ordonnance. Pour ce qui est des autocollants comme tels, c’est intéressant. L’arbitre prend assise sur une décision rendue par la Cour suprême et elle dit : les autocollants constituent une forme de communication relevant de la liberté d’expression de la Fraternité des policiers et de ses membres. Cependant, la Cour suprême a établi qu’il n’y a pas de protection de cette liberté lorsqu’il y a destruction de biens, voies de fait ou autres actes de conduite manifestement illégaux. Évidemment, il y a une preuve qui a été administrée devant l’arbitre pour démontrer que, finalement, il y avait des enjeux opérationnels, il y avait des enjeux de sécurité puisque tapisser des véhicules de police ne permettait même plus de voir les numéros du véhicule de patrouille. Bref, il y a une preuve qui a été administrée. Et sur les coûts aussi. Parce que l’employeur avait tenté dans un premier temps de retirer les collants, mais dans les heures suivantes, les véhicules étaient à nouveau tapissés.
<35:55> C’est dans ce contexte que l’arbitre rend sa décision. L’arbitre conclut qu’en présence d’une activité, mettant en cause de la liberté d’expression, cette liberté peut être limitée compte tenu du caractère délictuel. Finalement, le corps de police… Il ajoute, et c’est intéressant : le corps de police doit faire preuve de neutralité et de loyauté envers les institutions. Parce qu’on sait que c’était évidemment une réaction face à un projet de loi. Donc, il dit : ainsi, l’atteinte à la liberté d’expression est justifiée puisque l’objectif de l’employeur est d’éviter que son nom soit associé au message transmis par le syndicat, ce qui est un objectif urgent et réel. Donc, l’arbitre ordonne à la Fraternité de cesser d’apposer des autocollants sur les biens de la Ville et déclare le syndicat à la Fraternité responsable des dommages résultant de l’apposition des collants.
<36:54> Sans surprise, une requête en révision judiciaire a été logée à la suite de cette décision. Ce matin, en m’en venant ici, je me suis dit : ce n’est pas la fin de l’histoire. J’ai croisé un véhicule ambulancier et je dois vous avouer que je n’étais pas en mesure de voir vraiment la couleur du véhicule tellement il y avait d’autocollants. Donc, ce n’est pas la fin de l’histoire.
<37:17> Une autre décision, celle-là dans Syndicat canadien de la fonction publique et Terminal maritime Sorel-Tracy de quai Fagen. Décision de 2016, de l’arbitre Denis Provençal. Dans cette affaire, il s’agit d’un grief de congédiement. On a trouvé les faits intéressants; voici pourquoi. L’employeur est un opérateur de terminal maritime, un arrimeur. M. Boisclair est embauché à titre de débardeur surnuméraire en 2006. Dans le cadre du processus d’embauche pour accéder au statut d’occasionnel, M. Boisclair passe un examen préembauche comprenant un test de dépistage des drogues. Qu’est-ce que ce test révèle? C’est que monsieur consomme du cannabis, et monsieur est très transparent lorsqu’il rencontre le médecin qui fait l’examen de préembauche. Il divulgue qu’il consomme du cannabis à des fins récréatives. En parallèle, l’employeur a une politique de tolérance zéro aux drogues que M. Boisclair notamment connaît. Mais M. Boisclair affirme : je ne me suis jamais présenté au travail sous l’effet de drogues. La preuve révèle que M. Boisclair a un dossier disciplinaire vierge, il n’a jamais eu aucun problème au travail. Au terme de cet examen, des résultats positifs, l’employeur fait signer à M. Boisclair un protocole d’encadrement applicable pour la période d’approbation de six mois. Je vous le rappelle, monsieur changeait de statut, ce qui faisait en sorte qu’il passait tout ce processus-là.
<39:14> Au terme du protocole, il est prévu que M. Boisclair va pouvoir accéder à un statut supérieur dans l’entreprise. Le protocole prévoit également, vous aurez deviné, des tests aléatoires pour la période. Sans surprise, M. Boiclair échoue deux tests de dépistage, parce qu’il a consommé dans les jours précédant le test. L’arbitre saisi de ce grief… D’abord, l’employeur prétend que l’arbitre n’a pas compétence pour entendre le grief, puisque les parties sont liées par un protocole d’encadrement où le travailleur renonce à son droit d’exercer un grief, d’exercer tout recours. Saisi de ça, l’arbitre, Denis Provençal, conclut que le protocole d’encadrement signé par le plaignant et le syndicat n’est pas opposable en raison du contexte dans lequel le protocole a été signé. En effet, l’arbitre en arrive à la conclusion que M. Boisclair n’avait pas le choix de signer le protocole s’il voulait accéder au statut d’occasionnel puis de travailler sur une base régulière. L’arbitre note à nouveau que son rendement n’avait jamais été mis en cause lorsqu’il travaillait pour l’employeur. Donc, ce n’est pas dans un contexte disciplinaire ou un problème de performance où on lui fait signer ce protocole.
<40:37> Comme l’arbitre conclut que le protocole n’est pas une entente de dernière chance, il ne peut pas être opposé au salarié. Il en vient donc à la conclusion que les tests aléatoires étaient déraisonnables et que la renonciation à la procédure de grief est nulle. Pour ce qui est du reste, vous pouvez devenir les conclusions. L’arbitre déclare que l’employeur ne peut sanctionner un salarié pour un geste posé en dehors des heures de travail à moins que celui-ci ait un impact sur sa prestation de travail, donc un lien avec le travail, et il affirme qu’il n’avait aucune preuve devant lui que le plaignant se soit présenté au travail, depuis le début de son embauche, sous l’influence de la drogue. Aucune preuve non plus qu’il représentait un danger pour ses collègues et que sa consommation était problématique. Le grief a été accueilli et le salarié réintégré.
<41:41> On a trouvé cette décision intéressante dans le contexte où le gouvernement fédéral a annoncé son intention de décriminaliser la marijuana à des fins récréatives. C’est peut-être une décision dont les enseignements vont se répercuter.
<42:02> Dernière décision intéressante. On en arrive à une décision qui a traité de médias sociaux de manière incidente. L’affaire Gagné et Autocar Excellence. Décision de l’arbitre Léonce Roy, en 2016. Les faits sont assez simples. C’est un grief de congédiement qui illustre bien l’impact que peuvent avoir les médias sociaux en milieu de travail. M. Gagné est chauffeur d’autobus et il effectue du transport interprovincial, spécialement des voyages avec des touristes étrangers. Il va aux chutes Niagara, entre autres. Après un incident qui a impliqué un certain type de clientèle, M. Gagné dit qu’il est vraiment mal à l’aise de desservir ce type de clientèle et qu’il ne souhaite plus transporter un certain type de groupes. L’employeur ignore ces prescriptions et M. Gagné refuse une affectation avec cette clientèle-là. Pour être politically correct, je n’irai pas dans les détails. Cela étant, le soir où il refuse cette affectation-là, M. Gagné écrit sur Facebook. Qu’est-ce qu’il écrit? « Bonne et mauvaise nouvelle. Demain sera ma dernière journée de travail comme conducteur d’autocar qui se terminera à Niagara Falls. Back home, mercredi. » Le plaignant, évidemment, a échangé avec ses amis Facebook, qui ont commenté le message. On parle de 27 messages. Il a simplement dit : situation, c’était dû au manque de respect de l’employeur à son égard. L’employeur, qu’est-ce qu’il fait? Il a traité la publication sur Facebook comme une démission. Donc, fini, fin des émissions. M. Gagné dépose une plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail. La décision est à l’effet suivant. C’est que l’arbitre souligne que pour être en présence d’une démission, il faut une intention, une volonté interne et réelle. Des actes et des gestes positifs. Une volonté déclarée. Et il faut être en présence d’une démission d’une volonté claire et sans équivoque d’une intention chez le salarié qui doit s’accompagner de gestes positifs.
<44:44> L’arbitre note qu’à son avis la décision du salarié doit exclure la colère et se matérialiser par des gestes concrets, une lettre ou un message formel à l’effet qu’il démissionne. Il en arrive à la conclusion que ses épanchements sur Internet étaient le fruit de la colère, de la frustration, qui sont de mauvaises conseillères parce que c’était contemporain à l’annonce de son affectation par l’employeur. Comme il en vient à la conclusion que le plaignant n’a jamais exprimé clairement son intention de démissionner, il accueille le grief. Peut-être une leçon à retenir là-dessus. Je pense qu’une démission sur Facebook, ce n’est pas reconnu comme étant la manifestation d’une intention formelle claire de la volonté du salarié.
<45:22> Voilà. On est disponibles, Josée et moi, pour répondre à vos questions sur l’une ou l’autre de ces décisions. Écoutez, s’il n’y a pas de questions, sachez qu’on va circuler ici alentour et on sera disponibles pour échanger avec vous. Ça va? Merci.
<applaudissements>
JOSÉE GERVAIS
<45:59> Merci.
<fin de l’enregistrement>