Le 9 octobre 2024, le projet de loi n° 62, Loi visant principalement à diversifier les stratégies d’acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d’agilité dans la réalisation de leurs projets d’infrastructure (« PL-62 »), présenté au printemps 2024 par Monsieur Jonatan Julien, ministre responsable des Infrastructures et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, a été sanctionné.

Le PL-62 aura des impacts significatifs sur les processus d’attribution et de gestion des projets majeurs d’infrastructure publique au Québec. Sommairement, le PL-62 introduit un nouveau type de contrat de partenariat et retire de nombreuses contraintes législatives à la mise en œuvre des autres contrats en mode alternatif pour les organismes publics visés (en l’occurrence, le ministère des Transports et de la Mobilité durable, la Société québécoise des infrastructures (« SQI ») ou tout autre organisme public dans la mesure où le ministre responsable de ce dernier l’y autorise)[1]. À ce sujet, nous vous référons à notre article du 9 mai 2024, dans lequel nous abordons plus en détail les grandes lignes des diverses approches contractuelles alternatives[2]. Le PL-62 s’insère donc dans une approche plus globale du législateur de moderniser les modes de réalisation des contrats publics.

Toutefois, il importe de noter que ces changements législatifs ne visent pas actuellement les organismes municipaux ou les sociétés de transport en commun de la province.

Changements visant les contrats de partenariat

Les principaux changements inclus au PL-62 visant les projets majeurs d’infrastructure publique concernent l’introduction d’un nouveau type de contrat, soit le contrat de partenariat, dans la Loi sur les contrats des organismes publics[3] (la « LCOP »). Ce type de contrat était utilisé dans d’autres juridictions[4] depuis un certain temps et sera désormais disponible au Québec pour les organismes publics visés.

Le contrat de partenariat vise tout contrat de réalisation d’un projet d’infrastructure publique par lequel un organisme public visé délègue à un partenaire privé la responsabilité de la conception et de la réalisation de l’infrastructure ainsi que toute autre responsabilité en lien avec celle-ci, incluant le financement, l’exploitation ou l’entretien[5], et impliquant une approche collaborative pendant ou après le processus d’appel d’offres[6].

L’approche collaborative sera précisée ultérieurement par règlement du Conseil du trésor et pourra notamment comprendre « la tenue d’ateliers bilatéraux en présence d’un vérificateur de processus, une mise en commun des ressources et des informations liées au projet d’infrastructure ainsi qu’un partage consensuel des risques et, selon le cas, des économies générées ou des gains réalisés et des pertes subies durant la durée du contrat, en respectant la qualité exigée »[7].

Tout contrat de réalisation d’infrastructure publique réalisé en mode alternatif ou en mode collaboratif, tel que les contrats de conception-construction, de conception-construction-financement, de partenariat public-privé (conception-construction-financement-exploitation-entretien) et de réalisation de projet intégrée[8], pourrait ainsi être qualifié de contrat de partenariat[9]. Il s’agit ainsi d’une approche globale et uniformisée aux contrats collaboratifs et alternatifs visant notamment à offrir la plus grande flexibilité possible aux organismes publics visés afin qu’ils puissent adapter le mode de réalisation à la nature, à l’ampleur et aux contraintes de réalisation de leurs projets d’infrastructure.

En ce sens, en vertu du PL-62, pour la réalisation de ces contrats en mode alternatif ou en mode collaboratif (ou contrats de partenariat), les organismes publics visés bénéficient désormais de la même agilité dont bénéficiaient auparavant les organismes publics uniquement pour les contrats de partenariat public-privé. Les organismes publics visés ont maintenant une discrétion dans l’établissement des critères et modalités de leur appel d’offres public en vue d’inclure une approche collaborative permettant de leur offrir la meilleure valeur pour la réalisation de leur projet d’infrastructure[10], pourvu qu’ils s’assurent de respecter notamment les principes de confiance du public dans les marchés publics, de transparence et de traitement intègre et équitable des soumissionnaires édictés dans la LCOP[11]. De plus, les organismes publics visés devront expressément inclure au contrat de partenariat une procédure de règlement des différends qui découlent du contrat ainsi qu’une obligation du partenaire privé de transmettre à l’organisme public tout renseignement et document demandé par ce dernier en lien avec le contrat[12]. L’objectif du législateur semble être d’assurer une gestion efficace des fonds publics alloués à la réalisation des projets d’infrastructure, de tenter de minimiser les différends et les litiges qui peuvent survenir à l’occasion ou à la suite d’un projet, notamment en favorisant la collaboration entre les intervenants, et de prendre une approche proactive afin de résoudre ceux-ci de façon rapide.

De façon concordante, le PL-62 introduit divers assouplissements législatifs pour faciliter la mise en œuvre de ces contrats de partenariat :

  • la possibilité de négocier avec le ou les soumissionnaires en cours et au terme du processus d’appel d’offres, toute disposition du contrat de partenariat requise pour en arriver à conclure le contrat tout en préservant les éléments fondamentaux des documents d’appel d’offres et de la proposition[13];
  • la possibilité de prévoir aux documents d’appel d’offres que l’autorisation de contracter de l’Autorité des marchés publics (« AMP ») ne doit être détenue par le consortium soumissionnaire et les entreprises le composant qu’au moment de la conclusion du contrat de partenariat plutôt qu’au moment du dépôt de la soumission[14];
  • nonobstant l’interdiction générale pour un organisme public de divulguer les noms des soumissionnaires avant l’octroi du contrat, la possibilité pour un organisme public visé de communiquer des renseignements permettant de connaître l’identité d’une entreprise qui participe à l’appel d’offres pour le contrat de partenariat, seulement lorsque cette entreprise a expressément autorisé l’organisme public à communiquer ces renseignements[15]. Par exemple, cet assouplissement peut s’avérer utile lorsqu’un organisme public souhaite communiquer publiquement les noms des consortiums et des entreprises les composant invités à participer à la deuxième étape d’un processus d’appel d’offres pour un contrat de partenariat; et
  • les délais de publication des renseignements relatifs au contrat de partenariat sur le système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (« SEAO ») ont été prolongés de la façon suivante :
  1. l’organisme public visé dispose de 72 jours suivant la date de la conclusion du contrat de partenariat pour publier le nom du partenaire privé, une description de l’objet du contrat et le montant initial ou montant estimé de la dépense[16], selon le cas, ou, si aucun de ces montants n’est connu dans ce délai, 72 jours suivant la date où un tel montant est établi dans le cadre de l’exécution du contrat;
  2. l’organisme public visé dispose de 120 jours suivant la réception du projet d’infrastructure publique réalisé dans le cadre d’un contrat de partenariat qui confère au partenaire l’exploitation ou l’entretien de l’infrastructure, pour publier le montant total payé pour sa réalisation; et
  3. l’organisme public visé dispose de 120 jours suivant la fin du contrat pour publier le montant total payé pendant toute la durée du contrat[17].

Par ailleurs, le Conseil du trésor bénéficie désormais de pouvoirs de vérification accrus en vertu du PL-62 pour assurer une saine gestion des deniers publics dans le cadre de contrats de partenariat[18].

Autres changements significatifs

D’autres changements législatifs significatifs sont inclus au PL-62 :

  • Avis d’intention de conclure un contrat de gré à gré : Un organisme public au sens de la LCOP[19] ne sera plus tenu de publier sur SEAO un avis d’intention de conclure un contrat de gré à gré dont le montant de la dépense associée est égal ou supérieur au seuil d’appel d’offres public suivant un appel d’offres public pour lequel aucune soumission conforme n’a été présentée, lorsque certaines conditions sont remplies[20];
  • Vérification relative à l’intégrité de l’AMP : le PL-62 précise que quiconque est visé par une demande de l’AMP dans le cadre d’une vérification relative à l’intégrité d’une entreprise assujettie à la surveillance de l’AMP ne peut opposer à l’AMP une obligation de confidentialité ou de loyauté pouvant le lier à l’entreprise assujettie à la surveillance. En contrepartie, cette personne qui communique un renseignement ou un document à la demande de l’AMP n’encourt aucune responsabilité civile à cet égard[21]. Toutefois, la levée de l’obligation de confidentialité ou de loyauté prévue en l’espèce ne s’applique pas au secret professionnel liant l’avocat ou le notaire à son client[22].
  • Annulation de la décision du tiers décideur – Règlement des différends en matière de travaux de construction : par la Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics[23], un mécanisme de règlement accéléré des différends en matière de travaux de construction a été inséré dans la LCOP, mais n’est pas encore en vigueur[24]. Le PL-62 vient préciser qu’une partie au contrat public peut demander aux tribunaux de droit commun l’annulation de la décision du tiers décideur au terme de ce mécanisme de règlement des différends dans certaines circonstances particulières[25].
  • Pouvoirs d’expropriation de la SQl : la SQI dispose dorénavant d’un pouvoir d’acquisition d’un immeuble par le biais d’une expropriation en vertu de la Loi sur les infrastructures publiques[26], pour ses propres fins ou pour le compte d’un organisme public, dans le cadre de la réalisation d’un projet d’infrastructure publique pour lequel la SQI réalise les activités relatives à la gestion et à la maîtrise du projet[27] (par exemple, un projet majeur de construction de nouvelles écoles secondaires[28]). La SQI peut également constituer une réserve foncière pour la réalisation de projets d’infrastructure publique futurs[29].

Enfin, il convient de noter que les changements législatifs inclus au PL-62 s’inscrivent dans le cadre de la Stratégie québécoise en infrastructures publiques[30] et sont tous entrés en vigueur le 9 octobre 2024, sauf quelques exceptions[31].

Il reste maintenant à voir comment ces changements s’intégreront dans les projets d’infrastructure publique en cours et à venir, et si le législateur verra, dans une seconde étape, à étendre ces changements notamment aux organismes municipaux et aux sociétés de transport en commun.

Il importe aussi de noter que nous suivons attentivement le cheminement du projet de loi no 61, Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif[32] qui, en date du présent article, est toujours en étude détaillée devant la Commission des transports et de l’environnement[33]. Nous veillerons à vous informer prochainement de tout développement à ce sujet.

Pour plus d’information au sujet du PL-62 et toute assistance plus générale concernant le droit de la construction et des infrastructures, nous vous invitons à communiquer avec les auteurs du présent article.


[4] À cet égard, nous notons par exemple au Canada les provinces de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui explorent actuellement la réalisation de projets d’infrastructure au moyen de contrats collaboratifs, notamment dans le cadre du projet de rénovation de la gare Union et du projet de remplacement de l’hôpital du district de Cowichan. À l’international, l’Australie et le Royaume-Uni font d’ailleurs bonne figure, utilisant ce modèle de contrat depuis déjà plusieurs années.

[5] PL-62, art. 1.

[6] Id., art. 1.

[7] Id., art. 1.

[8] Nous vous référons à la section 2 « Les modes d’octroi de contrat au Québec » de notre article « Dépôt des projets de loi numéro 61 et 62 : changements importants dans la législation applicable aux projets majeurs d'infrastructure publique », publié en date du 9 mai 2024 pour obtenir davantage de détails sur chacun de ces types de contrat en mode alternatif ou en mode collaboratif.

[9] PL-62, art. 1.

[10] Id., art. 4 (1) et 18; LCOP, chapitre V.

[11] LCOP, art. 2 et 18.

[12] PL-62, art. 8.

[13] Id., art. 7; LCOP, art. 21 (2).

[14] PL-62, art. 9 (2). À défaut pour l’organisme visé de le préciser aux documents d’appel d’offres, le consortium et les entreprises le composant devront être autorisés à la date du dépôt de la soumission.

[15] Id., art.17; LCOP, art. 58.1.

[16] L’article 16 du PL-62 précise que le Conseil du trésor pourra, par règlement, définir les termes « dépense » et « montant » ou en préciser la portée.

[17] PL-62, art. 15.

[18] Id., art. 19.

[19] LCOP, art. 4. Les organismes publics comprennent entre autres les ministères, les organismes budgétaires énumérés à l’annexe 1 de la Loi sur l’administration financière (RLRQ, c. A-6.001), les organismes dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique (RLRQ, c. F-3.1.1), les centres de services scolaires et les commissions scolaires et les établissements de santé visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (RLRQ, c. S-4.2), mais ne comprennent pas entre autres les organismes municipaux ou les sociétés de transport en commun.

[20] PL-62, art. 2 et 45 à 48.

[21] Id., art. 10 et 11.

[22] Id., art. 11.

[24] Id., art. 111 et 152 (2).

[25] PL-62, art. 12 et 13 : une partie peut demander au tribunal l’annulation d’une décision rendue par un tiers décideur pour l’un ou l’autre des motifs suivants : (1) une partie n’avait pas la capacité de participer au processus de règlement du différend devant le tiers décideur; (2) le différend découle d’un contrat public ou d’un sous-contrat public qui n’est pas valide; (3) la décision porte sur un différend qui ne pouvait être soumis à un tiers décideur ou encore elle contient une conclusion qui est sans aucun rapport avec l’objet du différend dont était saisi le tiers décideur; (4) le processus de règlement du différend a été mené par une personne qui n’était pas accréditée pour agir en tant que tiers décideur; (5) les règles applicables au choix du tiers décideur ou au processus de règlement du différend devant un tel tiers n’ont pas été respectées.

[26] PL-62, art. 23; RLRQ, c. I-8.3, art. 27 (1).

[27] PL-62, art. 28.

[28] Loi sur les infrastructures publiques, précitée, note 26, art. 31.

[29] PL-62, art. 28.

[31] PL-62, art. 55. Les articles 12 et 13 du PL-62 concernant l’annulation de la décision du tiers décideur entreront en vigueur au même moment que les autres dispositions de la LCOP concernant le règlement des différends en matière de travaux de construction, soit à une date ultérieure à déterminer par le gouvernement du Québec. De plus, l’article 16 du PL-62 concernant la publication d’un règlement du Conseil du trésor visant à définir les termes « montant » et « dépense », entrera en vigueur à la date d’entrée en vigueur du premier règlement pris en vertu de l’article 24.1 de la LCOP.

[32] Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif, projet de loi n61 (présentation – 9 mai 2024), 1re sess., 43e légis. (Qc).

[33] Assemblée nationale du Québec, fiche de renseignements des travaux parlementaires, projet de loi no 61.