Un récit appelant à la prudence : nul ne peut se cacher derrière le « voile corporatif » pour échapper à sa responsabilité personnelle

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07 avril 2016

Dans une décision récente, soit Diesel, s.p.a. c. Benisti Import-Export inc., 2016 QCCS 1085, la Cour supérieure du Québec nous rappelle que le dirigeant d’une société poursuivie en contrefaçon peut être tenu personnellement responsable des dommages-intérêts, tout comme la société défenderesse qui a commis la contrefaçon ou la représentation trompeuse. En effet, les administrateurs d’une société étant poursuivie ne peuvent se cacher derrière celle‑ci lorsque leurs décisions personnelles, prises pour le compte de cette société, causent un préjudice à autrui.

Cette cause porte sur la concurrence déloyale à l’égard d’une étiquette apposée en diagonale sur la pochette avant d’un jeans que Diesel a commencé à mettre en marché au Canada au mois de juillet 1988. Le 15 février 2005, Diesel a enregistré auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) une étiquette portant le nom « POCKET DESIGN » fondé sur l’emploi de la marque depuis le mois de juillet 1988. L’étiquette porte la mention DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN. Un certificat d’enregistrement pour cette marque a été émis le 28 novembre 2007.

Peu après le dépôt de la marque de Diesel, soit le 7 décembre 2004, la défenderesse a déposé une demande d’enregistrement pour sa propre marque et a déclaré que celle-ci était employée depuis le 20 juin 1999. Cette marque est composée des mots POINT ZERO CO. DENIM DIVISION. La demande d’enregistrement de la défenderesse a été approuvée et publiée au Journal des marques de commerce. Le 14 mars 2007, Diesel s’est opposée à cette demande d’enregistrement de la défenderesse. Elle a produit des preuves à l’appui de son opposition au mois de juin 2008. La procédure d’opposition a pris fin au mois d’avril 2009, lorsque la défenderesse a décidé de ne pas défendre l’enregistrement de sa marque de commerce, et la demande d’enregistrement a été réputée abandonnée.

Or, la partie défenderesse a continué d’utiliser sa marque sur deux modèles de jeans commercialisés au Canada. C’est seulement au cours de l’été de 2010 que Diesel a appris que la défenderesse utilisait toujours la marque de commerce qui avait fait l’objet d’une opposition. Une lettre de mise en demeure a été transmise à la défenderesse, qui niait avoir commis une faute quelconque et prétendait que ces étiquettes pouvaient coexister puisque celle de la partie défenderesse comprenait la marque POINT ZERO, ce qui éliminait tout risque de confusion. Le 17 août 2010, Diesel a entamé des procédures devant la Cour supérieure du Québec, exigeant l’émission d’une injonction provisoire, interlocutoire et permanente contre la partie défenderesse.

La cour a conclu que l’étiquette de la défenderesse violait la marque de commerce POCKET DESIGN de Diesel, puisque l’étiquette de la défenderesse était de la même couleur, soit blanche, et qu’elle était apposée de la même manière sur les jeans que l’étiquette POCKET DESIGN de Diesel, soit en diagonale sur la 5e poche avant du jeans. La seule vraie différence reposait sur l’utilisation des mots POINT ZERO CO. sur l’étiquette de la partie défenderesse au lieu de la marque DIESEL détenue par le demandeur. La défenderesse a affirmé que l’utilisation des mots POINT ZERO CO. était suffisante pour éviter tout risque de confusion et que la marque POINT ZERO était l’élément dominant de son étiquette. La cour a rejeté cet argument, étant d’avis que l’élément dominant de la marque de commerce était l’emplacement de l’étiquette, notamment sa position diagonale sur la 5e poche avant du jeans. Elle était aussi d’avis qu’un « consommateur ordinaire plutôt pressé » retiendra globalement le design de l’étiquette, davantage que le détail des mots inscrits. La cour a également trouvé que les deux étiquettes transmettaient la même idée, puisque leur conception est unique en son genre et identique, créant ainsi un risque de confusion.

La cour était également d’avis que Diesel avait fourni une preuve quant à l’achalandage, la fausse représentation et les dommages-intérêts calculés en fonction des profits dégagés par la défenderesse, corroborant ainsi ses allégations de représentation trompeuse.

Diesel réclamait aussi des dommages-intérêts punitifs au président et seul administrateur et actionnaire de la société défenderesse. La cour a invoqué l’affaire Meyerco Enterprises Ltd. c. Kinmont Canada inc., 2016 QCCA 89 (CanLII) portée devant la Cour d’appel du Québec pour conclure que l’administrateur d’une société défenderesse peut être tenu personnellement responsable s’il a personnellement commis une faute extracontractuelle qui a occasionné un préjudice à autrui, tel qu’il est énoncé à l’article 1457 du Code civil du Québec, lequel prévoit la règle générale pour déterminer la responsabilité extracontractuelle au Québec. La cour a conclu que, lorsqu’il est démontré que l’administrateur n’a pas agi comme une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances l’aurait fait, il n’est pas nécessaire de lever le « voile corporatif » afin de tenir l’administrateur personnellement responsable.

Au cours du procès, le président de la société défenderesse a admis avoir pris personnellement la décision d’abandonner la demande d’enregistrement de la marque de commerce après la procédure d’opposition entamée par Diesel auprès de l’OPIC. Il a également admis avoir personnellement décidé de continuer d’utiliser l’étiquette ayant fait l’objet d’une opposition parce que l’OPIC avait approuvé la demande et que cette approbation lui conférait le droit de continuer d’utiliser cette marque de commerce. La cour a déterminé que cette décision prise par le président n’aurait pas été prise par une personne raisonnable placée dans une situation similaire. Elle a affirmé que nul ne peut ignorer la loi et qu’une simple vérification aurait permis au défendeur d’apprendre que l’approbation, par l’OPIC, de sa demande d’enregistrement ne conférait pas le droit à sa société d’utiliser cette marque. En prenant la décision de continuer à utiliser l’étiquette, le président de la société défenderesse, se trouvait à contourner les dispositions de la Loi sur les marques de commerce et a commis une faute personnelle. Par conséquent, la cour lui a ordonné de payer des dommages-intérêts punitifs de 20 000 $.

Cette décision est d’abord un rappel que la procédure d’enregistrement d’une marque de commerce et une poursuite en contrefaçon et en concurrence déloyale sont deux procédures distinctes comportant des objectifs différents. Une action en contrefaçon d’une marque de commerce ou en concurrence déloyale permet de déterminer si la défenderesse a le droit d’utiliser une marque de commerce. La procédure d’enregistrement d’une marque de commerce vise seulement le droit d’enregistrer la marque de commerce. La procédure d’opposition amorcée auprès de l’OPIC permet de déterminer si le requérant peut enregistrer une marque de commerce malgré les allégations de l’opposant. L’emploi sur le marché d’une marque de commerce dont la demande d’enregistrement a été abandonnée suite à une opposition, comporte un risque réel surtout lorsque l’opposant prétend qu’il y a risque de confusion.

Cette décision nous rappelle également qu’une société agit par l’entremise de ses administrateurs. Conformément à l’article 1457 du Code civil du Québec, l’omission d’agir raisonnablement entraîne une responsabilité personnelle. Une personne ne peut se cacher derrière une société lorsqu’elle prend des décisions qui occasionnent un préjudice à autrui, même si c’est pour le compte de cette société. Dans l’affaire Diesel, s.p.a. c. Benisti Import-Export inc., le président et seul administrateur de la société défenderesse a été tenu personnellement responsable de sa décision de continuer d’utiliser la marque de commerce et condamné à des dommages-intérêts punitifs. Cette décision se veut une mise en garde pour les administrateurs de sociétés : les décisions que vous prenez en tant qu’administrateur peuvent occasionner une responsabilité personnelle si elles causent un préjudice à autrui, et ce, sans égard au « voile corporatif ».


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