Alors que la Loi sur le cannabis (projet de loi C-45) doit faire l’objet d’un vote au Sénat canadien dans deux semaines (le 7 juin 2018) et que la marijuana pourrait être légalisée au Canada d’ici quelques mois, la plus grande société de cannabis canadienne est devenue aujourd’hui la première entreprise productrice de cannabis autorisée à s’inscrire à la Bourse de New York (NYSE). L’inscription de Canopy Growth Corporation à la NYSE, avec une capitalisation boursière de 7,74 milliards de dollars canadiens, constitue une nouvelle étape importante, alors que les maisons de courtage canadiennes et les bourses américaines se montrent disposées à s’aventurer dans l’industrie du cannabis pour la première fois. En janvier/février, la Banque de Montréal (BMO) a agi à titre de co-chef de file dans le cadre de l’appel public à l’épargne par prise ferme de 200 millions de dollars de Canopy, marquant la première fois où une importante maison de courtage bancaire canadienne acceptait d’exercer un rôle auprès d’un émetteur dont les activités sont liées à la marijuana. D’autres opérations et inscriptions à des bourses de valeurs américaines, y compris l’inscription de Cronos Group inc. au NASDAQ plus tôt cette année, laissent croire que les émetteurs exerçant des activités liées à la marijuana sont mieux acceptés depuis que leur industrie se développe.

OBJET DE L’INTÉRÊT DE GOWLING WLG

Jusqu’à tout récemment, les principales maisons de courtage contrôlées par des banques canadiennes évitaient de participer à des opérations concernant des émetteurs exerçant des activités liées à la marijuana pour des motifs de perception et de réputation, et compte tenu de la zone grise entourant la légalité du cannabis aux États-Unis, où la plupart des banques canadiennes sont très présentes. Les choses semblent changer, puisque que la BMO s’est investie au cours des derniers mois dans les financements et acquisitions mentionnés ci-dessous. Alors que les cinq autres grandes banques canadiennes (RBC, Scotia, TD, CIBC et la Banque Nationale) n’ont toujours pas exercé de rôle actif dans les opérations financières de l’industrie du cannabis, le succès de ces financements et acquisitions, ainsi que la légalisation prévue de la marijuana au Canada au cours des prochains mois, pourrait leur faire reconsidérer leur position dans l’industrie du cannabis, qui a jusqu’à présent été dominée par des maisons de courtage de valeurs indépendantes comme Canaccord Genuity Corp. et GMP Capital inc.

L’inscription de Canopy à la NYSE aujourd’hui ouvre une nouvelle voie, qui permettra aux sociétés de cannabis canadiennes d’accéder notamment aux capitaux des investisseurs institutionnels américains et d’établir leur présence sur le marché mondial. Comme l’on anticipe une consolidation de cette industrie, les émetteurs accueilleront sûrement avec enthousiasme la possibilité d’avoir accès à de nouvelles sources de capitaux.

Malgré le potentiel de l’industrie du cannabis, le contexte réglementaire est passablement complexe, tant au Canada qu’aux États-Unis et il a fréquemment changé depuis le début de l’année. Même si l’on s’attend à ce que la légalisation du cannabis soit chose faite au Canada avant la fin de l’année 2018, la réglementation afférente n’est toujours pas publiée et on ne sait pas exactement comment vont réagir les bourses et les autorités en valeurs mobilières canadiennes après l’entrée en vigueur de la loi.  

OPÉRATIONS DANS L’INDUSTRIE DU CANNABIS ET ADMISSION EN BOURSE

Le rôle adopté par la BMO dans certaines opérations concernant des sociétés de cannabis à forte capitalisation au cours des cinq derniers mois signale que l’industrie du cannabis commence à être mieux acceptée dans le marché. La BMO a agi à titre de co-chef de file dans le cadre d’un appel public à l’épargne par prise ferme de 200 millions de dollars canadiens en janvier/février 2018 [1], première incursion de ce genre dans l’industrie du cannabis par l’une de nos principales maisons de courtage bancaire. Alors qu’aucune autre banque canadienne importante n’a encore intégré ce marché, la BMO semble reconnaître le potentiel d’investissement de cette industrie, puisqu’elle a ensuite agi à titre de cochef de file dans le cadre d’une offre de prise ferme de 100 millions de dollars canadiens en mars/avril [2] et qu’elle a planifié deux projets d’acquisitions par des émetteurs canadiens exerçant des activités liées à la marijuana. La BMO a agi à titre de conseillère en valeurs auprès de Hiku Brands Company Ltd dans le cadre de son projet d’acquisition de 288 millions de dollars canadiens de WeedMD inc. [3] Plus récemment, Aurora Cannabis inc. a fait l’annonce d’un projet d’acquisition de MedReleaf Corp. pour 3,2 milliards de dollars canadiens. Si cette opération est complétée, cela ferait d’Aurora Cannabis le principal émetteur exerçant des activités liées à la marijuana au Canada [4]. La BMO a agi à titre de conseillère en valeurs auprès d’Aurora Cannabis dans le cadre de cette acquisition. L’arrivée de la BMO dans l’industrie du cannabis marque un tournant dans les marchés des capitaux canadiens. Si d’autres maisons de courtage liées aux principales banques canadiennes commencent à reconnaître le potentiel d’investissement du marché du cannabis, cela augmentera les possibilités offertes aux émetteurs exerçant des activités liées à la marijuana.

L’inscription de Canopy à la NYSE et l’inscription antérieure de Cronos au NASDAQ [5] sont les premières inscriptions concernant des émetteurs exerçant des activités liées à la marijuana à ces bourses de valeurs américaines. Contrairement aux émetteurs établis au Canada, ceux établis aux États-Unis sont encore incapables de s’inscrire à des bourses américaines, comme nous l’expliquerons ci-dessous. Les cotations croisées réussies de Canopy et de Cronos aux États-Unis marquent un changement important dans l’industrie, car elles permettent aux émetteurs canadiens d’avoir plus facilement accès aux capitaux d’investisseurs américains [6] et d’encourager leur croissance mondiale. Canopy a déjà réussi à attirer des capitaux américains. En novembre 2017, la société a conclu une prise de participation de 245 millions de dollars canadiens par Constellation Brands inc., une société inscrite à la NYSE, en échange d’actions ordinaires accordant à Constellation un intérêt de 9,9 % dans la société et des certificats d’options pouvant lui permettre de doubler sa participation [7] Cet investissement semble également avoir une valeur stratégique, puisque les parties comptent collaborer à une gamme de boissons infusées au cannabis.

ÉVOLUTION DE LA RÉGLEMENTATION CANADIENNE ET AMÉRICAINE

La Loi sur le cannabis, projet de loi C-45, du gouvernement fédéral est examinée en comité sénatorial [8] et devrait faire l’objet d’un vote d’ici le 7 juin 2018. Le gouvernement du Canada maintient que la marijuana sera légalisée conformément à la Loi sur le cannabis d’ici la fin de l’année 2018, malgré des demandes de report de l’entrée en vigueur de la loi  [9].

Même s’il existe des régimes réglementaires permissifs dans certains états américains, la marijuana est toujours illégale en vertu des lois fédérales américaines en tant que substance contrôlée figurant à l’annexe I de la Controlled Substances Act des États-Unis. Dans les circonstances, les bourses de valeurs américaines ont bloqué l’inscription de sociétés œuvrant dans l’industrie du cannabis aux États-Unis compte tenu du caractère illicite de leurs activités [10]. En contraste, au Canada, le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (ou RACFM) propose déjà un ensemble uniforme de règles concernant la production, la vente et la distribution de cannabis médicinal. Le cadre réglementaire applicable à l’industrie du cannabis au Canada, selon le RACFM, permet aux sociétés canadiennes de s’inscrire aux bourses de valeurs, tant canadiennes qu’américaines.

En février 2018, les autorités en valeurs mobilières canadiennes ont mis à jour les indications données aux émetteurs canadiens menant des activités liées à la marijuana aux États-Unis en réponse à l’annulation, en janvier, du Cole Memorandum de 2013 par le gouvernement fédéral américain. Le Cole Memorandum énonçait que les autorités américaines s’abstiendraient d’appliquer la législation fédérale relative à la marijuana aux états ayant adopté une réglementation « rigoureuse et efficace ». Les autorités en valeurs mobilières canadiennes continuent de soutenir une approche préconisant la communication d’information à l’endroit des émetteurs menant des activités liées à la marijuana aux États-Unis, mais elles ont précisé leurs attentes en matière de communication dans les documents de placement, y compris les prospectus, les déclarations d’admission à la cote et le matériel de marketing, ainsi que dans les documents d’information continue, dont la notice annuelle et le rapport de gestion.

La Bourse de Toronto (TSX) et la Bourse de croissance TSX (TSXV) ont demandé aux émetteurs menant des activités liées à la marijuana de vendre leurs actifs américains afin de respecter les exigences d’inscription minimales. En contraste, la Bourse des valeurs canadiennes (CSE) n’a pas exigé que les sociétés inscrites se départissent de leurs actifs américains. En adoptant une approche réglementaire moins restrictive que le TSX et le TSXV, la CSE est devenue un choix intéressant pour les sociétés américaines cherchant à avoir accès aux marchés de capitaux canadiens. MedMen Enterprises (MM Enterprises, USA, LLC), une société milliardaire établie à Los Angeles qui gère des dispensaires dans une série de villes américaines a récemment annoncé un projet de prise de contrôle inversée afin de s’inscrire à la cote de la CSE, afin d’avoir accès aux marchés de capitaux canadiens [11].

PROCHAINES ÉTAPES

La légalisation de la marijuana au Canada est imminente. Les principales institutions financières canadiennes vont probablement réévaluer les risques afférents aux opérations de placement concernant des émetteurs canadiens exerçant des activités liées à la marijuana et aux prestations de conseils quant à ces opérations. Ceci pourrait entraîner la création de nouveaux partenariats, et des émetteurs d’envergures différentes pourront profiter de nouvelles voies d’accès aux capitaux, au Canada et à l’étranger, y compris par le biais de cotations croisées dans des bourses américaines.

Gowling WLG surveille les tendances en matière de financement et l’évolution de la réglementation au Canada et aux États-Unis et elle est idéalement positionnée afin d’aider les émetteurs inscrits aux TSX, TSXV et CSE à respecter leurs obligations d’information continue et à reconnaître les occasions de cotations croisées.  

 


[1] Communiqué de Canopy Growth Corp., « Canopy Growth Corporation Completes Previously Announced Bought Deal Financing for $200 Million » (7 février 2018), en ligne : <https://www.newswire.ca/news-releases/canopy-growth-corporation-completes-previously-announced-bought-deal-financing-for-200-million-673124803.html>.

[2] Communiqué de Cronos Group inc., « Cronos Group Announces Closing of Previously Announced $100 Million Bought Deal » (6 avril 2018), en ligne : <https://www.newswire.ca/news-releases/cronos-group-announces-closing-of-previously-announced-100-million-bought-deal-678970293.html>.

[3] Doug Alexander, « Bank of Montreal muscles into marijuana M&A by advising Aurora in biggest deal yet », The National Post (14 mai 2018), en ligne : <http://business.financialpost.com/cannabis/bank-of-montreal-muscles-into-marijuana-ma-by-advising-aurora-in-biggest-deal-yet>.

[4] Communiqué d’Aurora Cannabis inc., « Aurora Cannabis to Acquire MedReleaf » (14 mai 2018), en ligne : <https://www.newswire.ca/news-releases/aurora-cannabis-to-acquire-medreleaf-682519231.html>.

[5] Jennifer Kaplan et Erik Schatzker, « Nasdaq to get first pot listing as Canada’s Cronos Group joins exchange », The Globe and Mail (26 février 2018), en ligne : <https://www.theglobeandmail.com/globe-investor/investment-ideas/nasdaq-to-get-first-pot-listing-as-cronos-group-joins-exchange/article38110213/>.

[6] Kristine Owram, “Canopy Growth applies to become first pot producer listed on the NYSE”, The National Post (14 mai 2018), en ligne: <http://business.financialpost.com/cannabis/canopy-applies-to-become-first-pot-producer-listed-on-the-nyse>.

[7] Communiqué de Canopy Growth Corp., « Canopy Growth and Constellation finalize previously announced strategic transaction » (2 novembre 2017), en ligne : <https://www.newswire.ca/news-releases/canopy-growth-and-constellation-finalize-previously-announced-strategic-transaction-654679453.html>.

[8] Le Sénat du Canada, « La loi sur le cannabis au Sénat » (19 avril 2018), en ligne : <https://sencanada.ca/fr/sencaplus/nouvelles/loi-cannabis/>.

[9] Elise von Scheel, « Senate could sit into summer to pass marijuana bills », CBC News (11 mai 2018), en ligne : <http://www.cbc.ca/news/politics/senate-pot-legislation-summer-1.4659239>.

[10] Chloe Aiello, « Canadian marijuana company’s Nasdaq listing bodes well for the industry, but US companies still face barriers », CNBC (6 mars 2018), en ligne : <https://www.cnbc.com/2018/03/02/canadian-cannabis-companys-nasdaq-listing-bodes-well-for-the-industry.html>.

[11] Communiqué de Ladera Ventures Corp., « Ladera Ventures Announces Proposed Reverse Takeover by MedMen Enterprises » (30 avril 2018), en ligne : <https://globenewswire.com/news-release/2018/04/30/1490232/0/en/Ladera-Ventures-Announces-Proposed-Reverse-Takeover-By-MedMen-Enterprises.html>.