Thomas J. Timmins
Associé
chef du groupe Énergies renouvelables
Article
14
Pendant la récente campagne électorale en Ontario, le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario dirigé par Doug Ford a publié sa plateforme électorale intitulée « Pour les gens : un plan pour l’Ontario » (For the People: A Plan for Ontario). Les projets énoncés par le Parti PC pour le secteur de l’énergie de l’Ontario contenaient plusieurs promesses vaguement formulées touchant particulièrement le secteur de la production d’énergie de l’Ontario : l’abrogration de la Loi de 2009 sur l’énergie verte, l’annulation de contrats d’énergie en phase de préconstruction, la renégociation d’autres contrats énergétiques, la déclaration d’un moratoire sur les nouveaux contrats énergétiques et l’abolition du programme de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (« GES ») et de la taxe sur le carbone de l’Ontario. Après sa victoire du 7 juin 2018, le Parti PC forme maintenant une majorité importante à la législature provinciale et tient les rênes des politiques et des programmes énergétiques de l’Ontario.
Puisque le Parti PC n’avait pas donné de détails précis à l’égard de sa plateforme avant les élections, la manière exacte dont les promesses électorales seront mises en œuvre et les répercussions de ces éventuels changements sur les acteurs du secteur de l’énergie de l’Ontario demeurent incertaines. Cependant, peu après la victoire électorale, le nouveau gouvernement a annoncé deux changements importants : l’annulation du programme de plafonnement et d’échange et l’annulation d’un projet de parc éolien de taille moyenne, soit la centrale éolienne White Pines de WPD Canada de 18,45 MW dans le comté de Prince Edward.
Le 15 juin, le premier ministre Doug Ford a affirmé que sa première mesure au sein de la législature serait d’abroger le programme de plafonnement et d’échange de la province et de procéder immédiatement à « l’élimination ordonnée » de tous les programmes financés par les revenus de la taxe sur le carbone et du programme de plafonnement et d’échange, y compris le programme de remboursement Ontariovert. Le premier ministre Ford s’est ensuite engagé à ce que son gouvernement « respecte les contrats déjà signés et les commandes déjà passées », mais il a aussi indiqué que les décisions au sujet du « maintien de certaines initiatives actuellement financées par les revenus de la taxe sur le carbone [seraient étudiées] au cas par cas ».
Le 3 juillet, le gouvernement de l’Ontario a abrogé le règlement sur le programme de plafonnement et d’échange et a interdit tous les échanges de quotas d’émissions.
Pour remplacer le programme de plafonnement et d’échange et les programmes qui étaient financés par ses revenus, l’Ontario envisage à présent la création d’un fonds pour investir dans les technologies de réduction des émissions. Ontariovert fait partie des programmes qui prendront fin. Ontariovert était un organisme de la Couronne sans but lucratif qui fournissait du soutien et des incitatifs financiers aux particuliers et aux entreprises encourageant le développement de technologies à haut rendement énergétique en offrant des rabais aux acheteurs de ces technologies. Le site Web d’Ontariovert affirme actuellement que les rabais seront respectés si un contrat de travail avait été signé avec un entrepreneur participant au plus tard le 19 juin 2018 pour des travaux à réaliser au plus tard le 31 octobre 2018 ou si une demande de rabais est soumise au plus tard le 30 novembre 2018.
Le programme de plafonnement et d’échange de l’Ontario avait été lancé en janvier 2017. Le programme établissait un plafond aux installations produisant plus de 25 000 tonnes de GES, plafond qui allait être abaissé dans les années suivantes. Les sociétés qui éprouvaient des difficultés à respecter ce plafond pouvaient acheter des crédits dans des enchères publiques, et ces crédits pouvaient par la suite être négociés sur un marché secondaire. Les revenus de la vente aux enchères de crédits étaient destinés à divers programmes d’énergie verte et de réduction des émissions. En 2017, l’Ontario a signé une entente historique visant à harmoniser son système de marché du carbone à ceux de la Californie et du Québec, créant ainsi un grand marché couvrant trois juridictions. Depuis l’entente de 2017, deux enchères conjointes ont été tenues, et au total 188 803 658 unités d’émission de millésime présent et 14 633 000 unités d’émission de millésime futur ont été vendues. Les estimations tendent à indiquer que les comptes de l’Ontario pourraient comprendre des contrats valant environ 2,8 milliards de dollars canadiens, et tous ces contrats sont maintenant dans un état d’incertitude advenant l’annulation du programme.
Les coûts pour l’Ontario liés à la fin de sa participation au programme de plafonnement et d’échange demeurent incertains, tout comme les répercussions de l’annulation du programme sur les entreprises qui ont acheté et qui possèdent des unités d’émission potentiellement sans valeur. Le gouvernement de l’Ontario devra également informer officiellement le Québec et la Californie de son retrait de l’entente liant leurs marchés de plafonnement et d’échange. Aux termes de l’entente signée, les parties s’engageaient à donner un préavis d’un an avant de se retirer du système. Au 10 juillet, on ne sait pas si le gouvernement de l’Ontario a l’intention de donner ce préavis et à quelles conséquences précises il s’expose s’il ne le fait pas.
Un nouveau gouvernement est pleinement compétent pour abroger des lois mises en œuvre par un gouvernement antérieur; cependant, dans le cas qui nous occupe, la révocation du programme de plafonnement et d’échange pourrait exiger une coordination et collaboration importantes avec le gouvernement fédéral, puisque le programme de fixation du prix du carbone proposé par le gouvernement fédéral, la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, imposera une taxe sur le carbone de 20 $ la tonne prenant effet le 1er janvier 2019 dans les provinces où les normes de GES ne respectent pas celles du fédéral. À ce sujet, le 4 juillet, une porte-parole de la ministre de l’Environnement fédérale, Catherine McKenna, a affirmé que l’annulation du programme de plafonnement et d’échange de l’Ontario équivalait à un retrait du cadre national sur les changements climatiques d’Ottawa. Par conséquent, la somme d’environ 420 millions de dollars qui avait été réservée en vue d’un transfert à l’Ontario dans le cadre du Fonds fédéral du leadership pour une économie à faibles émissions de carbone est maintenant en cours d’examen. Le premier ministre Doug Ford a indiqué qu’il contesterait la légalité de la capacité du gouvernement fédéral d’imposer son propre système de tarification du carbone, mais la réussite d’une telle contestation est incertaine, du moins d’un point de vue purement juridique.
Évidemment, les entreprises qui possèdent des unités d’émission s’interrogent à présent sur la valeur de leurs crédits compensatoires. À la suite de l’annonce de l’intention de l’Ontario de quitter le marché couvrant trois juridictions, la Californie et le Québec ont maintenant fermé leur marché à l’Ontario. Les entreprises qui possèdent des unités, d’une valeur de près de 2,8 milliards de dollars, n’ont plus de marché pour se départir de leur achat et on ne sait pas si elles disposeront de recours judiciaires ni si elles seront remboursées.
La promesse du Parti PC de mettre fin aux contrats en phase de préconstruction et de renégocier d’autres contrats existants devrait faire réfléchir les intervenants qui ont des intérêts dans le Programme de tarifs de rachat garantis de l’Ontario (« TRG »). Le Programme de TRG a été introduit en 2009 afin de faciliter un recours accru aux sources d’énergie renouvelable en Ontario et à titre de plan de relance économique. Le programme consistait en un processus normalisé de conclusion de contrats d’approvisionnement en énergie renouvelable. Cinq grandes rondes de conclusion de contrats de TRG ont eu lieu depuis le lancement du programme en 2009 (TRG 1 à TRG 5), et plusieurs ajustements et changements ont été apportés aux formulaires et conditions des contrats au fil du temps. Les détails du plan du Parti PC relativement à divers projets dans le secteur de l’énergie sont encore inconnus.
Cependant, les conséquences de l’annulation de contrats en phase de préconstruction et de la renégociation d’autres contrats suscitent des questions quant à la responsabilité potentielle du gouvernement de l’Ontario et des intervenants dans ces projets énergétiques.
Les participants à un projet doivent comprendre leur offre de contrat de TRG et l’étape où ils en sont dans leur processus de développement afin de connaître leurs droits contractuels. Les parties qui n’ont pas encore reçu l’ordre de démarrage des travaux (« ODT ») de l’Independent Electricity System Operator (« IESO ») devraient obtenir des conseils au sujet des dispositions de résiliation précises prévues dans leurs contrats. Il semble probable que le gouvernement exercera les droits de résiliation dans le cadre de certains projets où : a)ODT n'a pas encore été donné; et b) le contrat de TRG pertinent contient des dispositions de résiliation avant l'ODT. Notons que, compte tenu des mesures d’intéressement à la propriété locale et communautaire offertes par l’IESO dans les dernières versions du Programme de TRG, la grande majorité des projets inachevés ou pré-ODT appartiennent en partie à des collectivités autochtones ou à des municipalités rurales.
Les projets ayant fait l’objet d’un contrat dans les versions TRG 4 et TRG 5 pourraient être résiliés par l’IESO après l'ODT mais avant la date d’exploitation commerciale (« DEC ») puisque ces contrats prévoyaient des droits de résiliation après l'ODT accordés à l’IESO. Si le gouvernement de l’Ontario décide de résilier ou de rouvrir des contrats après l'ODT avant d’atteindre le stade de l’exploitation commerciale, il devrait s’attendre à payer des frais de résiliation importants à titre de réparation pour les dépenses engagées dans le cadre du projet par l’autre partie.
Si le gouvernement de l’Ontario décide de résilier ou de rouvrir des contrats de TRG après la DEC, il devra négocier les conditions précises du contrat avec ses différents cocontractants. Dans ce cas, comme pour les contrats avant ODT et après l'ODT, l’approche et le ton global du gouvernement auront une incidence directe (positive ou négative) sur la réputation et l’attrait de l’Ontario comme endroit idéal pour investir. Des mesures unilatérales ou arbitraires (comme celles prises en Espagne en 2008) pourraient raisonnablement avoir une incidence défavorable sur la cote de solvabilité de la province.
Il est intéressant de noter qu’il existe des précédents en matière de résiliation anticipée de contrats de production d’électricité dans d’autres juridictions et que, dans cette ère d’abondance énergétique et de diminution continuelle du prix de l’énergie renouvelable, un règlement financier acceptable pour les parties entraînant l’annulation des projets de production d’énergie à grande échelle même après avoir atteint le stade d’exploitation commerciale ou la résiliation de contrats qui s’y rapportent est possible, du moins en théorie.
Le 11 février 2011, le gouvernement de l’Ontario a imposé un moratoire sur la construction de parcs éoliens en mer dans la province, ce qui a paralysé bon nombre de projets importants en cours de construction. Évidemment, des actions en justice ont alors été intentées.
Deux cas particuliers sont dignes de mention. Le premier était une contestation fondée sur le chapitre 11 de l’ALÉNA déposée contre le gouvernement du Canada. Le développeur prétendait que le gouvernement de l’Ontario « avait agi de façon arbitraire, discriminatoire et menant à l’expropriation » lorsqu’il avait décidé de reporter l’exploitation de l’énergie éolienne en mer et que la décision d’imposer le moratoire avait été prise de manière arbitraire et politique et n’avait aucun lien avec l’allégation du gouvernement qu’il entreprenait des études scientifiques pour remédier à l’incertitude réglementaire. Dans ce cas, le groupe spécial constitué sous l’ALÉNA a conclu que l’échec du gouvernement de l’Ontario de procéder aux études scientifiques qui auraient permis de remédier à cette incertitude réglementaire constituait un manquement en vertu de l’article 1105 de l’ALÉNA et a accordé la somme de 26 182 900 $ CA en dommages. Dans cette affaire, l’interaction entre les sphères de responsabilité provinciale et fédérale donne un bon aperçu de ce qui pourrait se produire si le gouvernement de l’Ontario décidait unilatéralement d’annuler les contrats de TRG détenus par des communautés autochtones. L’incidence potentielle de cette annulation sur les communautés autochtones devrait susciter de vives inquiétudes, tant pour les membres de ces communautés qui ont consacré du temps et des ressources au développement de ces projets que pour les contribuables de l’Ontario qui devront ultimement supporter le coût du règlement des différends relatifs aux contrats de TRG qui risquent de survenir. L’interaction des devoirs et obligations aux niveaux fédéral et provincial, que ce soit aux termes d’un contrat, d’un traité ou en vertu de la common law, crée un écheveau complexe de responsabilités fédérales et provinciales et des risques importants pour le gouvernement provincial.
Dans la deuxième affaire, le gouvernement de l’Ontario était poursuivi pour, entre autres, inexécution de contrat, faute dans l’exercice d’une charge publique et infliction intentionnelle d’un préjudice économique. Le demandeur réclamait 2 milliards de dollars en dommages-intérêts et alléguait que le gouvernement l’avait privé illégalement d’un projet lucratif pour des motifs politiques inappropriés, et soutenait que la décision du gouvernement d’annoncer le moratoire au moment où il l’a fait visait précisément le demandeur en question. La demande du gouvernement de rejeter l’action au motif que le demandeur n’avait pas de cause d’action raisonnable a été accueillie initialement, mais la décision a été infirmée en appel par la suite.
En effet, la Cour d’appel de l’Ontario a permis au recours d’aller de l’avant après avoir statué que l’allégation de fait que le gouvernement avait annoncé le moratoire sur la production éolienne en mer seulement quelques heures avant que le demandeur procède à la clôture de son financement était suffisante pour justifier d’invoquer une faute dans l’exercice d’une charge publique. Cette action est toujours en cours.
Alors que le gouvernement de l’Ontario précise son plan « d’élimination ordonnée » du programme de plafonnement et d’échange et d’annulation des contrats visant des projets énergétiques, les perspectives du dynamique secteur de l’énergie de l’Ontario devraient se préciser. Le groupe mondial des énergies renouvelables de Gowling WLG suit attentivement l’évolution de la situation en Ontario et peut répondre à toutes questions ou préoccupations des parties intéressées à ce sujet.
Thomas J. Timmins est associé au bureau de Gowling WLG à Toronto et président du groupe mondial des énergies renouvelables du cabinet.
Sean Conway est conseiller en politiques publiques au bureau de Gowling WLG à Toronto.
Sean Whiting est un étudiant d’été au bureau de Gowling WLG à Toronto.
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