Protégez vos œuvres : développements récents dans la législation canadienne sur le droit d’auteur

8 minutes de lecture
19 janvier 2018

Cet article a d'abord été publié dans la revue Canadian Consulting Engineer Magazine.

La Cour fédérale a récemment confirmé qu’au Canada, les « œuvres architecturales » (comprenant  les plans d’architecture et d’ingénierie structurale ainsi que les structures elles-mêmes) sont bel et bien protégées par le droit d’auteur. S’il est vrai que « l’imitation est la plus haute forme de flatterie », des récentes affaires montrent que si l’imitation franchit la limite de la contrefaçon, les responsables de la conception et de la construction des œuvres architecturales contrefaites pourraient faire face à de graves conséquences.

Au Canada, pour qu’une œuvre puisse bénéficier de la protection de droit d’auteur, celle-ci doit être « originale ».Elle ne peut donc pas être une copie d’une œuvre existante, et elle doit être le produit « du talent et du jugement » de son auteur. Selon la Loi sur le droit d’auteur, le détenteur du droit d’auteur possède le droit exclusif de reproduire la totalité ou une « partie importante » de l’œuvre, et ce, pendant toute la vie de l’auteur, et pour une période de 50 ans suivant son décès. Si, au cours de cette période, une personne produit ou reproduit l’œuvre sans autorisation, elle sera tenue responsable de contrefaçon.

Les affaires concernant le droit d’auteur d’œuvres architecturales sont plutôt rares au Canada.Par conséquent, l’étendue de la protection et les recours en cas de contrefaçon sont incertains. Or, la jurisprudence récente fournit maintenant une orientation utile sur cette question, et établit un important précédent.

En septembre dernier, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Lainco inc. c. Commission scolaire des Bois-Francs[1].Le demandeur, soit Lainco inc., une entreprise spécialisée en conception et construction de charpentes métalliques, avait précédemment conçu et construit le Complexe Sportif Artopex à Granby au Québec. La charpente métallique du Complexe Artopex lui donne une apparence intérieure unique : un plafond dégagé et un espace plus ouvert que ceux offerts par les charpentes habituelles. Les défendeurs (une commission scolaire, une société d’ingénierie, une agence d’architecture et un entrepreneur en bâtiments) ont collaboré à la conception et à la construction du Complexe Victoriaville, un complexe de soccer intérieur à Victoriaville (Québec) qui possède une structure d’apparence similaire. Suite à un procès de 10 jours, la Cour a conclu que les défendeurs avaient violé le droit d’auteur de Lainco.

Les défendeurs ont invoqué diverses défenses, notamment que : (1) la charpente métallique de Lainco n’est pas protégeable par le droit d’auteur puisqu’elle ne serait que le fruit d’une simple mise en commun d’éléments structuraux déjà bien connus (différents types de fermes, de colonnes et de poutres) qui n’exige aucun talent ni jugement particulier; et (2) la charpente métallique de Lainco n’est pas protégeable par le droit d’auteur puisque sa fonction n’est qu’utilitaire.La Cour a rejeté ces arguments. Elle a conclu que, même si les éléments formant la charpente métallique de Lainco n’avaient rien de novateur et même si toute œuvre architecturale avait, dans une certaine mesure, une fonction utilitaire, la conception globale de la charpente méritait d’être protégée.Le choix et l’agencement des divers éléments ont demandé non seulement beaucoup d’essais et d’erreurs, mais aussi le talent et le jugement des ingénieurs de Lainco. De plus, les défendeurs ont soutenu que, même si la charpente métallique de Lainco était protégée par le droit d’auteur, le Complexe Victoriaville présente des différences sur le plan technique, et donc, qu’aucun droit n’a été violé. La Cour a aussi rejeté cet argument, en soulignant que des représentants de la commission scolaire et de la société d’ingénierie défenderesses avaient admis avoir visité et photographié le Complexe Artopex avant de concevoir le Complexe Victoriaville, et donc que les différences entre les deux structures étaient négligeables.

La Cour a conclu que tous les défendeurs étaient coupables de la contrefaçon, compte tenu du rôle de chacun dans la production de plans d’architecture et d’ingénierie structurale contrefaits, dans la construction de la structure contrefaite, ainsi que dans l’autorisation et l’habilitation de ces actes [2]. Elle a ordonné aux défendeurs de payer des dommages s’élevant à plus de 700 000 $, un montant basé sur les profits que Lainco aurait réalisés si elle avait remporté l’appel d’offres pour le Complexe Victoriaville. Peu de temps après que le jugement Lainco ait été rendu, des allégations de contrefaçon relatives à la conception d’une résidence privée à Toronto (Ontario) ont été largement relayées par les médias[3]. Dans cette affaire, le demandeur prétendait que le constructeur et l’architecte défendeurs avaient copié illégalement des éléments de la conception extérieure de sa maison, appelée le « design Strathearn », lorsqu’ils ont conçu et construit une résidence avoisinante.Les deux parties ont conclu un arrangement à l’amiable et ont accepté qu’un jugement déclarant que le « design Strathearn » était protégé par le droit d’auteur soit rendu par la Cour fédérale. Cette dernière a également accordé une injonction permanente interdisant dorénavant au constructeur et à l’architecte défendeurs de reproduire une partie importante du design Strathearn ou de l’imiter sans la permission du demandeur.

Ces deux affaires démontrent que les tribunaux canadiens reconnaissent le droit d’auteur des œuvres architecturales, et qu’ils accordent d’importantes indemnités pécuniaires, et d’autres recours, si ce droit est violé. Ainsi, les ingénieurs en structure, les architectes et tous ceux qui participent à la conception et à la construction de bâtiments ou de structures doivent non seulement être conscients de leurs droits (en tant que détenteurs du droit d’auteur de l’œuvre architecturale qu’ils ont conçue et construite), mais aussi être conscients des droits d’autrui (pour éviter d’être accusés de contrefaçon).


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.