Le droit de la consommation au Québec : qu’en est-il des contrats électroniques et des signatures?

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24 juillet 2019

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Cet article a été rédigé par Nareg Froundjian, un ancien stagiaire de Gowling WLG, avec l’assistance de David B. Kierans.

Est-il possible de conclure un contrat de crédit valide en ligne selon la législation québécoise sur le droit de la consommation? La réponse, en bref, est oui.

Au Québec, la notion de « contrat » se définit essentiellement comme la présentation d’une offre par une partie consentante et l’acceptation de celle-ci par une autre partie consentante[1], sauf disposition contraire de la loi[2]. Le consentement est donc la pierre angulaire du droit contractuel québécois et peut être échangé à l’oral comme à l’écrit. Pour certains types de contrats, la loi impose des formalités quant à la signature et l’impression des documents. Dans le but de demeurer pertinent à l’ère de la technologie, le Québec a modifié son cadre législatif visant les technologies de l’information[3] afin d’élargir la portée des notions de « signature » et de « document ».



La signature

La signature d’un document remplit deux fonctions : 1) identifier la partie signataire et 2) rendre son consentement explicite[4]. Pour les documents électroniques, de plus 3) elle permet d’établir un lien entre l’identité d’une personne et un document particulier.

Il est également possible de vérifier l’identité d’une personne à partir d’une caractéristique personnelle (p.ex., des données biométriques), d’un renseignement personnel (p.ex., un nom d’utilisateur, un mot de passe ou un NIP), d’un objet personnel (p.ex., une carte à puce, un générateur de code ou une clé USB), ou d’une combinaison des éléments susmentionnés (c'est-à-dire l’authentification à deux facteurs ou à facteurs multiples)[6].

Le critère de consentement acceptable quant aux conditions s’appliquant à une transaction réalisée sur un site Web peut être satisfait assez facilement : le simple affichage d’un lien menant aux conditions dans le pied de page du site Web est suffisant. Cliquer sur « J’accepte » ou sur une mention semblable suffit également à établir le consentement[7].

Il est possible d’établir un lien entre une personne identifiée et un document à partir d’une combinaison de son identité et des métadonnées du document[8], lesquelles sont conservées sur la plupart des sites Web. Pour prouver la validité d’une signature, il est essentiel de pouvoir démontrer que l’intégrité d’un document a été préservée et établir un lien entre celui-ci et une personne[9].

L’intégration des trois fonctions susmentionnées permet de garantir la signature valide et la force exécutoire de presque tout contrat conclu dans un environnement virtuel.

Le document

Un document constitue de l’information portée par un support[10]. Le cadre législatif québécois applicable aux TI préconise l’adoption d’une interprétation large de cette notion[11]. Toutefois, la loi exige l’emploi d’un support spécifique pour certains types de contrats[12].

Jusqu’en 2007, le contrat de crédit à la consommation comptait parmi ces types de contrats[13]. Dans les critères imposés à ce sujet, on allait jusqu’à préciser le poids du papier[14] et la taille des caractères[15]. De plus, la signature du consommateur devait figurer à la dernière page du contrat et un double de celui-ci devait lui être envoyé [16].

Des mesures nécessaires[17] et temporaires[18] s’imposaient afin d’éviter une rupture de l’équilibre délicat entre la protection des consommateurs et l’efficacité commerciale, tout en laissant au législateur le temps de s’adapter à la réalité des nouvelles technologies[19].

Ce n’est qu’en 2007 que la réglementation a été modifiée afin de permettre l’utilisation du commerce électronique pour la conclusion de contrats de crédit. En 2009, le législateur a introduit une exception claire quant à la règle d’utilisation du papier à l’égard des «  contrats conclus à distance »[20], qui manifestement, ne peuvent pas être conclus sur papier lorsqu’ils sont conclus en ligne[21].

Dans sa formulation initiale des exigences imposées quant aux contrats de crédit, le législateur avait introduit des critères allant bien au-delà de la fonctionnalité des signatures, probablement parce que l’utilisation du papier et les signatures manuscrites sont des formalités culturelles profondément ancrées. Quoique les gens se permettent de cliquer sur une mention « J’accepte » d’innombrables fois sans jamais lire les conditions d’un contrat, lorsqu’une personne doit apposer sa signature sur un document physique, la situation revêt soudainement un certain sérieux à ses yeux. Néanmoins, on semble maintenant avoir accepté une plus grande souplesse quant à la définition des termes « signature » et « document ».

Le consentement

En ce qui a trait à la conclusion d’ententes formelles, une conscientisation accrue des parties contractantes est dans l’intérêt de tous. Ceci dit, il faut éviter de tomber dans une sorte de fétichisme quant à la nécessité des signatures et du papier et tenir compte des enjeux réels. L’objectif véritable du droit contractuel est de faire en sorte que les parties fournissent un consentement manifeste et éclairé au moment de conclure une entente[22].

Quant aux moyens d’obtenir un consentement manifeste et éclairé, les trois recommandations ci-dessous sont utiles non seulement dans le contexte des ententes de crédit, mais également pour la conclusion de tout type de contrat en ligne :

  1. Rédiger les conditions en langage clair et concis : éviter le jargon juridique et les références à des clauses externes. Ceci augmente les chances qu’un contrat soit lu et compris par les parties concernées. Les conditions rédigées à l’intention des consommateurs sont notoirement incompréhensibles pour les gens ordinaires, et souvent même pour le juriste moyen.
  2. Créer des moyens techniques permettant de confirmer qu’une personne à réellement lu les conditions avant de les accepter. On peut entre autres forcer le lecteur à « feuilleter » les pages d’un contrat numérique présenté sur plusieurs pages, ou à faire « défiler » les pages avant que le bouton « J’accepte » ne s’active. Selon les bonnes pratiques, il est préférable de permettre au lecteur de lire l’ensemble des conditions sur une seule page.
  3. Utiliser un message-guide invitant la personne à taper son mot de passe et/ou son nom dans une fenêtre en incrustation avant de pouvoir finaliser la transaction. Cette mesure aide i) à valider l’identité de la personne, ce qui permet d’éviter les transactions non autorisées, ii) à confirmer le consentement au moyen d’une formulation explicite, ce qui permet d’éviter les potentielles erreurs dues à une manipulation incorrecte de la souris, et iii) à signaler la nature formelle de l’entente, puisque la personne doit imiter des gestes comparables à ceux que l’on pose dans le contexte formel d’une signature manuscrite.

En appliquant ces pratiques, on contribuera d’une part à faire en sorte que les contrats de consommateurs soient empreints du degré de solennité nécessaire, et d’autre part, à éviter toute incertitude quant à la qualité du consentement d’un consommateur.

Les professionnels de Gowling WLG (Canada) se feront un plaisir de vous fournir des précisions additionnelles sur la rédaction d’ententes de crédit électroniques au Québec et sur la gestion de ces ententes dans un environnement virtuel tout au long de leur cycle de vie. Nous vous invitons à contacter l’associé David B. Kierans du bureau de Montréal; sa pratique est axée sur une variété de questions touchant le financement et les prêts et son encadrement a été d’une grande aide pour la rédaction de cet article.

[1] Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1386.

[2] Ibid, s. 1385.

[3] Nommément, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ c C-1.1, ou « LCCJTI »

[4] Ibid, art. 2827.

[5] Supra, note 3, art. 39.

[6] Annotations de l'art. 39 de la LCCJTI.

[7] Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 SCR 801, 2007 CSC 34 (CanLII), https://www.canlii.org.

[8] GINGRAS Patrick et François SENÉCAL, « Métadonnées : Plaidoyer pour des mal aimées et des incomprises », (2015) 74 Revue du Barreau 249-306, LCCJTI art. 38, voir aussi l’art. 48 pour les certificats de signature.

[9] Supra, note 3, art. 39.

[10] Supra, note 3, art. 3 et 71.

[11] Supra, note 3, art. 1; Journal des débats de la Commission de l'économie et du travail, remarques du ministre, M. David Cliche, 7 décembre 2000 : « J'ai pensé à Moïse. Lorsque Moïse est descendu de la montagne, il avait un texte sur support de pierre et il avait une signature divine sur un support divin, qui n'est certainement pas un support des technologies de l'information ni un support papier. De ce concept de l'indépendance du support par rapport à la notion de document et de signature est né ce concept... »

[12] Supra, note 3, art. 2.

[13] Supra, note 3, art. 2 et 101; Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1, art. 23.

[14] Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1, r 3, art. 26. À noter qu’avant 2018, cet article stipulait ce qui suit : « [L]e contrat doit être rédigé sur du papier Bond numéro 7 d’une pesanteur de 11,8 kg aux mille feuilles de 432 mm × 559 mm ou sur du papier d’une qualité supérieure. »

[15] Ibid, art. 28.

[16] Supra, note 13, art. 25 et 28.

[17] Consultations particulières sur le projet de loi n° 161 - Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, 7 décembre 2000, remarques de Mme Nicole Fontaine de l’Office de la protection du consommateur : « Et je ne voudrais pas qu'on pense que, parce qu'on souhaite maintenir le support papier pour quelques contrats, on veut mettre des bâtons dans les roues dans le développement du commerce électronique. Je pense que c'est tout à fait le contraire, mais, bien sûr, comme c'est quand même une pratique commerciale qui est encore à s'implanter, on veut s'assurer que les consommateurs n'en paient pas la note et que ça se fait dans un contexte sécuritaire pour eux, tout en n'étant pas non plus protectionnistes. Alors, nous allons, autant que possible, agir avec célérité pour les travaux à venir ou déjà commencés pour modifier la Loi de la protection du consommateur. »accessible ici.

[18] Ibid, « On voit bien que, transposée dans le monde d'aujourd'hui, l'intention était clairement papier, et nous pensons qu'il faut la maintenir encore pendant un temps qu'on souhaite le plus limité possible, dépendamment de ce qu'on va discuter au niveau des balises qui entourent les pratiques commerciales. »

[19] Ibid« D'abord, je voudrais spécifier que d'ajouter «support papier» à l'article 25 de notre loi fait en sorte que ça conserve ce support pour un temps qu'on pense limité, possiblement un an, le temps qu'on regarde l'ensemble des balises apportées aux pratiques commerciales pour les rendre sécuritaires pour les consommateurs. »

[20] Terme général signifiant « un contrat conclu à distance est un contrat conclu alors que le commerçant et le consommateur ne sont pas en présence l’un de l’autre et qui est précédé d’une offre du commerçant de conclure un tel contrat. », y compris les contrats exécutés par téléphone, par Internet, ou par télécopie.

[21] Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur et d’autres dispositions législatives, LQ 2009, c 51, https://www.canlii.org, art. 6.

[22] Supra, note 13, art. 9.


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