Avatars ou artistes? Quand la musique s'infiltre dans les jeux vidéo

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17 septembre 2020

Alors qu'une grande partie de l'industrie du divertissement est toujours paralysée par la COVID-19, le secteur des jeux vidéo bénéficie d'une montée en flèche de sa popularité et échappe grandement à cette tendance grâce à la pandémie, justement. En effet, le nombre de personnes qui jouent aux jeux vidéo et regardent les « sports électroniques » ou le e-sport (electronic sport) a fortement augmenté : elles ont soif de nouvelles sources de divertissement et de moyens de socialiser dans le confort de leur foyer. Malgré les délais de fabrication affectant la production de certaines consoles de jeux, les revenus augmentent à l'échelle du secteur, car de plus en plus de gens achètent des jeux vidéo, en version physique ou numérique, s'abonnent à des services de jeux vidéo et dépensent davantage d'argent en « achats intra-jeux ».



Cette hausse du nombre de nouveaux adeptes a donné naissance à des partenariats innovants entre artistes de la musique et éditeurs de jeux. En effet, ces derniers saisissent l'occasion pour former des ententes stratégiques et atteindre de nouveaux sommets de popularité et d'influence, tandis que les artistes, surtout ceux qui ont été contraints d'annuler leurs concerts voire des tournées entières, sont en mesure d'attirer de nouveaux fans grâce à des événements virtuels uniques.

Plus tôt cette année, Travis Scott et Epic Games ont mis ce concept unique en son genre en application : le rappeur en lice pour un prix Grammy a organisé une tournée de cinq spectacles virtuels sur Fortnite, le jeu vidéo au succès monstre, et dont l'accès est gratuit. Dès le premier spectacle, plus de 12 millions de personnes se sont connectées pour voir la prestation et un bon nombre de gens a écouté la diffusion sur Youtube et Twitch en direct. Plus de 27 millions de participants au total se sont connectés à l'un des cinq spectacles. En plus d'assister au lancement de la nouvelle chanson de Travis Scott, The Scotts, les spectateurs ont eu droit à un spectacle d'effets visuels en accompagnant un avatar géant de Scott dans son voyage dans l'espace. Le concert était jumelé à une série de défis spéciaux à réaliser pour débloquer des récompenses cosmétiques et acheter des produits numériques intra-jeux, y compris des danses « emotes » et des « skins » de Scott (avec des tatouages, etc.). Après le concert de Fortnite, la chanson The Scotts figurait déjà au premier rang sur Apple Music, Spotify et au classement Billboard Hot 100 des cents chansons les plus populaires aux États-Unis.

De nombreuses considérations de propriété intellectuelle entrent en jeu pour garantir qu'une prestation en ligne se déroule sans heurts et ne déclenche aucune allégation de violations de droit d'auteur. Avec tant de contenu créatif utilisé simultanément, il importe de faire le suivi des nombreuses œuvres originales utilisées pour être en mesure de trancher si une prestation virtuelle requiert l'obtention de la permission du titulaire des droits et déterminer son identité.

Selon la Loi sur le droit d'auteur, le droit d'auteur subsiste dans toute œuvre originale littéraire, dramatique, musicale et artistique[1]. Dans le cas de prestations virtuelles, les œuvres protégées peuvent inclure la musique et la chorégraphie originales exécutées, de même que le code à la base de la prestation, et tous les éléments graphiques comme le dessin de l'avatar et les éléments en arrière-plan. La prestation elle-même fait également l'objet d'une protection par droit d'auteur, tout comme tout enregistrement de la prestation.

Au Canada, la Loi prévoit que l'auteur d'une œuvre en est le premier titulaire du droit d'auteur, sous réserve de certaines exceptions. Par exemple, si l'auteur a créé l'œuvre à titre d'employé, c'est habituellement son employeur qui est considéré comme premier titulaire du droit d'auteur[2]. Dans le cas d'un concert virtuel, plusieurs entités peuvent être titulaires des diverses œuvres sous-jacentes. Même s'il existe certaines exceptions, en règle générale, pour pouvoir exploiter commercialement une œuvre protégée par le droit d'auteur, il faut obtenir la permission du titulaire sous forme d'un octroi de licence ou d'une cession de droit.

Outre le droit d'auteur, les droits de la personnalité peuvent aussi entrer en jeu. La protection de ces derniers varie d'une province et d'un territoire à l'autre. Il faut donc porter attention aux aspects reconnaissables de la personnalité de la personne concernée qui seront utilisés pour promouvoir un service ou vendre de la marchandise. Parmi ces aspects, on retrouve le nom, l'image et/ou la voix de la personne. Lorsqu'une prestation comporte un avatar inspiré des aspects identifiables d'une personne réelle, les parties impliquées peuvent discuter de la manière dont l'avatar sera créé, de son apparence, de son utilisation et de la durée de cette utilisation, puis négocier tous ces aspects.

Lors de la production de toute prestation en ligne, il faut prendre en considération quels droits sont exploités, qui en sera le titulaire, et qui contrôlera les droits du produit fini. Afin d'éviter les risques de litiges subséquents, il est avisé d'obtenir des conseils juridiques dès le départ.

Les concerts virtuels dans les jeux vidéo sont de plus en populaires et il y a fort à parier que de tels partenariats deviendront encore plus ambitieux à l'avenir. Alors que le monde s'ajuste à la « nouvelle normalité », les développeurs de jeux et les artistes, eux, continuent de repousser les limites de l'art et de l'innovation afin d'attirer le public de nouvelles manières insoupçonnées.


[1] RCS 1985, c. C-42, art. 5(1) [la Loi].

[2] Id., par. 13(1) et 13(3).


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