Thomas J. Timmins
Associé
chef du groupe Énergies renouvelables
Article
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Impossible de maquiller la dure réalité : alors que l'économie mondiale s'est arrêtée sous l'effet de la COVID-19, une grande partie des progrès réalisés dans le monde en matière de développement de projets d'énergie renouvelable ont fait de même. Les perturbations de la chaîne d'approvisionnement, la mise à l'écart de la main-d'œuvre, l'effondrement de la demande énergétique, la baisse rapide des prix mondiaux des combustibles fossiles et le changement d'orientation quasi universel des responsables gouvernementaux de l'élaboration des politiques ont créé des défis importants dans l'ensemble du secteur des ressources énergétiques renouvelables et distribuées.
Malgré l'adversité et l'incertitude actuelles, les prévisions à moyen et long terme pour le secteur demeurent positives. Lorsque les nuages se dissiperont enfin, nous pensons que l'énergie propre jouera un rôle important dans la reprise économique. En effet, en 2019, les énergies renouvelables représentent près des trois quarts des nouvelles capacités de production d'électricité. Grâce à des coûts qui diminuent rapidement et des rendements manifestement stables, les solutions énergétiques à faible teneur en carbone continuent d'attirer les investissements des organismes gouvernementaux, des grandes banques, des fonds d'investissement et des entreprises mondiales dans le monde entier. Juste avant la propagation de la crise de la COVID-19 à l'échelle mondiale fin janvier, le lectorat du monde des affaires a pris connaissance de la position dynamique adoptée par plusieurs des plus grandes entreprises mondiales en matière d'atténuation des changements climatiques, notamment BlackRock, le plus grand gestionnaire de fonds au monde, qui a annoncé son retrait des investissements présentant des risques climatiques élevés et son lancement de nouveaux produits d'investissement qui évitent les combustibles fossiles. Le 6 avril, en plein milieu de la crise de la COVID-19, même les défenseurs de longue date du secteur des énergies renouvelables ont été stupéfaits d'apprendre les résultats de l'achat de 1,47 GW d'énergie solaire saoudienne, dans le cadre duquel les prix des offres présélectionnées sont tombés à 0,016 1 USD/kWh (soit 0,022 5 CAD/kWh).
Pour éviter une crise économique, de nouvelles mesures fédérales de relance économique seront nécessaires dans les semaines et les mois à venir. Cela pourrait être une occasion – voire un impératif – pour que les agences gouvernementales canadiennes investissent dans des infrastructures énergétiques durables et à faibles émissions de carbone. L'époque où les énergies renouvelables étaient un luxe économique réservé aux économies bien portantes est révolue. En 2020, les technologies des énergies renouvelables sont non seulement compétitives en matière de prix, mais aussi créatrices d'emplois fiables en plus de constituer un élément clé de l'avenir énergétique mondial et de la préparation de tout pays à y participer.
Après la crise financière de 2008, les gouvernements du monde entier ont lancé des plans de relance économique de type keynésien, utilisant essentiellement le renforcement des capacités de production nécessaires comme levier pour créer de l'activité économique. Le programme de tarifs de rachat garantis de l'Ontario, par exemple, était un sous-produit de la Loi de 2009 sur l'énergie verte et l'économie verte, un large éventail de mesures réglementaires, de réduction des formalités administratives et de stimulation économique conçues pour relancer l'économie provinciale tout en continuant à construire des installations de production d'énergie renouvelable afin de remplacer le parc vieillissant de centrales au charbon de la province.
Aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, en Chine, en Corée du Sud et dans d'autres grandes économies nationales et infranationales, des mesures similaires ont été prises dans un large éventail de secteurs industriels. Le plan de relance économique américain de 800 milliards de dollars de l'époque, mis en œuvre par la loi American Recovery and Reinvestment Act, consacrait 90 milliards de dollars à l'énergie propre (en anglais seulement) sous forme de subventions en espèces pour les énergies renouvelables, de garanties de prêts, d'incitations à la rénovation des maisons et de financement d'emplois dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'énergie propre. Au cours de la décennie qui a suivi, la capacité de production d'énergie éolienne des États-Unis a triplé, tandis que la production d'énergie solaire photovoltaïque a été multipliée par 76 (en anglais seulement). Les coûts de ces deux types d'énergie ont diminué de façon spectaculaire.
Alors que le récent plan de sauvetage de 2 200 milliards de dollars des États-Unis a laissé les énergies renouvelables (en anglais seulement) en dehors du tableau, l'Union européenne (en anglais seulement) envisage de réorienter son « nouveau pacte vert » dans le cadre d'un plan de relance économique plus large, et la Corée du Sud (en anglais seulement) a récemment adopté son propre « nouveau pacte vert » dans le cadre de sa réponse à la COVID-19.
À en juger par les premières mesures d'aide au secteur pétrolier et gazier prises par le gouvernement canadien – concentrées sur la réhabilitation des puits orphelins et l'investissement dans le développement durable des ressources – et compte tenu de l'objectif de longue date du gouvernement canadien de lutter activement contre les changements climatiques, il est facile d'imaginer que le Canada suivra cet exemple. Dans le but de stimuler la reprise économique, la ministre canadienne de l'Infrastructure (et ancienne ministre de l'Environnement), Catherine McKenna, a récemment annoncé son intention (en anglais seulement) de concentrer le budget d'infrastructure actuel de 180 milliards de dollars sur des projets « prêts à démarrer », en plus des fonds qui pourraient être dégagés dans un éventuel projet de loi de relance. Mme McKenna supervise déjà le déploiement d'un fonds de 21,9 milliards de dollars pour les infrastructures vertes et, en tant que ministre de l'Environnement, elle a été le fer de lance du Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone de 2 milliards de dollars, qui vise à assurer une croissance économique propre et durable et à créer des emplois. En supposant que le Canada maintienne le cap sur ses objectifs de décarbonisation, un plan de relance COVID-19 pourrait cibler :
La crise de la COVID-19, tout comme celle des changements climatiques, est causée par un ennemi invisible et perfide. Ces deux problèmes exigent un changement comportemental et économique à l'échelle mondiale. Il reste à voir si la COVID-19 influencera l'opinion publique canadienne sur l'urgence de prendre des mesures face aux changements climatiques, mais une des conséquences probables de la crise COVID-19 est le retour de la confiance du public envers la science. Les dures réalités de la récente crise sanitaire ont confirmé cette vérité. Ce sont les élus, les experts médicaux et les autres dirigeants qui se sont exprimés clairement, ont admis leur incertitude, ont cité des preuves et ont corrigé des erreurs antérieures qui ont obtenu des adeptes fidèles (en anglais seulement). En revanche, ceux qui ont cité des informations réconfortantes, mais inexactes ont perdu le fil du débat public (en anglais seulement).
Les bonnes politiques, comme les bons travaux scientifiques, procèdent à la publication de leurs données et acceptent de se soumettre à des examens approfondis. La confiance du public envers les experts est importante, très importante même. Une grande partie de l'incertitude concernant la COVID-19 est liée à la désinformation qui circule à son sujet. Les prédictions trompeuses ont des effets particulièrement puissants et inquiétants lorsqu'elles vont à l'encontre de la raison. Les conclusions et les projections scientifiques sur la maladie, aussi dérangeantes soient-elles, ont à ce jour constitué la meilleure ressource de planification pour le public et les responsables de l'élaboration des politiques tout au long de cette crise.
La COVID-19 n'a pas tout changé et ne changera pas tout, et il est beaucoup trop tôt (en anglais seulement) pour ignorer le pouvoir troublant de la désinformation et de la « politique du doute » mise en œuvre par les gouvernements populistes et autoritaires du monde entier. Si la confiance du public envers la science et le leadership scientifique a été sauvée des creux historiques (en anglais seulement) de la dernière décennie, les gouvernements provinciaux pourraient se retrouver avec le capital politique nécessaire pour prendre des mesures d'atténuation des changements climatiques plus énergiques. Toutefois, toute action énergique en matière de changements climatiques doit être entreprise parallèlement à des initiatives ciblées et compatissantes pour prendre soin de ceux qui seront mis au chômage ou autrement touchés par le changement, et en tenant dûment compte des répercussions énergétiques et économiques plus larges, notamment au Canada.
L'avènement de technologies renouvelables à faibles coûts dans le secteur de l'énergie représente un défi fondamental pour des pans entiers de l'économie canadienne, avec des implications économiques véritablement nationales. Avant la baisse des prix de 2018-2019, le pétrole et le gaz naturel canadiens (en anglais seulement) représentaient 108 milliards de dollars du produit intérieur brut (PIB) du Canada, soutenaient près de 530 000 emplois dans tout le pays et fournissaient 8 milliards de dollars de recettes annuelles moyennes à plusieurs niveaux de gouvernement. Il est important de noter que, bien que la province de l'Alberta soit particulièrement dépendante du secteur pétrolier et gazier, pratiquement tous les autres provinces et territoires du pays dépendent fortement du secteur pétrolier et gazier pour des emplois, des revenus et des recettes étatiques. Si le monde s'éloigne de sa dépendance actuelle aux combustibles fossiles, l'économie canadienne en subira les conséquences.
Blackrock, Microsoft, Google, Goldman Sachs, Amazon, BP, Shell, Total et bien d'autres leaders mondiaux du secteur industriel se sont fixé des objectifs en matière d'action climatique. Le seul point commun entre les diverses annonces des dirigeants industriels sur le climat ces dernières années est que les réductions de GES ne se feront pas du jour au lendemain.
Le Canada a le temps de se réorienter et de planifier le soutien et la prise en charge des personnes, des familles et des collectivités qui seront touchées par la transition mondiale vers des solutions énergétiques à faibles émissions de GES. La récente annonce par le gouvernement du Canada (en anglais seulement) de son intention de consacrer 1,7 milliard de dollars pour aider les travailleurs du secteur pétrolier et gazier de l'Alberta à retrouver du travail – non pas dans le forage, mais dans le nettoyage des puits de pétrole et de gaz orphelins et abandonnés dans cette province durement touchée sur le plan économique – représente, à première vue, un bon exemple de réponse de politique publique ciblée et créative à une situation politique et environnementale difficile. Si le Canada veut réussir la transition vers un avenir énergétique plus propre, des solutions très créatives seront nécessaires pour conduire le changement tout en soutenant et en prenant soin de ceux qui en seront les plus touchés.
Au Canada, on prend bien soin des personnes affectées par le changement et le malheur. Veillons donc à appliquer les leçons tirées de la crise de la COVID-19 à l'autre crise existentielle de notre époque.
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