Thomas J. Timmins
Associé
chef du groupe Énergies renouvelables
Article
14
Le mois dernier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que le nouveau coronavirus (2019-nCoV) était une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), ajoutant ce dernier à la liste croissante des USPPI telles que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), le virus H1N1 (grippe porcine), le virus Ebola, le virus Zika et la variole. Cette déclaration a été faite dans la foulée des restrictions de voyage à l'échelle mondiale et des confinements de villes dans certaines régions de Chine en raison de la nature contagieuse, et potentiellement mortelle, du virus.
La Chine étant une source importante de composants fabriqués, les secteurs de l'électricité, de l'énergie et des infrastructures craignent que les fournisseurs chinois et leurs clients en aval aient des difficultés à satisfaire aux obligations d'approvisionnement et de service – en particulier ceux qui dépendent de composants provenant de la ville de Wuhan, d'où le virus est censé émaner, et où le gouvernement chinois a concentré ses protocoles de confinement.
Pour les entreprises qui dépendent de produits ou de composants chinois, il est d'une importance capitale de savoir si le nouveau coronavirus constitue un « événement de force majeure » pouvant déclencher l'application d'une telle clause dans les contrats commerciaux. Dans de nombreux cas, il se peut que les utilisateurs finaux et les acheteurs d'ailleurs dans le monde ne soient même pas conscients du fait que les intrants des produits sur lesquels reposent leurs projets ou leurs processus de production puissent être affectés par les événements en Chine.
Les clauses de force majeure sont courantes dans les contrats et visent à prémunir les parties contre les préjudices causés par des événements extraordinaires ou extrêmes, souvent appelés « actes fortuits ». Lorsqu'une clause de force majeure figure dans un contrat et que des événements de force majeure surviennent, on s'attend à ce que la ou les parties qui subissent un préjudice du fait de l'événement de force majeure proscrit (ouragan, guerre, inondation, trouble politique, épidémie, etc.) soient libérées en tout ou en partie de leurs obligations de livraison au titre dudit contrat ainsi que de leur responsabilité en tout ou en partie des dommages résultant d'un retard ou d'un manquement dans l'exécution de leurs obligations contractuelles.
Lors de la rédaction de ces dispositions, les entreprises utilisent souvent un libellé énumérant des exemples spécifiques admissibles de ce qui constituera ou non un événement de force majeure : ouragan, guerre, éruption volcanique, grève, lock-out, etc. Cependant, il se peut que dans la hâte de conclure l'accord, peu de réflexion soit accordée aux inclusions et à leur portée, et que l'on choisisse d'utiliser plutôt un modèle de contrat « générique ».
En l'absence de clause de force majeure, les tribunaux prendront tout de même en considération les défenses de la partie lésée sur la base de la prévisibilité de l'événement dommageable. Qu'il y ait ou non une clause de force majeure, le fardeau de la preuve incombe à la partie qui cherche à se prévaloir de la disposition relative à la force majeure. Il reste que le point de départ essentiel est la clause de force majeure elle-même. Quel en est le libellé? Les événements qu'une partie prétend avoir eu lieu sont-ils réellement admissibles aux termes de la clause? Dans l'affirmative, ces événements qualifiants ont-ils réellement entraîné le retard ou la violation en question?
Au Canada, le plus important arrêt des cinquante dernières années en matière de force majeure demeure l'affaire Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Cette décision de la Cour suprême de 1975 concernait un approvisionnement annuel minimum en pâte à papier sur une période de dix ans, dont on alléguait qu'il avait été soumis à des événements extraordinaires, notamment des catastrophes naturelles et un déclin important du marché de cette pâte à papier. Dans sa décision, le juge Dickson a fait valoir qu'« une clause de force majeure dispense une partie de l'exécution de ses obligations contractuelles lorsque survient un événement, parfois surnaturel, sur lequel les parties n'ont aucun contrôle et qui rend l'exécution du contrat impossible. Le point central ici est la notion d'imprévisibilité qui s'applique généralement lorsque cet événement est inattendu et humainement imprévisible et incontrôlable » (notre soulignement). Depuis lors, aucune affaire de la Cour suprême canadienne n'a réexaminé la question en profondeur. Toutefois, malgré l'absence de précédents de la Cour suprême, plusieurs dossiers en première instance ont confirmé la validité de l'arrêt Atlantic Paper et ont exploré l'interprétation des clauses de force majeure.
Dans World Land Ltd. v Daon Development Corp., le tribunal a accepté l'utilisation de clauses omnibus pour définir le champ d'application de la force majeure. Dans cette affaire, une société de développement immobilier a été accusée de ne pas avoir commencé la construction sur le terrain à une date précise. Dans l'accord, la clause de force majeure comportait dans sa définition des événements de force majeure, le libellé très large et inclusif suivant : « … ou toute autre cause... échappant au contrôle des vendeurs ou des acheteurs ». La société s'était appuyée sur ce libellé et avait annoncé que le développement serait retardé au motif qu'elle n'avait pas reçu de permis de développement, ce qui, selon elle, était indépendant de sa volonté. Le tribunal a reconnu l'applicabilité de la clause omnibus. Toutefois, au détriment de la société de développement immobilier, elle a choisi d'interpréter le libellé clairement et a soutenu qu'il était du ressort de la société d'obtenir le permis dans les délais. En d'autres termes, la partie alléguant des événements de force majeure n'avait pas le droit de rester inactive.
Le dossier subséquent, Atcor Ltd. v Continental Energy Marketing Ltd., semble avoir révisé les critères de ce qui constitue un événement de force majeure. Dans cette décision, un fournisseur de gaz a invoqué avec succès la force majeure lorsqu'il a été dans l'impossibilité d'effectuer sa livraison de gaz en raison de divers problèmes techniques rencontrés par un tiers propriétaire du gazoduc. La Cour d'appel de l'Alberta a rejeté l'idée que seul un événement de force majeure pouvait rendre l'exécution impossible. Au lieu de cela, un « problème réel et substantiel » qui rend l'exécution du contrat commercialement irréalisable a été considéré un critère suffisant, bien que nettement inférieur au critère d'impossibilité d'exécution posé dans l'arrêt Atlantic Paper susmentionné. Malgré la divergence apparente avec l'affaire Atcor, le critère d'impossibilité d'exécution établi dans l'arrêt Atlantic Paper continue d'être la norme dans des dossiers récents. Ainsi, d'un point de vue pratique, sauf convention contraire expresse, l'« impossibilité d'exécution » doit être considérée comme la norme de base lors de l'examen de circonstances de force majeure.
Comme pour souligner ce point, dans la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique de 2011 dans le dossier Domtar Inc. c. Univar Canada Ltd, il s'avère que l'accent a été mis sur le libellé de la disposition relative à la force majeure. Dans cette affaire, un fournisseur ne pouvant s'approvisionner en soude caustique et en fournir à des conditions commercialement acceptables a allégué qu'un événement de force majeure s'était produit et demandé à être libéré de ses obligations contractuelles de fourniture. Le cas de force majeure ici était l'impossibilité d'acheter des matières premières à un prix commercialement acceptable en raison d'une hausse sans précédent du prix de la soude caustique. Cet argument a été rejeté. Le tribunal de la Colombie-Britannique a estimé que la clause de force majeure figurant dans le contrat concerné n'incluait pas ou n'envisageait pas les conditions économiques ou de marché, et a souscrit aux conclusions antérieures des tribunaux anglais selon lesquelles « le fait qu'un contrat soit devenu coûteux à exécuter, voire considérablement plus coûteux, n'est pas un motif pour libérer une partie de sa responsabilité pour cause de force majeure ».
Le dossier Domtar Inc. laisse entendre que la force majeure « économique » est extrêmement difficile, voire impossible à justifier. Il met également l'accent sur le point que nous avons souligné ci-dessus : il est primordial de toujours lire la clause de force majeure de votre contrat.
Il n'est pas rare que les clauses de force majeure comportent des termes spécifiques tels que « peste » ou « épidémie » dans leur description d'événements de force majeure. À la lumière des urgences sanitaires mondiales survenues au cours des dernières décennies, nous avons constaté que ce type de clauses comportait des références de plus en plus précises à des événements tels que les « urgences de santé publique » et les « épidémies de maladies transmissibles ». Toutefois, il n'est pas certain que l'invocation de ces libellés spécifiques sera utile à la partie alléguant un événement de force majeure pour se libérer de ses obligations contractuelles.
La jurisprudence canadienne concernant les dispositions relatives à la force majeure fondées sur des préoccupations sanitaires mondiales est limitée. Par exemple, la plupart des mentions de l'épidémie de SRAS de 2003 ou de la pandémie d'Ebola de 2015 concernent des cas de santé et de sécurité au travail à l'échelle nationale et de protection des réfugiés. Les cas signalés qui désignent ces crises sanitaires spécifiques comme des déclencheurs de force majeure sont peu nombreux. En 2005, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a publié une décision concernant les plans d'ajustement des tarifs dans le secteur des télécommunications qui liait le SRAS à un événement de force majeure. Dans la décision, Bell Canada, TELUS et plusieurs autres entreprises de télécommunications ont fait valoir que l'épidémie de SRAS de 2003 à Toronto relevait de la clause de force majeure suivante :
« Aucune pénalité n'est appliquée au cours d'un mois où la non-conformité à la norme est causée, ce mois-là, par un incendie, des grèves, la défaillance ou une panne de la part d'une autre entreprise, des inondations, des épidémies, la guerre, des troubles civils, des catastrophes naturelles, des mesures prises par les pouvoirs publics ou autres événements indépendants de la volonté de la Compagnie qu'il est raisonnablement impossible de prévoir ou contre lesquels on ne peut se protéger. »
Dans cette affaire, les entreprises de télécommunications canadiennes ont cherché à invoquer le libellé de la force majeure ci-dessus, en faisant valoir que des situations de fait, notamment la nécessité de mettre en quarantaine un certain nombre d'employés de Bell Canada, et la mention spécifique des « épidémies » dans la clause de force majeure, diminuaient leurs obligations respectives en matière de qualité de service. (Dans de nombreuses clauses de force majeure, les épidémies ne sont pas spécifiquement incluses dans la clause et doivent être interprétées comme faisant partie de la catégorie générale « autres événements échappant au contrôle raisonnable de la société ».) En fin de compte, le CRTC a estimé que l'approche à adopter pour déterminer si les événements liés au SRAS étaient ou non suffisants pour déclencher les protections de la clause de force majeure était une approche au cas par cas.
Les parties en défaut ou envisageant de se mettre en défaut en vertu des dispositions d'un contrat de fourniture sur la base du nouveau coronavirus devraient garder à l'esprit que les dispositions relatives à la force majeure sont en fait assez difficiles à invoquer.
Tout d'abord, il faut démontrer qu'un événement de force majeure, admissible aux termes du contrat concerné, s'est produit. Comme indiqué ci-dessus, de nombreuses dispositions relatives à la force majeure n'incluent pas les « maladies » ou les « pandémies » dans la liste des motifs énumérés. La question de savoir si le nouveau coronavirus est actuellement admissible est une question de fait que les parties pourraient contester.
Deuxièmement, il faut démontrer que l'événement de force majeure allégué a effectivement causé l'inexécution ou le retard en question. Le produit ou la ressource est-il en fait uniquement fabriqué à Wuhan ou dans la province d'Hubei ou existe-t-il des fournisseurs concurrents ou des biens de remplacement appropriés provenant d'autres régions du monde? Quels sont les devoirs ou obligations de réparation de la partie qui cherche à se prévaloir de la clause? Si l'approvisionnement à partir de Wuhan est bloqué, le fournisseur a-t-il l'obligation de chercher à s'approvisionner ailleurs? Le fournisseur aurait-il dû raisonnablement prévoir la possibilité d'un blocage de la fourniture à partir d'un seul endroit dans le monde et mettre en place d'autres dispositions à l'avance? Y a-t-il une limite au coût de l'approvisionnement alternatif que le fournisseur est tenu de payer? N'oubliez pas que des coûts sensiblement plus élevés peuvent ne pas constituer une défense suffisante en cas d'inexécution des obligations contractuelles.
Enfin, il y a la question de l'étendue de l'exonération des obligations contractuelles. Quel défaut ou retard est autorisé au fournisseur défaillant avant que le contrat puisse être annulé ou que des dommages et intérêts commencent à être perçus? Cette dernière question peut être directement liée au libellé des dispositions de dispense intégrées à la clause de force majeure pertinente. De nombreuses clauses de force majeure prévoient une période de retard limitée avant que le fournisseur ne soit obligé de fournir ou de payer des dommages-intérêts forfaitaires.
Le droit applicable au contrat en question peut avoir une incidence importante sur la possibilité pour la partie défaillante de recourir à la force majeure et sur la manière dont la clause en question (le cas échéant) est lue et interprétée. Il existe d'importantes différences entre la jurisprudence canadienne, britannique, américaine et chinoise à ce sujet. (Dans le présent article, nous n'avons traité que de la jurisprudence canadienne.)
Lorsqu'un fournisseur vous présente une réclamation pour force majeure, traitez la question rapidement. De nombreux fournisseurs émettront des avis de force majeure en prévision d'une éventuelle perturbation future de l'approvisionnement. Bien que cela puisse être utile d'un point de vue commercial, il est souvent conseillé de répondre rapidement à ces notifications et de chercher à savoir si un cas de force majeure s'est effectivement produit. En fonction de la situation, il peut être souhaitable de contester la validité de l'avis.
Lors de la rédaction des dispositions relatives à la force majeure, il convient de garder à l'esprit les enseignements tirés du nouveau coronavirus, de l'épidémie de SRAS en 2003, et de la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011. Voici comment rédiger des libellés concis et précis :
(a) inclure/exclure expressément les « épidémies locales » ou les événements de nature locale ou qui n'entraînent qu'une impraticabilité commerciale;
(b) déterminer si l'« impossibilité d'exécution contractuelle » est le seuil réel requis pour déclencher les protections contre la force majeure ou s'il convient d'appliquer une norme inférieure tenant compte des aspects pratiques commerciaux;
(c) veiller à ce que l'exécution des obligations qui s'appliquent pendant et après un événement de force majeure, y compris les dispositions en matière de recours et de fourniture de remplacement et les délais maximaux, soit suffisamment détaillée; et
(d) veiller à ce que le droit applicable au(x) contrat(s) en question soit parfaitement clair.
Nous recommandons également de rédiger des dispositions détaillées en matière d'avis et de notification pour les cas de force majeure anticipés, afin de s'assurer que l'avis est transmis en temps utile à la ou aux bonnes personnes au sein de votre organisation, en leur donnant suffisamment de temps pour préparer une réponse détaillée et réfléchir aux solutions commerciales possibles en cas d'interruption imminente de l'approvisionnement.
Enfin, d'un point de vue commercial, nous recommandons de prendre des mesures pratiques pour garantir que tous les fournisseurs essentiels disposent d'autres options d'approvisionnement ou de protocoles d'urgence redondants en cas de futures urgences, y compris des urgences de santé publique.
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