Programme d'arrangement préalable en matière de prix de transfert : un survol

14 minutes de lecture
13 juillet 2021

Le présent article propose un aperçu du programme canadien d'arrangement préalable en matière de prix de transfert (« APP ») en place depuis déjà plus de deux décennies. Un APP consiste en un arrangement entre l'Agence du revenu du Canada (« ARC ») et le contribuable, et couvre des opérations spécifiques entre le contribuable et des entités non résidentes avec lesquelles il a un lien de dépendance. Ce type d'arrangement permet de confirmer une méthode de fixation des prix de transfert convenue au préalable pour les opérations transfrontalières entre les parties visées par ce dernier pour des périodes précises, selon certaines hypothèses et modalités déterminées. C'est un programme qui permet à un ou plusieurs contribuables résidents canadiens et à l'ARC de résoudre, à l'avance, les différends potentiels en matière de prix de transfert en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») et des conventions fiscales du Canada.

Le programme canadien d'APP

La Division des services de l'autorité compétente (« DSAC ») de l'ARC est chargée d'administrer et de négocier tous les APP, y compris les demandes d'APP unilatéraux. Bien que le personnel de vérification y participe, le programme des APP est généralement séparé et distinct de la fonction de vérification. Un APP vise généralement à résoudre les problèmes de prix de transfert pour les années à venir, contrairement à la vérification qui procède plutôt à un examen des années d'imposition antérieures du contribuable.

Bien qu'un APP soit généralement prospectif et s'applique aux années d'imposition futures, le contribuable peut demander que les modalités de l'APP s'appliquent rétroactivement aux années d'imposition antérieures qui ne sont pas frappées de prescription (c'est-à-dire les années d'imposition ouvertes). La DSAC envisage généralement un APP rétroactif pour les années d'imposition antérieures lorsque les faits et les circonstances de cette période sont les mêmes que pour la durée proposée de l'APP, lorsque les renonciations appropriées ont été produites pour prolonger la période de cotisation pour ces années d'imposition, et qu'aucune demande d'examen de la documentation ponctuelle n'a été faite par l'ARC au contribuable en vertu de l'article 247 de la Loi (c'est-à-dire tant que ces années d'imposition visées n'ont pas déjà été sélectionnées par l'ARC pour une vérification). En effet, cette dernière condition s'explique par le fait qu'un APP offre une protection contre les pénalités, laquelle protection ne serait pas appropriée si la demande d'APP rétroactif était reçue par l'ARC après que celle-ci a contacté le contribuable pour lancer une vérification des prix de transfert. Le bureau des services fiscaux (« BSF ») local concerné et l'administration fiscale étrangère doivent également accepter l'APP rétroactif. De plus, une fois une demande de report rétrospectif déposée, aucune demande de documentation ponctuelle ne sera effectuée. Distincte de la demande d'APP, la demande de report doit être formulée spécifiquement par le contribuable auprès de la DSAC. Il est cependant impossible de demander un report rétroactif dans le cadre d'un APP unilatéral.

Un contribuable peut demander un APP unilatéral, bilatéral ou multilatéral. Le premier n'est applicable qu'aux fins de l'impôt sur le revenu canadien, alors que le second est disponible lorsque le problème de prix de transfert se pose relativement à une juridiction avec laquelle le Canada dispose d'une convention fiscale et implique un accord négocié entre l'autorité compétente canadienne et celle de la juridiction étrangère concernée en vertu de l'article applicable de la procédure d'accord amiable (« PA »). Quant à l'APP multilatéral, il survient lorsque la question des prix de transfert met en cause le Canada et deux juridictions signataires d'une convention ou plus. Comme on peut l'imaginer, il est plus difficile de conclure un tel arrangement, car davantage de parties prenantes sont impliquées. En général, l'ARC préfère que le contribuable demande un APP bilatéral ou multilatéral. En pratique, la plupart des APP du Canada sont bilatéraux. Si la demande est limitée à un APP unilatéral, l'ARC exige que le contribuable inclue la raison de cette limite si les opérations concernent des juridictions avec lesquelles le Canada a conclu une convention fiscale. Dans ces circonstances, l'ARC peut informer le partenaire signataire de la convention concerné qu'elle a accepté une demande d'APP unilatéral.

Le processus d'APP

Le processus de demande d'APP et les questions y afférentes sont exposés dans la circulaire d'information IC94-4R (« IC APP »). C'est le contribuable qui entame une demande d'APP et bien que la vérification de l'ARC puisse, dans certaines circonstances, suggérer de recourir à un APP, le programme est volontaire et il n'y a aucune obligation légale d'en conclure un. Le programme s'applique à des questions de prix de transfert découlant d'opérations actuelles et futures spécifiées qui ne sont pas hypothétiques. Une demande d'APP peut également être faite pour des questions similaires ou liées aux prix de transfert, telles que l'attribution de revenus à un établissement permanent. Impossible cependant de demander un APP pour des questions de prix de transfert ou d'évaluation survenant dans le cadre de restructurations ou de réorganisations d'entreprises.

Un APP en règle lie l'ARC et le contribuable conformément à ses conditions et à ses réserves. Lorsque le contribuable se conforme aux termes de l'APP, l'ARC ne rectifiera pas les positions du contribuable en matière de prix de transfert en vertu de l'article 247 de la Loi lors d'une vérification des opérations visées pendant la durée de l'APP, ni n'appliquera les pénalités prévues par cette disposition. Toutefois, la demande d'APP ne permet pas d'éviter les pénalités liées aux prix de transfert prévues par cette disposition. En outre, le contribuable a la possibilité de ne pas suivre l'APP, auquel cas les transactions peuvent faire l'objet d'une vérification et d'un ajustement des prix de transfert effectivement utilisés.

Lorsque seul un APP unilatéral est en place, une double imposition peut survenir à la suite d'un ajustement des prix de transfert dans la juridiction étrangère. Dans ce cas, le contribuable conserve le droit de demander l'assistance de l'autorité compétente canadienne dans le cadre d'une convention applicable. Lorsque la négociation d'un APP bilatéral ou multilatéral a été entamée, mais n'a pas abouti parce que l'autre autorité fiscale a rejeté la méthode convenue au Canada, il est peu probable que la position de l'autre autorité fiscale change lorsque la même question est soulevée à nouveau dans le cadre de la PA. L'autorité compétente canadienne peut toutefois négocier un ajustement qui s'écarte des conditions de l'APP unilatéral avec l'autorité fiscale étrangère. Bien que le contribuable ne soit pas tenu d'accepter un tel règlement, tout ajustement négocié par l'autorité compétente canadienne et accepté par le contribuable prévaudra sur les modalités de l'APP unilatéral.

Gestion d'un APP après son acceptation

La DSAC joue également un rôle continu dans la gestion de l'APP. Le processus d'APP prévoit généralement le dépôt par le contribuable d'un rapport annuel décrivant ses activités réelles pour l'année auprès de la DSAC et l'attestation qu'il s'est conformé aux conditions de l'APP, notamment en fournissant toutes les informations requises à cet effet. Ces exigences en matière d'information peuvent varier en fonction des circonstances de chaque cas, tout comme le délai de dépôt du rapport. Dans le cas d'un APP bilatéral ou multilatéral, il peut également y avoir des dispositions relatives à un rapport conjoint. Le rapport doit être déposé auprès de la DSAC dans le délai prévu par l'APP; le défaut de se conformer à cette mesure peut en effet en entraîner la révocation.

Le rapport est examiné à la fois par la DSAC et par les vérificateurs de l'ARC au BSF local. En général, ces derniers vérifient si le contribuable s'est conformé à l'APP, notamment, si les déclarations importantes et les soumissions connexes demeurent valides ou reflètent fidèlement les opérations réelles, si la méthode de fixation des prix de transfert convenue dans l'APP a été correctement appliquée à ces dernières, si les calculs sont exacts et si les hypothèses critiques qui le sous-tendent demeurent valides. Sur la base de cet examen, la vérification de l'ARC peut proposer des ajustements à la déclaration du contribuable concernant les opérations couvertes. La nécessité d'apporter des ajustements n'affecte pas la validité de l'APP. Ces ajustements sont examinés par la DSAC, qui détermine s'ils sont conformes aux termes de l'APP ou s'ils nécessitent des modifications à ce dernier. Après ces consultations, la vérification de l'ARC peut proposer des redressements au contribuable. L'APP comprendra généralement des dispositions relatives aux redressements compensatoires dans de telles circonstances, lesquels peuvent également être nécessaires dans le cas d'ajustements normaux et de routine résultant, par exemple, d'erreurs mathématiques ou d'ajustements proposés par l'administration fiscale étrangère. Si le contribuable n'est pas d'accord avec l'ajustement proposé, il peut demander à la DSAC de réviser l'APP.

La DSAC examinera également, de façon générale, le statut et la validité de l'APP, notamment s'il doit être modifié, annulé ou révoqué. Les circonstances dans lesquelles ces mesures sont possibles sont précisées dans la circulaire d'information sur l'APP. En général, un APP peut être modifié s'il est établi qu'il y a eu défaillance d'une hypothèse critique, de la loi ou des circonstances applicables ou que l'APP du pays étranger n'est pas conforme à celui du Canada ou a été révisé, annulé ou révoqué. Les modifications à un APP ne peuvent être effectuées que si elles sont acceptées par le contribuable. Un APP peut être révoqué s'il est établi que le contribuable a fait une fausse déclaration importante dans le cadre du processus y afférent, qu'il n'a pas respecté une condition importante de ce dernier ou que celui du pays étranger a été révisé, annulé ou révoqué. L'annulation d'un APP est possible s'il est établi que le contribuable a fait une fausse déclaration importante, qu'il n'en a pas respecté une condition importante, qu'il n'a pas respecté une hypothèse critique, qu'il y a eu un changement de loi, que celui du pays étranger n'est pas compatible avec celui du Canada ou qu'il a été révisé, annulé ou révoqué, ou qu'il n'y a pas eu de conclusion d'un APP révisé, bilatéral ou multilatéral. L'annulation d'un APP prend effet au début de l'année d'imposition au cours de laquelle le motif de l'annulation est survenu. En revanche, la révocation d'un APP prend effet rétroactivement au début de sa durée.

La DSAC est également chargée de traiter les demandes de renouvellement d'un APP. La procédure de renouvellement est généralement la même que pour la demande initiale, y compris l'obligation de fournir les mêmes informations (et mises à jour). Un APP sera renouvelé si la DSAC est convaincue que la méthode fournie dans l'APP initial reste appropriée, qu'il n'y a pas eu de changement important de circonstances et que le contribuable a respecté les conditions de l'APP initial. En cas de changement de circonstances importantes ou lorsque le contribuable estime que l'APP initial ne traite plus de manière adéquate les aspects économiques des transactions, des propositions de modifications de l'APP initial doivent accompagner la demande de renouvellement du contribuable, ainsi que la documentation à l'appui de ces modifications. Cependant, d'un point de vue pratique, les renouvellements prennent beaucoup de temps, car le personnel travaillant sur l'APP peut avoir changé au fil du temps, les nouvelles personnes envisageant les fonctions, les actifs et les risques différemment.

Résumé

Les APP sont le plus souvent envisagés lorsque les contribuables souhaitent obtenir une certitude fiscale concernant la fixation des prix de certaines opérations intersociétés transfrontalières. Si les contribuables ont des antécédents de vérification litigieuse des prix de transfert avec l'ARC, ou s'ils prévoient que certaines opérations intersociétés seront litigieuses en cas de vérification, il peut être prudent d'envisager un APP. Bien que l'un des inconvénients du programme canadien des APP est qu'il puisse être long et coûteux, il reste qu'il peut se traduire par d'importantes économies d'impôt et de coûts pour le contribuable relativement au fournisseur de services, en comparaison à une vérification des prix de transfert par l'ARC, suivie d'un processus de règlement des différends ardu. C'est pourquoi les contribuables ont tout intérêt à soupeser les mérites d'un APP avec leurs conseillers fiscaux.

Enfin, il existe des preuves anecdotiques, ces dernières années, que la DSAC devient de plus en plus réticente à émettre des lettres d'acceptation d'APP dans l'attente que les méthodes de la soumission de l'APP soient plus conformes à ce que l'ARC considérerait comme « acceptable » (c'est-à-dire perçue comme une position juste du point de vue des prix de transfert). Cette tendance résulte probablement, en partie, du fait que la position d'une entreprise est partagée à la fois avec la DSAC et l'autorité compétente étrangère, et constituera la base des négociations. Une fois que les dés sont jetés, il est en effet difficile pour la DSAC de présenter et de défendre une approche différente lors des négociations. Sans compter le fait qu'un plus grand nombre de partenaires signataires de conventions rend l'arbitrage plus contraignant, et que dans ces circonstances, la DSAC peut craindre de perdre son droit de regard sur la méthode finale. Si cette tendance se poursuit et qu'elle découle, en tout ou en partie, des préoccupations évoquées ci-dessus, cela serait très regrettable puisque l'objectif de la demande d'un APP est de résoudre ces cas complexes de prix de transfert. Voilà une autre question dont il vaut mieux discuter avec des conseillers fiscaux avant de prendre la décision de procéder à une demande d'APP.


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.