Susan H. Abramovitch
Associée
Chef – Groupe du droit du divertissement et du sport
Article
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En 1984, le magazine Vanity Fair a commandé un portrait de Prince, alors étoile montante des auteurs-compositeurs, à l'artiste Andy Warhol. Pour l'aider dans sa tâche, la revue a également versé à Lynn Goldsmith, une photographe bien en vue du secteur de la musique rock, 400 $ pour la licence de son cliché (la « photo Goldsmith ») pour utilisation à titre de « référence artistique ». La photo Goldsmith, ci-dessous à gauche, avait été prise en 1981 pour un article du Newsweek, alors que la carrière de Prince prenait tout juste son envol. Warhol l'a quant à lui utilisée pour créer une série de 16 sérigraphies et croquis (connus sous le nom de la « Série Prince »), ci-dessous à droite, en la modifiant de diverses manières, notamment en la recadrant et en la colorant.
À gauche : la photo noir et blanc de 1981 croquée par Lynn Goldstein, vue à la page 4 de la décision. À droite : les 16 œuvres qui composent la Série Prince, figurant à l'annexe de la décision.
À la mort de Prince en 2016, Vanity Fair a publié un autre des portraits de la star, connu sous le nom de « Prince orange ». La licence a été octroyée par la Fondation des arts visuels d'Andy Warhol (FAVAW) à Condé Nast, la société mère de Vanity Fair, sans la permission de la photographe, ce qui a déclenché une bataille juridique pour violation du droit d'auteur. Le juge de première instance a donné raison à la FAVAW, estimant que l'œuvre de Warhol consistait en une « transformation » de la photographie de Goldsmith, transformation qui lui conférait un sens nouveau. Par conséquent, l'exception en matière de violation de droit d'auteur dite de « l'utilisation équitable » était applicable, et la permission de la photographe autorisant Vanity Fair à reproduire la Série Prince dans ses pages n'était donc pas nécessaire. La décision a toutefois été infirmée en appel, la United States Court of Appeals for the Second Circuit ayant en effet tranché que la permission de Lynn Goldsmith était bel et bien requise, car la Série Prince « conservait les éléments essentiels de sa photographie sans ajout ou modification significatifs de ces derniers[1] » [traduction]. La Cour d'appel a aussi reproché au juge de première instance d'avoir joué au « critique d'art », en déterminant que la Série Prince véhiculait un sens distinct. On a ensuite porté l'affaire en appel devant la Cour suprême des États-Unis en vue de trancher la question de savoir si ces œuvres étaient effectivement une « transformation » du cliché Goldsmith, et en constituaient donc une utilisation équitable. Dans sa décision très attendue du 18 mai 2023, la Cour suprême des États-Unis a conclu que la FAVAW ne pouvait se prévaloir de l'exception d'utilisation équitable et qu'il s'agissait bel et bien d'une violation du droit d'auteur[2].
Le concept d'utilisation équitable selon la loi sur le droit d'auteur aux États-Unis permet, dans des circonstances particulières, l'utilisation non autorisée d'œuvres protégées par le droit d'auteur. Cette exception est similaire au concept canadien du même nom, cependant son application est plus large que la liste qui figure dans la version américaine de cette loi. Le concept juridique canadien, est quant à lui, plus restreint; et se limite aux fins suivantes : l'éducation; la satire; la parodie; la recherche; l'étude privée; la critique; et la communication de nouvelles.
Pour déterminer si l'utilisation d'une œuvre particulière protégée par le droit d'auteur est équitable, il faut tenir compte de quatre facteurs. L'un de ceux-là a trait au but et à la nature de l'utilisation, y compris la question de savoir s'il s'agit d'une utilisation commerciale ou à des fins éducatives sans but lucratif. La question centrale dans l'évaluation de ce facteur est de déceler si l'œuvre nouvelle cherche à atteindre le même objectif que l'œuvre originale, ou si elle « ajoute quelque chose de nouveau, avec un autre objectif ou un caractère différent »[3] [traduction].
Pour la Cour suprême des États-Unis, la seule question qui se posait était de savoir si ce facteur d'utilisation équitable pesait en faveur de la FAVAW. Cette dernière a soutenu que c'était le cas, car la Série Prince était « transformatrice » puisqu'elle véhiculait un sens et un message différents de ceux de la photographie de Goldsmith. Ainsi, la Série Prince visait à atteindre un objectif différent de celui de la photographie de Goldsmith. La Cour suprême des États-Unis n'a pas adhéré à cet argument.
S'appuyant essentiellement sur la nature commerciale de l'utilisation de la Série Prince par la FAVAW, la majorité des juges de la Cour suprême des États-Unis a estimé que la transformation par Warhol de la photographie de Goldsmith ne suffisait pas à faire pencher la balance en sa faveur, car « le degré de différence doit être soupesé par rapport à d'autres questions, comme l'aspect commercial de l'œuvre[4] » [traduction]. Selon la juge Sotomayor, s'exprimant au nom de la majorité, « [b]ien que l'expression, la signification ou le message nouveaux puissent être pertinents pour déterminer si une utilisation impliquant la reproduction d'une œuvre originale a un but ou un caractère suffisamment distinct, ils ne sont pas, sans plus, déterminants pour le premier facteur»[5] [traduction]. Il est permis de penser que cette décision restreint le concept d'utilisation équitable et le rapproche davantage de l'exception canadienne en la matière.
De nombreux groupes et individus ont critiqué cette décision, dont la juge Kagan de la Cour suprême des États-Unis. Dans une opinion dissidente particulièrement cinglante, elle a déclaré ce qui suit:
« "Interdire aux écrivains" et artistes "d'improviser plus tard sur des œuvres antérieures", comme le fait aujourd'hui la majorité, "vient contrecarrer les objectifs mêmes visés" par la loi sur le droit d'auteur. Harper & Row, 471 U. S., 549. Cela étouffera la créativité sous toutes ses formes, empêchant la création d'œuvres d'art, de musique et de littérature. Elle fera obstacle à l'expression de nouvelles idées et à l'acquisition de nouvelles connaissances. Elle appauvrira notre monde[6] » [traduction].
S'il va sans dire que nous espérons que les craintes de la juge Kagan ne se réalisent jamais, il reste que les implications de cette décision pourraient s'avérer considérables. Pensons à leur impact potentiel sur la création de jetons non fongibles, d'images créées par l'IA et d'autres utilisations dans des environnements virtuels. L'argument selon lequel l'utilisation par le défendeur a « transformé » l'œuvre originale protégée par le droit d'auteur est particulièrement attrayant lorsque des œuvres bénéficiant de ce type de protection sont utilisées dans des environnements virtuels, car l'infraction présumée est généralement une version animée et numérisée de l'œuvre originale. Dans le cas des générateurs d'images d'IA, comme nous l'avons expliqué précédemment ici (article en anglais), bien que l'image puisse être entièrement « originale », la technologie est capable de créer des images qui présentent des ressemblances frappantes avec d'autres œuvres connues. Nous encourageons donc les créateurs travaillant dans le contexte virtuel à jouer de prudence et à penser à obtenir un avis juridique lorsqu'ils prévoient utiliser des œuvres protégées par les lois américaines sur le droit d'auteur.
[1] The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. v. Goldsmith, No. 19-2420 (2 d Cir. 2021), page 30.
[2] The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. v. Goldsmith et al. No. 21-869 (18 mai 2023), en ligne (pdf) : Cour suprême des États-Unis < https://www.supremecourt.gov/opinions/22pdf/21-869_87ad.pdf > (Warhol) (en anglais).
[3] Campbell v. Acuff-Rose Music Inc., No. 92-1292 (7 mars 1994), Cour suprême des États-Unis (WL).
[4] Warhol, page 12.
[5] Warhol, page 12.
[6] Warhol, page 36.
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